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La revue francophone d'ethnopsychiatrie
Octobre 2001
Ethnopsy/Les mondes contemporains de la guérison

Les empêcheurs de penser en rond

désormais édités par Le Seuil — Paris

Numéro 3 : suggestion — Psychanalyse, hypnose, effet placebo

 

 
sommaire :  
 

De quelques problèmes philosophiques et politiques posés par la théorie psychanalytiques du transfert par Tobie Nathan

Qu’est-ce que l’hypnose nous oblige à penser ? par Isabelle Stengers

Retour à Delbœuf — Un entretien de Todd Dufresne avec Mikkel Borch-Jacobsen

De Louis Lambert à Alexis Didier. Ou comment Balzac a contribué à décrire-constuire le somnambulisme magnétique. par Bertrand Meheust

" Un magnétiseur à l’ancienne "? Note sur Théodore Flournoy et l’hypnose. par Sonu Shamdasani

L’effet placebo n’existe pas. par Philippe Pignarre

Une visite aux Archives Freud. par Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani

La hadra des gazelles. par Olivier Ralet

" Faut-il enlever le hau ? Mauss, Lévi-Strauss, et le double lien du don " par Mark Rogin Anspach

La croyance et le désir. par Gabriel Tarde

Hesperie ou la terre du soir : contribution virgilienne à une politique occidentale . par Bruno Pinchard


Tobie Nathan
et Philippe Pignarre
Résumés:  
De quelques problèmes philosphiques et politiques posés par la théorie psychanalytiques du transfert  

par Tobie Nathan

Dans cet éditorial, l’auteur interroge le concept de transfert. Il insiste sur l’originalité de cette notion, étant donné qu’elle constitue la condition princeps pour qu’une pratique originale se déroule (la psychanalyse) tout en interdisant simultanément tout accès à l’observation objective de cette même pratique. En effet, le transfert se veut un phénomène " naturel ", indépendant de l’action d’un thérapeute. Se pose alors, du point de vue de l’auteur, une question politique. À l’inverse de concepts d’autres dispositifs thérapeutiques concurrents, le transfert, en tant qu’il se veut un processus autonome et naturel, ne peut recevoir aucune reconnaissance publique, aucun débat, aucun consensus : il est ! L’auteur démontre ici que le concept de transfert, qui suppose forcément une théorie et un groupe de professionnels qui le favorisent, est en réalité un véritable outil d’influence.

Mots  clefs : transfert, processus d’influence, théorie du thérapeute, pouvoir du thérapeute, groupe d’usagers.


Qu’est-ce que l’hypnose nous oblige à penser ?  

par Isabelle STENGERS

Comment définir l’hypnose ? Et plus précisément, comment s’adresser à une histoire longue de plus de deux siècles où non seulement toute définition a été contestée mais où la " réalité " même de ce qu’ont désigné successivement les termes " rapport magnétique " et " rapport hypnotique " a été niée ? La solution proposée consiste à partir de l’ambition affichée dès le départ de cette histoire : le magnétisme comme l’hypnose sont inséparables du projet de mise en convergence d’une compréhension enfin scientifique des troubles de l’âme (et, le cas échéant, du corps) et d’une technique thérapeutique scientifiquement, ou rationnellement, fondée. Contestations et négations deviennent alors intéressantes en ce qu’elles témoignent de l’échec de cette mise en convergence, y compris à travers l’histoire de la psychanalyse freudienne qui crut pouvoir la réaliser en excluant l’hypnose. Cependant, il ne suffit pas de renoncer à la convergence, comme en témoigne la double histoire, propre au 20ème siècle, des recherches expérimentales en matière d’hypnose et de l’hypnose en tant que technique thérapeutique. A travers l’histoire de l’hypnose expérimentale, c’est toute la question de la preuve en psychologie expérimentale qui se pose à partir du problème des " témoins complaisants ", et cela jusqu’à la mise en crise de la différenciation entre ce que nous définissons comme " psychologique " et comme " social ". A travers l’histoire de l’hypnose thérapeutique se pose la question de savoir s’il suffit de dire que l’hypnose n’est qu’une technique particulière appartenant à l’ensemble diversifié des " techniques de transe ". La notion de transe elle-même ne traduit-elle pas l’ancienne ambition moderne d’aller au-delà de la diversité des techniques, de renvoyer à l’illusion le pouvoir des êtres convoqués par les thérapeutes ? Et si c’était l’inverse qui se produisait ? Et si, qu’il s’agisse de l’inconscient ou du langage invoqué par la " nouvelle hypnose ", c’était le pouvoir associé à ces êtres qu’il s’agissait d’approcher, et non leur capacité explicative ?

Mots clés : hypnose experimentale, hypnose therapeutique, transe, histoire

 


Tobie Nathan, Isabelle Stengers et Philippe Pignarre
Retour à Delbœuf  

Un entretien de Todd Dufresne avec Mikkel Borch-Jacobsen

L'historien du freudisme, Todd Dufresne, s'entretient à bâtons rompus avec son collèque Mikkel Borch-Jacobsen. Il lui demande entre autres pourquoi il ne croit plus à Freud et à l'inconscient, pourquoi il ne s'est jamais couché sur le divan, pourquoi ses travaux ont pris un tour plus historique, pourquoi il n'a rien appris de Lacan, ce qu'il répond à ceux qui le présentent comme un positiviste attardé et un " dénigreur de Freud ". L'essentiel de la conversation roule toutefois sur le rôle de la suggestion dans l'hypnose, mais aussi la psychanalyse, la psychologie expérimentale et les sciences humaines en général. Au lieu de considérer la suggestion comme un " bruit " parasite qu'il conviendrait d'éliminer ou de contrôler pour assurer l'objectivité et la scientificité des données étudiées, Borch-Jacobsen y voit une production d'arte-facts inhérente à toute interaction humaine. Dans la foulée, il se décrit comme un disciple du philosophe-hypnotiseur belge Joseph Delbœuf, ce qui vraisemblablement n'arrangera pas ses affaires auprès des " psy " français.

Mots clés: Inconscient - Hypnose - Suggestion.

 

 
De Louis Lambert à Alexis Didier. Ou comment Balzac a contribué à décrire-constuire le somnambulisme magnétique.  

par Bertrand Meheust

Le somnambule "magnétique" Alexis Didier (1824-1886), considéré comme le plus grand clairvoyant des temps modernes, a exercé entre 1843 et 1855 une voyance profondément différente, par son extrême précision, de ce que donnent à observer les archives de la divination. Le but de cet article est double. On cernera la spécificité de la pratique d'Alexis, qui se développe au moment même où l'invention de la photographie modifie en profondeur la représentation, et où la science installe l'exigence du fait; et on montrera comment cette pratique est nourrie et portée par l'imaginaire balzacien, plus précisément par le personnage de Louis Lambert.

Mots clés : somnambulisme magnétique, voyance, Balzac


 
" Un magnétiseur à l’ancienne "? Note sur Théodore Flournoy et l’hypnose  

par Sonu Shamdasani

Dans ce texte, l’auteur conteste le jugement porté par Elisabeth Roudinesco sur Théodore Flournoy qui se voit qualifié de " magnétiseur à l’ancienne " refusant le rationnalisme freudien. En s’appuyant sur les comptes rendus de séances d’hypnose effectuées auprès de deux jeunes femmes publiés par Théodore Flournoy, l’auteur propose de voir dans les positions de Flournoy une analyse constructiviste du sujet hystérique, l’hypnose et la suggestion fournissant alors des outils explicatifs d’ordre psychologique au phénomène de la médiumnité. Il souligne également l’apparition dans les écrits de Flournoy la notion d’artefact, directement issue du dispositif hypnotique et de l’influence de l’expérimentateur. En réalité, propose l’auteur, la théorie du rapport thérapeutique présentée par Flournoy se rapproche d’une synthèse tout à fait consciente de Freud et de Janet, fondée sur l’empirisme réaliste.

Mots clefs : hypnose, suggestion, influence, hystérie, constructivisme.

 

 
L’effet placebo n’existe pas  

par Philippe Pignarre

A quelles conditions peut-on réaliser une étude contre placebo ? Il faut non seulement disposer de médicaments tous semblables les uns aux autres, ce qui suppose la chimie moderne et la grande industrie, mais aussi avoir la capacité de transformer les " patients " en " cas ".

Cela peut paraître simple dans les pathologies infectieuses, c’est évidemment beaucoup plus difficile dans les troubles mentaux, par exemple. Cela nous renvoie aux études cliniques. Ces études cliniques dépendent toujours du protocole qui a été négocié entre les différents acteurs du médicament (industriels, médecins expérimentateurs, chercheurs, comité d’éthique) et qui est différent à chaque fois. Les essais cliniques, à propos desquels est apparu la formule d’ " effet placebo ", ne sont donc pas une simple machine à faire de la science. L’effet placebo est, de ce point de vue, le degré zéro de la thérapeutique, l’angle mort de la médecine moderne. Il ne donne aucun pouvoir pour juger des autres thérapeutiques.

Mots clés : effet placebo, études cliniques, médicaments.

 

 
Une visite aux Archives Freud  

 

par Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani

Quatre ans après la " grande controverse " autour de l'exposition Freud à la Bibliothèque du Congrès de Washington, deux des protagonistes retournent à la bibliothèque pour enquêter sur les Archives Freud, véritable enjeu de la dispute. Ils s'entretiennent avec les bibliothécaires, fouillent dans les archives, se perdent dans le dédale kafkaïen des restrictions d'accès, dépouillent les correspondances d'Anna Freud, Kurt Eissler, Ernest Jones et Siegfried Bernfeld. Ils décrivent dans le détail la politique de censure et de manipulation des documents pratiquée par les Archives, et racontent comment et pourquoi celles-ci furent fondées. Leur enquête démontre ce que certains soupçonnaient depuis fort longtemps: la mission des Archives Freud ne fut jamais de faciliter l'accès à l'histoire du freudisme, mais de le contrôler et de maintenir ainsi le monopole herméneutique et narratif de l'establishment freudien sur les documents et les témoignages. Au passage, les auteurs récusent l'idée de nos jours largement reçue selon laquelle ce verrouillage des Archives serait purement anecdotique et n'affecterait pas la théorie psychanalytique elle-même.

Mots clés: Freud - Archives - Histoire - Censure.

 

 
La hadra des gazelles  

par Olivier RALET

Pendant le ramadan, les jnun sont enchaînés par les anges, jusqu’à la vingt-sixième nuit, nuit du destin lors de laquelle ils sont libérés. Avant le mois de jeûne, il est conseillé aux humains " habités " de pacifier leurs relations avec leurs " habitants ", faute de quoi la reprise de leurs activités par ces " habitants " après leur libération, risque d’être brutale. Pour négocier cette cohabitation harmonieuse, les jnun doivent pouvoir dire leurs griefs et faire valoir leurs revendications ; pour cela, la hadra, rituel de musique, d’encens et de couleurs, les attirent et les fait monter, prendre la place de ceux qu’ils habitent, danser dans leur corps et parler par leur bouche. Le lecteur est convié à une de ces cérémonies dans une zawiya au Maroc. Il s’agit de celle de Sidi Ahmed Dghughi, un des deux saints fondateurs de la confrérie des Hamadcha. Réputé pour ses liens privilégiés avec le monde invisible des jnun, Sidi Ahmed est reconnu comme un intercesseur efficace auprès de Dieu pour les humains tourmentés par les génies qui les habitent.

Mots clés : Maroc, Hadra, rituels de possession, Hamadcha, djinn.

 

 
" Faut-il enlever le hau ? Mauss, Lévi-Strauss, et le double lien du don "  
 

par Mark Rogin Anspach

Si le don doit incarner une générosité spontanée, l'obligation de le rendre semble gros d'un double lien, une générosité destinée à être récompensée paraissant moins généreuse pour commencer. La tension entre l'exigence de réciprocité et l'idée de don préoccupe les théoriciens de l'échange archaïque depuis Mauss, qui a expliqué l'obligation de rendre par le hau, " esprit du don " chez les Maori. Lévi-Strauss et la plupart des commentateurs qui l'ont suivi estiment superflue la référence au hau.. L'auteur montre, au contraire, qu'elle sert justement à désamorcer le double lien potentiel. Ce double lien ne concerne finalement que le don non religieux moderne.

Mots clefs : Don, échange, Mauss, Lévi-Strauss, Double lien

 

 
La croyance et le désir  
 

par Gabriel Tarde

(précédé d’une présentation de l’auteur par Bruno Latour)

Gabriel Tarde est un des fondateurs de la sociologie française. Il a refusé la répartition des tâches proposée par Durkheim entre une sociologie qui s’occuperait des phénomènes collectifs et une psychologie cantonnée aux phénomènes individuels et intérieurs. Il propose une relation complètement nouvelle entre nature, société et vie intérieure. Sa psychologie n’a rien d’individuel : on ne trouve pas dans le cerveau d’éléments propres mais un pullulement de croyances, d’images qui proviennent d’ailleurs. Il propose de sortir du faux problème des rapports entre sociologie et psychologie, individuel et social, physiologique et symbolique, qualitatif et quantitatif, scientifique et interprétatif.

 

 
Hesperie ou la terre du soir : contribution virgilienne à une politique occidentale  

par Bruno Pinchard

Bruno Pinchard se propose une enquête sur un objet livré aux seuls philologues et qui pourtant contient des éléments déterminants pour intérprêter les mythes qui gouvernent notre temps. Cet objet, c’est le latin, interrogé ici non seulement à partir de son usage dans l’empire romain mais selon la détresse d’ Enée fondant Rome et dans l’étrange forme de latence qui demeure active dans l’idée même de Latium. La réflexion sur le latin, nous conduit dans ces conditions à une évaluation de mythes non pas triomphaux mais secrets qui déterminent en profondeur toute affirmation simple concernant le sujet occidental.

Mots clés : Latin, Enée, mythologie, sujet occidental, nation, patrie

 
     

 

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