TOC — UN EXEMPLE DE COLLABORATION ENTRE UN EXPERT ET DES USAGERS : LE CAS DES TROUBLES OBSESSIONNELS COMPULSIFS
Un échange animé par Emilie Hermant[1]
Table ronde le 12 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l'épreuve de ses usagers.En guise d’introduction, par Emilie Hermant Emilie HermantLes chemins qui mènent au savoir déterminent le savoir proprement dit. Ces chemins, ces voies, ces parcours de connaissance sont d’abord subjectifs si par subjectifs, on n’entend pas seulement l’expression d’un égo isolé, retranché dans son for psychique intérieur mais aussi et surtout les contraintes internes et externes, la somme des enjeux personnels, sociaux, politiques, les alliances qui forment les attachements d’une personne et qui forment dans le même mouvement ce qu’Isabelle Stengers appelle sa capacité de récalcitrance.
Quand nous évoquons la question du savoir « psy », je crois qu’il ne faut pas oublier ce problème : cette subjectivité, mais le mot ne convient pas forcément. C’est je pense un mot trop petit pour contenir tout ce que je veux mettre dans ce mot-là donc je propose un nouveau mot : le nousjectif, la nousjectivité [2].
Le problème, c’est que tout ce qui constitue ce que je propose d’appeler la nousjectivité est précisément rejeté par la psychologie comme autant de biais méthodologiques.
Or, justement, cet après-midi, il va être question d’expériences et de contextes où cette capacité de récalcitrance est délibérément placée au premier plan. En tant que données incontournables, en tant que contrainte absolues pour le savoir en constitution et même souvent comme point de départ pour la connaissance en train de se faire. Là où la psychologie voit habituellement un biais méthodologique, là où elle s’écrie souvent indignée voire paniquée, « stop, interdit d’entrer », les intervenants de cet après-midi, à instar de Sacks, nous proposent au contraire : « je vous en prie, si vous voulez que l’on fabrique du savoir, c’est par ici qu’il faut passer, par la nousjectivité ».
Ainsi, nous allons aborder une expérience menée concrètement par Elie Hantouche, psychiatre et par l’Association Française des personnes souffrant de Troubles Obsessionnels Compulsifs représentée par Christophe de Montfaucon, son président et cette expérience met en scène un expert qui travaille sur l’étroite et rigoureuse quoique très sympathique surveillance d’un groupe d’usagers.
Pour amorcer une ébauche de débat sur ce phénomène, les organisateurs du colloque ont proposé à deux réalisateurs de ce genre d’émissions, Pascale Breugnot et Ludovic Place [3], de venir débattre sur ces nouveaux objets « psy ».
Christophe de Montfaucon :
Je remercie le centre Georges Devereux de nous donner cette opportunité et je le remercie également d’avoir choisi, pour cela, un vendredi 13 : pour une association de personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs, cela s’imposait. J’espère que les lustres sont bien arrimés et qu’on ne va pas être pris dans une tempête cet après-midi. En tous cas, on est tous dans le même bateau, ça, c’est sûr.nnels se constitue-t-elle et sur quelles différences ?
Je tenterai de revenir plus avant sur ce contraste dans l’exposé que je ferai en toute fin de journée [4].Elie Hantouche :
On a décidé que ce serait moi qui vais présenter l’AFTOC…
Christophe de Montfaucon:
…Et je parlerai ensuite d’Elie Hantouche.
Elie Hantouche :
Tout le monde sait ce que sont les TOC. Des plaquettes sont diffusées par l’association dont c’est une des missions : simplifier, donner l’information sur les symptômes de la maladie.
A propos de l’historique de cette collaboration, ce matin, quelqu’un a dit : il faut chasser les médecins des associations de malades. Moi, je n’ai jamais été intégré dans l’AFTOC à part en tant que conseiller expert scientifique.
Christophe de Montfaucon:
A l’AFTOC, il n’ya pas de médecins, de psychologues dans le conseil d’administration, c’est juste.
Elie Hantouche : Cette collaboration a commencé en 97 par des rencontres dans les conférences pour les médecins, avec les psychiatres, les médecins généralistes, les médecins scolaires mais aussi, avec beaucoup de courage, les malades et par des interventions sur les médias, à la télé, à la radio, dans la presse.
Nous avons également mené des enquêtes épidémiocliniques : deux grandes enquêtes ont concerné plus de 1000 malades on est fiers de les avoir faites avec les TOC et TOC et ROC.
Nous avons participé à des publications médicales, des congrès internationaux et co-organisé des journées scientifiques de l’AFTOC.
Nous avons revisité les productions des équipes de la psychiatrie française sur la question. En élaborant nos enquêtes, nous avons recherché ce qui se disait il y a 100 ans, 150 ans sur le sujet…
Ce que j’aime dans ce partenariat, c’est la convivialité, le côté amical, respectueux et efficient - dans le sens efficace sur le terrain – d’une collaboration qui dure depuis maintenant une dizaine d’années.
En 2002 à Toulouse, lors de la première journée scientifique de l’AFTOC, 400 personnes avec leur famille étaient réunies. Tobie Nathan était invité.
Ce jour-là, il défendait l’idée que quand le malade est seul, il ne peut pas quitter sa maladie, c’est impossible. Mais quand il peut rejoindre une association comme l’AFTOC, une association qui peut fonctionner pour lui comme une grande famille en quelque sorte, alors toutes les chances de guérison existent. Ça ne garantit pas la guérison mais ça garantit un contexte de guérison. Rejoindre – ou savoir qu’on peut rejoindre - une grande famille, ça devient une nécessité pour évoluer et changer.
A chaque journée scientifique, on a invité de grands experts et là, il y avait des discussions où tout le monde se retrouvait au même nouveau pour échanger : que ce soient les patients, les parents, l’entourage, les experts, les psychologues ou les psychiatres. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’alors, il n’y a plus cette séparation entre les experts, ceux qui ont le savoir, et les patients.
Je crois profondément que si on connaît des choses, c’est pour que ce soit partagé. C’est ma devise depuis que j’ai eu 8/10 ans : quand je savais quelque chose, j’avais une obsession de la faire partager avec les autres. Tous mes cours, je les apprenais avec les autres car c’est horrible d’avoir un savoir qu’on garde pour soi. Je ne sais pas si on peut appeler cela un savoir, d’ailleurs puisque ça ne sert à rien.
On s’est aussi adressé particulièrement aux médecins scolaires car on sait que cette maladie touche les jeunes : un enfant sur quarante est atteint de TOC. C’est ainsi que nous avons eu Camille qui avait 16 ans et qui expliquait aux médecins scolaires ce que c’est qu’unTOC.
On a réalisé une bande dessinée qui a été diffusée à 100 000 exemplaires et qui s’adressait aux enfants jusqu’à 12/13 ans pour leur expliquer la maladie des TOC. On nous a accusés, à l’époque, que l’on créait des TOC chez les enfants pour que le laboratoire Pfizer vende plus de Zoloft. Une émission à Canal + a même relayé cette accusation. Mais ces détracteurs ne savaient pas une chose : que c’étaient nous qui faisions du lobbying sur le labo pour qu’il fasse des conférences, des livres, qu’il accepte de publier la bande dessinée.
C’était, en réalité, un travail de lobbying qui se faisait dans l’autre sens. Car je suis convaincu que quand on est une vraie association, on n’a pas à avoir peur des laboratoires mais qu’on peut, en revanche, imposer aux labos de bonnes idées et une collaboration qui se fasse dans la transparence. Si la transparence est respectée, le risque des conflits d’intérêts est évité.
L’AFTOC a aussi été impliquée dans la rédaction de certains manuels pour expliquer les TOC aux très jeunes, c'est-à-dire entre 4 et 8 ans. Elle a aussi participé à des publications scientifiques notamment américaines.
Nous avons ainsi été les premiers, et c’est une fierté, à parler d’une maladie ou d’une forme de TOC qu’on nomme les TOC cyclothymiques : une forme de maladie où la maladie obsessionnelle est en rapport avec la maladie bipolaire atténuée.
Christophe de Montfaucon : On pourrait penser que je n’avais rien à faire dans ces travaux d’experts comme ceux qu’évoque Elie Hantouche mais aussi qu’Elie Hantouche n’avait rien à faire dans notre association. On pourrait se demander qu’elles étaient ses intentions en acceptant de travailler avec l’AFTOC.
En fait, les choses se sont passées dans l’autre sens. C’est vrai, Elie Hantouche est venu, au début, nous voir à l’association mais il est vite reparti parce que ce n’était pas si évident de fabriquer une collaboration avec la psy.
Dans la réalité, tout est parti de sa compétence : j’avais discuté avec la présidente de l’époque et il avait soigné sa fille avec un traitement particulier qui faisait dire que ce type est quand même un peu spécial parce qu’il a des propositions de traitement qui sont complètement atypiques et pourtant il arrive à sortir des personnes de TOC sévères. A partir de là, on a voulu entrer en relation avec lui et c’est à partir de ses compétences qu’on a noué des relations. Et ça ne s’est pas arrêté depuis.
Le principe, c’est que les compétences sont partagées : comment chacun peut être utile dans la marche de la connaissance. A partir de ce moment-là, sur certains points, par exemple, les TOC bipolaires, j’ai pu, personnellement, participer au volet « recherches historiques » : en mettant au travail mon TOC positif, dirait Elie, j’ai récupéré tous les écrits qui existaient sur les TOC bipolaires parce que ce n’est pas récent, les TOC bipolaires. J’ai passé des heures à la bibliothèque interuniversitaire et je collectionne, depuis, les ouvrages rares sur le sujet.
Elie Hantouche : Dans la continuité de ces enquêtes et de mon expérience avec les malades, en 2006 on a aussi écrit deux ouvrages : l’un où je parle beaucoup de l’enquête et de l’intérêt de faire des enquêtes et un travail collectif co-écrit avec deux psychologues belges, l’AFTOC et moi-même [3].
Il s’agit d’un livre destiné à l’entourage : comment vivre avec une personne atteinte de TOC ? Car on sait que dans beaucoup de ces maladies, le TOC ne touche pas uniquement le malade mais toutes les personnes qui le côtoient. Donc une façon de guérir de la maladie passe aussi par des recettes et un bon soutien à l’entourage.
L’AFTOC ne se limite pas à cela. Depuis 2002, l’association joue un rôle capital dans des recherches comme celles que mène le professeur Bénabid, pionner dans la stimulation cérébrale profonde pour le Parkinson. Se pose en effet la question de savoir si le TOC et d’autres formes graves de Gilles de la Tourette ne seraient pas susceptibles d’être aidées par la Deep Brain Stimulation.
Maintenant, on parle aussi des ROC – les resistant obsessionnel compulsions. On a également mené une enquête TOC/ROC dont les résultats vont être publiés en participation avec l’ANAES et la DGS.
Je voudrais maintenant terminer mon intervention en évoquant deux idées : l’importance de la notion de patient-partenaire et celle du patient-qui-avale-tout.
Pour parler du patient-partenaire, je dois dire d’abord que moi, j’ai appris les TOC avec mes malades et il est bien possible que j’ai appris les bipolaires avec ma mère !
Je ne suis pas comme Oliver Sacks qu’évoquait précédemment Emilie [4]. Une fois j’ai dit à un journaliste pourquoi j’ai choisi de soigner les TOC.
En fait, j’ai un tempérament anti-TOC. Je veux éradiquer les TOC sur terre.
Je ne sais pas ce que c’est que les TOC : je ne peux pas comprendre quelqu’un qui peut se répéter deux fois la même bêtise ou un détail et pourtant, j’ai soigné plus de 1000 malades de toc.
Pourquoi ? Parce que je hais la maladie mais j’aime les malades. Et les malades le savent, qu’avec moi, on fait la distinction entre le patient et la maladie.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut négliger l’importance des TOC : les TOC, ce n’est pas une petite maladie. Il n’y a pas de petits et grands TOC : on l’a ou on ne l’a pas.
Et le malade, pour moi, c’est le meilleur expert du vécu et du ressenti. Personne ne peut lui enlever cette capacité. Il a un savoir comme personne ne peut l’avoir à sa place parce qu’il est expert de son trouble. Mais il n’est pas seul au monde et il a le droit de savoir et de comprendre. Cela ne veut pas dire qu’il voudra prendre la place et le pouvoir des médecins, jamais de la vie ! Tout simplement parce qu’il a besoin de nous, les médecins, mais aussi de pouvoir être partie prenante des travaux de recherche.
…Car, et c’est ma seconde idée, les malades sont des gens qui avalent, qui avalent tout. Ils avalent les médicaments, ils avalent nos conneries, nos bêtises, nos conseils, ils avalent nos idées, nos hypothèses, nos conceptions…. Ce matin, quelqu’un a dit : nous, on veut des recettes, des solutions ! Oui, mais il va falloir aussi les avaler !
Christophe de Montfaucon : Je voulais revenir que cette question : Qu’est-ce qu’on est allé faire avec Elie qui est quand même quelqu’un d’assez atypique ?
En fait, la maladie était mal connue, elle était assez massacrée par la psychanalyse et on a rencontré un médecin qui était aussi massacré par les psychiatres, un peu pour les mêmes raisons et aussi parce qu’il est aussi atypique dans son parcours professionnel.
Je me souviens qu’au sein de l’association, on a beaucoup débattu pour savoir si on allait travailler comme ça, si on n’allait pas être phagocyté par ce gros laboratoire, Pfizer, numéro un mondial et si on n’allait pas perdre notre âme, d’association d’usagers.
Et, en fait, je peux témoigner aujourd’hui qu’il ne faut pas croire que les associations sont faibles : elles discutent, elles débattent, elles posent des limites et avec Pfizer, le but a toujours été clair : il s’agissait pour nous d’abord de faire connaître ce trouble et d’essayer d’étendre le champ des alliances avec la recherche et la médecine.
Alors, effectivement, on peut toujours trouver des défauts et des qualités à toute action, on peut toujours débattre à l’infini des rapports bénéfices/risques de notre aventure. Mais n’oublions pas, qu’à l’époque, on avait décidé de mieux faire connaître les choses parce qu’il y avait pas moins de 12 ans d’écart entre le début de la maladie – des TOC sévères où les gens souffrent véritablement - et le début d’une prise en charge à peu près adéquate. On voulait absolument réduire cet écart.
Ça nous a permis d’avancer sur ce problème mais aussi d’acquérir des connaissances sur l’industrie pharmaceutique parce que si vous tournez le dos à l’industrie, vous ne pouvez pas la connaître. Le fait d’être impliqué, toujours dans un cadre de limites (on n’a pas accepté, je ne sais pas, de grosses enveloppes financières qui auraient peut-être déstabilisé l’association), on peut travailler, il faut travailler, y compris dans la confrontation.
C’est ainsi qu’on participe aux réunions des entreprises du médicament et je peux témoigner qu’on peut très bien dire qu’on n’est pas d’accord avec la publicité, etc.
Ce n’est pas parce qu’on travaille avec qu’on est pris dedans.
On n’est pas forcément faibles quand on rentre dans le milieu.
Enfin, je voudrais souligner que, certes, le pouvoir économique, c’est important mais les philosophes aussi ont beaucoup de pouvoirs et la psychanalyse aussi a beaucoup de pouvoir. Il n’y a pas que l’économie qui est dans une position de pouvoir !
En tous cas, je suis convaincu que participer au maximum et avec tous les acteurs, tous, c’est important, très important. Notes[1].Psychologue clinicienne au Centre Georges Devereux (Université Paris 8).
[2]. Nousjectif : Qualifie la présence du collectif qui déborde — comme le lait bouillant — sur la conscience subjective. http://rolandlorand.blogspot.com/2006_10_01_archive.html -
[3]. Elie HANTOUCHE. Troubles bipolaires, obsessions, compulsions. Odile Jacob, 2006.
AFTOC, Anne de GREGORIO, Jean-Marc TIMMERMANS, Elie HANTOUCHE. Comment vivre avec une personne atteinte de TOC ? ED. Josette Lyon, 2005.AFTOC : Association Française de personnes souffrant de Troubles Obsessionnels et Compulsifs — http://aftoc.club.fr/accueil.htm
[4]. Voir l’intervention d’Emilie Hermant : De l’autre côté du miroir.
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