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La revue francophone d'ethnopsychiatrie
 
Ethnopsy/Les mondes contemporains de la guérison

Les empêcheurs de penser en rond

désormais édités par Le Seuil — Paris

Numéro 4 : Propositions de paix, Colloque de Cerisy

sommaire :

 
Partie I. Colloque de Cerisy  
 

Isabelle Stengers : Cultures : Guerre et paix. Une semaine à Cerisy.

Tobie Nathan : Propositions de paix.

Bruno Latour : Guerre des mondes/offres de paix

Bruno Pinchard : Mélancolie et engagement/ Éléments pour une éthique du déracinement

Brian Massumi : Sur le droit à la non-communication des différences

Faouzi Skali : Les chemins de l'élection

Vinciane Despret : Éprouver la traduction — Essai d'éthologie politique (éthologie des attachements)

Sibylle de Pury : Le problème de la vision du monde

Dominique Desmedt : Pratique d'hospitalité "citoyenne" ? L'expérience de la maison peul, à Bruxelles

Philippe Pignarre : Une guerre qui en cache une autre. Essais de définitions.

Olivier Ralet : Un dispositif belge de fabrication de paix avec… les invisibles marocains.

Starhawk : Rêver l'obscur

 

Partie II. Contributions originales

Mohamed Chelbi : Bou-saadi-ya, un personnage, des mythes

Henri Grivois : Nietzsche et la centralité — la centralité psychotique

 

Bonnes feuilles :

Ian Hacking : La notion de niche écologique en psychiatrie.

 

Revue de livres :

Mikkel Borch-Jacobsen : La grande dépression.

 


Tobie Nathan
et Philippe Pignarre
Résumés:  
Isabelle Stengers : Cultures : Guerre et paix. Une semaine à Cerisy.  

 

La question de la paix est très intéressante parce qu'elle suppose une différence radicale entre deux perspectives : celle d'une "paix par bonne volonté", fondée sur ce qui est en commun entre les belligérants, au-delà de ce qui les oppose, et celle d'une "paix-kairos", possible à saisir et à construire là où la guerre s'impose comme probable. A la première correspondent les opérations de pacification pédagogique, à la seconde le travail des diplomates. A la première correspond une définition de la culture comme "obstacle" prévisible, qu'il s'agit de transcender, à la seconde la question des cultures comme ressource requise par les risques de la diplomatie. L'hypothèse est faite que le "constructivisme" – celui que l'on peut, notamment, associer aux sorcières néo-païennes et non celui de la critique épistémologique - pourrait désigner ce à quoi oblige cette culture particulière, dite occidentale, qui a fait de la vérité le "propriétaire" qui ne peut être trahi.
 
Mots clés : paix, diplomatie, vérité, constructivisme, consultation, sorcières néo-païennes.

 



Isabelle Stengers,
Philippe Pignarre
Tobie Nathan : Propositions de paix.  

Ce ne sont pas les hommes qui font la guerre. C'est en tout cas ce que suggèrent deux textes pourtant très éloignés l'un de l'autre : le texte biblique d’Osée qui traite de la destruction du royaume d’Israël par les Assyriens et un texte de Freud — “Actuelles sur la guerre et la mort” — paru en 1915. Si dans Osée, ce sont les dieux qui sont à l’origine de la guerre, pour Freud, ce sont des forces qui agissent à l'insu des hommes : les pulsions. Mais ni l’une ni l’autre de ces propositions ne propose d’issue à la guerre puisque que toutes deux ignorent le personnage du diplomate. C'est dans un autre texte biblique, dans un passage étrange d'Isaïe, que l'on trouve le germe d'une nouvelle proposition : l'annonce d'un être nouveau susceptible d'apporter la paix, susceptible d'accepter le rôle inouï de proposer des assemblages entre hétérogènes, des sortes de flirts inattendus et involontaires entre divinités. De nos jours, nul n'attribuerait à quiconque la possibilité de déclencher ces élans entre dieux. Dans un monde caractérisé par l'affrontement général des dieux entre eux, le plus raisonnable est d'imaginer aujourd'hui un parlement des dieux dans lequel chaque dieu serait représenté et où les hommes enseigneront à leurs dieux le parlementarisme politique.

Mots clés : guerre, paix, diplomate, parlement des dieux, Osée, Isaïe, Freud.

 

 
Bruno Latour : Guerre des mondes—offres de paix  

Les questions de guerre et de paix se sont déroulées jusqu'ici, aux yeux des Occidentaux, sur un fond de nature indiscutée et pacifiante. Il suffisait d'en appeler à la nature et à ses lois, connues par la Raison, pour que, peu à peu, le feu des passions intersubjectives soit remplacées par le calme de l'objectivité. Or, toute cette forme de politique par la nature a changé récemment à partir du moment où les questions de guerre et de paix se sont étendues à la nature elle-même. Il faut d'abord reconnaître ce nouvel état de guerre afin de commencer à envisager les conditions de paix. L'article propose donc une solution diplomatique originale: accepter que la nature aussi soit l'objet de discorde avant de pouvoir imaginer de "faire la paix".

 

 
Bruno Pinchard : Mélancolie et engagement — Eléments pour une éthique du déracinement
 

L'auteur part de son expérience de Président de Centre Médico-Psycho-Pédagogique et propose un débat avec les thèses de Simone Weil sur le poids du déracinement dans le monde moderne. Mais loin de renforcer ces analyses célèbres, il fait valoir que le déracinement peut être l'occasion de voir émerger une nouvelle valeur, le pays, dont il examine, point part point, les propriétés éthiques paradoxales.

Mots clés : migration, éthique, déracinement.


 
Brian Massumi : Sur le droit à la non-communication des différences  

L'expérience d'être en négociation pourrait de manière judicieuse être comparée au bégaiement : d'un côté, celui qui est en difficulté et, de l'autre, celui qui veut prêter assistance en complétant la phrase mais qui doit s'en empêcher à tout prix pour ne pas augmenter l'embarras. Des deux côtés une attention intense se focalise sur la fuite du langage. On est ensemble dans l'attente du sens ; on ne peut que laisser venir ; on n'a plus à convoquer mais à invoquer. Il y a une impossibilité totale de prendre la place de l'autre. Lors du bicentenaire de la fondation de l'Australie un nouveau bâtiment du parlement a été inauguré. Une immense mosaïque en pierres dans le style de la peinture aborigène a été commandé. Mais, caché dans la mosaïque, un motif invisible constituait une malédiction contre les blancs. Elle a fait bégayer toute la société australienne.

Mots clés : Australie, négociation, bégaiement, malédiction, relations Aborigènes-Blancs

 

 

 
Faouzi Skali : Les chemins de l’élection  

L'élection divine, fait spirituel qui transforme la vie de l'élu, change l‚implication dans la sphère sociale, qui ne vise plus la reconnaissance par les autres mais s'oriente vers le « Visage de Dieu ». Cette libération à l'égard du jugement social a donné lieu, dès le IXe siècle au sein du soufisme, à un mouvement d'un genre particulier, celui des « Malâmati » ou « Gens du blâme ». Il s'agit de voiler tout signe d'élection spirituelle, même s'il faut pour cela attirer volontairement, par ses comportements, la mauvaise opinion d'autrui. Ce mouvement va faire naître dans la culture populaire l'idée de « sainteté cachée » que seul l'œil divin peut scruter. Tout jugement humain peut être considéré comme dérisoire, et les comportements les plus déconcertants ont dès lors droit de cité, au quotidien d'une ville comme Fès par exemple. Le mystère et la sacralité de chaque être humain est ainsi respectée : le saint aimé de Dieu est peut-être le voisin, l'étranger ou le mendiant. Ainsi le droit de la personne est-il sacré au sens littéral, et l'intimité de chaque être est un mystère dont Dieu seul reste juge. Cette philosophie de l'être traditionnelle est à l'opposé de la « société du spectacle » moderne. L'ouverture des sociétés traditionnelles sur le monde requiert des codes d'intégration d'un registre culturel à un autre, respectueux du « terreau culturel » où germe une mentalité.

Mots clefs : Soufisme, sainteté, intégration culturelle, élection divine.

 

 

 
Vinciane Despret : Éprouver la traduction — Essai d’éthologie politique (éthologie des attachements)  

Deux naturalistes nous invitent à explorer leurs pratiques dans les termes de la traduction. Chez chacun d’eux, l’épreuve de traduction s’articule aux problèmes et aux ressources des malentendus, pour être mise au service d’un projet ambitieux : il s’agit de construire la paix. L’éthologie, science des comportements, des mœurs et des habitudes, y devient ethopoïese : pratique du changement des habitudes, des mœurs et des coutumes ; fabrication des mœurs pour la paix. Le premier de ces naturalistes, le créationniste du XIXe siècle, Edward Pett Thompson, propose de traduire autrement ce dont les animaux témoignent. Ce que nous pensons d’eux ne repose que sur des préjugés. Si nous les comprenons mieux, nous pourrons les arracher à ce qui les contraint à être sauvages ; nous réaliserons alors le superbe projet de paix naturelle que nous promet le prophète Isaïe. Thompson nous propose de passer du malentendu de préjugés au malentendu d’accomplissements : nous transformer pour les transformer et accomplir la paix. Le second naturaliste, le scientifique contemporain Queer Bruce Bagemihl enrôle la nature dans un tout autre témoignage que celui auquel la contraignent tant les théories des sciences naturelles que nos préjugés liés à la sexualité. L’épreuve de traduction doit elle aussi transformer nos habitudes : la nature n’y légitime plus l’exclusion, mais devient le site de célébration de la diversité, de l’exubérance. Elle traduit cette fois la possibilité, tant pour les humains que pour les non-humains d’« un monde incorrigiblement pluriel ».

Mots clés : éthologie, nature, prophétie, traduction, queer, créationnisme, paix naturelle, malentendu.

 

 

 
Sibylle de Pury : Le problème de la vision du monde  

Que les langues soient diverses n’implique pas que chacune d’entre elles introduise une vision du monde particulière qui conditionnerait  la pensée de ceux qui les parlent. Que tout puisse se dire dans toutes les langues ne diminue en rien l’intérêt de la pluralité des langues. La diversité des contraintes complexifient, en effet, la construction du sens, mais sans empêcher la traduction.

Mots clés : diversité linguistique, relativisme, vision du monde

 
Dominique Desmedt : Pratique d'hospitalité "citoyenne" ? L'expérience de la maison peul, à Bruxelles…  
 

Le monde actuel véhicule de plus en plus d'immigration et occasionne des rencontres de plus en plus livrées aux puissances subjectives de les gérer … sauf si on s'attelle à la tâche difficile de concevoir des lieux qui constituent, reconstituent ou même instituent une palabre autour d'elles. L'expérience de "la maison peul" à Bruxelles existe depuis une douzaine d'années : une communauté immigrée pratique l'hospitalité envers l'étranger sous le mode de la cohabitation. Cette pratique est envisagée, dans ce texte comme un dispositif particulier candidat à contribuer à "une hospitalité citoyenne" tout autant qu'à poser les jalons d'une solution culturelle "alternative" à la l'hospitalisation psychiatrique. L'émigration est un procédé d'apprentissage particulier par l'immersion dans un bain culturel étranger. De quelle nature est-il et comment peut il être protégé ? Ou comment construire l'espace ou l'inconnu devienne interlocuteur pour un échange dans une autre dimension que celle - toute puissante aujourd'hui- du monde de l'argent ?

Mots-clefs : peul, hospitalité citoyenne, antipsychiatrie, exposition, palabre, étranger…

 

 
Philippe Pignarre : Une guerre qui en cache une autre. Essais de définitions.  

L’auteur propose des définitions succinctes de plusieurs mots - médicament, psychotrope, psychiatrie, transculturalisme, psychanalyse - issues d’un travail fait depuis plusieurs années avec des étudiants en psychologie de Paris 8. On voit apparaître ainsi une dynamique conquérante propre à la médecine occidentale et à son universalisme a priori. Il insiste sur la nécessité de ne pas rester enfermé dans ces propositions et de s’intéresser à des auteurs minoritaires comme Gabriel Tarde ou William James dont les propositions ne sont pas un obstacle à la construction d’un monde commun.

Mots clés : médicament, psychotrope, psychiatrie, transculturalisme, psychanalyse.

 

 

 

 
Olivier Ralet : Un dispositif belge de fabrication de paix avec… les invisibles marocains.  

A Bruxelles, « ville marocaine de plus de 100 000 habitants », un groupe de personnes s'est constitué en collectif, « Le Collectif Entre Deux Mondes », pour construire un dispositif de mise en relation entre la communauté d'origine maghrébine et le secteur non-marchand, dans le domaine des trouble de l'existence qui se manifestent sur un mode traditionnel dans le Maghreb : mauvais œil, ensorcellement, possession. En effet, ces troubles ne sont d'habitude pas considérés avec respect et sérieux par la façon moderne de penser, et sont recouverts par des étiquettes occidentales de « superstition », « délire » ou « schizophrénie », ce qui ne permet pas de leur apporter une réponse pertinente. Le Collectif mène un travail de sensibilisation pour faire reconnaître le droit de cité aux façons de penser et de faire de la communauté culturelle et religieuse maghrébine, met en réseau les professionnels du secteur non-marchand qui admettent ce droit de cité, et articule ce réseau au réseau de bouche à oreille de la communauté maghrébine où circulent des informations sur les ressources thérapeutiques traditionnelles et sur la réputation des guérisseurs.

Mots clés : Bouche à oreille, Bruxelles, Collectif, Communauté, Façons de penser, Guérisseurs, Maghreb, Moderne, Troubles traditionnels.

 

 
Starhawk : Rêver l’obscur  

Se définir comme sorcières c’est affirmer le droit des femmes à être puissantes et dangereuses en en faisant les héritières des guérisseurs, des sages-femmes et de toutes les formes de savoir non approuvées par les autorités. C’est cultiver une spiritualité enracinée dans la nature, l’érotisme et la terre. Comment transformer notre impuissance internalisée en pouvoir et créativité collectifs capables de changer un système social injuste ? L’auteur propose une synthèse entre mouvements politiques – en particulier ceux qui s’opposent à la mondialisation - et spiritualité Les sorcières ont ainsi créé leurs propres rituels , des thérapies personnelles, pour développer leur pouvoir politique et construire de nouveaux liens communautaires.

Mots clés : spiritualité, sorcières, mondialisation, féminisme.

Partie II. Contributions originales  
Mohamed Chelbi : Bou-saadi-ya, un personnage, des mythes  
 

Bou-saadi-ya, bien qu’absent aujourd’hui des rues de Constantine, est toujours évoqué avec nostalgie par les anciens à la vue de son substitut.  Dans cet article est dépeint, par petites touches, le personnage où subtilement se mêlent le burlesque, l’insolite et le mystérieux.

Mots clés : Bou-saadi-ya, Constantine, Ouasfanes, nachra, transe, mythe.

 
Henri Grivois : Nietzsche et la centralité — la centralité psychotique  

Naître à la folie ne signifie pas devenir fou. Pour faire vite, c'est avoir la surprise, sous la regard des hommes, de vivre seul un événement universel. C’est la révélation d'une situation unique, d’une position singulière de centralité. Ces moments, tels que je les ai observé durant plusieurs dizaines d’années à l’Hôtel-Dieu, rejoignent de façon frappante ce que rapporte Nietzsche sur lui-même, un rapport involontaire avec l’activité physique de tous ceux qui l'entourent. La ville de Turin devient bienveillante à son égard. Ses textes marquent alors l’effort pathétique de ne pas se dessaisir de la situation. Avec une exceptionnelle témérité Nietzsche vivra cet irrévocable et inaccessible lien avec l’humanité. Il subit et accepte les conséquences extrêmes de la dépendance mimétique. Rencontre explosive d’une centralité naissante et de projets philosophiques engagés de longue date. Il en assume les aspects les plus inattendus : absurdes, comiques, grandioses... Il ne craint pas d’affronter le ridicule. L’idée de mission, elle aussi s’indifférencie : individuelle et philosophique, politique et divine, tragique et clownesque.

Mots clés : Nietzsche, Folie, Psychose naissante, centralité, divin et monstrueux.

 
     

 

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