Propositions pour l'analyse rationnelle des psychothérapies

Tobie Nathan

Proposition 1

 

la psychothérapie est l’art du maniement technique de l’influence, on comprendra que son analyse ne souffre pas l’improvisation, tout comme le travail de l’expérimentateur devient absurde s’il est dicté par la seule fantaisie.

Proposition 2
 

De ce fait, il est légitime de considérer l’espace de la psychothérapie comme un champ de recherche et, s’il se soumet à certaines contraintes, le psychothérapeute comme un chercheur potentiel.

Proposition 3
 

C’est la pensée que cultive le thérapeute, celle qu’il habite et partage avec un groupe de pairs, celle à partir de laquelle il pense le désordre qu’on lui soumet – c’est cette pensée qui est le principal moteur de l’influence – la pensée donc qu’il a réellement et non pas celle que lui prête son patient, sa théorie, par nature œuvre d’un collectif.

Proposition 4
 

Puisque l’on peut considérer que chaque technique thérapeutique est une solution à un même type de problèmes, il nous faut envisager la déclinaison des pratiques des thérapeutes à travers le monde comme un véritable champ d’expérimentation "naturelle".

Corollaire 1 : Admettre ce premier principe m’oblige à tout considérer de ce que font les thérapeutes – je veux dire : à n’en rien jeter, à n’en rien considérer comme secondaire, décoratif, inutile – et donc à m’interdire la pratique de l’interprétation ethnocentrique qui, in fine, aboutit à disqualifier les pratiques que l’on décrit – et avant tout en niant leur caractère nécessaire.

Corollaire 2 : Il me faudra donc considérer justement les pratiques thérapeutiques dans toute leur complexité, non pas en lecture linéaire, mais observée par tous les personnages concernés : les professionnels, les usagers, les opposants à telle ou telle autre technique – et surtout les renégats de la critique desquels sortent souvent les meilleures analyses.

Proposition 5
 

Je propose donc d’étudier les psychothérapies comme le cas particulier d’un ensemble de pratiques en usage dans le monde, destinées à modifier les personnes, les groupes et les situations à partir d’une procédure technique.

Proposition 6
 

Toute thérapie (y compris la psychothérapie) est action sur la matière dans le but de modifier l’être.

Proposition 7
Car ce que nous appellerons désormais les " thérapeutiques ", dont un cas particulier se trouve être les psychothérapies, construisent toujours la vérité en référence à des objets.
Proposition 8
La principale fonction des objets est de démontrer la pensée théorique des thérapeutes.
Proposition 9
 

Le changement ne peut s’opérer que long de la ligne de fuite d’un devenir, pour reprendre les formulations de Deleuze, un devenir, ici de l’humain, vers de l’hétérogène, la plupart du temps vers du non-humain.

Proposition 10
 

Cette ligne de fuite se dessine grâce à l’apparition d’une chose (dans l’exemple précédent : le fluide). Le travail sur l’humain – le travail thérapeutique, autrement dit – consistera à approfondir la connaissance de la chose.

Proposition 11
 

Dans les dispositifs thérapeutiques, l’objet a pour principale fonction de permettre à la théorie spéculative de se développer, de se démontrer, et, in fine, de se répandre par contagion.

Proposition 12
L’objet présente une double garantie : il oblige le thérapeute à faire le pari de l’intelligence du patient ; il permet au patient de situer avec précision la théorie de son thérapeute.
Proposition 13
À chaque mise en œuvre d’une procédure thérapeutique, le thérapeute déploie la totalité du devenir métamorphosique qu’elle propose.
Proposition 14
 

Il s’agira de rien de moins que d’instituer réellement ce que Bruno Latour a fort bien nommé un "parlement des choses" , auquel j’adjoindrai pour ma part une seconde chambre, abritant un "parlement des dieux".

 

 

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