Première question : comment les professionnels accueillent-ils l’existence des associations d’usagers ?

Table ronde avec les représentants des associations d'usagers

BIPOLAIRE INFO

 

par Stéphane Mesdag[1]


Texte d'une intervention prononcée le 13 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l’épreuve de ses usagers, organisé par le Centre Georges Devereux à l’Institut Océanographique de Paris les 12-13 octobre 2006.[2]
   
Pourquoi le collectif Bipolaire Info ?
 

Bipolaire Info est un collectif de patients qui a décidé d’informer. D’informer de façon simple et claire sur la maladie, le trouble bipolaire. De donner des infos utilisables pour les patients.

Quand on regarde la somme d’informations qu’on reçoit, on a énormément de théorie et peu de choses utilisables en pratique.

Par exemple, on va vous parler du mécanisme théorique du trouble bipolaire. Excusez-moi mais, en tant que patient, qu’est-ce que ça peut nous faire ?

Je suis en dépression, je suis au fond de mon lit. Donc qu’est-ce que ça peut bien me faire que ce soit la molécule X qui interagit avec telle ou telle chose ? Je m’en fiche !
Maintenant, je suis en manie. Alors là, je men fiche direct, puisque je suis en manie !

On a donc décidé de fournir des infos utilisables sur la maladie elle-même, sur les troubles associés comme les toc, les troubles phobiques, etc. et des infos légales : les droits des patients (loi dite « Kouchner datant de 2002), les 100%, la CMU, les ALD, et toutes ces infos qui ne sont pas forcément à portée de main d’un patient découvrant sa maladie.

En même temps, on s’est attachés aussi à militer pour- je dirais – le « patient-patron », le patient patron de sa maladie et des gens qui sont autour. Parce qu’il y a toujours cette vieille habitude, qui est présente dans d’autres disciplines que je connais puisque j’ai un rhumatisme, qui fait que l’on doit affronter les vieux pachas des services : ces pachas qui vous font comprendre que vous n’êtes même plus un patient mais bien un cobaye. Qui, à l’hôpital, discutent de vous comme si vous n’étiez pas là : « On va faire ceci, on va faire cela ». En psychiatrie, je retrouve la même ambiance.

Nous avons ici des hommes qui sont forts de leur science, beaucoup. Certains ont l’humilité de dire qu’ils ne sont pas omniscients, d’autres ont la mauvaise idée de penser le contraire.

Alors, quand un patient arrive et ose affirmer :
- «Mais, attendez, là, vous êtes en train de vous tromper ! »,
On lui répond encore bien souvent:
- «Quoi ? Vous êtes qui, vous ? Vous n’êtes rien !».
Nous, on dit non ! On estime qu’il faut pouvoir dire aux praticiens :
- «Vous, vous êtes nos salariés. Votre boulot, c’est de nous trouver des solutions ».

A partir de là, ça change beaucoup de choses. Heureusement, le temps passant, la mentalité évolue : il y a des médecins, des généralistes, des spécialistes qui commencent à entendre, qui commencent à entamer une relation plus équilibrée, c’est-à-dire qui acceptent que le patient devienne l’acteur de sa maladie.
Ce que vit le patient, ce que sait le patient, ce sont quand même les premiers éléments d’informations pour le spécialiste. Mais en psychiatrie, ce n’est pas encore le cas.
Avec les bipolaires, on a là des patients qui savent quand ils ne vont pas bien, leur entourage sait quand ils vont trop bien (quand ils sont en manie), et ces informations ne sont pas utilisées. Et pourtant quand un patient a un médicament qui ne lui convient pas, les médecins ont cette habitude de dire :
- « Vous verrez, ça se passera, etc ».

Nous militons pour changer tout cela, pour que le patient puisse devenir véritablement l’acteur de sa maladie, qu’il puisse intervenir directement sur les décisions, qu’il puisse dire « oui » ou « non ».

Mais pour pouvoir faire cela, il faut que le malade dispose d’une sorte de socle technique de base qui lui permet de pouvoir dire au médecin :
- « Là, vous vous trompez, ça ne va pas ».

Et notre travail, c’est simplement cela : mettre à disposition des malades ce socle de base-là.

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L’accueil rencontré par le collectif Bipolaire Info -
 


Pour ceux qui ont été informés de notre existence (nous avons moins d’un an, nous sommes un petit site), l’accueil a été très positif. Globalement, les spécialistes attendaient cela, ils étaient contents de trouver un site qui regroupait des informations qui étaient dispersées sur tout le net. Donc, pour l’instant, ça va, personne ne nous a tiré dessus, on n’a pas explosé le site, on n’a pas eu à faire face à des mouvements terroristes du type « les psychanalystes intégristes », les « pro-TCC for ever » ou autres (je m’excuse auprès des psychanalystes présents : je suis profondément anti freudien primaire car, pour moi, Freud a découvert une chose géniale : qu’on peut arnaquer les gens en leur racontant n’importe quoi).

Donc, pour revenir à l’accueil auprès des spécialistes, pour l’instant, celui-ci est globalement bon. On représente pour certains un point de liaison : on permet déjà aux patients de s’informer entre eux, de faire une information latérale très croisée ; on permet aux antennes de terrain, aux petites associations locales, de diffuser leurs informations via notre site en leur fournissant une petite plate-forme technique (tout le monde ne maîtrise pas les techniques de création de pages web) et en même temps, nous recevons des informations des spécialistes, de nos patients eux-mêmes, des informations que l’on fait partager avec d’autres (avec tous les patients qui viennent sur notre site).

C’est un site qui regroupe autant les patients que leurs accompagnants (mari, femme, enfant, mère) et tous ces gens-là ont une égalité de parole. C’est-à-dire que si moi, je suis accompagnant, j’ai le droit de râler contre le point de vue d’un bipolaire. Et ça, c’est très bien ressenti car il n’y a aucune discrimination. J’ai pour principe de dire que vous soyez handicapé physique ou d’un trouble bipolaire, vous êtes une personne : vous avez un cerveau et des neurones. Donc quand vous dites une bêtise, vous pouvez supporter de vous faire engueuler. A partir de là, pour moi, tout le monde est à égalité. Il n’y a pas de petit handicap, de gros handicap ; il n’y a pas de polytraumatisé qu’il faut plaindre tout le temps ou de bipolaire qu’il faut enfermer. Non, il y a des malades. Voyez, moi j’ai une autre maladie que les troubles bipolaires ; je viens de parler de cette dernière mais j’estime qu’on est tous à égalité, tous dans la même galère. La seule différence entre les bipolaires et moi-même, c’est que le travail que les bipolaires entament maintenant a été déjà fait depuis très longtemps en rhumatologie où on a beaucoup de relations patients/médecins, où on parle d’équipes thérapeutiques, où le malade est très intégré dans la prise de toute décision… enfin, pour ce qui me concerne, c’est comme cela… de toutes façons, si jamais un médecin ne me parle pas, ne me fait pas collaborer à ses prescriptions, je ne les respecte pas.

Mais je vois bien qu’en psychiatrie, on est encore dans un domaine où règnent des personnalités : vous avez les grands pachas, les pachas de service, qui ont leur cabinet, qui ont leur aura, qui ont leur costard aussi… et ces gens-là, ont souvent du mal à supporter d’être considérés comme de simples salariés… alors que, chez les spécialistes de base, ça passe un peu mieux… bien que ça reste difficile.

C’est pourtant ce qu’il faut leur faire admettre : que leur boulot, c’est de fournir une solution. Donc, qu’ils cherchent ! En tant que malades, on accepte l’idée qu’ils cherchent car, par exemple, le trouble bipolaire est une maladie très mal connue, c’est pratiquement du traitement au cas par cas

Donc on accepte la recherche mais toujours dans un cadre qui est : « Je propose, vous disposez ».
A partir de là, on peut commencer à établir une relation plus confortable et à égalité entre les deux parties concernées. Car un praticien peut très bien ne pas être d’accord avec le comportement de son patient, un praticien peut râler contre son patient, l’enguirlander même. Mais, vous voyez, ça donne une égalité de relation et nous, nous militons pour cela, en tous cas. Or, pour militer pour cela, nous commençons par informer le patient. Après, quand il faudra se coltiner les spécialistes, on verra…

Je vous remercie.


SECONDE QUESTION : DE QUOI ÊTES-VOUS FIERS – QU’AVEZ-VOUS RÉUSSI À FAIRE BOUGER ?

   
 

Maintenant, de quoi je suis fier ? Déjà que le site fonctionne, que ça ne plante pas, que chaque jour des gens postent, écrivent des messages. C’est ma première fierté personnelle. Après, en tant que membre de Bipolaire Info, je ne pense pas qu’on puisse parler de fierté. On a la satisfaction de voir que les gens se sont emparés de l’outil qu’on leur a mis à disposition et qu’ils l’utilisent pour se donner des informations, pour s’enquérir de l’état des autres. Et ça, c’est une énorme satisfaction de mettre quelque chose à disposition de gens qu’on considère souvent mal et de voir qu’ils l’utilisent et qu’ils deviennent en même temps des vecteurs d’information.

Je ne peux parler de fierté à propos de quelque chose que l’on donne. On ne peut pas être fier de donner. De donner des informations que je dispose concernant une pathologie en général et ce que j’ai vécu, moi, et de les faire partager.
Par exemple, on est tous ici, à ce colloque, pour partager des informations et on ne va pas sortir d’ici en étant « fier » de soi. Ce qui peut se passer, c’est de la satisfaction. De la satisfaction d’être tous ici, malades, membres d’associations, spécialistes, psychologues, psychiatres ; d’entamer une réflexion qui est plus que nécessaire, urgente même dans le domaine de la psychiatrie.

Si je peux parler de fierté, je peux parler de fierté personnelle : je suis fier d’être là. Fier d’avoir été invité en tant que membre d’un collectif de bipolaires, un collectif qui est jeune, qui a moins d’un an ; fier de représenter tous les gens qui viennent écrire tous les jours sur le forum, fier d’être un peu leur porte-parole.
Mais l’association, je ne vois pas de quoi elle peut être fière. Elle fait son travail, point. Et comme n’importe quelle association ici présente, elle fait son travail sans en retirer de la fierté. De la satisfaction, oui, quand on voit que les patients osent pouvoir dire merde à leurs spécialistes, osent casser l’image du spécialiste, osent se dire :

- « Je ne suis pas con, j’ai des neurones, je sais m’en servir alors je vais les utiliser ».
Car on est encore pris en France dans des images du grand spécialiste qui sait tout - Toi grand sorcier donner à moi remède -. Cette image qui s’applique si souvent du médecin traitant au professeur qui fait dire:

- « je vais voir LE spécialiste ».
Cette image qui charrie l’idée que le médecin, c’est celui qui A La solution. Non, on va voir un médecin parce qu’on a un problème et ensuite, on le saisit en sachant qu’il n’a peut-être pas la solution.

C’est pourquoi, à Bipolaire Info, nous pensons que les médecins, les psychiatres devraient occuper, en fait, la position de prestataires de service.

 
Une réaction de Tobie Nathan…  
 

Je trouve que cette position est correcte si on précise qu’elle implique une condition. Et cette condition, c’est que le malade ne se définisse pas comme un être humain comme tous les autres mais bien comme un être humain … pas comme tous les autres !

Sinon, je ne peux pas accepter la proposition de Stéphane.
Pourquoi cela ? Parce que si, nous les professionnels, sommes des prestataires de service, cela implique aussi que la relation du malade avec sa maladie – et là, on parle de maladie au sens où j’essayais de réfléchir, hier, à la façon de définir les gens-, est une relation avec un être qui est le sien… Que le malade va assumer la propriété de cet être. Or, cette position est en contradiction avec la posture d’un malade qui dirait : « Je suis un être comme tout le monde ».

Le malade ne peut pas être un être comme tout le monde, dans ce cas-là : il est un être spécial. Parce qu’il est accompagné d’un être singulier dont il est le représentant auprès des êtres humains. A cette condition, moi, je veux bien être prestataire de service car ce qui m’intéresse, c’est la lumière que va m’apporter celui qui connaît cet être et nous allons travailler ensemble à l’explicitation de l’écologie de cet être. Et là, avec cette personne, je peux collaborer et ça m’intéresse d’être dans cette position.
 
     
Notes

[1]. Stéphane Mesdag, co-fondateur avec Marie-Christine Lorentz de Bipolaire-Info : http://www.bipolaire-info.org

[2]. Ce texte est repris d'un enregistrement audio et relu par l'auteur. La discussion avec les usagers a donné lieu a un commentaire que vous pourrez lire ici : Les psychothérapies à l'épreuve de leurs usagers


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