seconde
partie
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CULTURES : GUERRES ET PAIX
Août 2000
Un colloque pas comme les autres.
Souvenirs dune tribu cerisienne...
Compte-rendu par Alice Haumont © photo Tobie Nathan |
Première partie. La mort du modernisme comme ouverture à la composition active dun monde commun. clic
Deuxième partie. Situations de guerre des mondes... Pour une typologie contemporaine des aliénations. clic
I. Les sectes aujourdhui. Autour de Françoise Sironi et de Marie-Françoise Masse ... clic ; II. Usages et non-usages des drogues. Pour une clinique de lauto-support. Autour de Josep Rafanell I Orra... clic ; III. Reconstruire des collectifs? clic ; Créer des rites? clic ; Historique clic ; La création de rites clic ; Réaffilier une voyante? Autour de Bertrand Méheust et de Maud Kristen... clic ; Maud Kristen... clic
Troisième partie. Mise en résonance des tentatives de négociation avec les "autres" : modernisation, transmission, théorisation, revitalisation, traduction... un exercice de diplomatie? clic
Quatrième partie. Les objets des thérapeutes, les chemins des théologiens et les concepts des philosophes... Contraste entre les voies de la guérison et les voies du salut. clic
Deux types dêtres redoutables vont peupler notre débat, êtres dont les étiologies marquent précisément les limites du domesticable : lêtre de "ce qui fait secte", et lêtre "proliférant" des drogues. Deux types dêtres dont les effets redoutables heurtent notre monde occidental contemporain qui, enfin, devient normal dans son désordre... Nous entrons dans une situation de guerre des mondes. Ne sommes-nous pas pris, avec ce type dêtres, dans des agencements forçant la pensée, dans de nouveaux risques obligeant à penser?
I. Les sectes aujourdhui. Autour de Françoise Sironi et de Marie-Françoise Masse ...
Une impossible définition...
La question "quest-ce quune secte?" hante souvent de son insolubilité les débats actuels... La question est peut-être moins de savoir "ce quest une secte" que de rencontrer les dispositifs qui permettent den penser le problème à partir dagencements nouveaux.
LADFI (Association de Défense de la Famille et de lindividu) est un dispositif français daide et daccueil pour les personnes "sortants de sectes". Paralèllement, lassociation se donne pour but de comprendre les intentions des groupes sectaires, leurs rapports au culte et leurs méthodes dasservissement. Dans son récent ouvrage La dérive sectaire, Anne Fournier a tenté de penser le phénomène sectaire à partir dune conjonction de facteurs : le mécanisme de la secte fonctionnerait, selon elle, comme la "construction dune allégance inconditionnelle au sein dun isolât culturel auto-référent et de caractère expansif de différents domaines de la vie individuelle et sociale". Nous sommes bien souvent devant le constat dune impossible définition du mot "secte". Une série de caractères sont néanmoins récurrents à lobservation des groupes : idéologie radicale, structure autoritaire et autocratique, référence exclusive à son interprétation, rupture de tout ordre, transformation des personnes, instrumentalisation des énergies, système de promesses, développement de la culpabilité, création artificielle dune prothèse relationnelle, etc.
Le "phénomène sectaire" constitue une situation de guerre des mondes qui engage, qui produit des "obligations" en tant quil déclenche de véritables processus économiques engageant tout le monde. Nous pouvons tenter dapprocher le phénomène par lexamen de deux voies complémentaires : une réflexion concernant le monde occidental en guerre, dune part, et une réponse méthodologique clinique, dautre part.
Le monde occidental en guerre...
Nous avons vu que la scission moderne entre les deux pôles de la nature et de la culture était inséparable dune scission entre la chose publique (qui nous rassemble sous le plus petit dénominateur commun) et les appartenances (qui nous constituent, qui nous "engagent" de manière privée... tolérée). En quoi le phénomène sectaire constitue-t-il un exemple de mise en "guerre" des mondes? Les psychologues, les premiers, ont grignoté lespace privé, remplaçant les anciennes divinités par un panthéon de "pulsions" et de "maux" laïcisées. Or, depuis quelques années, une série dencoches à la séparation public-privé surgissent et tendent à sinstitutionnaliser -quon pense à la question des drogues, au problème de lhygiène de la femme enceinte, ou encore à la catégorie des maladies à incidence sociale. Et cest sur ce front-là que sengagent les sectes, en disant : nous allons militer pour la promotion dune partie privée qui restera privée, pour une privatisation de lespace privé (Seca-re = regrouper, couper autour, privatiser). Les choses senveniment : les sectes ne se limitent pas à "rapter" les âmes des mystiques déçus, au contraire, elles sappliquent à recruter les âmes des républicains laïcs et des techniciens scientifiques, capturés par le biais de messages humanistes relatifs au salut de lhomme et à la défense de sa liberté. Les âmes se laissent rapter par les discours mêmes qui les "fabriquent" comme républicaines, capturées par cela même qui anime le discours public...
Mais lentrée dans la secte nest-elle pas inséparable dune déclaration de "défaillance" caractérisant les segments majoritaires doù sont issues les âmes à prendre? Nest-elle pas inséparable dun effet de déculturation méthodique singularisant notre scène contemporaine? En quelque sorte, tout se tient de manière cohérente, tel un agencement dont on peut tenter didentitifer les tenants. Nous pouvons repérer deux niveaux complémentaires :
- Les voies du salut : la défaillance des religions dominantes traditionnelles, lesquelles perdent le sens du rapport concret au divin au fur et à mesure de leur institutionnalisation progressive. Résultat, nous allons vers un christianisme de plus en plus mou, témoignant de la logique même des religions de lavenir : spiritualité dont les formes de plus en plus diverses seront sélectionnables sur catalogue... logiques du melting pot et du zapping culturel.
- Les voies de la guérison : là aussi, les dispositifs sont en crise, lindividu est ballotté entre de multiples étiologies, elles aussi sélectionnables sur catalogue, en self-service. Et les discours des psychologues, fabricants dindividus déprimés, vides, en quête de soi répondent en choeur aux grands discours existentialistes de type "nous navons plus dâme"... Bref, les discours sur le "sujet" proclament la défaillance que lentrée dans la secte ratifie : cest pour avoir le "sentiment dune âme" que les individus entrent en secte.
Tout se tient? La logique de constitution "melting" qui singularise tant les voies de la guérison que celles du salut répond à un phénomène de brassage des morphismes, de zapping culturel généralisé, de création artificielle de prothèses relationnelles et dappartenances... étranges phénomènes singularisant notre contemporanéité occidentale. Déculturées méthodiquement, vidées par les discours des professionnels de la psyché, les âmes deviennent potentiellement libres et "raptables". Les sectes interviennent sur ce front-là comme ce qui précisément, par leffet dune privatisation sectaire, produit des "obligations" de résistance. La scène occidentale, enfin, devient normale dans son désordre : la guerre des mondes "engage" tout le monde, les individus mettent en oeuvre de violentes stratégies pour récupérer ces âmes, stratégies qui deviennent de véritables processus de vie économique.
Une réponse clinique...
En quoi les dispositifs cliniques permettent-ils de penser la question du "phénomène sectaire" à partir dagencements nouveaux, en réponse à une situation pragmatique durgence? LADFI sélectionne, parmi les multiples situations prises en charge, celles qui nécessitent lintervention dune équipe de thérapeutes experts. Longtemps en désaccord avec la prise en charge proposée par les dispositifs psychologiques classiques, lalliance avec les cliniciens du Centre Georges Devereux constitue une première dans lhistoire de lADFI. Les réponses apportées par les théories psychologiques classiques sont souvent incapables de penser le phénomène sectaire dans sa cohérence propre, le concept de "prédisposition" niant celle-ci : quelles prédispositions psychologiques lindividu avait-il pour entrer dans la secte? Il était inconsciemment psychotique, ou encore il cherchait à assumer sa perversion... Les théories classiques soignent des gens non pas "fabriqués" par lexpérience sectaire, mais "pré-fabriqués" -et aussi bien déjà soignés. Cest précisément la singularité du dispositif clinique "sortants de sectes" du Centre G. Devereux que de penser le phénomène sectaire en termes de laboratoire de fabrication dêtres. Il sagit donc, pour les professionnels concernés, dentrer dans linterrogation "quest-ce quune secte?" par le biais dune méthodologie axée sur la notion de fabrication : les gens sortent des sectes et sont dans un "certain état". Cet état a été fabriqué par une expérience sectaire dont nous allons reparcourir les événements majeurs afin de comprendre son mode de construction. Une fois celui-ci compris, nous pouvons le déconstruire. Si un expert en "rapt dâme" peut fabriquer un dispositif technique, un technicien peut le déconstruire. En posant le problème de cette manière, le phénomène sectaire devient intéressant dans la mesure où on peut identifier son intention comme un mouvement actif : lintention dune secte, cest le rapt dâme. Le phénomène sectaire constitue une incroyable capitalisation de cette capacité à rapter des âmes. Partant de cette "intention" comme levier permettant dentrer dans la question des sectes, il sagit méthodologiquement de circonscrire un cheminement clinique. Celui-ci peut sénoncer en trois temps : premièrement, comment repérer ce mécanisme de fabrication à partir de l "intention"? Deuxièmement, comment déconstruire ce mécanisme, récupérer lâme raptée? Troisièmement, comment réafillier cette âme? Peut-on lui prescrire un antidote à toute forme de capture? Ou sagit-il de remonter la lignée des "propriétaires" afin de retrouver le propriétaire susceptible de la réaffilier sous la forme dune "bonne capture"?
Pour commencer, quelles sont les sources méthodologiques sur lesquelles sappuyer pour penser ce mécanisme de fabrication? Le système sorcier africain pourrait bien constituer un modèle technique permettant de penser les "captures" qui hantent singulièrement notre scène occidentale. Modèle technique certes, mais qui interviendra à titre de contraste.
Premièrement, il sagit détablir un contraste entre la "capture dâme" qui singularise le dispositif secte et le "cannibalisme" qui singularise le dispositif sorcier. Ce sont deux catégories techniques différentes, deux types de rapports différents à toute âme potentiellement libre : la capture sapproprie lâme pour la mettre au travail, le cannibalisme sapproprie lâme pour lingérer et pour la digérer.
Deuxièmement, les "intentions" qui déclenchent lappropriation de lâme sont également différentes, quoique se recoupant en tant quelles sont alimentées toutes deux par un système daveux. Les êtres que déclenchent ces deux types dintention se logent dans la vérité, dans la disjonction "cest vrai, cest pas vrai" : cest vrai que nous mangeons les gens la nuit, soutiendra le sorcier, cest vrai que les émotions sengramment dans le corps, soutiendra le sortant de la secte de scientologie. Et cest à cet endroit précis quopère le travail de déconstruction : cest dans linversion technique par le thérapeute du "cest vrai" en "cest pas vrai" que surgit lintention de celui qui a fait le montage, lêtre que le "fabricant de secte" a déclenché, lêtre avec lequel il sagit précisément de négocier. Ces êtres ne sont pas dans la secte, ils sont ce qui fait quil y a "secte", ils sont ce qui fait que le phénomène "secte" produit sur nous des "obligations", ils sont ce qui fait que la capture sectaire "engage".
Troisièmement, à qui restitue-t-on ces âmes? Pouvez-vous me restituer mon âme et à qui restituez-vous mon âme? Cette question a un sens technique, cest une proposition de rattachement. Comment rattacher une âme à un "bon" propriétaire? Là encore, les deux dispositifs diffèrent. Dans la mesure où se pose la question de lappartenance, se pose la question des propriétaires successifs des âmes. Une première proposition technique se présente : pour réassigner une âme, il faut remonter la lignée des propriétaires et retrouver le propriétaire précédant le propriétaire défaillant qui aura permis la capture. Si ton père a permis la capture de ton âme, si ton père ta vendu, on va te rendre à ton grand-père... Mais que fait-on si le propriétaire défaillant se pose dans les termes des religions et des institutions dominantes, dun amollissement des prises en charge religieuses et thérapeutiques? À qui restitue-t-on les âmes occidentales déculturées? Une seconde proposition technique consistera alors à reparcourir lhistoire individuelle et collective, les traverser pour tenter de réinscrire lâme dans les appartenances qui ont peuplé son histoire, telles que les appartenances familiales ou politiques. Cette traversée, cette collecte des éléments historiques peuplant la vie des gens doit pouvoir se faire à partir dune troisième proposition technique : comment mettre le patient en position dexpert et rendre au statut de "victime" un statut de noblesse? Ce en quoi le dispositif clinique est toujours en construction, en évolution depuis lantre dun "parlement contradictoire" obligeant les thérapeutes eux-mêmes à se transformer à partir des énoncés de leurs patients.
Si le système sorcier est un modèle technique permettant de penser le phénomène de la capture de lâme, dautres influences nous questionnent indéniablement. Comment ne pas se poser la question de la transmission des spiritualités orientales vers lOccident? Par quel étrange mécanisme le noble "gour" se transforme-t-il en gourou "charlatan" recrutant des adeptes? Comment penser la fabrication dun gourou occidental? Comment également ne pas se poser la question de linfluence des mécanismes dadhésion, de conversion, dinitiation compliqués singularisant la religion chrétienne? En quoi la logique de constitution sectaire prolonge-t-elle, sous certains aspects, la logique de conversion chrétienne? Dans quelles sources les sectes puisent-elles leurs modalités techniques dinfluence? Autant despaces de questionnements ouverts...
II. Usages et non-usages des drogues. Pour une clinique de lauto-support. Autour de Josep Rafanell Y Orra...
Josep Rafanell y Orra
© photo Tobie Nathan
De la clinique policière à la clinique politique
En France, la première loi prohibitionniste engageant médecine, police et justice dans une même machinerie répressive date de 1922. Il faut attendre les années 50 pour que les appareils de santé publique, de justice et de police fassent de lusage des drogues le problème n°1 des États. Et cest parallèlement à leffectif de la prohibition transnationale que surgiront les productions clandestines et massives de substances psychoactives, proliférant dans lespace de nos pays industrialisés. La France est marquée par le couple "manque-dépendance", elle aborde le problème en terme de perte de liberté et le résout par lentremise du dispositif policier : la surcodification juridique recouvre le droit privé par rapport au corps et place le toxicome-malade dans le non-choix. Cest dans les années 90 que sobservera une certaine inflexion. La drogue est alors associée au sida comme son vecteur. De nouvelles prises en charge savèrent nécessaires, prenant la forme dencoches à la séparation privé-public, telles que la mise en vente libre des "pompes" redevenues "seringues"... de la toxicomanie clandestine à lhygiène sociale.
Comment penser une clinique politique et non policière, cette dernière limitant lusage des drogues à la tripartition : sujet, distribution, transcendance de la loi ? Comment penser une clinique en mesure de produire un "commun" sans spécialement intégrer un groupe? Le danger dune reterritorialisation "malade" étant toujours proche. Quoi de "commun" entre le crakers défoncé de la place de Stalingrad, le chef dÉtat cocaïnomane, le psychotique neuroleptisé, le raver amateur decstasy, lexpérimentateur dhallucinogènes mimant les voyages chamaniques, les adeptes du Santo Daime brésilien consommateurs dayawaska, lhéroïnomane en voie de disparition, les millions de français consommant de façon chronique des antidépresseurs et des tranquillisants, sans parler des millions de buveur dalcools ou des canabophiles? Quoi de commun? La toxicité des substances? La dépendance de lusager? Les types de réseaux auxquels sassocient les substances, leur circulation, leur consommation? La personnalité de lusager le prédisposant à tel type divresse? La décomposition du rapport entre corps, conscience et perception quintroduit la substance?
Comment penser un "commun" sans intégrer un groupe? Il sagit de passer du "nous" au "on" de la désidentification. Cest la figure du prolétarien qui nous questionne ici : la figure du "nimporte qui" prolétarien. Il ny a de processus politique que dans le processus de désidentification de la communauté dans lordre de la cité : brouillage des catégories privé-public, sujet-substance... échange des lieux et des propriétés. Le prolétaire est la figure la plus achevée dun mode de subjectivation qui impose la dissolution des propriétés qui définissent le dispositif policier. Si lordre policier est chargé détablir une organisation des corps, lusager des drogues questionne les formes de lhumain dans la polis, à commencer par lorganisation stable du corps humain. Du "nous" au "on"... pouvoir immanent de la "norme" comme autre forme dobéissance à la loi.
Comment re-singulariser lespace public à partir dune mise en risque du concept même de "politique" quintroduisent ces brouillages de catégories? Comment le dispositif "drogues" peut-il se constituer en un projet politique dans la mesure où il parvient à énoncer certains régimes de visibilité pouvant intéresser dautres collectifs? Si lusager de drogues constituent un des derniers "invisibles" de la cité, le pouvoir ne pourra sintérioriser que dans la mesure où il invente de nouveaux régimes de visibilité. Dans quelle mesure le "commun" parvient-il à se constituer à partir dun ensemble de signes formulables dans des régimes dénonciation légitimés? Cette possibilité de "traduction", d"entre-capture" avec dautres dispositifs est inséparable dune mise en expertise des usagers de drogues : il ny a de "commun" quà partir du moment où les usagers parviennent à produire, de leur propre point de vue, une articulation des dimensions de la situation qui, auparavant, était subie, capturée unilatéralement par la catégorie "malade".
Des médicaments et des drogues, des patients et des impatients...
On peut tenter de penser le rapport entre les médicaments et les drogues sous la forme dun contraste : si les psychotropes sont inséparables de la catégorie des "patients" et de leur distribution sur le "marché", les drogues quant à elles mobilisent des "impatients" et constituent un problème d"État". Psychotropes, patients, marché. Drogues, impatients, État. Ces deux groupes se singularisent avant tout par des fonctionnalités sociales très différentes. Les médicaments sont inséparables des pathologies et des pharmacologues : les processus de valorisation marchande et de contrôle de lÉtat se retrouvent dans la stabilisation de la molécule (le médicament), dans la stabilisation du concept de "maladie" et dans la constitution dune population de malades (fonction dun groupe réel). Le patient est le grand absent, lagent dun système classificatoire, lillustration de la patiente obéissante à la prescription. Le drogué opère un cheminement inverse. Lusage des drogues fait défection à la stabilisation des catégories malades et fonde son propre marché, échappant au contrôle de lÉtat. Comment les drogues pourraient-elles dès lors constituer un nouvel espace politique qui ne soit ni étatique, ni capitaliste et qui précisément permette déchapper à la programmation de leur mode de subjectivation?
La substance comme être indomesticable
À la différence du dispositif "secte", le dispositif "drogues" ne constitue pas une situation de guerre des mondes... ou plutôt ne peut : avec les drogues, la guerre ne peut être clairement déclarée. Nous ne pouvons faire la guerre à la molécule à laquelle nous croyons... paradoxe comme cas de figure classique dans nos sociétés occidentales. Cependant, ces deux dispositifs sont hantés par des êtres redoutables, êtres dont lexistence même réside dans ces effets dautant plus redoutables quon les nie...
La substance est le modèle même dun être. Et les toxicomanes avertis savent que les substances sont des êtres. La toxicomanie peut dès lors se comprendre comme lart de la domestication des êtres, lexpérimentation de la domestication de ces êtres dont la fabrication est inséparablement une production de "société". Jamais une drogue ne pourra-t-elle constituer un "pharmakon"? Jamais son poison affiché ne pourra-t-il se renverser en potentiel remède? De nouvelles drogues, trop puissantes que pour constituer un pharmakon, sont précisément produites à cet effet : comment éviter la revendication dune cohérence pratique, la production dun quelconque collectif? Sans doute la création de collectifs cohérents à partir de ces êtres-là serait-elle insupportable à notre monde. Au plus les machines répressives de la prohibition sactivent, au plus prolifèrent, selon une production incontrôlable, comme par un effet paradoxal propre à nos sociétés modernes, ces êtres insupportables, ces êtres dont limpossible domestication empêche précisément la production dun quelconque collectif.
Mais le type dappropriation existant entre la substance et lhumain ne peut-il faire lobjet de différentes "captures"? À côté des captures unilatérales de la prohibition, à côté dune reterritorialisation malade, ne peut-il y avoir une forme d"entre-capture" permettant précisément la constitution dun collectif? De tels collectifs ne peuplent-ils pas déjà notre scène occidentale? Ne peut-on négocier avec certains de ces redoutables êtres, en comprendre les étiologies, leur créer un espace et les nourrir en échange dun effet bénéfique? Le "commun" pensable sous la forme dune clinique de la défonce ne peut-il constituer un tel espace... ou doit-il se réduire à une longue descente aux enfers? Question ouverte...
Nous venons de rencontrer deux êtres... Lêtre de ce qui fait "secte" et la substance indomesticable de ce qui fait "drogue". Les êtres sont là, quoique non-installés, refoulés par le travail de "purification" moderne... La question est donc : comment leur créer un espace dans lequel ils puissent avoir une vie plausible, leur conférant la possibilité de sexprimer, et nous offrant la possibilité dune éventuelle négociation? Des concepts psychologiques à lassemblée des êtres, nous passons de lobservation dindividus prédisposés, préfabriqués, aux éthiologies dêtres redoutables.
III. Reconstruire des collectifs?
Quels sont les modes de fabrication des collectifs? Peut-on distinguer les "bonnes" des "mauvaises" affiliations? Peut-on établir une typologie des aliénations? Une typologie pour lassemblée des citoyens possédés? Mais peut-on reconstruire ces affiliations... ou bien lappartenance ne se fabrique-t-elle pas dans la mesure précise où elle "engage" celui qui sen fait le représentant, dans la mesure précise où elle ne peut découler dune choix, dune bonne volonté? Deux cas de figure questionnent notre débat à titre dinconnues "risquées". Premièrement, comment re-créer des rites? Et comment faire de cette création loccasion dun espace politique? Deuxièmement comment re-construire un collectif à partir dun "invisible" qui engage, dune "nature" qui revendique son droit daccès à la réalité? Comment créer un espace conférant légitimité et plausibilité à cet invisible? Comment réafillier un individu occidental, alors même que les institutions modernes ont exclu du champ de la rationalité les objets qui lhabitent?
Autour de Starhawk....
Peut-on reconstruire des rites? Et peut-on faire naître, du sein même de ces nouveaux collectifs, des êtres politiques, des démons qui affilient politiquement... des êtres démoniaques dont la capture différeraient dune capture de type "soumission hiérarchique" ou "organisation centralisée"?
Isabelle Stengers et Starhawk
© photo Tobie Nathan
Diplomate, représentante de la tribu des sorcières dAmérique, Starhawk nous raconte lhistoire dun mouvement dont elle est la "tête pensante" depuis plusieurs années. Mouvement à la frontière entre le politique, le spirituel et le psychologique, la première communauté sest constituée dans les années 60 regroupant une série de membres activistes politiques, en particulier des féministes. La question qui les rassemblait était alors la suivante : pourquoi la révolution nest-elle pas advenue? Nest-ce pas le signe dun manque de réflexion concernant les rapports entre genres (sexes), pouvoir et religion? Comment créer dautres voies de réponse à tous ces questionnements?
En simprégnant des grandes mythologies du monde, les premiers membres traversent une série de traditions véhiculant des images de divinités féminines très puissantes, en particulier associées à la religion pré-celtique dans laquelle le divin est inséparable du sacré. En replongeant dans ces traditions de guérison, de magie et de sorcellerie, traditions persécutées par les autorités depuis le 14ème siècle, les membres sinitient et tentent de les prolonger sous une forme nouvelle : comment constituer une tradition non-hiérarchique en recherche de nouveaux rituels? Il sagissait avant tout dun travail politique : la mondialisation, lhomogénéisation et le moule capitaliste constituent les éléments par rapport auxquels le mouvement se définissait activement. Une déesse est omniprésente dans leurs pratiques : la déesse irlandaise Brigitt. Associée à la fois à limage du forgeron, à celle de la thérapie et à celle de la poésie, elle préside à la création des rites du groupe.
La singularité de leurs manifestations sorigine dans une connexion pratique entre la magie et la politique. Si la magie consiste en lart de la modification de la conscience, il sagit par là dapprendre aux membres à catalyser leurs énergies de telle sorte quelles se concentrent en une source de puissance non-violente. Par exemple, une des premières manifestations politiques auxquelles donna lieu cette pratique : lunion des énergies de centaines de personnes leur permis de faire "bloc" contre une centrale nucléaire.
Cest cette pratique d"action directe non-violente" qui donna lieu, il y a un an de cela (novembre 1999), au célèbre blocus de Seattle. L"action directe non-violente" permet de rassembler des milliers de personnes (sorcières, citoyens républicains, bouddhistes et autres...). Son effet fut dautant plus puissant que la police nétait pas préparée à la non-violence, ainsi quau nombre de personnes présentes et à lengagement des activistes non-violents... Même si le blocus de Seattle fut organisé lors de réunion ouvertes, publiques, et si les stratégies mises en oeuvre navaient rien de secret. En quoi consiste lentraînement à la non-violence, lempowerment? Cet entraînement, reçu par des milliers de personnes, comprend : des cours dhistoire et de philosophie de la non-violence accompagnés de pratiques réelles impliquant des jeux de rôle (apprendre à rester calme dans des situations tendues, apprendre les tactiques non-violentes, etc.), des exercices préparatoires au séjour en prison (tactiques de solidarité, aspects judiciaires, premiers soins, etc.). Les principes de base de la non-violence sont les suivants : sabstenir de violence verbale ou physique, ne pas avoir darmes, de drogues ou dalcool, ne pas détruire les biens privés. La singularité de ces manifestations réside également dans une organisation non pas centralisée mais organique : une série de goupes daffinité se constituent, chaque groupe est habilité (empowered), et non manipulé, à prendre en charge ses propres décisions quant à la manière de participer au blocus. Les groupes daffinité sont organisés en clusters (certains se désignent pour aller en prison, dautres pour les premiers secours, etc.) et chacun de ces groupes aura à désigner un de ces membres comme porte-parole présent lors des rencontres entre tous les activistes (conseils). Mais en quoi consiste laction elle-même? Laction est plus quune protestation, nous dit Starhawk, cest la création dune vision dabondance véritable, la célébration de la vie et de la connexion... Laction comprend de lart, de la danse, des célébrations, des rituels, de la magie... Chacun est en charge de lui-même et des autres, sans renvoi à une autorité. Nous, les sorcières, faisions appel aux éléments de la nature pour nous soutenir.
Politiquement parlant, il sagit de construire un mouvement qui renverse le contrôle de la finance et de lindustrie et tente par là de créer une nouvelle économie basée sur lhonnêteté et la justice, selon une écologie saine et un environnement salubre, économie qui protège les droits humains et qui soit mise au service de la liberté. La lutte contre la mondialisation capitaliste est inséparablement une lutte pour le respect de lenvironnement : la terre est un être vivant qui, pour être maintenu en équilibre, doit être respecté. Obligation nous est faite de rendre à cet organisme santé et prospérité. Cette lutte écologique sinscrit dans une vision du monde qui, à la façon dune toile de web, est un organisme fait dune multiplicité de parties imbriquées en résonance : tout est soumis à la loi de la cause et de leffet, la spiritualité sancre ainsi dans la terre et toute action lancée dans lunivers nous revient amplifiée.
Comment créer des rites, comment prolonger des pratiques aussi puissantes que celles-là mêmes qui, depuis des sciècles, consolident le sens dune tradition? La "justesse" de certains rites peut être à ce point évocatrice que lon éprouve le besoin de les perpétuer. Cest ainsi que la déesse Birgitt polarisent les pratiques des sorcières sous une forme désormais associée à un mouvement politique. Une série de rituels spécifiques rythment ces pratiques. En rapport avec limage du forgeron, sest créé le rituel du chaudron : les sorcières allument des cierges, prononcent des formules dengagement, chantent et dansent en ronde afin délever leurs énergies jusquà un sommet, pour ensuite les rendre à la terre. Lenclume, frappée contre le chaudron, permet de consacrer les engagements de chacun : la communauté des sorcières est témoin et support de lengagement de tous. Un autre élément intervient également dans les rituels : les miroirs. Les miroirs, comme réflecteurs de lénergie dans lunivers. Cest que la magie constitue avant tout un langage de "symboles" : les symboles appropriés aux choses quils évoquent, en équation avec elles, produisent de leffet. Au moins une tradition est déculturée, brassée dans le flux homogène de la mondialisation, au plus les symboles qui laniment sont puissants. Un autre élément encore : le puits sacré accueillant en son fond la collecte des eaux en provenance de différents endroits du monde, de lArctique et de lAntarctique. Ce rituel saccompagne doffrandes faites à la terre, aux plantes, aux esprits : offrandes à comprendre comme des dons de respect et non comme sacrifices. Le son du tambour, également, permet de rythmer les visualisations, de rendre vivantes les prises de rôles. Les rituels intègrent enfin une pensée des ancêtres : à la lignée familiale, sajoute la lignée spirituelle, les "mighty death", les morts puissants, telles que les sorcières dautrefois auxquelles il faut rendre hommage pour retrouver la connaissance perdue. Bien que souvent attaquées comme complices du Diable, les sorcières ninvoquent pas Satan, lequel est dailleurs absent de leur cosmologie : les mauvaises "énergies" ne sont pas invitées au rituel... Seules sont invitées les énergies bénéfiques, les morts bienfaisants, au moyen de symboles incarnant leurs intentions.
Peut-on identifier les logiques de constitution à loeuvre dans ces rites? Nous en pointerons deux. Une logique additive premièrement : le but du rituel consiste à catalyser les énergies, à les regrouper afin de les diriger en connivence. Cest la concentration des énergies qui permet aux choses invoquées dexister : la force dagir, les morts, les éléments naturels, etc. Cette logique additive se retrouve dans la collecte des eaux sacrées, puisées au quatre coins du monde. Une fois les eaux rassemblées et les énergies des membres connectées, la force envoyée dans lunivers leur revient amplifiée. Vient se greffer sur cette première logique additive une logique de synchronicité. Il sagit alors de rechercher léquation du symbole à la chose évoquée à partir de son intention incarnée dans une image. Le symbole approprié à la chose produit un effet en tant quil permet à lénergie convoquée de se manifester.
À propos de la notion dénergie...Une double remarque simpose. Premièrement, un danger concernant la traduction : les sémiologies circonscrivant lontologie des "énergies" invoquées diffèrent selon que lon utilise la langue anglaise ou française. Deuxièmement, à quelle tradition, à quelle appartenance le terme "énergie" réafillie-t-il? De quel collectif ce terme est-il le représentant? Partant du constat des milliers de personnes qui, aujourdhui, qualifient par ce terme à la fois le support et lobjet de ce qui permet laccès à la santé. Ce terme rejoint-il ce que Mesmer, à la fin du siècle passé, a pu appeler le fluide? Ce fluide, inséparable dune tradition physicienne (Newton) imprégnant, tel un "cosmos sémantique" les descriptions actuelles tant du monde matériel que de l "appareil psychique"...
Réaffilier une voyante? Autour de Bertrand Méheust et de Maud Kristen...
Le fluide magnétique et la scène "rationnelle"
Spécialisée dans les études des "dissidences intellectuelles", Bertrand Méheust sintéresse à létrange histoire du "magnétisme animal", expression fondée par Mesmer à la fin du siècle passé, et plus spécifiquement à la pratique résiduelle qui la prolonge aujourdhui : la "voyance". Le "magnétisme animal" permet à Mesmer de construire une théorie globale des rapports entre lhomme, lunivers, les pratiques et les faits. Selon lui, le fluide anime la totalité du cosmos et maintient les êtres en vie. Et les maladies peuvent se comprendre en ce sens : des obstructions surgissent, empêchant la circulation du fluide. Cest la célèbre expérience du marquis de Puysegur : celui-ci avait un valet qui, somnambule, parvenait à lire dans ses pensées et à débiter des paroles en provenance de langues inconnues. Cest ce phénomène que certains appelleront le "transmagnétisme" et qui donnera naissance à ce quon appelle aujourdhui la "voyance", lhypnose ne constituant quune couche superficielle de ce phénomène. Ces phénomènes sont à la source dun conflit culturel occidental, résolu vers la fin du 19ème siècle par la médecine institutionnelle, laquelle recyclera le magnétisme pour en faire quelque chose dacceptable. On sait quen médecine, le thème de la rationalité a un accent polémique quil na nulle part ailleurs. Cest précisément parce que le fluide sest présenté comme un référent moderne, candidat à fonder une médecine enfin scientifique, sur le modèle de la force newtonienne comme une cause capable dimposer sa propre existence à partir de lexamen de ses effets, quil a succombé au contre-examen critique. Il aurait pu fonder une médecine... si le dispositif avait résisté à la controverse : le fluide sans imagination est impuissant, alors que limagination sans le fluide peut produire des effets. Ne sont "irrationnels" en médecine que les discours qui prétendent sinscrire dans le cadre dune démarche "rationnelle"... Limpératif de la rationalité et la dénonciation du "charlatan" deviennent solidaires. Ce conflit culturel inaugure la question qui traverse lensemble de lart "moderne" de guérir : lâme et le corps ne sont pas des témoins fiables... leffet placebo hante lindustrie pharmaceutique comme le soupçon de suggestion hante la scène psychanalytique.
Typologie occidentale de la voyance
La voyance, résidu de ce candidat désavoué quest le magnétisme, ne trouve donc pas aujourdhui place où sinscrire dans un réseau "rationnel" lui donnant sens, plausibilité et légitimité. Comparativement aux cultures traditionnelles, notre tradition sest singularisée par linvention politique dune "rationalité" discriminatoire. La manière dont est perçue la voyance par ces deux types de sociétés est donc radicalement différente. En Occident, la voyance se caractérise par une perte de tous supports culturels... reste le monstre institutionnel de la médecine et le charlatan qui le hante comme son ennemi refoulé. Les facultés existent pourtant toujours, quoique refoulées, non-installées... encore incapables de sinventer comme composantes actives dune cité et non comme objets dune discrimination "irrationnelle". Comment créer les risques à partir desquels puisse sélaborer un discours enfin "rationnel", au sens dune revendication à lontologie, concernant lusage de la voyance?
Trois pratiques de voyance peuvent être répertoriées selon la typologie occidentale. Une voyance basse, tout dabord : souvent assimilée aux signes dune suprasensorialité. Considérée par la société "rationnelle" comme une hyperintelligence rusée, une capacité de cerner lautre, elle est souvent assimilée par un certain commun à une manipulation financière. Une voyance moyenne ensuite : laquelle peut se comprendre comme une "vision" de la thématique générale de la personne, une capacité à créer un réseau dinterprétation, sans pour autant formuler de décisions définitives. Une voyance haute enfin, souvent réduite au compérage et à un effet de truquage. Seuls les phénomènes de transe y conduisent...
Nous rencontrons Maud Kristen, jeune voyante parisienne, se présentant elle-même comme douée dune voyance "moyenne". Un double espace de questionnement anime notre débat. Premièrement, quelles sont les logiques de constitution à loeuvre dans ce type de voyance? Deuxièmement, comment légitimer le droit daccès à lontologie quelle revendique?
Premièrement, les logiques de constitution permettant didentifier le mécanisme de la voyance. Maud nous décrit deux types de dispositifs au sein desquels sa pratique trouve à se déployer. Découvrant son "don" tardivement, vers lâge de 20 ans, elle pratique depuis lors des consultations individuelles, à domicile. Elle utilise les cartes du Tarot quelle considère comme un simple media permettant de diriger, dordonner le réseau dinterprétation. Depuis plusieurs mois déjà, elle travaille également avec Bertrand Meheust au sein dun autre dispositif : dans une enveloppe, elle-même placée dans une boîte, sont cachées des images ou des objets quelle doit, avec son aide, tenter de décrire. Une première voie méthodologique consistera à se poser linévitable question de la stratégie dinfluence à loeuvre dans ces deux dispositifs? Maud ne fait-elle pas des prescriptions actives à ces patients et Bertrand ne la guide-t-il pas dans son cheminement descriptif des images? Une seconde voie consistera, partant du discours articulé quelle tient elle-même sur sa pratique, à comprendre les mécanismes techniques à loeuvre. Deux ensembles de mécanisme se rencontrent : dune part, ce quon pourrait appeler la perception de la "couche mnémotechnique" des objets, elle-même chargée activement de lhistoire de ceux-ci et des personnes qui les ont possédés (par exemple, la photo dune jeune femme dont elle va relater lhistoire amoureuse, la rupture avec lhomme à qui cette photo est destinée, les caractères de cet homme, etc.), dautre part ce quon pourrait appeler le "repérage des éléments formels" (elle ne va pas reconnaître la matière -photo-, mais va repérer que la jeune fille est assise sur un banc, devant un ravin). Il sagit de comprendre la logique qui lui permet de fabriquer une image. Une série dimages intérieures encore fragmentées, relatives à son chemin personnel, semblent lui permettre de configurer les espaces graphiques de photos cachées : elle navigue au travers déléments formels (ponts, ravin, arbre, cercle, etc) dune part, et des éléments affectifs qui sy greffent en une couche mnémoactive (rupture amoureuse, tristesse, etc) dautre part, sans toucher la matérialité de lobjet même (photo ou lettre?).
Deuxièmement, comment faire droit à lontologie quelle revendique? Entre les médias et les centres de recherche scientifique (qui tentent de comprendre "ce qui se passe dans sa tête" par une série de dispositifs encéphalographiques), le dispositif de la "preuve" - "prouve-nous que tu parviens à voir la photo cachée dans cette boîte"- est le seul qui lui soit proposé afin de prendre en considération sa "réalité". Cest ce que nous demande Maud : dites-moi où trouver un collectif qui donne sens à ces "invisibles"? Où sont mes frères et mes soeurs? Qui sont-ils? Et quel est notre ancêtre, notre propriétaire, par "qui" sommes-nous engagés? Doit-on tenter de réafillier Maud ou doit-on la reconnaître dans la dignité de ce qui la fabrique, comme telle, aujourdhui, à linterstice dobjets "non-installés", de réseaux médiatiques et scientifiques et dun dispositif de "preuve" qui tente de faire de son "don" un "témoin fiable"?
Situation de guerre des mondes? Doit-on réaffilier et comment réafillier? Peut-on sortir de la disjonction soit, soit suivante : soit on accepte héroïquement le désenchantement qui singularise notre Occident et qui fait des objets de Maud des "irrationnels" inséparables de la scène médicale "rationnelle", soit on tombe dans une "caricature" de type secte : création violente daffiliations? Quel autre type de "capture" inventer?
© photo Tobie Nathan
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