5 numéros
livrés depuis 2000
La revue
francophone d'ethnopsychiatrie
Directeur
de la publication : Philippe Pignarre
Argument :
Dans tous les pays développés,
des milliards sont dépensés pour la santé, et
les systèmes de soin s'organisent en complexités gigantesques,
institutionnelles, juridiques, économiques. Dans tous pays,
dans toutes les cultures, il existe aussi des pratiques de guérison
que l'on ne peut simplement définir en les qualifiant d'alternatives,
parallèles, archaïques ou parascientifiques. Dans tous
les pays, qu'ils soient développés ou non, les systèmes
de santé et les pratiques de guérison cohabitent de
mille façons, bien qu'ils se condamnent mutuellement, s'opposent,
s'entrecapturent, se disqualifient, se complètent, formant
une écologie intriquée à laquelle on ne fait
pas justice en opposant "modernité" et "archaïsme" ou,
à l'inverse, "biopouvoir" et "médecines traditionnelles".
Pour comprendre cette écologie, il faut une revue qui puisse
rassembler des travaux qui ne trouvent pour l'instant nulle part où
se confronter. Il faut pouvoir étudier aussi bien les systèmes
de santé les plus techniques et les plus biologiques que ceux
qui utilisent des objets et pratiques enracinés dans la définition
d'une culture ou d'une ethnie. Il faut pouvoir confronter les résultats,
les enquêtes, les hypothèses, de l'anthropologie, de
l'éthologie, de l'histoire, de la philosophie, de la théologie,
des "science studies" avec celles de la médecine, de la psychiatrie,
de la psychologie. Tous les "mondes contemporains de la guérison"
intéressent la revue. Oui, il s'agit bien de mondes, et non
simplement de moyens en vue d'une fin ! Cela est vrai de la tomographie
en banlieue parisienne, des associations de patients atteints de myopathie,
aussi bien que des cultes marocains aux marabouts, ou de l'exorcisme
catholique. Il s'agit bien de mondes "contemporains" car toutes ces
pratiques correspondent à des solutions actuelles, inventées
récemment, ou réinventées de façon nouvelle,
et il est impossible de les ordonner selon une flèche du temps
qui irait de la survivance archaïque au futur rationnel. Enfin,
il s'agit de "guérison" et non de maladie. Nous nous intéresserons
à toutes les manières possibles qu'il y a de guérir,
et nous ne voulons pas qu'on disqualifie d'avance certaines pratiques
par ces catégories qui ne servent qu'à couvrir notre
ignorance comme ceux de "placebo", de "suggestion",
de "transfert" et surtout ceux de "croyance" et
de "représentation symbolique". Comme si l'on pouvait
guérir pour de mauvaises raisons! Au centre de notre revue,
dans le titre, claquant comme un drapeau, nous avons inscrit le mot
Ethnopsy . Pourquoi ? Parce que c'est autour de ces termes controversés
d'ethnopsychiatrie et d'ethnopychologie, que nous attendons le renouvellement
de toutes les confrontations intéressantes concernant les mondes
contemporains de la guérison. Nous ne prétendons pas
qu'il s'agit là d'un corps de connaissances assurées,
mais d'une ligne de faille qui oblige à rouvrir la discussion
que ni la division entre psychanalyse et biologie, ni la séparation
entre anthropologie et psychiatrie, ni l'opposition entre sciences
et thérapie, ni la succession de l'archaïsme et du modernisme,
n'ont permis de clore. Grâce à l'ethnopsychiatrie, on
peut commencer à prendre au sérieux le "contenuÓ
de ce que disent les patients de leur guérisons et des mondes
auxquels ils s'affrontent, au lieu de les disqualifier d'avance par
la notion d'ignorance, de croyance ou de représentation. On
peut aussi, autour des situations expérimentales créées
par l'ethnopsychiatre, commencer une enquête qui respecte les
"techniques" et les "objets" par lesquels on parvient
à la guérison. Respect des contenus de pensée
et des dispositifs techniques, voilà ce que nous empruntons
à l'ethnopsychiatrie pour engager un débat sans concession,
mais aussi sans anathème, avec toutes les disciplines attachées
à décrire "les mondes contemporains de la guérison".
Ethnopsy se veut une revue de confrontation scientifique. Par le mot
de confrontation, elle indique qu'elle ne vise pas à remplacer
les revues spécialisées, mais à choisir dans
la masse des travaux français et étrangers, ceux qui
se prêtent le mieux aux risques de la mise en relation pour
avancer dans l'écologie des pratiques de guérison. Par
le mot "scientifique", elle ne cherche pas simplement à définir
son sérieux académique - respect des faits, qualité
des références, honnêteté des recensions,
pluralité des avis, ce qui va de soi - mais quelque chose de
plus ambitieux et de plus risqué : trouver à chaque
fois les situations qui permettent aux sujets dont parlent les articles
de se trouver en situation de récalcitrance maximale. La revue
jugera donc de la qualité des articles non pas à la
façon dont "ils maîtrisent leurs sujets", mais à
la façon dont ils se laissent surprendre par eux, protégeant
ainsi les patients contre la disqualification systématique
qu'ils subissent le plus souvent dans le cadre des interrogations
traditionnelles. La revue est donc prête à explorer des
inventions littéraires, méthodiques, expérimentales,
que la simple imitation du style prétendument savant ne saurait
épuiser. Si Ethnopsy se veut une revue de "confrontation scientifique",
elle s'impose de ce fait les propositions risquées, visant
à transformer au moins une situation. Car parler de comment
on guérit pourrait contribuer à transformer une situation,
celle où patients et guérisseurs s'exposent à
la disqualification en invoquant des preuves qu'ils pensent expérimentales.
Nouvelle revue, Ethnopsy voudrait éviter à la fois l'éclectisme,
si fréquent dans le monde anglo-saxon et la clôture sectaire,
si fréquente en France. Elle propose donc de réunir
les auteurs que l'aventure passionne sur cette seule plate-forme :
avez-vous des données, des terrains, des hypothèses,
des dispositifs, des objets, des moyens qui permettent d'établir
des liens entre les différentes façons de saisir "les
mondes contemporains de la guérison", sans les partager d'avance
a priori entre croyance et réalité, rationnel et irrationnel,
objectivité et représentation, efficace et inefficace?
Etes-vous prêts à suspendre ces qualificatifs, le temps
que l'on puisse procéder à l'enquête? À
l'heure où les mondes s'ouvrent largement les uns aux autres,
à l'heure où il est possible dans chaque grande métropole
de consulter thérapies savantes, thérapies culturelles
et thérapies religieuses, où les patients se constituent
en collectifs et viennent interroger leurs thérapeutes, leur
demander des comptes sur les guérisons qu'ils promettent, la
seule attitude nous semble d'accompagner les usagers dans leurs investigations.
Tel est l'objet d'Ethnopsy - les mondes contemporains de la guérison.
Le comité de rédaction