troisième
partie
|
...// CULTURES : GUERRES ET PAIX
Août 2000
Un colloque pas comme les autres.
Souvenir dune tribu cerisienne...
Compte-rendu par Alice Haumont © photo Tobie Nathan |
Première partie. La mort du modernisme comme ouverture à la composition active dun monde commun. clic
Deuxième partie. Situations de guerre des mondes... Pour une typologie contemporaine des aliénations. clic
Troisième partie. Mise en résonance des tentatives de négociation avec les "autres" : modernisation, transmission, théorisation, revitalisation, traduction... un exercice de diplomatie? clic
I. Les voies de lintercession. clic ; La mémoire englobante. Autour de Mohamed Arkoun... clic ; Lexclusion de la tradition orale. Autour de Hamid Salmi... clic ;
II. La clinique, lanté-clinique, la transmission ou lauto-support. Pour une mise en résonnance des prises en charge. clic ; La clinique. Mise en scène du dispositif ethnopsychiatrique. Autour des praticiens du centre G. Devereux.... clic ; Lanté-clinique. De lhospitalité envers létranger. Autour de Dominique Desmet... clic ; Transmission des dipositifs ou clinique de lauto-support? Autour dOlivier Ralet... clic
III. Aller chercher des objets de connaissance chez les autres. Tenter de comprendre théoriquement ces objets... ou devenir des "objets manufacturés" nous-mêmes. clic ; Lexpérience dun ethnomusicologue. Autour de Simba Arom... clic ; Lucien Hounkpatin. L autre chez qui on cherche. Autour de Lucien Hounkpatin... clic
IV. Pièges et fécondité de la traduction. Autour de Vinciane Despret... clic ; Éprouver la traduction. Essai déthologie politique du vivre ensemble. clic
Quatrième partie. Les objets des thérapeutes, les chemins des théologiens et les concepts des philosophes... Contraste entre les voies de la guérison et les voies du salut. clic
I. Les voies de lintercession.
Comment penser le problème de la confrontation entre lIslam et lOccident, sans tomber dans une négociation de type "moderne-non-moderne", étant entendu que ce clivage constitue un des énoncés que nous tentons précisément de dépasser dans ce séminaire? Nest-ce pas un élément de stérilisation que de poser la question de la transmission à partir de la maladie contagieuse de la modernisation? Comment inventer dautres types de négociation et à quelles conditions?
La mémoire englobante. Autour de Mohamed Arkoun...
De la clinique à la critique
Foucault a posé les fondements de la méthode historique critique : il faut, nous dit-il, passer de la clinique comme lieu de thérapie à la clinique comme critique, cest-à-dire comme lieu détude de linconscient des cultures. Ces cultures sont des cultures fragmentées au sens où les appartenances linguistiques sont nombreuses : les langues coraniques sacrées se superposent aux multiples dialectes, lesquels se référent eux-mêmes à une mémoire collective non-détachée dune culture plus vaste comme inconscient collectif : une mémoire non seulement nationale mais encore arabe, laquelle englobe lensemble de la mémoire arabophone et islamique. Il sagit donc de tenter de traverser ces langues par le biais doutils permettant didentifier les couches et dentrer dans la mémoire englobante. Il faut retrouver les moyens de penser intellectuellement cette condition humaine : on ne peut découper les objets détudes sans en penser les moyens techniques. Cest une page dhistoire qui reste à écrire par les historiens, lesquels peuvent avoir une fonction de "catharsis", de purification des passions. Cest tout le problème de la confrontation avec lOccident modernisateur : comment se donner un "nous", comment espérer dans "un" monde, sans regard ethnographique sur la multiplicité? Il y aurait là tout un travail à faire vers un nouveau découpage des objets détude.
Une réponse historienne...
La logosphère arabe constitue cette mémoire étendue dans lespace-temps. Elle découle du Coran et de la tradition arabe antérieure comme références obligées. La mémoire arabe renvoie elle-même à une mémoire plus vaste, un horizon de sens qui se signifie dans la question de lIslam. Un problème de bibliographie se pose avant tout. Celui-ci concerne les textes fondateurs constitutifs du corpus "officiel clos", notion permettant de problématiser cette référence au Coran. Lexégèse sauvage a remplacée lexégèse régulée, laquelle remonte aux quatre premiers siècles de lHégire : période de formation de la pensée islamique classique et constitution des corpus officiels clos référents. Se pose donc un problème historique daccès à ces corpus et un problème herméneutique de lecture. Peut-être le dispositif ethnopsychiatrique constitue-t-il un de ces laboratoires qui permettent de penser lutilisation actuelle de ces corpus de référence obligée... Comment penser cette rupture historique? Il sagit dun problème culturel, mais aussi dintelligibilité de ces corpus qui contraignent tant la croyance que la régulation de la vie sociale : comment le croyant doit-il se conformer au précepte?
À la nécessité dune réponse historienne, sajoute létude des réponses apportées par la littérature. Cest dans ce cadre-là quinterviennent les États tels quils se sont constitués après leurs indépendances : ceux-ci nont pas pu créer doutils de légitimation par des voies démocratiques. Celles-ci sont souvent nées de conditions de force (prise de pouvoir militaire) et dune instrumentalisation de linstance religieuse et de sa présentation comme protection. Et cela, souvent de façon outrancière, par lentremise dune manipulation idéologique qui va peupler toute la documentation relative à lIslam.
Létude du fait religieux...
Lhéritage de la tradition reste non-étudié : comment passer des discours sociaux aux dialogues critiques? Comment passer du recueil des discours des fondamentalistes, lequels ne sont que descriptifs (sans aucune problématisation), à la construction dun espace de dialogues se donnant les moyens dentrer en communication avec la tradition?
Le choc de la colonisation peut expliquer certains des aspects du problème, dans la mesure où il a fortement réduit certaines évolutions du champ intellectuel et culturel des sociétés musulmanes. La philosophie averroïste, laquelle a reçu un accueil durable en Occident jusquau 16ème siècle, témoigne de la forte activité intellectuelle qui caractérisait alors la culture islamique. Mais le problème majeur vient du discours idéologique qui imprègne la perception des musulmans à partir du discours nationaliste. Il faut partir de la catastrophe du choc colonial, mais on retrouve les éléments précurseurs dans lhistoire antérieure, laquelle sert de plate-forme de construction de la personnalité nationale islamique sous la forme dune mythologie. En-deçà de lidéologie colonialiste , il faut retrouver la mythologie à la source de ce nationalisme moderne.
Cest un problème despace institutionnel de recherche qui se pose ici. Nous ne pouvons plus penser le fait religieux, nous navons plus les outils. La constitution moderne a expulsé le religieux de lespace public : ne lui reste que la fonction de gestionnaire du sacré privé. Il faut différencier létude du fait religieux dune étude des religions particulières (avec leurs catégories anthropologiques : sacré, mythes, prophétisme, révélations, discours, etc.). Le problème du fait religieux répond à des urgences pratiques et doit sinscrire dans un cadre qui puisse souvrir à dautres activités de connaissance, lesquelles nont pas encore place dans nos universités. Comment constituer cet espace de recherche permettant de poser la question de la religion, en reconsidérant limportance du sacré dans le fonctionnement dune société? Nous découpons les objets religieux de lespace méditéranéen à partir des catégories qui proviennent de la théologie médiéviste et non dune étude critique.
Lislamologie appliquée, à différencier de lislamologie textuelle, partirait du problème posé par les acteurs qui se présentent aujourdhui comme musulmans, elle sattacherait aux questions de la linguistique, de la sociologie, de lanthropologie, de lhistorique. Comment ces acteurs constituent-ils des représentants de la religion?
Abdelhamid Salmi © photo Tobie Nathan |
Comment penser le problème de la non-coïncidence entre les idéaux proclamés et les valeurs intériorisées issues de la tradition algérienne orale? Comment penser la séparation entre le discours public et les appartenances privées? Comment rassembler la conscience islamique? Cette tentative de négociation plus locale ne permet-elle pas déchapper à la scission moderne-non-moderne?
La confrontation avec lOccident
On peut trouver des éléments dexplication historique dans la question de la confrontation avec lOccident qui, bien avant le choc même de la colonisation, remonte aux rencontres entre rationalités grecque et arabe. Certes, la fin de lautonomie en 1871, laliénation, entraîne un désengagement des saints locaux, un doute quant aux intercesseurs. Mais le problème de la transmission de laverroïsme au 9 ème siècle fait naître la conscience tragique dune déchéance et la question dune renaissance impérative conséquente : la transmission orale sen trouve condamnée et les possibilités dintercession entre le monde des humains et celui des non-humains annihilées. Nous passons dun monde à univers pluriel à limposition dun monde unique. Fallait-il renoncer à lhéritage traditionnel pour sintégrer à la rationalisation? On peut repérer trois positions habitant le discours public :
- Le nationalisme : laccès à luniversel passe par laffirmation du national (unité de la langue) comme cadre de la rationalité, comme rempart contre lhégémonisme du monde extérieur (combat contre le danger de la diversité).
- Le réformisme islamique : désigne la situation anté-islamique comme fanatique et barbare (danger de lIslam se transformant en idéologie de combat).
- Lambivalence : position dambivalence par rapport à la philosophie classique arabe et par rapport à la pensée moderne des sciences humaines, par peur des contre-pouvoirs.
La séparation privé-public
Mais comment penser le problème de la transmission sans faire intervenir la maladie contagieuse de la modernisation? Le problème nest peut-être pas tant celui de la communication avec lOccident que celui dune communication entre langues proches. Une certaine ambivalence caractérise le discours arabe : tantôt les appartenances traditionnelles (et les systèmes thérapeutiques à univers pluriel quelles véhiculent) sont perçus comme des potentiels de division pour les nationalistes combattant le danger de ladversité, tantôt elles sont perçues comme des véritables cultures. Reste que la culture berbère veut promouvoir une culture de "salon", un discours "rationnel" moderniste, à défaut de la transmission des anciens dialectes. Comment réinstituer un dialogue entre les langues provinciales et les langues mises en Empire, telles que la langue arabe classique? Cest au niveau de ces négociations plus locales que peut se poser de façon intéressante la question dun monde commun. Les invisibles véhiculés par ces univers pluriel parlent des langues différentes : bien quils ne sont plus installés sur la place publique, ni dans le discours qui sy active, ils interagissent toujours dans la vie privées des gens. Comment les faire dialoguer entre eux?
Le dispositif ethnopsychiatrique...
La culture arabe et les systèmes thérapeutiques impliquant un monde à univers pluriel restent quelque chose dinanalysable théoriquement. Le dispositif ethnopsychiatrique et la clinique qui le sous-tend font cohabiter les deux cultures, orale et rationnelle, et nous obligent à problématiser la question de la traduction, de la transmission, en une confrontation constructive. Cest une casuistique clinique qui constitue une véritable analyse concrète du problème de la confrontation. Les patients portent en eux ce qui se perd de cette tradition orale, celle-ci est comme intériorisée, inhérente à la fabrication des personnes. Le dispositif constituant précisément le cadre clinique où celle-ci puisse sextérioriser. Les djinns, vecteurs de ce monde pluriel, ne sont certes plus installés sur la place publique, mais ils sont toujours présents, ils interagissent toujours dans la vie des gens. Nous observons ainsi des gens tiraillés entre un camouflage administratif (écoles modernisatrices) et une vie privée entourée de rituels traditionnels. Cest pourtant cette vie privée, intériorisée, ce noyau culturel, qui constituent lessence même de la personne et qui permettent de la protéger en cas de maladie.
II. La clinique, lanté-clinique, la transmission ou lauto-support. Pour une mise en résonnance des prises en charge.
La clinique. Mise en scène du dispositif ethnopsychiatrique. Autour des praticiens du centre G. Devereux....
Comment mettre en scène ce dispositif ethnopsychiatrique au sein duquel sexpriment encore les intercesseurs des mondes à univers pluriels? Mise en scène sous la forme dune construction active, dune mise en risque des participants eux-mêmes : une consultation improvisée, ponctuée de débats...
Lart de la prescription
Nous observons, en cercle, le "simulacre" du dispositif ethnopsychiatrique auquel nous participons par alternance... Une série de co-thérapeutes, un couple composé dune française et dun algérien constituent la scène : ils sentretiennent et sinterrogent au sujet des dissonances qui fragmentent le couple.
Ce dispositif se veut "créateur de paix" dans la mesure où il ne prend pas parti : il reçoit les époux, la famille et toute personne susceptible dêtre impliquée dans la situation. Cest la séparation des époux, la consultation individuelle qui constitue un déclencheur de guerre... Alors que le but du dispositif thérapeutique est précisément de comprendre et de faire naître l"être" présidant à la rencontre de ces deux personnes.
Nous comprenons vite que la fonction de la thérapie nest pas de "com-prendre" la personne, de connaître sa "vérité", de la capturer unilatéralement. Cette capture unilatérale rejoint la méthodologie de la question qui, à la différence dune prescription, ne fait que sous-entendre implicitement une théorie du mal de la personne, une étiologie comme simple élément danamnèse. Dans le geste thérapeutique, toute question est une induction. Le but nest pas de connaître la vérité, mais de parvenir à modifier certaines caractéristiques de la personne. Pour ce faire, le thérapeute ne rencontre pas des personnes, mais des sortes dentités, il cherche à faire naître des "êtres" et à négocier avec ceux-ci. Il sagira alors de manier, non pas lart de la question, mais de linterprétation et surtout de la prescription, imposant lidée que le thérapeute dispose, en tant quexpert, dune théorie du mal, quil est un professionnel du mal. Ce nest pas tant le contenu des prescriptions qui importe, mais le processus même quelles déclenchent : une guerre conceptuelle, un conflit entre théories dont lissue est ladhésion du patient à lunivers conceptuel du thérapeute. La consultation peut alors se comprendre, non pas comme une discussion de personnes à personnes, mais comme une confrontation des théories et comme une inversion dexpertise. Le disositif thérapeutique consiste à faire naître des êtres à partir de la situation considérée, êtres circonscrivant lespace conceptuel du thérapeute. Et pour que cet univers théorique du dispositif constitue un pôle magnétisant lensemble du processus, il doit impérativement renvoyer à un univers non-susceptible dêtre habité par des humains.
Lêtre comme artefact?
Les êtres sont là, ils grouillent. Mais souvent, ils ne sont pas installés. Les êtres voyagent, sont refoulés, mais dès lors quils sont convoqués par la création dun dispositif artificiel et clinique, ils interagissent : sans quoi le processus thérapeutique ne pourrait se déclencher. Ils existent indépendamment de la scène thérapeutique, mais sont convoqués par lentremise dun dispositif technique. Il y a donc "création" dêtres à partir de la situation considérée, construction technique comme ouverture dun espace de non-humains déchargeant les personnes de certaines obligations, dès lors négociées avec ces êtres mêmes. On peut fabriquer le dispositif permettant à lêtre de se manifester, mais lêtre ne se fabrique pas, il agit...
La relation duelle nétant plus dutilité, le patient est invité à explorer un dispositif public "imaginé" et institué par le groupe auquel il appartient. Si lon peut considérer que le dispositif se fabrique, et que sa "reproduction" telle que nous lobservons ici sous la forme dun mime témoigne précisément de son artificialité, la fabrication des êtres quil véhicule est à distinguer de celles des objets scientifiques de laboratoire : lappartenance au "propriétaire" ne se fabrique pas, lêtre ne se fabrique pas... Ce sont les objets qui sous-tendent cette appartenance qui, éventuellement, font lobjet dune fabrication de type "faitiche"... Mais, sans une part de "non-décision", sans une intervention "non-humaine", pas dappartenance, ni de transformation thérapeutique.
Lanté-clinique. De lhospitalité envers létranger. Autour de Dominique Desmet...
Voici lhistoire singulière dun dispositif ethnopsy à lenvers, dun agencement dans lequel la société civile prend en charge par elle-même le lieu thérapeutique normalement assumé par les dispositifs professionnels... Nous sommes alors confrontés à labsence dune traduction, dune médiation, voire même dune négociation officielle : peut-être est-ce là le signe dune distinction entre la fonction thérapeutique elle-même et le rôle thérapeutique que peuvent jouer certaines prises en charge alternatives.
LAutre Lieu...
Le courant de lanti-psychiatrie a donné lieu, dans les années 70, à l élaboration de chartes et de pratiques alternatives à lunivers institutionnel de la psychiatrie : révision de la psychiatrie en tant que système médical, en tant que technique (pensée dun Castelle -comment rechercher un contre-code par rapport au système dominant de la médecine mentale, comment dépasser concrètement les dénonciations et les surcodages abstraits-, ou dun Guattari dans sa dimension pratique). Dans la perspective de ce courant sest créée une association, LAutre Lieu (asbl), vers la fin des années 70. Cette association est née de lalliance entre une série dinstitutions en faillite. Et elle sest constituée à linterstice entre un groupe de patients et un groupe de thérapeutes. Lobjectif premier de cette association consistait à écourter les hospitalisations des patients et à développer le secteur dune prise en charge post-cure, sous lhégémonie de lunivers de la profession de la santé mentale. Sest ainsi créé un réseau daccueil de la population hors institution psychiatrique grâce à la prise en charge des patients par les citoyens eux-mêmes. Cest dans cette association que travaille Dominique depuis 1988. Laccueil de lautre, nous dit-elle, la transformation de soi-même par létrangeté, concernent tant lhôte que le patient : se pose pour chacun la question de la malléabilité de lunivers du sens. On se déloge soi-même en acceptant de loger lautre.
La Maison Peul...
Les patients à prendre en charge se situent à linterface entre un dispositif psychiatrique et une recherche de réinsertion communautaire et sociale : cest dire quun certain isolement les caractérise à ce stade. Le système thérapeutique alternatif ayant progressé plus vite que le réseau daccueil, très peu en extension lui-même, Dominique décide un jour de ramener chez elle une série de ces patients. Co-épouse dun peul (ethnie du Sénégal), sa maison est marquée par limpératif de laccueil et de lhospitalité : plusieurs familles de peul réfugiés habitent la maison. Reconstitués en ghetto (communauté de langues, de pratiques religieuses, etc.), les peul trouvent dans cette maison un accueil quils ne pouvaient trouver ailleurs, cachés dans des caves pour des prix exorbitants. Étrangement, le contact sest révélé positif avec les sortants dhôpitaux, façonnés par une pensée de la maladie et un type de prise en charge de celle-ci (construction par des professionnels) elle aussi "aliénante". La maison sélargit au terme dune année de cohabitation, avec laide de pouvoirs subsidiants (larmée de la lutte contre lexclusion sociale et la pauvreté) : ainsi se crée la Maison Peul, projet dhabitat communautaire en réponse, non pas à la demande des professionnels, mais des personnes elles-mêmes.
Une négociation singulière...
Dans la mythologie peul, la seule folie constitue lisolement de la personne. Le salon principal de la maison est cadré par le mode dorganisation des peul. La construction dune seconde maison sest révélée nécessaire, en particulier pour laccomplissement des sacrifices, des ablations, lesquels, jusque-là transformaient les salles-de-bain en un usage assez inhabituel. Un jour, un des jeunes sortants dhôpital tenta de se suicider dans sa chambre. Rapidement, les peul lont trouvé, lont secoué et se sont fâchés : "tu ne peux pas faire cela, tu prends la place de Dieu!". Aujourdhui, le jeune va bien et sest réinséré dans un réseau social...
Transmission des dipositifs ou clinique de lauto-support? Autour dOlivier Ralet...
Olivier Ralet © photo Tobie Nathan |
Comment -et à quelles conditions- réimplanter des pratiques traditionnelles en Occident, au sein des populations mêmes qui en dépendent? Mais sagit-il de réimplanter, de transmettre, de faire voyager les dispositifs thérapeutiques ou bien sagit-il, partant du constat déchec de cette émigration, de tenter dinventer dautres voies dexpertise? Comment rassembler en un groupe d "auto-support" des personnes qui se reconnaissent à lintérieur de ces systèmes, pouvant dés lors sentre-aider et partager ensemble ces processus de réafilliation risqués et contraignants?
Lhypothèse de départ est la suivante : les magrébhins ont émigré, emportant avec eux leurs maladies, mais non leurs médecins, ni leurs pratiques. Olivier Ralet, dorigine belge, sest converti à lIslam sous lhégide dun Soufi de type spirituel (fakir). Judicieux choix, dans la mesure où le Soufisme laisse une certaine place à la réflexion et à linterrogation concernant les dogmes de lIslam. Une communauté maghrébine sest créée en Belgique. Des questions concernant tant la culture que la religion se posent. Un groupe spécifique se constitue, sous la forme dun collectif dauto-support, pour aborder ce genre de difficulté : il sagit dun groupe de malades. Est-ce que, comme dans la célèbre anecdote de Jonas refusant son statut de prophète, les gens tombant malades ne sont-ils pas destinés à devenir guérisseurs? Comment transformer lerrance en voyage? Comment transformer la maladie en initiation?
Comment négocier avec les invisibles?
Le groupe Daliwali, collectif dauto-support, est constitué dun mélange doccidentaux et de magrébhins. Olivier nous relate une anecdote illustrative. Lors dune rencontre informelle avec une amie dune des membres du groupe, Habiba Tesamani, Olivier en vient à évoquer avec elles lhistoire dAïsha Kandicha (célèbre djinna). À ce moment, selon Olivier, Habiba a manifesté une grande agitation. Elle sest même précipitée dans la rue. Ils la ramènent à la maison, ils entreprennent de la calmer, son amie se révélant beaucoup plus efficace quOlivier pour la remettre daplomb. Cest là que le problème se pose : lorsque de telles manifestations "sauvages" de forces incontrôlées se présentent, comment, nétant pas thérapeute ni initié soi-même, négocier avec celles-ci de manière adéquate? Comment les entendre?
La question que nous pose Olivier est la suivante : peut-on constituer un groupe dauto-support de patients, cest à dire de gens qui peuvent se reconnaître et se définir par la "maladie" qui les touche en des termes se rapportant aux systèmes de soins magrébhins (pélérinage, transe, affiliation à une confrérie, etc.)? Mais comment penser ces systèmes de soins, comment trouver les moyens techniques pour penser leur émigration? Peut-on considérer quil y a comme une part internationale, la part érudite, laquelle est susceptible de voyager? Comment constituer un groupe dexperts les validant? Et comment se constituer soi-même comme un relais pour ces dispositifs?
Mais qui est Olivier, par "qui" est-il engagé?
Qui est Olivier? Quelle est la spécificité de son parcours et où puise-t-il cette force? Dune part, en tant que converti à lIslam, Olivier possède une puissance thérapeutique énorme : de par sa présence et sa conversion, il témoigne de la force de lIslam. Mais dautre part, en tant que "jeune converti" (converti il y a plus ou moins 9 mois), il est encore un enfant et ne peut donc parler en adulte. Sa situation et le projet qui la sous-tend constituent donc une position de force dans la mesure où elle suppose une démultiplication des interventions. Comment à la fois tenter de réafillier des gens (mais peut-on récréer cette affiliation?) et se positionner soi-même comme relais? Qui peut se positionner comme tel? Par "qui" est-il autorisé à se positionner comme tel? Il sagit avant tout de retrouver un endroit où loccidental "converti" puisse être réinstallé : il faut reconstruire la vie des générations pour tenter de comprendre la singularité de lintervention présente. Peut-être y retrouvera-t-on une force sous la forme dun pacte... Mais sans doute, sans celui-ci, ne pouvons-nous comprendre ce "qui" engage les représentants actuels du dispositif...
III. Aller chercher des objets de connaissance chez les autres. Tenter de comprendre théoriquement ces objets... ou devenir des "objets manufacturés" nous-mêmes.
Simha Arom © photo Tobie Nathan |
Lorganigramme des fonctions de la musique
Comment penser les cultures musicales en Afrique sans être prédateur? Pour commencer, il ny a pas de terme africain pour désigner la "musique". La musique est ce qui peut être dansé, chanté (mélodique ou non), mis en parole (métré dans le temps, selon un rythme cyclique). La musique est le médiateur vers le surnaturel (les divinités), elle organise la vie sociale de la communauté, de la famille, de lindividu. Elle est inséparablement associée à des circonstances particulières, circonstances que lon peut facilement répertorier selon des catégories. Par exemple, chez les pygmées, un chant spécifique accompagne lenfant non-sevré dont la mère est enceinte, ce chant lui assure quil jouira toujours de laffection de tous... Que faire de ces chants circonstanciés? La méthodologie de lethnomusicologue consistera à dresser les tableaux des fonctions de la musique en réponse à la conception considérée de lunivers. Il sagit de répertorier des catégories de musiques qui sexcluent mutuellement par définition. Si la catégorisation est liée aux circonstances qui varient, une même circonstance peut cependant susciter plusieurs rythmes possibles. Il sagit alors de pointer les noeuds convergents : les gens en présence, les types de rythmes, etc. Lobjectif est de constituer un organigramme des raisons dêtre de la musique sans entrer dans les "représentations" associées.
Aller chercher des choses chez les autres?
Lexpertise des blancs vient sinscrire dans lexpertise des "autres"... Quel type de négociation inventer? Et comment les blancs "se présentent-ils"? Une première remarque dordre étymologique simpose. Ethnomusico-logie. Le logos, depuis Pythagore, constitue lart des rapports. Peut-être notre rapport occidental à la musique est-il marqué par cette sémiologie : nous cherchons dans les rythmes le logos comme rapport, comme fabrication composante, et symétriquement nous éprouvons la musique comme rapport intérieur, expérience individuelle, abstraction interne... nous écoutons, seuls, intérieurement, les symphonies dun Beethoven sourd dès son plus jeune âge. Peut-être ne sommes-nous pas fabriqués de telle sorte que nous puissions sentir un non-respect envers les "autres", ces autres dont les rythmes sont inséparables des êtres convoqués, des invisibles associés... Expérience intériorisée, expérience toute différente du rapport "africain" à la musique, de ce rapport à une musique "non-définie comme telle", une musique inséparablement gestuelle et convocatrice.
À ce premier sens du logos comme revers symétrique de notre expérience individuelle intérieure, sajoute la méthodologie plus spécifique caractérisant ici lexpérience métrique de lethnologue : cette logique des rapports le conduit à tenter de construire -sur base dun matériau musical inconnu- des systèmes classificatoires, des catégories fonctionnelles en rapport avec lorganisation de la "polis", sans décryptage des "représentations associées". La méthodologie des blancs se singularise par lintervention de deux outils : lobservation et la vérification caractérisent le type dexpertise propre à la science des blancs. La culture musicale africaine est ainsi mise en relation avec tout un système sémiologique -"mais eux ne le savent pas"- répertoriant les régularités. Le but étant de démonter les systèmes rythmiques et de les remonter selon lordre de succession qui permet de les ordonner. Lartefact technique occidental vient sinscrire dans lexpertise des autres... à quel type de négociation cela conduit-il?
Aller chercher des objets chez les autres? On va chercher des objets, mais ces objets ne peuvent sortir... seules en sortent des théories générales inclues dans ces objets comme une couche de surface. Nest-ce pas ce travail daller-retour qui nous singularise, nous les blancs, nous qui "sommes capables de séparer le sujet de lobjet", de séparer lécoute passionnelle du rapport mécanique? Or de tels objets, pour ces "autres" qui les fabriquent, nont peut-être pas une telle médiation, une telle hybridation thématique...
Aller chercher des objets chez les autres? Doit-on se limiter à un "chacun sa musique", à une proposition de suspension? Soit on ne sort pas dun "chacun sa musique", soit on cherche à inventer un type de négociation. Lethnomusicologue souhaite peut-être simplement partager des découvertes qui lui semblent merveilleuses... et qui peuvent conduire à des expériences étonnantes telles que la constitution dun objet hybride, le mélange astucieux dun xylophone et dun synthétiseur Yamaha. Le but de ce dispositif consistant à adapter sur un synthétiseur occidental des languettes de bois copiant celles dun xylophone africain : peut-on en comprendre les accords et les configurations tonales, peut-on en répertorier les régularités?
Quel exercice de diplomatie singularise cette rencontre entre deux types dexpertise, rencontre dont la passerelle serait la recherche de ce qui nous est commun... À quel moment est-on soi-même objet dobservation? Et quest-ce que cela produit sur les humains lorsquon travaille sur un tel objet, médié par la musique? De la couche théorique-humaine de lobjet au devenir-objet de lhumain...
Lucien Hounkpatin. L autre chez qui on cherche. Autour de Lucien Hounkpatin...
Présentation...
"Mon dieu créateur -dont je nai rien à foutre et pour lequel je nai aucun autel- ma appris deux choses : lillusion du même et le savoir à négocier pour ne pas être dans le culte de la différence. Je ne mappelle pas... "jai été nommé" : cette formule ouvre la possibilité de différentes nominations et désigne que "je suis lenfant de". Je ne suis pas le fils de Dieu : celui-ci, ayant compris la tristesse de la totalisation, sest retiré après plusieurs tentatives avortées... je suis plutôt le fils dune certaine dépression". À leur naissance, les humains ne sont pas encore des sujets mais plutôt des "choses" : la communauté des humains demande toute une procédure de fabrication, de maintenance. Il faut continuellement nourrir ces objets pour quils puissent grandir et rester actifs...
"Ce sont mes divinités qui me permettent daller à la rencontre de lautre". La transcendance est un agencement fait de liens complexes. La négociation avec celle-ci passe par le fonctionnel : le fonctionnel est ce qui permet de créer. Les dieux négocient entre eux. Les dieux ne se font pas la guerre. Ce sont les humains qui, dans leur part non-humaine, se font la guerre. Cest là le malentendu des convertisseurs : les divinités ne se font pas la guerre."Nos divinités se retrouvent, se chevauchent : on met Jésus à côté de nos autres divinités, et on voit ce qui est fonctionnel là dedans".
Une expérience terrifiante...
"Je vais vous raconter une expérience. Une expérience qui pourra sembler anodine à certains, terrifiante à dautres. Je me ballade dans un musée. Jy découvre avec terreur des objets morts. Et face à ces objets morts, je me demande : suis-je moi-même mort? Comment revitaliser ces objets pour me rendre moi-même actif? Est-ce que nos morts peuvent être revitalisés afin que nous humains, dans nos mouvements dhommes, nous soyons à nouveau actifs?". Cest la question du devenir : quelle fabrication préside au "devenir-objet" de lhumain et au "devenir-humain" de lobjet? "Cette expérience est une expérience terrifiante. Un jour, bien que ces objets soient les tiens, tu deviens un étranger toi-même. Fallait-il refaçonner et comment? Jétais en colère contre mon ventre. Comment déposer les choses au mieux pour quon mouvre la porte? Cest en traitant ces choses que je pouvais alors mautoriser à prendre. Mais les objets quon me remettait nétaient pas destinés à un lieu où ils seraient dévitalisés : il fallait les traiter pour les rendre à nouveau actifs".
Comment ouvrir un espace pour récupérer ces objets?
"Comment faire se rencontrer deux espaces hétérogènes selon une négociation mévitant une position de représentation?". Ces espaces contiennent des êtres, ils constituent une assemblée des dieux. Et ce sont ces dieux précisément qui rendent possible une discussion entre représentants. La circulation se fait au niveau des humains, ces humains qui "représentent" ces êtres et qui permettent leur rencontre. "Cest cette circulation entre représentants qui me permet de récupérer certains objets et de les traiter pour les rendre actifs. Comment, dans mon déplacement, être cependant chez moi? Puis-je encore nommer certains de "mes" objets?". Il sagit donc moins d "aller chercher" des objets que de se poser la question : comment ouvrir un espace permettant la circulation? Non pas chercher, mais récupérer ces objets. "Et concernant ces objets récupérés avant nous, lorsque la fonction est mal faite, notre devoir consiste à traiter ces objets : lessentiel est de rendre la tranquillité aux morts et de situer les représentants dans leurs fonctions. Il est important que ces objets ne soient pas un élément de brûlure, mais un élément dactivation".
LArt de la diplomatie consiste alors en ceci : "traiter les objets à partir du caché de lenvers", à différencier des invisibles. "Je ne vais à la rencontre de lautre quà partir des objets qui font partie des objets de son monde". On ne négocie pas avec les gens mais avec les choses : les choses peuvent alors être dites, sans sentiment de trahison quelconque. Jusquoù aller dans cette rencontre, sexposant au risque dune "obligation de retour au pays" et du verdict rendu quant à tout ce qui aura été traité? Cest tout le problème de la médiation : à quels risques sexpose-t-on lorsque les mondes peuvent parler et les divinités se rencontrer?
Remarque. Peut-on, nous, occidentaux, nourrir les dieux des autres par dautres procédures, en vertu dun agencement latéral, dun risque "engageant" quant à lindécidabilité du tout? Non... donner à bouffer aux dieux, cest leur donner de lhuile rouge!
IV. Pièges et fécondité de la traduction. Autour de Vinciane Despret...
Comment penser cette double modalité de confrontation avec les "autres"... de lobjet comme dont on ramène une couche théorique inséparable de lunivers référentiel du "blanc" à la revitalisation de cet objet dont dépend notre propre vie dhumain... de la théorisation au devenir, à la négociation.
De la répétition dun univers référentiel à lépreuve dune transformation... Du thème à la version. Peut-on penser ces modalités de rapport aux "autres" en pensant ces "autres" sous la forme plus générique dun "vivre ensemble"?
Éprouver la traduction. Essai déthologie politique du vivre ensemble.
Des pingouins et des abeilles...
Deux expériences singulières, à titre dintroduction. Un cas de zoologie, premièrement : après 7 ans de cohabitation, les noms masculins et féminins conférés aux pingouins dun Zoo sont permutés en partie : certains hommes se découvrent femmes et inversément, certains couples se révèlent homosexuels... Ou encore lexpérience du naturaliste Thompson qui, 9 ans avant Darwin, constate que le fait de faire sonner deux pièces de métal lune contre lautre, permet, non pas, comme on le croyait habituellement, dappeler un essaim dabeille, mais constituait la façon dont un homme, ayant perdu son essaim, prévenait les autres fermiers de la disparition de celui-ci et de son éventuel passage sur leurs terres. Il sagit de deux champs théoriques différents, mais dans les deux cas sobserve la dénonciation dun malentendu. Lépreuve de la traduction peut déjà sénoncer comme suit : amener à un autre la parole des non-parlants. Cette traduction se fait au profit dun projet ambigu : la création de moeurs pour la paix. Lethos, les moeurs, les coutumes. Et elle sinscrit, à titre dillustration, dans la situation de guerre des sciences entre le créationnisme et le néo-darwinisme. Il ne sagit pas daller demander à la nature un modèle de paix, ce qui relèverait de lutopie, mais dinventer des moeurs.
On peut donc tenter une première définition, une première expérience de la traduction : la traduction est la mise à lépreuve de constructions, lépreuve de ce que lon traduit et de ceux pour qui lont traduit. Expérimenter et faire éprouver. Traduire, cest rendre sensible, se rendre sensible. Selon la polysémie du terme : donner du sens et accroître la sensibilité. Cette définition, issue de Thompson, confère son sens à lintitulé : "Éprouver la traduction, essai déthologie politique du vivre ensemble".
Du malentendu de préjugés au malentendu daccomplissement...
Le projet de Thompson, à partir de lobservation des abeilles, consiste à penser que nos connaissances de lanimal sont fondées sur une série de préjugés... poison de la paix, il faut rendre justice au fait, se mettre en situation de guerre déclarée. Éveiller une attention adéquate et des sentiments de bonté, poursuit-il. Mais le projet de Thompson ne peut se réduire à un simple projet protectionniste et de justesse des faits.
Il sagit, partant de cette mise en risque, de formuler une proposition : une proposition de passage dun premier malentendu, le malentendu de préjugés, à un autre malentendu, le malentendu daccomplissement. Le projet se précise en deux temps. Premièrement, sattaquer aux préjugés en sattachant, par exemple, à comprendre si les animaux "ont une âme" ou non. Deuxièmement, opter pour la voie de la sensibilité et de lintelligence. La procédure stratégique de Thompson engage le lecteur. Cest la construction de la proximité : ce à quoi nous sommes sensibles touche les animaux. Célèbre histoire du singe de lattribution des états mentaux... simulant un état de faiblesse soudain, il parvient à se laisser descendre de son mat et à déplumer un des corbeaux qui, chaque jour, dilapidaient son repas... les animaux "se mettent à la place de lautre". Darwin thématise cela en termes de honte, Thompson en termes de futur... constructif.
Le point de vue "moral" de lanimal se caractérise par la capacité affective et la flexibilité des comportement. Cest ici quintervient le malentendu daccomplissement, en réponse à la cruauté avancée par certains pour lesquels la domestication dun animal sauvage passe par une conversion et une mise à profit des pulsions de celui-ci. Ne peut-on penser ce problème en terme de projet pratique : et sil sagissait dun malentendu au sens du rapport parent-enfant? Cest un malentendu intentionnel, un malentendu du "comme si", un malentendu proche de laccomplissement dune prophétie : "ils sont maintenant sauvages, mais la contrainte peut les amener à shumaniser... Dieu ayant laissé le monde inachevé". Deuxième tentative de définition de la traduction : traduire ce qui nest pas encore pour lui donner une chance de saccomplir. Cest un projet politique : une éthologie qui affilie, qui attachent les hommes, les animaux et les prophètes.
Du thème à la version...
Selon Bajmill, un autre naturaliste, les humains se spécifient, se différencient des autres animaux par lacte de rire, mais aussi de tuer leurs semblables... Mais la véritable différence, poursuit-il, réside dans la faculté de faire des généralisations simplistes. Cest ici quintervient un nouveau contraste prolongeant le premier. Si le premier contraste pouvait sénoncer comme suit : contraste entre traduire, au sens de rendre sensible en disant autre chose, et traduire sur le mode de lindifférence, le second prolonge celui-ci en séparant la traduction comme thème de la traduction comme version. Et cette dernière sétend en considération : Bajmill défend les homosexuels, la multiplication des natures, etc. Contre largument des justnaturalistes, il parle dun monde "queer", dune panaturalité des homosexuels : la nature est trop contradictoire et bavarde, la sexualité est dune telle richesse quelle est en perpétuelle innovation. Mais il devient difficile de se rattacher à la nature contre laccusation de "culturalisme"... Comment sortir de la dichotomie "nature-culture", "essentialisme-constructivisme"? Quon se souvienne des premières alliances politiques des scientifiques avec les féministes : pour une déconstruction de la notion de genres sexuels. On assiste à une multiplication des modèles mâles ou femelles, chacune des catégories se révélant multidimensionnelle... Comment sallier avec des groupes minoritaires refusant les théories socio-biologiques (la théorie de la sélection des gènes, par exemple) pour lesquelles lhomosexualité sert lhétérosexualité? Comment ces groupes peuvent-ils tirer une force, passant par lénonciation risquée de ce qui les constitue comme groupes? Cest là toute la difficulté : la traduction reste de lordre du thème, elle nopère un passage que comme répétition dun univers référentiel, universalisation et refus de la mise à lépreuve... le différent reste de lindifférence. À la différence du thème, la version est une épreuve de transformation : comment trouver, dans les limites de ma langue, les éléments me permettant de multiplier mes histoires? Comment cherche-t-on sa force? Il sagit alors de pousser la langue française hors de ses limites et dexplorer. Pour Bajmill, chaque événement devient une intention problématique, loccasion dune transformation, dune revisite dun concept de la biologie. Comment promouvoir plus de "natures" pouvant se mettre à coexister, créer des alliances dexception entre les sociétés, les traditions... les chamans et les gaia?
Petite négociation diplomatique. Peut-on reprendre la proposition à lenvers et aborder la question de la métamorphose animale selon une perspective inverse : à la lecture amérindienne répondrait la lecture africaine... un africain te dira : "nôtre ancêtre est une panthère, si tu manges ton ancêtre, tu tombes malade pour toujours. Mon ancêtre est à la fois mon ancêtre et ma nourriture"... Mais si maintenant, tu demandes à un "blanc" de manger des doigts de babouin, il te répondra avec une mine dégoûtée. Le contraste ne peut séliminer si facilement...
© photo Tobie Nathan |
Suite > Quatrième
partie. Les objets des thérapeutes, les chemins
des théologiens et les concepts des philosophes... Contraste entre
les voies de la guérison et les voies du salut. clic
Droits de diffusion et de reproduction réservés © 2000, Centre Georges Devereux