Texte paru dans ETHNOPSY LES MONDES CONTEMPORAINS DE LA GUÉRISON, N° 1 — février 2000, 197-226
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L’héritage du rebelle

Georges Devereux
1908-1985

(photographie personnelle de Tobie Nathan)

Le rôle de Georges Devereux dans la naissance de l'ethnopsychiatrie clinique en France

par Tobie Nathan [1]

 

Ethnopsychiatrie "à la française"

J'ai connu une seule fois la douleur d'avoir un maître…


Durant ces quinze dernières années, on a vu éclore un nouveau paradigme dans les sciences humaines francophones : l'ethnopsychiatrie. Il faut dire que ce n'est pas la première fois que, entre dix à vingt ans après l'arrivée massive d'immigrants, la psychiatrie occidentale produit une sous-discipline mâtinée d'anthropologie et de psychiatrie. Des programmes de recherche comparables sont en effet apparus après guerre, durant les années 50-60 aux États-Unis et au Canada, les années 70 en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Hollande, fleurissent de nos jours en Italie, en Suisse, en Belgique Aux États-Unis, ils avaient emprunté, on s'en souvient - signe des temps ou inspiration locale ? - des directions théoriques particulières, à la fois empiriques et classificatoires : d'abord désignées comme Folk-psychiatry, que Henri Collomb traduisait parfois de manière amusante par "psychiatrie sauvage" puis Transcultural ou Cross Cultural Psychiatry, Medical anthropology. Autre signe des temps, autre inspiration locale : en France, sitôt qu'elle s'est développée de manière clinique, l'ethnopsychiatrie s'est vue violemment conflictualisée, comme si l'on avait cherché à la faire entrer de force dans un débat politique piégé par avance : communautés ou République, culturalisme ou universalisme. Rien n'est plus éloigné de son inspiration que cet état de guerre qu'elle s'est vue et se voit de jour en jour imposer ! En réalité, depuis bientôt vingt ans qu'a été créée la première consultation d'ethnopsychiatrie à l'hôpital Avicenne, depuis six ans, à l'Université de Paris 8, au sein de l'UFR de Psychologie, au Centre Georges Devereux , l'ethnopsychiatrie a toujours été un champ expérimental de médiation - et "médiatiser" signifie d'abord reconnaître les incompréhensions, les désaccords, les oppositions, les conflits, les bonnes et les mauvaises raisons de se honnir - reconnaître les conflits donc, les désigner, puis rechercher les actions diplomatiques. Agir selon cette philosophie de la médiation, c'était en fait prendre le pari d'une paix acceptable, le pari de l'apprentissage possible d'une vie en commun avec d'autres. Mais cela ne s'explique peut-être pas seulement à partir de la situation politique française, il faut aussi tenir compte des contradictions propres au domaine lui-même et aussi, naturellement, de la personnalité de celui qui a introduit ces questions en France : Georges Devereux.

 

"Trouve toi un maître " [2]

Durant mes années de formation, j'ai connu des instituteurs, des éducateurs, des professeurs, des guides Pour eux, j'ai ressenti de l'admiration ou de la colère – souvent de l'indifférence – devant eux, j'ai éprouvé peur ou fierté ; ils m'ont quelquefois gratifié, souvent tancé, parfois humilié – la plupart du temps ignoré – et c'était bien ainsi ! J'ai connu une seule fois la douleur d'avoir un maître. Devant lui, je me suis senti suspendu, toute pensée personnelle comme interrompue. Cette expérience ressemble un peu à une entrée au couvent – je me suis d'ailleurs longtemps, très longtemps… – senti cloîtré dans l'enceinte de sa pensée. Je parcourais les espaces, les théories, les êtres et restais pourtant confiné là où il m'avait posé à notre dernière rencontre. Mes idées poursuivaient la stricte progression de ce qu'il acceptait de me confier. Précisons : il ne s'agissait pas de son souhait, mais d'un mécanisme, une sorte de machinerie. Je n'aimais pas le rencontrer, d'ailleurs. J'évitais ces moments de face à face où ronronnait tranquillement sa nature à travers l'évocation de souvenirs, l'énoncé de phrases parfois profondes, parfois simplement raisonnables, les conseils et les condamnations, aussi, qu'il délivrait sans compter. Nos rendez-vous de travail duraient longtemps – quatre heures, douze heures, parfois ; j'en sortais broyé. Il m'a désarticulé, comme on démonte un pantin ; il m'a décoquillé, brisant ma carapace comme une noix, il m'a dénoyauté, comme une olive, jetant là ma chair, nue au monde Et je me suis senti comme au premier jour avec le courage et l'inconscience des nourrissons.

Il m'a fasciné d'intelligence – l'intelligence que je préfère, agile, aigue, celle qui, par dessus tout, déteste l'ennui, qui enjambe les explications sans jamais se faire sybilline, mystique ou sophistique Il m'a pourtant laissé sidéré de contradictions Il parlait sans cesse d'humanité, de compréhension, de raison, d'amitié et ne s'intéressait qu'aux théories abstraites ; il affichait que la seule valeur était l'amour mature s'exprimant dans un couple stable et vantait sans cesse la gauloiserie radieuse des Indiens Mohave ; il idéalisait la psychanalyse, nous la présentait comme la seule véritable thérapeutique mais méprisait la plupart des psychanalystes de chair et de sang qu'il décrivait comme des bavards et des faiseurs. Je l'ai rencontré pour la première fois en 1969 – il détestait les marxistes, les gauchistes, les contestataires, les trublions, tous ceux qu'il désignait comme des "négativistes sociaux", et d'ailleurs toute pensée qui s'inspirait ne fût-ce que de très loin du marxisme ; pourtant, il se comportait toujours et partout comme un insoumis, un anarchiste fondamental [3]. Il ne possédait qu'une seule cravate qu'il nouait le samedi après-midi, son jour de séminaire - une cravate écossaise Lorsqu'il parlait en privé, il décrivait tous les ethnologues comme des plaisantins - sauf Marcel Mauss - tous les psychologues comme des farfelus - sauf Freud, et encore… seulement jusqu'en 1915. Il vantait les bienfaits du progrès et prétendait pourtant qu'en sciences humaines, il n'y en avait eu aucun depuis cinquante ans. Il a fait mine, quelquefois, de me convier dans son intimité pour me refuser aussitôt la moindre connaissance authentique de lui-même. Tel était Georges Devereux, mon maître. Aujourd'hui, je sais qu'un maître mène au caché mais ne le révèle pas, ne le désigne pas, ne l'explicite jamais - il est le chemin qui y conduit on ne peut être à la fois contenant et contenu.
J'ai travaillé dix ans avec lui - de 1971 à 1981 -, d'abord sous sa direction et puis, de plus en plus auprès de lui, comme un apprenti : nous avons fondé ensemble la première revue française d'ethnopsychiatrie (Ethnopsychiatrica ) , nous envisagions souvent ensemble les prolongements concrets que son enseignement aurait dû comporter. Il se plaignait sans cesse de n'avoir aucun laboratoire, aucun crédit de recherche pour ses étudiants, aucune audience auprès des instances administratives. Mais avec quel soin évitait-il tout contact avec les personnages officiels, les représentants de l'administration [4]. Les derniers temps de notre fréquentation, il se comporta avec moi comme avec un héritier, me demandait d'assurer son séminaire lorsque, étouffé par son insuffisance respiratoire il ne pouvait s'y rendre, insista auprès de l'Ecole des Hautes Études afin que j'obtienne un enseignement que j'ai d'ailleurs assuré une année durant, en 1977-78 [5]. J'étais alors trop petit pour le savoir : on n'hérite pas d'un maître ; on est seulement métamorphosé par lui ! Je l'ai un jour appris à mes dépens ! Un samedi de 1981, nous étions quatre de ses élèves à nous réunir afin de créer la première consultation d'ethnopsychiatrie – quatre cliniciens, psychiatres et psychologues, de formation psychanalytique. Nous avions certes une connaissance théorique de ce que l'on appelait déjà l'ethnopsychiatrie – l'étude des manifestations spécifiques des désordres dans certaines cultures, l'analyse des systèmes traditionnels de prise en charge – mais aucune idée des pratiques réelles que de telles connaissances pouvaient produire. Le soir même, il rompait toute relation avec moi. Je n’ai pas protesté, n’ai ressenti ni amertume ni rancune. Certains qui l’ont vu les années suivantes ont prétendu qu’il s’agissait d’une crise passagère, que je me devais de reprendre contact, de le revoir. Je savais qu’il n’en était rien.
J'aime à penser qu'en agissant ainsi, il reprenait simplement sa vraie place, celle du maître, pour me guider une dernière fois. J'imagine qu'il s'agissait du dernier enseignement qu’il m’administrait : m'apprendre à partir. Je voudrais continuer à croire qu'au fond, il souhaitait me transmettre la rage de poursuivre. C'est en tous cas la leçon que je crois avoir saisi Je me suis surtout occupé de clinique.

Les contradictions de l'ethnopsychiatrie théorique
L'ethnopsychiatrie que nous a enseigné Georges Devereux était théorique, descriptive et explicative. Il établissait des fiches triant des milliers d'anecdotes de toutes sortes, des notes de terrain, de petites observations cliniques, des vignettes historiques, des citations de littérature antique. C'est ainsi qu'il construisait ses livres ; c'est aussi de cette façon qu'il enseignait. Ses rares cours – il n'aimait pas prononcer de conférences, préférait débattre, argumenter, disputer – n'étaient qu'une longue liste de petites observations. Il avait patiemment, durant plus de trente ans, accumulé les faits insolites, paradoxaux, contradictoires. S'il tentait sans cesse des percées conceptuelles audacieuses, des agencements originaux, sa passion était celle de l'érudit, son ambition, celle de savoir. C’est pourquoi, sa théorie du complémentarisme, inspirée de Jordan, Bohr et Heisenberg n'est pas celle du praticien de la physique qui monte les dispositifs expérimentaux pour tenter de se saisir de l'électron, mais celle de l'énonciateur de théories générales sur la matière. Ses textes sont truffés d'énoncés généraux sur la nature des êtres : les humains sont ainsi ; la culture, c'est cela ; le surmoi est fait de ci, le stress de là.
Je voudrais mentionner ici deux impacts fondamentaux qu'a eu la pensée de Devereux sur la psychanalyse et sur la psychothérapie :
  1. le premier : contraindre le clinicien à tenir compte de faits qu'il ne connaissait pas, dont il ne se doutait même pas, auxquels donc il n'attachait a priori aucune importance. Par exemple : on peut lire le désordre psychologique d'un patient à partir de déterminants culturels ; et de manière tout aussi fondée qu'à partir de déterminants psychologiques singuliers. Autrement dit : l'énoncé

(1) : [B, fils de A, lui-même chef d'un lignage fon du Bénin, a été rendu fou par les vodúns car il a refusé d'assumer la charge rituelle qui lui incombait depuis la mort de son père] est aussi vrai que l'énoncé

(2) : [B a été saisi d'une profonde détresse mélancolique à la suite du décès de son père, A, auquel il était profondément attaché par des liens aussi profonds qu'ambivalents].

Cette première déflagration n'a toujours pas été métabolisée par la clinique psychothérapique qui, jusqu'alors, n'a pas su en tenir compte techniquement, essayant toujours de se débarrasser du premier énoncé (1).

  1. Le second impact est de nature méthodologique. Pour lui, la psychanalyse crée le phénomène qu'elle observe. Je cite :
" Non seulement l'expérience psychanalytique provoque le comportement qu'elle étudie, mais de fait, le crée — tout comme les adversaires de la psychanalyse n'ont jamais cessé de le répéter au psychanalyste qui refusait de les écouter. "[6];
Charge donc au psychanalyste de toujours créer du matériel fécond, susceptible d'élaborations, de productions nouvelles, de vie. Tout comme le biologiste est capable de mettre au point des expériences qui, poussées trop loin, détruisent l'objet même de son expérience, un psychanalyste est toujours en risque de créer une situation clinique qui transforme son patient en légume [7].
" Le comportement ainsi produit comprend également les réponses spécifiques du patient à l'existence du thérapeute ainsi qu'au cadre matériel et formel de l'analyse. Par dessus tout, ce comportement comprend les réactions à l'expérience (vécue) d'être analysé, et c'est cette expérience qui est unique et tout à fait différente des expériences de la vie courante. Il est même probable que c'est elle qui déclenche le transfert "[8]
Ainsi donc, dès 1966, Devereux était-il parvenu à des formulations méthodologiques cruciales sur la psychanalyse [9] - formulations dans lesquelles il attribuait l'ensemble de la responsabilité du processus au psychanalyste qui provoque, qui déclenche, qui crée, qui fabrique et interprète in fine ses propres productions. C'est dire aussi la responsabilité du thérapeute et les impasses intellectuelles dans lesquelles s'engluent toujours l'interprétation des éventuelles faillites thérapeutiques.
Voila donc les deux points méthodologiques essentiels à partir desquels je vais tenter de rendre compte de ce qu'est devenue l'ethnopsychiatrie, du moins celle que nous pratiquons à l'Université de Paris 8.

Pratiques
 

Je disais donc que, dès 1981, nous nous sommes saisis des prémisses méthodologiques de l'ethnopsychiatrie dans la perspective de mettre au point de nouvelles pratiques. Il faut dire que, durant dix années, le séminaire de Devereux était fréquenté par de jeunes psychiatres et psychologues, qui étaient tous aux prises avec les problèmes cliniques nouveaux que l'on commençait à rencontrer en France du fait de l’immigration massive durant les "trente glorieuses". Dès cette époque, l'ethnopsychiatrie commençait, sous la pression des jeunes cliniciens, à se redéfinir, dépassant son statut de théorie descriptive au profit de l'invention de dispositifs thérapeutiques tournés vers la prise en charge des populations migrantes. Cette ethnopsychiatrie était avant toute chose une recherche sur la clinique, mais elle a aussi constitué une expérience tant théorique que politique. Car si elle nous a incité à repenser la pratique de la psychanalyse, de la psychothérapie et du travail social, elle nous a également conduits à réfléchir de manière radicalement nouvelle, je crois, à la place que nous étions prêts à accorder aux populations migrantes et à leurs cultures, dans les sociétés modernes que nous contribuons à construire.
D'ailleurs, je définirai volontiers le Centre Georges Devereux [10] comme un lieu expérimental de médiation entre pensée scientifique et pensées rapportées avec elles par les populations migrantes. À l'heure de ce que l'on nomme "mondialisation" ou "globalisation", il nous semble impossible de mener une réflexion sur les pratiques sociales réelles – et tout autant sur l'action politique, d'ailleurs – en faisant l'impasse sur la question de la place que nous réservons aux systèmes des autres mondes.

Langues et langage

Revenons à la clinique. Les modifications du cadre thérapeutique à partir de questionnements sur la doctrine sont en général à l’origine d’innovations fécondes . Je peux affirmer aujourd’hui que la seule introduction, il y a une vingtaine d’années de cela, de l’obligation de traduire dans l’espace psychothérapique a bouleversé le bel ordonnancement théorique qui était le nôtre au tout début. D’abord, lorsqu’on les traduit, les paroles des patients ne sont plus "interprétables" – ou plus exactement : l’interprétation – et notamment l’interprétation psychanalytique – semble étrangement superflue, artificielle, sans profondeur. Quelle place, en effet, accorder à des lapsus, à des arrangements spécifiques de signifiants lorsque l’urgence massive, absolue, réside d’abord dans la compréhension littérale, puis dans la mise en comparaison obligatoire des systèmes mis en présence – et avant tout des langues [11] ! La méfiance que les "Psy" éprouvent en général à l’égard des langues – et non pas du langage –, provient du fait qu’introduire une seconde langue, et ses représentants nécessaires (traducteurs, famille, familiers) interdit alors "d’écouter", dans le sens que l’on confère habituellement à ce mot dans notre métier.

Et puis, nous avons peu à peu découvert qu’il ne s’agissait pas seulement de parler la langue du patient, mais aussi de parler de la langue. J’y vois une transformation drastique du dispositif car parler de la langue, discuter publiquement la traduction des paroles du patient et de sa famille, rend ipso facto le patient expert, partenaire obligé, allié dans l’entreprise d’exploration, de savoir – et surtout d’action sur la négativité. En effet, la traduction proposée par le médiateur , sitôt restituée au patient, devient discutable, invite à la contradiction. Il peut argumenter la nuance, l’intention ; revenir sur l’éventuelle partialité du traducteur. Car si les mots du patient deviennent questions sur son monde et, de ce fait, sur le monde , ces questions, on le conçoit aisément, n’intéressent pas le seul thérapeute. Sitôt les traductions apparues, voila les patients se joignant au débat, contribuant à la traduction, à la discussion des étymologies, à l’exploration des mille mécanismes à l’origine de la fabrication des énoncés possibles, aux choix permis par la langue et à ceux qu’elle interdit [12].

Et puis, de temps à autre, lorsque l'exploration des significations d'un mot ou d'un autre devenait trop problématique, trop conflictuelle, nous voyions arriver un proverbe.

"Pourquoi dit-elle " Dieu m'a bénie en me donnant ce fils " ? N'a-t-elle pas connu tant de problèmes avec sa maladie ?" Est-ce seulement une façon de parler ? "La coutume", comme on dit ? Et le mari de répondre :

"Chez nous, on a l'habitude de dire : el kerd fi ´en ommou gha-zal ?"

Comment traduire ce proverbe ? Littéralement, d'abord, sans doute : "Aux yeux de sa mère, le singe est une gazelle" Et puis ça tombe si bien N'est-ce pas la mère qui ne tarit pas de compliments au sujet de ce fils toxicomane qui n'a cessé de la persécuter depuis cinq ans ? On explique - quelqu'un, dans l'assistance, explique. Est-ce la patiente, un proche, le thérapeute, un des cothérapeutes ? Qu'importe ! Parler de la langue peut mettre tout le monde d'accord ; la signification d'un proverbe, tout autant.

"Le proverbe signifie qu'en général, on a tendance à ne trouver que des qualités à ses proches".

Oui, mais Comment comprendre cela ici ? Est-ce à dire qu'elle n'ose se plaindre de son fils de peur que les paroles d'une mère ne viennent le maudire ? Ou seulement qu'elle est de parti pris ? Veut-elle écarter le mauvais sort, elle qui a tellement souffert d'un destin peu enviable ? Est-ce seulement une plainte formulée dans une forme codée ? Tout ces hypothèses sont susceptibles d'être discutées, commentées, argumentées, deviendront sources d'évocations de souvenirs, de tentatives de démonstration, d'élaborations théoriques.

Envisager la langue comme une chose - plus exactement un système de choses - rend soudain l'espace psychothérapique contradictoire - contradictoire car contenant désormais une façon de mettre les interlocuteurs d'accord, de ne pas se trouver à nouveau confiné dans le champ clos du conflit duel où il s'agit toujours de savoir lequel des deux a le mieux compris la signification de la parole. C'est pourquoi l'ethnopsychiatrie clinique se déroule en groupe – groupe de thérapeutes, provenant de mondes différents, pratiquant une multiplicité de langues, groupe renfermant donc une multiplicité d'interprétations. La multitude des paroles possibles, des "mondes possibles", crée et stabilise un espace enfin susceptible de ne pas dégénérer en arène de confrontation duelle L'innovation de l'ethnopsychiatrie clinique a été de considérer cette transformation du cadre clinique comme spécifiquement intéressante.

Et puis, l'expérience grandissante que nous avons acquise dans le maniement des traductions nous a progressivement incités à adopter la langue comme modèle de compréhension - à tenter de résoudre ainsi les contradictions léguées par l'ethnopsychiatrie théorique. Je vais tenter d'expliquer de quelle façon. Je définirai d'abord la langue comme un objet fabriqué par un groupe - objet qui, ensuite, fabrique les individus de ce groupe un à un . Il est, en effet, absurde de se demander qui a créé la langue française - absurde car l'on connaît la réponse ! Ce sont les locuteurs qui fabriquent la langue tous les jours - n'importe quel locuteur étant susceptible de modifier durablement un mot, une expression, une prononciation, une règle de syntaxe à condition que cette modification soit acceptée par le groupe. L'actuelle création d'expressions nouvelles par les beurs des banlieues ou par les groupes de rap nous démontre à l'évidence que la langue française ne se fabrique pas seulement à l'Académie française - surtout dans la rue, sans doute. Et comme il est évident que la langue est l'un des systèmes qui contribue le plus fortement à la structuration de l'individu, on peut on conclure que le groupe fabrique un objet qui, par la suite, fabrique les individus du groupe.

À nouveau, le modèle de la langue nous donne une issue logique, raisonnable et robuste. Il n'existe aucune différence, de ce point de vue, entre par exemple un locuteur malinké et un locuteur français. Chacun, c'est indubitable, a été "fabriqué" par une langue, elle même chaque jour fabriquée par leur groupe. C'est précisément parce que Malinké et Français sont identiques qu'ils sont tous deux fabriqués par une langue - l'on peut également dire que, puisqu'ils sont tous deux fabriqués par une langue, c'est bien la preuve qu'ils sont identiques par nature. Le problème est que les objets qui les ont fabriqués sont différents : la langue malinké n'est pas la langue française ! Il est dès lors absurde de discuter d'une éventuelle opposition entre universalisme et relativisme. Ce qui d'ailleurs, rejoint le sens commun : l'universalité de l'homme est une évidence, elle ne vaut pas la peine d'être discutée. Si l'homme est le même, les objets que les groupes d'hommes fabriquent sont différents. La différence qui vaut la peine d'être étudiée se trouve dans les objets, pas dans les humains… Cette conception, comme je vais essayer de le démontrer, a le mérite de lever toute une série de contradictions et permet, de plus, de proposer des dispositifs techniques originaux et efficaces.

Le problème de la guérison

Cette conception permet également de résoudre le problème posé depuis toujours par les guérisons et l'interminable questionnement : peut-on considérer la guérison obtenue par les thérapies culturelles comme étant de même nature que celle obtenue par les thérapies "savantes" ? Je rappelle que j'appelle "savantes", les psychothérapies qui prétendent découler d'observations scientifiques de la "nature". Il va de soi que je ne me prononce en aucune manière sur leur validité scientifique. La question de la guérison est cruciale car si, d'une part, les systèmes thérapeutiques étaient radicalement hétérogènes et que, d'autre part, les guérisons obtenues par ces différents systèmes étaient toutes de même nature, nous devrions alors abandonner la prétention des théories psychopathologiques à une explication générale, tant des désordres que de l'action sur les désordres. Mais il était trop difficile de penser les choses de manière aussi radicale ; les résistances professionnelles sont énormes. C'est ce qui explique que la plupart des auteurs qui ont tenté des synthèses dans le domaine de l'ethnopsychiatrie ont toujours proposé des explications occidentalo-centrées des effets thérapeutiques (effets que l'on observe en règle générale) des systèmes culturels. Ils attribuent les améliorations constatés chez les patients au "transfert" (Róheim), à la "suggestion" (Freud et nombre de psychanalystes à sa suite) ou à "l'effet placebo" [13], à la "croyance" (Levi-Strauss) ou aux "réorganisations sociales" (Zempleni, comme nombre d'anthropologues). Certains même, comme Devereux, ne leur attribuent aucune action réelle, un simple effet palliatif :

"Aussi ne peut-on considérer que le chaman accomplit une " cure psychiatrique " au sens strict du terme ; il procure seulement au malade ce que l'École Psychanalytique de Chicago appelle une " expérience affective corrective " qui l'aide à réorganiser son système de défenses mais ne lui permet pas d'atteindre à cette réelle prise de conscience de soi-même (insight ) sans laquelle il n'y a pas de véritable guérison." [14]

"Transfert", "suggestion", "effet placebo", "croyance"… autant de concepts "occidentaux" qui permettent de rejeter en les interprétant – de rejeter par l'interprétation – les explications culturelles. Évidemment, nous ne sommes plus au temps (pas si lointain, faut-il le rappeler) où l'on considérait les pensées des "primitifs" prélogiques[15], magiques ou infantiles [16]. L'interprétation - qu'elle soit sociologique, structuraliste, psychanalytique - reste néanmoins, aujourd'hui encore, l'instrument principal de disqualification des théories des groupes et des communautés et, par conséquent, de leurs pratiques thérapeutiques [17]. Qui refuse par avance aux acteurs la capacité de rendre totalement compte des systèmes qu'ils manient, est condamné à interpréter - leurs théories, leurs résultats, le système tout entier. Et voila le psychiatre, le psychanalyste, l'ethnologue, se sentant partout chez lui. Un tel nomade aura tendance à annexer chaque thérapie culturelle qu'il lui sera donné d'observer, la traduisant en jetons théoriques déjà connus. Devenu expert , il n'apprendra rien, quant au fond, des sujets qu'il cotoie. Problème qu'a fort bien décrit Isabelle Stengers :

"Je l'ai souligné déjà, seul est irrémédiablement destructeur et/ou tolérant celui qui se croit " purement nomade ", qui n'est susceptible d'être mis en détresse ou effrayé par rien, et le groupe qui s'identifie de la sorte ne peut déléguer que des experts Le psychanalyste, lorsqu'il se vit comme " praticien moderne ", se vit également comme " nomade ", détaché des liens illusoires qui attachent les autres. Dès lors, l'analyste peut se juger partout " chez lui " car sa pratique définit toute " territorialité ", toute sédentarité, comme susceptible d'être " analysée ". [18]

Alors, il faut se prononcer : les thérapies culturelles guérissent-elles les patients ? Ou, pire encore, les guérissent-elles pour de " mauvaises raisons " [19]?  Première question à laquelle il faudra bien finir par répondre sérieusement. Quoiqu'il en soit, c'est toujours en évoquant sa guérison que le patient sénégalais continue à s'adresser au marabout, le marocain au fkih et le limousin au magnétiseur. Puisque c'est par ce questionnement, au fond bien légitime, que les patients permettent à ces systèmes de persister - et même de se développer [20], permettent aux objets de leur monde de fabriquer encore et toujours de nouveaux cas, de nouveaux êtres, nous nous devons de prêter quelqu'attention à leurs arguments. Le Marocain a généralement fait l'expérience que l'amulette soigne ; le Sénégalais, que le sable parle ; le Limousin que les mains véhiculent un fluide. Ils ne croient pas au guérisseur, comme l'on dit généralement, ils respectent les objets d'un professionnel : l'amulette, le sable, le fluide - et la maîtrise qu'il en a acquis. Focaliser notre attention sur les objets dont parlent thérapeutes et patients, c'est, comme aime à le dire Bruno Latour, regarder la lune du sage et non pas le doigt de l'idiot [21].

La question de la validité des théories culturelles

Comment considérer les concepts organisant les systèmes thérapeutiques culturels ? Comme des "représentations", des "croyances" ou bien comme de véritables théories ? Si l'on parle de "représentations", on leur dénie, de fait, toute prétention à décrire les objets du monde – eux parlent de choses, nous de représentations ; eux, de l'action des fétiches, nous de croyance en l'action des fétiches ; eux des exigences des morts, nous de sentiments de deuil ; eux des contraintes imposées par les dieux, nous de "complexes paternels . Si nous pouvions trouver le moyen de respecter leur prétention à décrire le monde, alors nous devrions considérer les systèmes thérapeutiques culturels comme de véritables théories. Et s'il s'agit de théories, il devient nécessaire 1) de les apprendre ; 2) de les expérimenter concrètement ; 3) de comparer leur efficacité clinique, ou du moins leurs effets concrets, à l'efficacité des thérapeutiques "savantes". Il s'agit d'une gageure car ces théories ne s'enseignent pas mais, la plupart du temps, se transmettent par initiation. De plus, ces théories sont rarement explicites, jamais exposées comme des systèmes d'idées ; elles gèrent les actes techniques des thérapeutes et ne peuvent qu'être reconstruites. Enfin, les considérer comme de véritables systèmes de pensées impliquerait que celui qui décide de les apprendre adopte peu ou prou l'identité professionnelle de ceux qui les pratiquent. Or, il est socialement impossible à un clinicien occidental, psychiatre, psychologue ou psychanalyste, d'adopter l'identité d'un chaman colombien, d'un fkih marocain, d'un baba-lawo nigérian – encore moins, faut-il le rappeler, d'un magnétiseur limousin. Nous nous heurtons ici à cette même résistance issue des milieux professionnels. C'est pourquoi, pour éviter le problème, la plupart des auteurs [22] considèrent les théories culturelles comme des "prénotions", des "fantasmes", des "croyances" et même parfois comme la survivance chez les adultes de théories sexuelles infantiles [23]. Comme souvent, G. Devereux a repéré la difficulté et s'est vivement exprimé à son sujet:

"C'est pourquoi nous ne pouvons jamais savoir avec certitude si les données des " psychiatres " primitifs représentent des intuitions scientifiques authentiques ou si elles ne sont que de simples fantasmes dérivés d'un modèle de pensée culturel." [24]

Notons que, pour lui, au cas où les théories des thérapeutes traditionnels s'avéraient intéressantes, elles ne pourraient l'être qu'au titre d'intuitions . C'est ainsi qu'un peu plus loin, dans le même texte, parlant des Sedang Moï du Vietnam :

" Ce sont seulement des gens ayant un penchant pour la spéculation, mais dont les intuitions (insights ) demeurent stériles, car elles ne s'intègrent pas à un contexte scientifique, et ne sont pas mises en corrélation avec d'autres intuitions du même ordre, mais seulement avec la mythologie." [25]

Or, les théories culturelles sont perçues par les usagers des systèmes thérapeutiques comme aussi vraies que les théories "savantes". Les patients, chacun en a eu l'expérience, n'opposent pas les mondes mais tentent de tirer bénéfice de l'un et de l'autre. Ce sont les savants qui sont en guerre, pas les usagers ! Les savants sont en guerre entre eux, d'abord [26], mais aussi avec leurs concurrents, ceux qu'ils désignent comme "charlatans". Une fois encore, l'ethnopsychiatre devrait prendre modèle sur les usagers pour construire ses concepts et s'intéresser avec sérieux aux théories culturelles - non pas, donc comme des "représentations", mais comme de véritables théories . Le chercheur en ethnopsychiatrie se doit de dessiner la forme spécifique que prennent ces théories ; se doit de rendre compte de leur nécessité. Bref : il lui faudra expliquer en quoi le phénomène appréhendé par ces théories l'est correctement et comment ces théories permettent une prise efficace sur le monde.

Que faire des groupes ?

L'ethnopsychiatrie a besoin du concept de "culture" ou au moins d'un concept qui lui permette de reconnaître l'existence de groupes. Or, les anthropologues et a fortiori les sociologues, surtout français, ont de plus en plus tendance à s'en passer – souvent à juste raison, d'ailleurs , lui préférant ceux plus vagues de "mondes" ou "d'univers". De plus, les processus de plus en plus actifs de mondialisation – de l'information, des habitudes, des lois, des marchandises surtout, tendent à faire paraître cette notion désuète… peut-être un peu trop rapidement obsolète. Mais concurremment, une série de données nouvelles viennent rappeler qu'en psychopathologie, on n'en a pas fini avec les groupes – qu'on les désigne comme "ethnies" ou comme "communautés". Il surgit de plus en plus de "thérapeutes" qui réinventent des dispositifs "culturels" de soins. Ce Tahua tahitien décidant soudain, à la suite d'une crise existentielle, de partir se faire initier chez les Maoris de Nouvelle Zélande et là, de s'y faire tatouer de la tête aux pieds [27](B. Saura,1993); cette guérisseuse d'un village malien qui organise (invente ? réinvente ?) de nouveaux rituels aux djinnas [28](Berger, 1997), tout en affirmant qu'il s'agit de la reprise d'une tradition millénaire ; cette nganga , cette guérisseuse du Nord du Congo, immigrée à Brazzaville, qui a créé une nouvelle méthode d'extraction du mal [29]? Et que penser de ce guérisseur d'une cité HLM de la banlieue nord qui "tire le sort" pour des èrémistes en déprime [30]? Toutes ces personnes rassemblent autour d'elles des foules de malades. Elles se revendiquent, s'imaginent, se représentent comme des thérapeutes "culturels". Il me semble que, de nos jours, si les sciences humaines veulent devenir inventives, elles doivent impérativement concevoir des méthodes leur permettant de postuler ces "sujets" aussi comme compétents et créatifs - en aucune manière fantoches ou automates ! Car ce n'est pas à n'importe quel métier qu'elles ont entrepris de se faire initier mais à celui de guérir. Nos observations en ethnopsychiatrie nous font de plus en plus penser à une hypothèse étrange : peut-être psychopathologie et culture entretiennent-ils des liens encore plus profonds que ce que l'on soupçonnait naguère . Car s'il s'avérait que, de nos jours, en période de mondialisation, c'était principalement par l'entremise d'une maladie – ou de l'une de ses formes les plus pernicieuses : l'obligation de soigner les autres – que "la culture" investissait la personne, alors, maladie – et tout particulièrement désordre psychique – et culture formeraient un couple, encore plus nécessaire qu'autrefois, quoique leur alliance paraîtrait toujours aussi énigmatique.

D'abord, il faut dire que toute science humaine est toujours science de groupes. Même la psychologie clinique, qui travaille à partir de cas individuels engendre nécessairement la fabrication de groupes – artificiels, certes, et dont le seul expert est alors le chercheur. Quelle réalité sociale possède, en effet, le groupe constitué par exemple de l'ensemble des personnes classés par les psychologues et les psychiatres sous la rubrique Schizophrénie paranoïde ? Ce sont de simples groupes statistiques, "groupes homogènes de malades", personnes qui ont pour seul point commun d'avoir été classés dans une même catégorie par des professionnels. Comment, dans ce cas, construire la vérité de manière contradictoire en prenant les sujets comme partenaires ?

Dans le monde moderne, les groupes sociaux réels se constituent la plupart du temps dans une lutte et opposent leurs intérêts spécifiques aux experts.

Exemples récents :

Ce sont les malades atteints du SIDA, réunis en associations, qui ont réussi à imposer leur expertise, bousculant les perspectives et les priorités des chercheurs .

C'est la pression du mouvement gay qui a contraint l'association américaine de psychiatrie à retirer l'homosexualité de la liste des désordres mentaux.

Quelquefois, des chercheurs isolés aident à la constitution de ces groupes par une lutte personnelle et brillante. Ainsi, Oliver Sacks a-t-il réussi à imposer l'idée selon laquelle la recherche moderne en neurologie consistait à aller interroger l'expérience réelle des malades, seules personnes susceptibles de décrire l'étrangeté quasi unique de leur monde . Ainsi, la reconnaissance des groupes est-elle de plus en plus utilisée par des chercheurs modernes en sciences humaines, encore trop isolés malheureusement, pour se donner des partenaires susceptibles de venir interroger la validité de leurs hypothèses .

L'ethnopsychiatrie ne peut se pratiquer que de cette manière car, à l'ethnopsychiatre, à ce clinicien qui considère son patient sans faire abstraction de ses groupes, correspond toujours son double qui ne cesse de le questionner sur le bien-fondé de ses perspectives, de ses méthodes, de ses résultats : le guérisseur ou le thérapeute "naturel" des populations dont il s'occupe. La chance de l'ethnopsychiatre, son atout est seulement épistémologique : lui seul parmi les cliniciens dispose d'un contradicteur obligé. Il faut aussi rappeler que, dans d'autres univers, les groupes de "malades" sont souvent aussi de véritables groupes sociaux. Ainsi, par exemple, au Maroc, le groupe constitué de toutes les personnes ayant été possédées par un certain djinn est évidemment possible - ce groupe constitue une réalité d'expérience. On peut le rencontrer dans certaines zaouias dans lesquelles les adeptes s'adonnent à la 'hadra , la transe rituelle.

Autrement dit : la question de l'ethnopsychiatrie présentifie nécessairement des groupes sociaux réels qui, de nos jours, n'ont plus ce caractère distant, littéraire et quelque peu imaginaire que véhiculait l'ethnologie d'autrefois. Nous rencontrons des Bambaras, des Dogons, des Manding, des Mossi, des Samo tous les jours, dans la rue, dans le métro et dans nos cabinets. Cette cohabitation exige désormais une gestion du rapport avec les communautés, d'autant que, comme tous les groupes, ce type de collectifs a tendance à produire des représentants. Nous avons donc un besoin urgent d'une théorie susceptible de reconnaître et de faire réellement appel à ces groupes et à leurs représentants. Ainsi, le segment ethno du mot "ethnopsychiatre" viendrait-il rappeler l'obligation que se fixe l'ethnopsychiatre de recourir, dans sa méthodologie, à des groupes réels, déjà constitués et nantis de leurs représentants pour valider ses propositions et ses hypothèses.[34]

Mais, de nos jours, il existe une complexité supplémentaire. Quelquefois, ce sont les concepts fabriqués par les praticiens qui se révèlent être à l'origine de la constitution de groupes sociaux réels.

Premier exemple : la description d'un syndrome neurologique par Gilles de la Tourette a donné lieu, des décennies plus tard à la création d'une association extrêmement active (surtout aux États-Unis) : la Tourette Syndrome Association [36]. Là, le groupe est défini par la maladie. Quoique ne s'éloignant guère des médecins et des neurologues qui l'ont produit, il les questionne pourtant sans relâche, les incitant à poursuivre les recherches, à proposer de nouvelles hypothèses étiologiques, à découvrir de nouvelles thérapeutiques.

Second exemple : On peut raisonnablement penser que c'est la définition par Freud de l'homosexualité comme "structure psychique" qui a permis à des personnes qui avaient des pratiques homosexuelles et qui se pensaient "déviants" de s'imaginer membres d'une catégorie particulière, puis de se constituer en groupe social : le mouvement gay . Le mouvement gay vient aujourd'hui interroger les experts : les psychiatres, les psychanalystes, les endocrinologues, les biologistes, qui, au fond, lui ont donné naissance, se déclarant leur partenaire obligé.

Troisième exemple : De même, la description par Benjamin, puis par Stoller des "transexuels" amène-t-elle progressivement des individus à se constituer en groupe social, puis en groupe de pression, exigeant les interventions chirurgicales des médecins, les modifications d'état civil des autorités administratives Ici, le groupe originairement défini par un concept bio-psychanalytique - ils se désignent eux-mêmes comme atteints du syndrome de Benjamin (du nom de leur "créateur") - tend à se constituer en groupe de pression, contraignant les professionnels à créer des codes de déontologie, une nouvelle morale, voire une nouvelle philosophie.

Ainsi, doit-on se rendre à l'évidence : les pratiques sociales, que sont toujours les applications des sciences humaines, sont à l'origine de la création de nouveaux groupes sociaux qui viennent ensuite questionner leurs démiurges.


Les dispositifs thérapeutiques

 

Dans ce domaine, les tentatives - ethnopsychiatrie, psychiatrie transculturelle, psychiatrie comparée, folk psychiatry - sont toujours parties d'un constat des différences, pour s'enliser ensuite dans un essai de rattrapage de l'universalité. C'est ce qui leur donne ce côté "mou", fragile et, évidemment, discutable. La plupart du temps, les auteurs adoptent l'hypothèse selon laquelle la structure psychologique ou psychopathologique serait universelle, seulement "colorée" par la culture. Jilek fait par exemple remarquer, et avec raison, que la position habituelle en "psychiatrie comparée" a toujours été de considérer que la culture a sur les symptômes psychopathologiques une influence pathoplastique plutôt que pathogénique [37]. Certains auteurs, considérant l'étrangeté des pathologies que les anglo-saxons désignent comme culture bound syndroms , s'aventurent un peu plus loin, quoique fort timidement. Michael Kenny [38] propose par exemple l'idée que certaines entités morbides, telles que la variole ou la rougeole sont sans équivoque universelles, alors que le latah malais serait une sorte de "théâtre social" - reste à définir en quoi un "théâtre social" peut constituer une psychopathologie.

Il n'y eut guère que Devereux pour remarquer qu'il existait là un véritable problème épistémologique, nécessitant la création d'une discipline à part entière. Quoique, il faut le remarquer, son œuvre fourmille du même type de contradictions que celles que j'ai signalées. Par exemple : s'il existe une spécificité irréductible de la psychopathologie mohave [39], par quel miracle la psychanalyse permet-elle d'en rendre compte ? Voire même de la réduire à du déjà connu ailleurs ? À moins de considérer que cette psychopathologie n'est en aucune manière spécifique ; ou plutôt que sa spécificité n'est qu'une illusion. Et nous voila tout près d'injurier les Mohave, de les considérer avec commisération comme de piètres théoriciens, juste capables d'approcher naïvement – et seulement de manière "symbolique" – la pensée de Freud.

Pour en finir avec ce type de contradictions, ma proposition consiste donc à appliquer aux dispositifs thérapeutiques la conception dégagée de l'expérience des langues et de la traduction.

Proposition théorique générale : Les groupes fabriquent des dispositifs thérapeutiques ; et ce sont les dispositifs thérapeutiques qui fabriquent, non pas les êtres humains, bien sûr – et c'est leur différence avec les langues –, mais les patients - c'est-à-dire ce que l'on appelle des "cas" [40]. Cette proposition résoud une série de problèmes, en pose de nouveaux et entraîne des conséquences techniques et théoriques.

 

D'abord, cette proposition est rationnelle, matérialiste et refuse tout compromis avec quelque position mystico-philosophante que ce soit ; ce qui, évidemment, satisfait la raison [41]

Elle a l'avantage d'être parfaitement congruente avec ce que l'on sait des systèmes thérapeutiques traditionnels. Dans de très nombreux groupes africains, par exemple, l'on ne dit pas qu'untel est un spécialiste des thérapeutiques mais qu'il a touché aux choses – pas au savoir, donc, mais aux choses , aux objets . Je pense que ces systèmes savent – ou, plus exactement : postulent – que les patients sont fabriqués par les choses ; choses que les thérapeutes du groupe ont avant tout appris à manier. D'autre part, cela correspond assez bien à des théories traditionnelles que l'on a jusqu'à présent considérées mythiques et/ou symboliques, selon lesquelles les hommes fabriquent les fétiches, les entretiennent, leur donnent à manger, mais s'en nourrissent tout autant – cela n'empêchant nullement que les fétiches fabriquent les hommes à leur tour.

Cette proposition permet de se débarrasser une fois pour toutes de notions floues et passe-partout comme celles de "croyance", ou "d'adhésion" – notions qui ne peuvent être à l'origine que de comportements de tolérance voire même de condescendance. Il suffit de penser que ce sont les objets qui fabriquent les hommes pour comprendre sans besoin d'aucune hypothèse idéaliste de l'intérêt que leur portent patients et thérapeutes.

Cette proposition permet également de comprendre pourquoi des sujets provenant de sociétés non-occidentales s'attendent à ce qu'un thérapeute les fabrique à partir de leurs propres objets, mais peuvent accepter un autre type de fabrication, comme s'ils consentaient à "jouer le jeu", pour s'essayer, en quelque sorte, à une autre existence de patient. Il s'offre à nous dès lors une tout autre perception de ce fait singulier qui ne cesse d'étonner les cliniciens : le paganisme, cette espèce de polythéïsme thérapeutique spontané, de tous les patients du monde, qui n'hésitent pas à enjamber les prétendues oppositions métaphysiques entre "naturel" et "surnaturel", entre "rationnel" et "irrationnel" et s'engagent successivement, parfois même concurremment, dans une démarche auprès d'un psychiatre, d'un psychothérapeute, mais aussi d'une voyante, d'un guérisseur, d'une église charismatique, etc.

On peut enfin éviter les pensées molles et contradictoires : celle du "ou bien, ou bien" - ou bien la raison occidentale ou bien l'irrationnel traditionnel…

Mais on évite tout autant la logique de la juxtaposition postmoderne, celle du "pourquoi pas ?" - pourquoi pas à la fois le psychiatre et le guérisseur - ce métissage flou que Devereux dénonçait avec raison dans sa préface de 1968 à Psychothérapie d'un indien des plaines . Le fait même que les patients acceptent si volontiers le dispositif proposé par l'ethnopsychiatrie démontre qu'une véritable thérapie devrait toujours chercher à se situer à la hauteur, au niveau de complexité dont sont capables ceux qui s'adressent à elle.

Elle permet également de comprendre pourquoi, lorsque, dans une consultation d'ethnopsychiatrie, l'on envisage les objets thérapeutiques traditionnels, les patients acceptent volontiers de partager la discussion avec nous. S'il nous arrive de nous montrer compétents, certains énoncés peuvent mettre toute l'assistance d'accord, tout comme la discussion de la signification d'un mot ou celle d'un proverbe peut mettre d'accord tous les locuteurs d'une même langue. Ainsi en est-il de formulations telles que : les jnoun jettent des pierres à midi ; ou bien chacun possède un rab de sexe complémentaire au sien ; ou encore cet enfant parle toutes les nuits avec les esprits, c'est pourquoi il ne parvient pas à apprendre la langue des humains etc.

Implications théoriques

En matière de psychopathologie, d'après cette proposition, le noyau des personnes ne se trouverait pas à l'intérieur d'elles, mais dans un espace public, dans les objets inventés par le groupe et fabriqués par des professionnels. Je dois néanmoins préciser à nouveau que lorsque je dis "personnes", je ne parle pas des sujets, mais des patients - ou plutôt de ces "modèles idéaux", de ces eidolon , ces artefacts produits par les professionnels. Ainsi en est-il de l'homo psychanalyticus , mais tout autant du Mossi ou du Yoruba "traditionnel".

Pour rendre compte de ce que l'ethnopsychiatrie met à jour, il s'agit rien moins que de changer l'objet de la psychopathologie. Il ne serait plus question d'étudier des symptômes, syndromes, structures, éventuellement même des maladies, mais de décrire, puis d'apprendre l'usage d'objets thérapeutiques tels qu'ils sont inventés et fabriqués par les groupes humains. Lorsque je parle d'objets, j'entends tout type d'objets : les théories, les prières, les chants, les récits, mais aussi les choses - les plantes, les statuettes, les calebasses, les objets de divinations, les crânes, etc.

Car il n'y a aucune raison de penser que ce qui vient d'être établi n'est valable que pour les groupes non-occidentaux. Nous pensons au contraire qu'une telle théorie est tout aussi utile avec nos patients autochtones ; c'est-à-dire que nous sommes bien plus proches de la réalité de notre travail clinique lorsque nous envisageons nos patients "fabriqués" - et non pas spontanés - fabriqués par notre propre théorie , bien sûr, mais aussi par les théories successives des professionnels qui nous ont toujours précédés.

En un mot, l'ethnopsychiatrie que nous pratiquons n'est en aucune manière relativiste ; elle est constructiviste ! Plus que cela : elle tâche de plus de poser les bases d'une véritable psychothérapie constructiviste.

Conséquences déontologiques

Si l'ethnopsychiatrie est constructiviste, le patient perd du coup sa position d'objet, d'être étrange et mou qu'il faut traverser jusqu'à apercevoir les éléments qui nous intéressent en lui. Plus question de lui attribuer une nature puis "d'interpréter" son fonctionnement à partir d'une théorie. Il devient dès lors partenaire obligé (et dans les deux sens du mot "obligé" : "obligatoire" et "contraint ")[42]"), indispensable alter ego d'une recherche entreprise en commun. L'ethnopsychiatrie a pris l'habitude de repenser avec le patient tant sa souffrance singulière – ce que font habituellement les thérapies par la parole – que les théories qui ont contenu cette souffrance, qui l'ont, comme on l'a vu, construite, élaborée. Généraliser la logique de l'ethnopsychiatrie à tout patient, quelle que soit son origine, amènerait à ne jamais hésiter à le penser "construit" comme "cas" ; à postuler que cette fabrication le concerne et l'intéresse, qu'il est l'interlocuteur privilégié de ce que la théorie pense de lui. Promu informateur pour le coup, le patient est invité à discuter les observations des thérapeutes, à argumenter leurs hypothèses, à partager, enfin, la responsabilité du traitement dès lors élaboré en commun. Ainsi conçue, l'ethnopsychiatrie engendre par une sorte de procès naturel une rigueur éthique puisqu'elle ne se soumet pas aux règles déontologiques de restitution comme à une contrainte externe. L'obligation du partage des interprétations avec le patient, la construction de la "vérité" au décours d'un dialogue contradictoire auquel participe réellement le patient et ses représentants, font partie de ses postulats théoriques et donc de sa pratique clinique habituelle.

Au fond, une telle thérapie réalise l'idéal de la psychanalyse – de permettre au patient de se saisir d'une part de ce qui l'a constitué ; de participer à la construction de ce qui le constitue aujourd'hui, hic et nunc.

Transmission

Si, comme j'ai pu le laisser entendre tout au long de cet exposé, Georges Devereux aurait sans doute été en désaccord – mais comment faire parler les morts ? – tant techniquement que politiquement avec la pratique de l'ethnopsychiatrie clinique, je suis intimement persuadé que le souffle est passé, a été transmis. Son effort continu vers toujours plus de scientificité, toujours plus pointue ; son intérêt permanent pour toutes les disciplines connexes, pour la biologie, l'éthologie, la physique, la psychologie que l'on n'appelait pas encore cognitive, envisagées en tant que pratiques et non comme résultats, constitue à mes yeux l'aspect le plus inventif, le plus authentiquement original de son travail. C'est pourquoi nous avons donné son nom au centre universitaire dont j'ai eu la responsabilité ces six dernières années. C'est donc cette perspective, que l'on peut dire aujourd'hui à la fois matérialiste, constructiviste et centrée sur la recherche que l'ethnopsychiatrie que je pratique tente de mener aussi loin que l'expérience clinique le lui permet.

Définition
 

Après toutes ces précisions, voici maintenant comment je définirai l'ethnopsychiatrie :

  1. Une discipline clinique qui se donne pourtant pour objet l'analyse de tous les systèmes thérapeutiques, envisagés comme systèmes d'objets ; tous les systèmes, sans exclusive ni hiérarchie, qu'ils se revendiquent "savants" ou qu'ils se présentent comme spécifiques à un collectif, à une communauté - ethnique, religieuse ou sociale. L'ethnopsychiatrie se propose de les décrire, d'en extraire la rationalité propre et surtout de mettre en valeur leur caractère nécessaire. Cette discipline revendique une scientificité spécifique du fait que, envisageant les systèmes thérapeutiques comme la propriété de groupes - selon la formule énoncée plus haut : les groupes fabriquent les objets qui fabriquent à leur tour les personnes -, elle cherche à démontrer ses hypothèses en inventant des méthodes permettant aux représentants de ces groupes de se prononcer sur leur validité.
  2. Une discipline qui se propose d'éprouver les concepts de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie aux risques des théories des groupes dont elle étudie les dispositifs thérapeutiques. Elle crée des situations, imagine des dipositifs, invente des méthodes destinées à mettre ces théories à l'épreuve des réalités culturelles et cliniques qu'elle observe.
  3. Une pratique clinique qui considère que la démarche et les résultats des points (1) et (2) concernent avant tout les patients ; une pratique qui s'intéresse à un débat contradictoire avec eux ; une pratique, enfin, qui construit consciemment des espaces interdisant aux thérapeutes la pratique de l'injure [43] adressée aux patients, à leur famille ou à leurs groupes - je veux dire qui ne se contente pas de confier le respect de cette régle à la valeur morale du thérapeute, mais s'engage activement à construire un dispositif qui l'interdit concrètement.
   
Si vous souhaitez écrire à l'auteur : Tobie Nathan
 

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Notes
 
[1]Professeur de Psychologie clinique et pathologique, Centre Georges Devereux, Université de Paris 8.

[2]. Selon un adage talmudique.

[3]."En 1968, il est furieux. « Mon coeur crevait d'angoisse et de souci pour ces jeunes qui se préparaient un monde invivable, totalitaire. Ils n'avaient aucune chance d'établir leur monde anarchiste et idéaliste ». Catherine Clément : "De l'angoisse à la méthode" par Georges Devereux. Libération du 20 mai 1980, p. 34.

[4]."Méconnu, Georges Devereux l'est resté parce qu'il a toujours été rebelle, et d'abord rebelle à « l'establishment » : il n'a jamais rien demandé à personne, et cela se sent. D'où vient-il ce génie étrange, cet espèce de sorcier brûlé au dessus de lui-même ?" Libération du 20 mai 1980, p. 34.

[5]. en tant que "chargé de conférences".

[6]. G. Devereux, De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Paris, Flammarion, 1980, p. 412.

[7]. "Bohr et Jordan ont prouvé de façon décisive que, si on veut déterminer complètement les fonctions de la vie, on est obligé de pénétrer si loin dans l'organisme - de perturber si radicalement son état essentiel - que l'on abolit de ce fait précisément le phnéomène que l'on cherche à étudier : la vie." G. Devereux, De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Paris, Flammarion, 1980.

[8]. ibid , p. 413.

[9]. Formulations que l'on trouve déjà chez Ferenczi sous forme d'hypothèses. Cf Ferenczi S. - posthume : (1932) Journal clinique . Paris, Payot, 1985.

[10]. Centre Georges Devereux - Centre Universitaire d'aide psychologique, Université de Paris 8, 2, rue de la Liberté - 93 Saint-Denis.

[11]. Y compris Georges Devereux qui, bien que parlant couramment au moins sept langues, ne discute qu'en passant des problèmes posés par la traduction dans le processus psychothérapique. Cf Nouvelle Revue d'ethnopsychiatrie, N°25/26: Traduction et psychothérapie 1994.

[12]. Cf à ce sujet le bel essai de Sybille de Pury : Traité du malentendu. Théorie et pratique de la médiation interculturelle en situation clinique. Paris, Synthélabo, Les empêcheurs de penser en rond, 1998.

[13]. Voir la passionnante discussion du concept de placebo dans Ph. Pignarre - 1997 : Qu'est-ce qu'un médicament ? Paris, La Découverte, 1997.

[14]. G. Devereux, Essais d'ethnopsychiatrie générale , Paris, Gallimard, 1970, p. 18.

[15]. Levy-Bruhl L. - La mentalité primitive. Paris, P.U.F., réédition. On retrouve néanmoins dans des textes récents de psychanalystes des développements très semblables à ceux du début du siècle : "L'homme primitif se façonna des armes et des outils qu'il sacralisa, les investissant d'un pouvoir magique qui dépassait le sien propre. Il fabriqua de même des idoles et des fétiches, projections signifiantes de son narcissisme. Les idoles représentaient (et représentent encore de nos jours dans la mesure où leur culte survit, plus ou moins masqué) les vertus et les pouvoirs que l'homme voudrait posséder d'une façon absolue à ce titre les idoles pourront être le support de sa haine projetée et être des objets de crainte." etc. B. Grunberger, P. Dessuant : Narcissisme, christianisme, antisémitisme ; Actes Sud, 1997. Aucun intérêt par conséquent pour les techniques des fabricants et des manipulateurs de fétiches, pas plus pour leur philosophie ou leur construction du monde, une nouvelle fois réduits au statut d'infantiles masturbateurs.

[16]. Freud, Totem et tabou, op. cit. ; Voir aussi la critique de la représentation que l'Occident se fait des "primitifs" dans M. Gauchet - 1985 : Le désenchantement du monde . Paris, Gallimard.

[17].Voir certains travaux actuels d'une ethnopsychiatrie que l'on pourrait dire "à l'ancienne", une ethnopsychiatrie qui récuse la spécificité de sa propre démarche; qui donc interprète les actes et surtout les pensées qu'elle impute à ceux qu'elle observe. Dans ce type de démarche, les autres agissant, donc, mais de manière intuitive, les théories qu'ils construisent pour rendre compte de leurs actions ne pourront être considérées que comme faits à observer . Exemples : Ortigues M.C., Ortigues E. - Oedipe africain. Paris, Plon, 1966 ou Pradelle de la Tour C.H. - 1995 - Ethnopsychanalyse bamileke . Paris, pour les interprétations lacaniennes ; Juillerat B. - 1991 : dipe chasseur. Une mythologie du sujet en Nouvelle Guinée. Paris, P.U.F., pour les interprétations psychanalytiques plus "classiques".

[18]. I. Stengers - 1997 : Cosmopolitiques, tome 7, Pour en finir avec la tolérance. Paris, La découverte-Synthélabo, les Empêcheurs de penser en rond.

[19]. Selon l'expression d'Isabelle Stengers dans "Le médecin et le charlatan" in T. Nathan et I. Stengers - 1995 : Médecins et Sorciers, Les empêcheurs de penser en rond, Paris, Synthélabo, 1995.

[20]. Voir le développement exponentiel des groupes de prières qui sont de véritables lieux thérapeutiques traditionnels adaptés au monde moderne dans les grandes métropoles, partout à travers le monde. Cf Piault C. ed. - Prophétisme et thérapeutique. Albert Atcho et la communauté de Bregbo. Paris, Hermann, 1975 ; Dozon P. - 1995 : La cause des prophètes. (politique et religion en Afrique contemporaine) Paris, Le Seuil ; Nathan T., Hounkpatin L. - 1996 : La parole de la forêt initiale. Paris, Odile Jacob.

[21]. Praphrasant un adage, paraît-il chinois, lorsque le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt .

[22]. À la différence, tout de même notable de Marcel Mauss.

[23]. Cf G. Róheim - 1943 : Origine et fonction de la culture. Paris, Gallimard, 1967.

[24]. G. Devereux, Ethnopsychanalyse complémentariste . Paris, Flammarion, 1972, p. 252.

[25]. G. Devereux, Ethnopsychanalyse complémentariste, op. cit., p. 256.

[26]. Cf I. Stengers, Cosmopolitiques I, La guerre des sciences . Paris, Paris, La découverte-Synthélabo, les Empêcheurs de penser en rond, 1996.

[27]. B. Saura (1993).

[28]. L. Berger, Anthropologie politique des systèmes de soins magico-religieux. L'exemple des cultes de possession bamanan au Bèlèdugu (Mali). Mémoire de DEA d'Anthropologie, sociologie du politique et du développement. Université Paris 8, juin 1997.

[29]. Travail de terrain effectué par Geneviève Nkoussou et Jérôme Weisselberg ; non publié.

[30]. Observation personnelle.

[31]. Voir la description des Dangaleat par Pouillon qui montre que là, toute vocation est avant tout une affliction. En d'autres mots : c'est la maladie qui qui promeut le sujet au rôle social qu'il va tenir et le valide pour cette fonction. Pouillon J. - 1970 : "Malade et médecin : le même et/ou l'autre. Remarques ethnologiques." - Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1, 76-98.

[32]. Il n'est pas étonnant que ce soit dans l'héritage de Michel Foucault qu'on retrouve les tentatives les plus originales d'utilisation des associations de malades dans la recherche, par exemple dans les travaux de Daniel Defert. La publication récente des cours de Foucault au collège de France nous fournit d'ailleurs des pistes théoriques pour réutiliser les « savoirs assujettis ». "Par « savoirs assujettis », j'entends également toute une série de savoirs qui se trouvaient disqualifiés comme savoirs non-conceptuels, comme savoirs insuffisamment élaborés : savoirs naïfs, savoirs hiérarchiquement inférieurs, savoirs en dessous du niveau de la connaissance ou de la scientificité requises c'est par la réapparition de ces savoirs locaux des gens, de ces savoirs disqualifiés que s'est faite la critique" Michel Foucault : « Il faut défendre la société. » Cours au Collège de France. 1976. Paris, Gallimard, Seuil, 1997, p. 9.

[33]. Oliver Sacks, Un anthropologue sur Mars. Sept histoires paradoxales Paris, Le Seuil, 1996.

[34]. Il me semble même que c'est la seule méthodologie, du moins pour la psychopathologie et la psychothérapie, permettant d'échapper au reproche de Popper accusant les psychanalystes de produire des énoncés "non-réfutables".

[35]. Confrérie à fonction aussi thérapeutique, regroupée autour du tombeau d'un saint. Cf, par exemple, A. Chlyeh : - 1995 La thérapie syncrétique des Gnaoua marocains. Thèse de doctorat d'ethnologie, Université de Paris VII.

[36]. Le texte initial : G. de la Tourette - 1885 : "Etude sur une affection nerveuse caractérisée par l'incoordination motrice accompagnée d'écholalie et de coprolalie (jumping, latah, myriatchit)" ; Archives de neurologie , 9, 19-42 et 158-200.

[37]. Jilek G. : Culture "Pathoplastic" or "Pathogenic"? A key question of Comparative Psychiatry. Curare (Journal of Ethnomedicine and Transcultural Psychiatry , Heidelberg, 1982, 5: 57-68.
[38]. Cité par Collignon, "Pour un retour sur les "culture-bound syndromes" en psychiatrie transculturelle." Santé, Culture, Health, VI, 2, 149-162.1989.

[39]. G. Devereux, Ethnopsychiatrie des indiens mohave . Tr. fr. : Paris, Synthelabo, Les empêcheurs de penser en rond, 1996.

[40]. Pour une belle analyse moderne de la façon dont on fabrique des "cas" à l'hôpital psychiatrique, voir R. Barrett : La traite des fous , Paris, Synthelabo, Les empêcheurs de penser en rond, 1998.

[41]. Voir le développement de ce point de vue dans T. Nathan, "Éléments de psychothérapie" in T. Nathan, A. Blanchet, S. Ionescu, N. Zajde : Psychothérapies . Paris, Odile Jacob, 1998.

[42]. Dans le sens de l'expression "je suis votre obligé".

[43]. Au sens où Isabelle Stengers l'emploie - séminaire, 97/98.
 
 
Sommaire : Ethnopsychiatrie "à la française " clic Les contradictions de l'ethnopsychiatrie théorique clic Pratiques clic Langues et langage clic Le problème de la guérison clic La question de la validité des théories culturelles clic Que faire des groupes ? clic Les dispositifs thérapeutiques clic Implications théoriques clic Conséquences déontologiques clic Transmission clic Définition clic Références bibliographiques clic
 
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Sur Georges Devereux
Les archives de Georges Devereux à l'IMEC : "Les archives des travaux de recherches ethnologiques et psychanalytiques de Georges Devereux comprennent d'une part, de la documentation, des fichiers, des bibliographies, des notes de travail, des notes de terrain, des photographies, des tirés à part, des manuscrits de ses principales œuvres et articles dont les plus connus sont consacrés à l'Antiquité grecque, les populations sedang-moï et mohaves…"
 
en anglais, un texte de Alain Giami : Counter-transference in social research: beyond George Devereux, publié dans Papers in Social Research Methods - Qualitative Series, no 7, [ed MW Bauer].London School of Economics, Methodology Institute.
 

Un texte de Georges Bloch : Les origines culturelles de Georges Devereux et la naissance de l'ethnopsychiatrie.
Il s'agit d'un mémoire de DEA réalisé par Georges Bloch dans le cadre de l’Institut d’Études Européennes de l’Université de Paris 8 (Mutations des sociétés et cultures en Europe). Il parcourt le contexte social et politique de l'Autriche Hongrie qui a vu la naissance et la jeunesse de Georges Devereux. Il évoque également l'ambiance culturelle dans laquelle ont évolué les émigrés d'Autriche Hongrie en Europe et aux USA avant et après la seconde guerre mondiale.

Bibliographie des publications de Georges Devereux
384 références établies par Georges Bloch dont on peut penser qu'elles représentent la quasi totalité des oeuvres de Georges Devereux — poèmes, articles dans des revues littéraires et scientifiques, compte rendus d'ouvrages, livres. Une base de travail pour les chercheurs.

Éléments biographiques
Bibliographie de l'ensemble des articles de revue ou des préfaces évoquant la vie et l'oeuvre de Georges Devereux.

Georges Devereux, un hébreu anarchiste
En texte intégral, la préface de Tobie Nathan à Ethnopsychiatrie des Indiens Mohave de Georges Devereux, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1996.

"Quelques grandes voix juives en matière d’anthropologie et d’ethnopsychiatrie" Texte d'une conférence prononcée le 19 mars 2009 au Collège académique de Netanya dans le cadre de la journée de la francophonie intitulée: Les grandes voix juives francophones

 
Un texte de Georges Devereux : La pseudo homosexualité grecque et le "miracle grec" paru en français dans Ethnopsychiatrica, II, 2, 1979, 211-241. Un article célèbre dans lequel Devereux met en question l'idée habituelle selon laquelle l'homosexualité aurait paru "naturelle" aux Grecs de l'âge classique, notamment aux Grecs non “psychiquement homosexuels”. Un exemple typique de la pensée de Georges Devereux.