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in Canadian Journal of Psychiatry, Vol 48, No 1, February 2003

Book Reviews

 

Nous ne sommes pas seuls au monde

Tobie Nathan. Paris: Les empêcheurs de penser en rond / Le Seuil; Octobre 2001, 310 p.

 

Psychothérapie individuelle

Évaluation de ce livre : Bon

Revue par Jean-François de la Sablonnière, MD, FRCPC, Montréal, Quebec

Considérons toute forme de psychothérapie comme un " art du maniement technique de l’influence " et tout dispositif psychothérapique comme un lieu de production et de reproduction de pensées. Admettons que chaque technique thérapeutique rencontre les mêmes types de problèmes humains, que chacune propose ses solutions, différentes en raison de leurs divergences théoriques. Pour arriver à ses fins, chacune utilise ses propres " objets " techniques dont la fonction est de démontrer la pensée théorique des thérapeutes. Voyons maintenant la relation thérapeutique comme une entente tacite entre deux individus. D’une part, le patient prend le pari de jouer le jeu de la théorie du thérapeute, de croire en ses "objets " comme moteur du processus de changement. D’autre part, le thérapeute s’engage à mobiliser la " chose ", cet objet doté d’intention fabriqué par la " collectivité " dont il est issu et par lequel le changement devient possible, au profit du patient. Enfin, percevons tout processus thérapeutique comme une tentative de métamorphose ou de reconstruction identitaire à partir des propositions d’un groupe social existant. " Nous ne sommes pas seuls au monde " nous invite ainsi à considérer tout processus thérapeutique dans sa spécificité, et à reconnaître le patient comme un expert, détenteur de ce bagage de connaissance issu de sa collectivité, de ces pensées qui l’autorisent à telle ou telle influence thérapeutique. Dans ce livre, Nathan poursuit sa démonstration selon laquelle " les cas des patients sont construits par les professionnels et évoluent conformément aux théories ayant cours dans leur monde ". Il expose de façon détaillée les " objets " thérapeutiques mobilisés par différents thérapeutes ou guérisseurs et démontre les " paris " de métamorphose sous-entendus.

L’exposé nous mène à considérer l’importance des " êtres ", de la naissance et de la vie du mort et du cadavre, des " djinns ", des fétiches, des textes et des noms dans les différents processus thérapeutiques. La religion, en tant qu’appartenance, devient un levier thérapeutique. Autisme, névroses et schizophrénie sont abordés dans leur spécificité de compréhension culturelle.

D’une grande richesse théorique, ce livre nous force à jeter un regard différent sur nos propres approches thérapeutiques. Ce n’est pas sans un profond amusement que le lecteur occidental découvre les similitudes entre ses pratiques, particulièrement pharmacologiques, et la confection de fétiches du guérisseur congolais. Le lecteur devra toutefois maintenir son intérêt et survivre à une préface philosophique fort longue et verbeuse qui n’est, par chance, pas à l’image du livre entier.

Ce livre se veut une réponse parfois acerbe aux critiques de psychanalystes européens. De nombreuses démonstrations visant à défendre l’approche ethnopsychiatrique face à la psychanalyse peuvent paraître superflues au lecteur nordaméricain pour qui ce débat n’est plus central.

" Nous ne sommes pas seuls au monde " expose la pensée ethnopsychiatrique de façon habile et emploie une approche didactique claire et rigoureuse permettant tant à l’initié qu’au profane de profiter de la lecture. Tobie Nathan, illustre et prolixe diffuseur de la pensée ethnopsychiatrique française dont la réputation n’est plus à faire, nous propose ainsi un voyage dans les modes de pensées de toutes cultures qui saura enrichir la perception que nous avons de nos thérapeutiques, que l’on soit exposé ou non à traiter des individus migrants.

À lire.

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