Les psy à l’épreuve des transsexuels …


ou penser les êtres humains sans le sexe.

 

Jean-Luc Swertvaegher [1]


Conférence prononcée le 12 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l'épreuve de ses usagers.
Introduction
 
Je vais vous raconter une histoire. Une histoire de conception. De conception qui n’a pas tourné comme l’espéraient les concepteurs. Une histoire qui n’est pas finie. Qui continue de s’écrire. L’histoire des transsexuels. De ce qui s’est joué entre les transsexuels et les psy. Mais je préfère vous prévenir tout de suite : ce n’est pas une histoire sexuelle, de sexualité. Autant lever tout de suite le risque d’un malentendu car nous verrons qu’il y en a eu un malentendu, et de taille, entre les psy et les transsexuels à propos de savoir si la transsexualité était affaire de sexe, de sexualité ou pas.

Cette histoire va nous permettre d’illustrer quelques questions que notre colloque se propose d’ouvrir, notamment :

Que se passe-t-il quand les psy se retrouvent face à des patients qui refusent d’adhérer à leurs théories – ou plus précisément qui refusent de se soumettre à ce à quoi les obligeraient les théories psy ?

Que se passe-t-il quand les choses se retournent ? Quand les psy, après avoir échoué à convaincre leurs patients, que pour leur bien, il serait nécessaire que ces derniers acceptent de « changer ce qu’ils ont dans la tête », se retrouvent finalement contraints d’être ceux qui devraient « changer ce qu’ils ont dans la tête » ?

Que devient la psychothérapie quand elle s’adresse à des humains dont la construction évolue sans cesse du fait de se réaliser en prise directe avec des opérateurs high-tech de transformation du monde alors que la construction des psy est armée par des théories qui, elles, exigent que le monde reste peuplé par des êtres dont le fonctionnement aurait été défini une fois pour toutes ?
Que se passe-t-il quand les psy se retrouvent acculés à devoir se demander si le monde a encore besoin d’eux, à quel endroit et à quelles conditions ?

Toutes ces questions, nous les avons vues surgir quand, au centre Georges Devereux, s’est ouvert un espace de recherche en clinique autour de la question de la transsexualité. De 96 à 2001, nous avons reçu des transsexuels et des familles de transsexuels, des personnes qui étaient engagées dans un parcours de réassignation de genre et qui, durant leur parcours, ont trébuché et se sont trouvées fragilisées au point de ne plus pouvoir supporter un accompagnement psychologique que si les psy s’engageaient à ne pas disqualifier leur démarche, à travailler AVEC eux et non CONTRE eux.
Mais commençons par l’histoire :
télécharger
au format word :


Quand les psy inventent les trans

 

Premier temps : les psy créent un nouveau syndrome, le syndrome de transsexualisme.


Il était une fois… le 18 décembre 1953 à New York. Ce soir-là, les transsexuels ont été conçus par les psychiatres. Comment ? En inventant un nouveau syndrome. Le syndrome de transsexualisme qu’on appelle aussi syndrome de dysphorie de genre ou même syndrome de Benjamin.

C’est, en effet, ce soir-là, lors d’un symposium organisé par l’Association pour le développement de la psychothérapie, que le psychiatre Harry Benjamin réussit à faire adopter par ses pairs l'idée qu’il est désormais nécessaire d’inventer un nouveau syndrome qu’il va nommer le syndrome de transsexualisme et qu’il va définir ainsi :

« Le transsexualisme est une entité nosographique qui n’est ni une perversion ni une homosexualité. C’est le sentiment d’appartenir au sexe opposé et le désir corrélatif d’une transformation corporelle. »
Pourquoi cette invention ?

Essentiellement parce que, déjà, dans les années 50, la transformation du monde est telle qu’il est désormais possible, techniquement, de métamorphoser une personne de manière à ce qu’elle soit « crédible » en tant qu’appartenant au genre opposé à celui de sa naissance. L’endocrinologie a mis au point des hormones de synthèse et la chirurgie plastique a appris à réaliser des phalloplasties en intervenant sur les blessés de la première guerre mondiale.

Parce qu’aussi, déjà, dans les années 50, des personnes ont changé de genre – et surtout, l’ont fait savoir – par des autobiographies, par les médias. Le monde a changé et Harry Benjamin a bien compris qu’il allait devenir de plus en plus délicat de continuer à penser ces gens-là comme relevant de la catégorie fourre-tout des sujets atteints de perversions sexuelles.

Second temps : ce qu’a déclenché cette invention

Si nous regardons les choses du côté des psy :
En créant un nouveau syndrome (le syndrome de transsexualisme), les psychiatres vont faire deux choses :

1°) ils vont proposer aux candidats à la transformation de se penser autrement, d’adopter une nouvelle identité, et ce faisant, de ne plus être seul mais de faire partie d’un nouveau groupe, de se penser comme appartenant à une nouvelle niche dans le monde. Ils vont re-qualifier leur mal-être, - ce qui était vécu jusqu’alors comme quelque chose d’honteux, d’inavouable, de secret, d’ingérable du fait d’être confondu avec de la perversion sexuelle – va devenir une maladie.

2°) Les psychiatres vont aller aussitôt s’instituer comme les gardiens du protocole de traitement de cette nouvelle maladie ; ils vont se charger de l’expertise des candidats au parcours de transformation. En France, aujourd’hui encore, des équipes officielles réclament l’exclusivité de ce contrôle du parcours des transsexuels.

Le psychiatre va devenir ce personnage-clé auquel tout candidat à la transformation de genre aura obligatoirement affaire puisque c’est lui qui vérifie les conditions d’entrée mais aussi de sortie dans les procédures de THC (transformation hormono-corporelle).

L’entrée : Un candidat au parcours de transformation ne devient transsexuel que dans le cabinet d’un psychiatre : c’est ce dernier qui délivre l’attestation le désignant comme un sujet malade, atteint du syndrome de transsexualisme (ou de dysphorie de genre).

La sortie : C’est aussi le psychiatre qui réapparaît à la fin du parcours de réassignation, quand la personne transformée demande à la justice d’officialiser son changement d’état civil. Les magistrats, pour se prononcer, mandatent un expert, le psychiatre, lequel évalue la crédibilité du nouvel être transformé dans son nouveau genre.

Cette attestation est un véritable sésame pour les candidats à la transformation. Elle est nécessaire pour que le nouveau transsexuel puisse obtenir une prise en charge de ses opérations à 100% par la sécu. et que la personne puisse bénéficier ainsi des hormones délivrés par un endocrinologue, des séances de phoniatrie, d’épilation au laser puis des lourdes opérations chirurgicales et, in fine, l’officialisation de la réassignation de genre, par la justice.

Une parenthèse : Les transsexuels qui n’obtiennent pas l’attestation sont souvent obligés d’en passer par la prostitution pour ne pas être empêchés de se procurer les hormones et pouvoir quand même se faire opérer et ce, au risque de se retrouver séropositifs et, par la suite, de nouveau coincés par l’incompatibilité des effets des traitements tri-thérapie/hormonothérapie.

Mais revenons à cette fameuse attestation, à ce que font les psychiatres avec ce pouvoir de décider ou non de délivrer l’attestation ?

Ils vont contraindre les candidats transsexuels à se penser – ou plus précisément à se soumettre à la contrainte de devoir jouer le jeu de se penser – comme des sujets « malades » mais aussi - et surtout - à devoir suivre une psychothérapie. Une psychothérapie où le psy est quasiment explicitement mandaté par le psychiatre pour tout faire pour tenter de changer ce que le patient a dans la tête. Tout faire pour attaquer ce désir qui se manifeste sous forme d’une revendication : vouloir modifier son corps, son apparence, son identité. Or, ce n’est que si le psy échoue que le transsexuel aura son attestation. Seuls les récalcitrants à la psychothérapie obtiennent la fameuse attestation et le droit de rejoindre la population des transsexuels.

Comment comprendre une telle position de la part des psy ? Tout simplement parce que les psy sont agis par des théories. En l’occurrence, ici, la théorie de la sexualité : face à un candidat à la transformation transsexuelle, un psy verra un sujet qui doit à tout prix être protégé. Pour le psy, il faut protéger le sujet contre lui-même – contre ses propres désirs… contre le risque qu’il cède à un désir fou. Et comme la médecine est prête à se faire la complice des désirs fous des patients, il faut protéger le candidat transsexuel contre la médecine. Pour les psy, les médecins ne devraient intervenir que pour de bonnes raisons : pour réparer des désordres, mais surtout jamais pour le seul motif de satisfaire les désirs des patients. Or, la médecine ne discrimine pas entre les bonnes et les mauvaises raisons. C’est pour cela qu’il faut des experts – des experts-psy, les seuls capables de débusquer une pulsion de « passage à l’acte délirant » qui se cacherait sous une demande d’intervention médicale.

Si nous regardons maintenant les choses du côté des candidats à la transformation :

La création, par la psychiatrie, du syndrome de transsexualisme comme nouvelle entité nosographique va provoquer le regroupement des personnes qui se sentent appartenir au genre opposé de celui auquel leur corps sexué les assigne depuis leur naissance. Les candidats au parcours de réassignation vont, en fait, venir se loger dans la proposition de la psychiatrie, accepter de se penser comme des « malades » de manière à ce qu’on cesse de les confondre avec les travestis et les pervers. Mais ils vont surtout s’organiser en collectifs et contraindre les professionnels à répondre des conséquences du mode avec lequel ces derniers ont décrété de se saisir de leurs spécificités.


Ce que cette histoire nous apprend sur le rôle des associations de transsexuels


La nécessité, pour les trans, de réussir à effracter les psy.
 
 

Les personnes transsexuelles – ou plutôt les collectifs de transsexuels - ne vont alors cesser de réclamer l'accès aux traitements médicaux que les endocrinologues et les chirurgiens-plasticiens mettent au point ; traitements qui, seuls, rendent possible la transformation de leur corps et, au final, l'obtention d'une re-assignation juridique et sociale dans le genre compatible avec ce qu’ils sentent, ce qu’ils savent qu’ils sont depuis toujours.

Les associations trans vont initier des débats avec les endocrinologues, les chirurgiens-plasticiens. Elles vont mettre les techniciens les plus performants en concurrence les uns avec les autres, les obliger à améliorer leur savoir-faire, à tenir compte des effets secondaires des traitements, des opérations. Les médecins les plus à la pointe dans leur discipline vont rapidement jouer le jeu de la concertation, du travail en commun et de la recherche de nouvelles méthodes d’intervention et ce, avec leurs patients. Leur intérêt ? Affiner leurs techniques, les perfectionner sans cesse. Rester à la pointe de la recherche, de l’innovation, du savoir-faire de leur discipline. Ainsi, les progrès, dans les réalisations de mammoplasties pour les transsexuels F To M (femme vers homme) ont servi, par la suite, à améliorer les techniques opératoires des femmes atteintes d’un cancer du sein.

En revanche, avec les psy, les choses vont prendre rapidement une autre tournure : c’est la guerre qui va s’installer entre les associations de patients et les psy.

Obligé par le protocole du parcours de réassignation à entreprendre une psychothérapie, le candidat transsexuel, tant qu’il était isolé et seul, ne pouvait que se sentir disqualifié, effracté, insulté par le psy qui, face à lui, n’avait qu’une seule idée en tête : débusquer chez son patient l’indice que sa revendication de changer de genre n’est qu’un délire, une idée folle, la preuve que Freud avait raison quand il a énoncé que les êtres humains ne peuvent être pensés qu’à l’aune de la théorie de la sexualité. Stoller, dans les années 70, deviendra le chef de file de cette position en différenciant les ts primaires (ceux qui sont irrémédiablement étanches aux influences de la psychothérapie), des ts secondaires (ceux dont le désir transsexuel a surgi plus tardivement ; ceux que Stoller estime pouvoir être sauvés de la mutilation médicale ; ceux qui, pour Stoller, ne devraient être traités que par la seule psychothérapie).

Seulement, du fait de l’existence des collectifs de transsexuels, les psy n’ont plus eu affaire à des patients seuls et isolés. Dans les associations de trans, les candidats au parcours ont appris à déjouer les stratégies des psy visant à inscrire la revendication transsexuelle au fin fond de l’intériorité des sujets. C’est alors qu’ils ont répliqué aux psy que la transsexualité n’avait rien à voir avec des histoires de sexualité.

Tout s’est passé – et tout se passe encore bien souvent - comme si les transsexuels s’évertuaient à dire aux psy :

« C’est vous, les psy, qui devez changer ce que vous avez dans la tête ». « Arrêtez de vous comporter en adeptes inconditionnels d’une théorie qui empoisonne notre existence, qui cherche à nous dissuader de faire ce qu’il faut pour que nous puissions, enfin, nous sentir pleinement vivants. La théorie de la sexualité qui vous agi, qui vous possède vous pousse à ne plus vous comporter comme des psy mais comme des garants d’un ordre moral ».

Colette Chiland, Patricia Mercader, Lacan lui-même se sont alors retrouvés dans la même position que celle des psy les plus opposés aux Gay quand ces derniers ont réclamé que l’homosexualité soit retirée du DSM.

Dans cette guerre avec les psy, les trans ne poursuivent qu’un seul objectif : faire éclater les certitudes des psy, les obliger à lâcher la théorie de la sexualité pour qu’ils arrêtent de penser la transsexualité de manière distordue:

Tout s’est passé – tout se passe souvent encore - comme s’ils s’évertuaient à répéter aux psy :

« Nous sommes la preuve vivante de l'échec de la théorie de la sexualité à pouvoir penser ce que nous sommes. Ce n’est pas dans la sphère familiale et privée que nous nous construisons mais bien dans l’espace public, directement en prise avec des acteurs institutionnels : des endocrinologues, des phoniatres, des épilateurs, des chirurgiens plasticiens, des magistrats. Contrairement à ce que vous affirmez, nous sommes la preuve que Freud avait tort :

« Aidez-nous à changer de genre et nous ne serons plus malades. Et nous ne serons plus transsexuels. Lâchez vos concepts essentialistes comme ceux de « troubles de l’identité », de « dysphorie de genre ». Nous ne les validons pas. Vous vous entêtez à vouloir penser nos spécificités en les saisissant à l’envers : nous n’avons aucun trouble de l’identité, ni de dysphorie de genre. Ce n’est pas notre identité ou notre genre, qui est un problème pour nous. Notre problème, ce sont les difficultés qu’on nous oppose à pouvoir mettre notre corps en conformité avec l’identité, le genre qui correspondent à ce que nous avons toujours senti – ou pressenti – de ce que nous sommes. C’est pourquoi même l’identité transsexuelle, n’est, pour nous, qu’une identité provisoire ».

L’obligation, pour les psy, de tout lâcher, de se déprendre de leurs théories.

Les transsexuels ont opéré une boucle très singulière dans leur rapport à la psychologie et à la psychiatrie, en réponse à la manière dont les tenants de ces disciplines se placent vis à vis de leur aventure. Se déployant à partir du fameux « syndrome de Benjamin », se regroupant donc autour d’une catégorie psychiatrique, ils sont entrés ensuite en guerre contre ceux qui utilisent la psy pour les détourner de leur entreprise, qui les considèrent comme des malades à soigner, pas comme des personnes à réassigner. Au moment de leur parcours de transformation, ils n’ont plus fait alliance qu’avec des institutions susceptibles de participer concrètement à leur métamorphose : jusqu’à ces dernières années avec le psychiatre et son attestation de syndrome de transsexualisme, avec l'endocrinologue et ses hormones, avec le phoniatre et son savoir-transformer-la-hauteur-de-la-voix, avec l'épilateur et son laser, avec le chirurgien et sa technique d'opération plastique, avec le juriste et son attestation de réassignation de genre….

Depuis ces dernières années, les associations de transsexuels ont suffisamment acquis de force pour fédérer leurs actions avec d’autres collectifs militant contre les discriminations dont sont victimes les minorités sexuelles.

En faisant alliance avec les mouvements gay et lesbiens, en ayant recours au droit européen garantissant l’accès pour tous aux soins et aux traitements, en allant se faire opérer en Belgique, en Angleterre, en Suisse et même en Thaïlande, en utilisant les médias pour afficher une plus grande lisibilité de leurs spécificités et de leurs revendications, les trans ne sont plus dans l’urgence de devoir lutter contre l’amalgame « trans-travesti-déviant sexuel ». Ils sont maintenant en passe de ne plus avoir besoin de faire croire aux psys qu’ils acceptent de se penser comme des malades. A tel point qu’aujourd’hui, le mot d’ordre des collectifs de transsexuels est désormais : « dé-psychiatriser la transsexualité ».

Cela veut dire que les transsexuels vont sans doute bientôt réussir à échapper aux dictats imposés par les équipes officielles tenues par des psychiatres… ce qui, par voie de conséquence, signifierait également que les trans n’ont plus besoin des psy.

Bonne nouvelle pour les trans … Mauvaise nouvelle pour la psychologie car s’il y a bien un domaine où elle aurait pu apprendre de ses usagers, c’est bien celui qui recouvre la clinique de la transsexualité. C’est du moins ce que nous avons retenu de notre expérience avec les transsexuels, avec les collectifs de transsexuels.

Animés de l’intention de mettre l’ethnopsychiatrie à l’épreuve de la transsexualité – c’est-à-dire en faisant tout pour ne pas nous retrouver face à un sujet uniquement réduit à un seul psychisme -, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’apprendre à apprendre des transsexuels et j’ai quelques raisons de penser que les associations de transsexuels ont aussi appris du travail que nous avons mené ensemble.

Malheureusement, je n’ai pas le temps de vous raconter tout ce que nous avons appris, comment nous l’avons appris. Juste le temps peut-être de vous évoquer un point qui montre comment la psychologie a pu devenir intéressante pour nous les psy mais aussi pour ses usagers. Il est vrai que d’avoir eu affaire à des usagers particulièrement résistants à la psychologie nous a particulièrement aidé, puisqu’ils nous ont obligé à faire de la psychologie autrement, à lâcher nos certitudes, à nous en nous détacher… et à nous occuper, justement, de la question des attachements, avec les transsexuels.

On s’est aperçu, en effet, que le risque majeur auquel est confronté un candidat à la métamorphose transsexuelle consiste à se retrouver, par les effets du parcours (et là, je ne parle même plus des effets de la posture des psy), totalement défait, plus du tout un être complexe et multiple mais réduit à un être « mono-élémentaire » - un transsexuel, rien d’autre qu’un transsexuel.

Car le parcours de métamorphose, c’est une obligation, pour le candidat transsexuel de changer en profondeur ses attachements. Un transsexuel est contraint de se couper de ses anciennes relations et de plonger, durant plusieurs années, dans un monde extrêmement réduit et essentiellement peuplé de psy, de médecins, de juristes, d’autres transsexuels avec lesquels il se doit d’être en liens de manière extrêmement serrée. Il doit se soumettre à tout ce qu’obligent ces nouveaux attachements. Or, ce à quoi le transsexuel se trouve obligé par ces nouveaux liens vient souvent mettre en péril d’autres attachements qui comptent pourtant pour lui.

On s’est aperçu que si la personne ne trouvait pas de solution pour réussir à ce que ses autres attachements que ceux imposées par le parcours ne deviennent pas dysfonctionnels, le risque était alors grand qu’elle bascule dans une profonde et durable fragilisation, qu’elle glisse vers la précarité, qu’elle se découvre coincée au beau milieu de son parcours, totalement « seule au monde » et en défaillance de forces.

- Exemples : comment conserver son emploi durant le parcours, notamment quand il est encore impensable de faire son coming out dans son entreprise et qu’il est temps de subir les séances d’épilation au laser qui transforment le visage en une monstrueuse boursouflure qui perdure plusieurs jours ? Comment conserver un minimum de vie sociale quand les hormones se mettent à faire leur effet et qu’il est encore impossible de modifier la hauteur de sa voix, son habillement et que ses papiers d’identité et son numéro de sécurité sociale font que vous n’êtes plus crédible dans aucun genre ?

En travaillant de cette manière, nous avons tenté de faire en sorte que la psychologie produise un surcroît de connaissances sur la transsexualité. Un surcroît de connaissances qui puisse intéresser notre discipline, bien sûr, mais aussi toutes celles qui se trouvent impliquées dans le parcours de transformation, ainsi que les associations de transsexuels. Au cours de notre expérience, nous avons remarqué, par exemple, que les animateurs du collectif trans avec lesquels nous avons travaillé se mettaient à accueillir autrement les personnes qui venaient solliciter un soutien ou un accompagnement auprès de l’association. A accueillir leurs questions, leurs demandes d’aide en tenant compte du caractère complexe et chaque fois singulier de ce qui se trouvait mis en fragilité chez chaque personne et des problèmes sur lesquels elle butait du fait de s’être lancée dans un parcours de transformation.

Tobie Nathan, Jean-Luc Swertvaegher : Sortir d'une secte. Paris, Le Seuil - Les empêcheurs de penser en rond, 2003.

La leçon de l’histoire.
 
Les trans nous apprennent que l’on peut penser les êtres humains sans le sexe, sans la sexualité.
 
 
 
Notes

[1]. Psychologue clinicien au Centre Georges Devereux, Université Paris 8. www.ethnopsychiatrie.net.

 
Droits de diffusion et de reproduction réservés © 2006— Centre Georges Devereux