Le Seuil/Les empêcheurs de penser en rond
300 pages – 19 €
Juifs d’un côté
Portraits de descendants de mariages mixtes entre juifs et chrétiens Vidéo : une conférence de Catherine Grandsard, à partir de son livre : Juifs d'un côté. Portraits de descendants de mariages mixtes entre juifs et chrétiens.
Catherine Grandsard est Maître de Conférences de Psychologie clinique à l’Université de Paris 8. Elle mène ses travaux dans le cadre du Centre Georges Devereux (ethnopsychiatrie)
EN FRANCE…
En France, un juif sur deux qui se marie épouse une personne non-juive, le plus souvent issue d’une famille de tradition chrétienne. Comment annoncer le mariage aux parents ? Comment préserver la sensibilité des uns et des autres lors de la cérémonie ? Que faire à la naissance d’un enfant ? Quels rituels choisir ? Quelles fêtes observer ? Comment gérer un éventuel divorce lorsque l’on a la garde d’un enfant qui a été élevé dans la religion de l’autre ? Les instances communautaires juives débattent des réponses à apporter à cette situation : faut-il faire preuve d’une absolue fermeté ou d’une plus grande tolérance ? Quel accueil réserver au conjoint non-juif ? Quelle attitude adopter à l’égard de leurs enfants ? Certains pensent que c’est l’existence même des communautés juives de par le monde qui est en cause.
Catherine Grandsard a enquêté auprès d’enfants issus de tels mariages et elle nous reconstitue les solutions trouvées par chacun. Les récits personnels comme celui d’Isabelle qui retrouve le tallit (châle de prière) de son grand-père avant leur départ de Turquie, de Claire dont le père a commandé la fabrication d’un Sefer Torah dédié à la mémoire de son propre pères, s’entremêlent à la description des rituels et cérémonies juives
Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration Religions/Laïcité
Juifs d'un côté.
Portraits de descendants de mariages entre juifs et chrétiens
Catherine Grandsard, psychologue clinicienne, a réalisé une enquête sur les enfants nés de couples mixtes (en l'occurence, ici, un parent juif, un parent chrétien), afin de mieux connaitre la perception qu'ils ont d'eux-mêmes. À travers une galerie de portraits d'enfants nés de ces unions, émerge un certain nombre de questions que l'auteur tâche de rendre intelligible cherchant à démontrer que lorsque des personnes issues de mariages mixtes rencontrent des difficultés, celles-ci se manifestent de manière bien spécifique.
[vendredi 9 septembre 2005]
GRANDSARD Catherine, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, Le Seuil, 2005, 283 p.
«Grandir entre plusieurs religions, c'est un peu comme être assis entre deux chaises»
Anila, éduquée entre catholicisme, animisme et hindouisme
IDENTITÉ
Grandir entre deux religions différentesSébastien Désarmaux et Laurence Lemoine
Anila s'amuse à faire deviner ses origines. On la croit souvent éthiopienne, du fait de sa silhouette longiligne et de ses traits fins. Mais son père est moitié breton, moitié antillais, et sa mère originaire d'Inde du Sud. De lui, elle a reçu une éducation catholique mâtinée d'animisme, d'elle une initiation au panthéon des divinités hindouistes. «J'ai longtemps cru pouvoir faire coexister toutes ces traditions en moi, dit-elle. Mais grandir entre plusieurs religions, c'est un peu comme être assis entre deux chaises.»
Une bombe à retardement
S'il constitue pour beaucoup une richesse, le métissage religieux n'en est pas moins «une bombe à retardement, estime la psychologue Catherine Grandsard, auteure de «Juifs d'un côté» (Ed. Les Empêcheurs de penser en rond, 2005), elle-même née d'une mère juive américaine et d'un père catholique français. On grandit en pensant que ce double bagage ne pose aucun problème et, subitement, ça explose, souvent à l'occasion d'un mariage, d'une naissance, d'un décès... Tout est remis en cause».
Hélène, dont elle raconte l'histoire dans son livre, grandit entre une mère juive et un père protestant: «De leur vivant, ses parents étaient très fusionnels. Son père meurt d'abord et il est enterré dans un cimetière chrétien. Quand sa mère disparaît à son tour, elle est inhumée dans le cimetière juif de la ville. Se pose alors la question à laquelle Hélène n'avait jamais pensé auparavant, et qui va bouleverser sa vie: «Et moi, où serai-je enterrée?»
Catherine GrandsardImpossible conversion
Catherine Grandsard travaille au Centre Georges-Devereux, à Paris. Ouvert en 1993 par Tobie Nathan, célèbre fondateur de l'ethnopsychiatrie clinique, il accueille des familles de migrants dont les difficultés ont trait au fait de vivre entre deux mondes, deux cultures ou deux religions. «Le terme de «religion» correspond au modèle chrétien, rectifie la psychologue. Il laisse penser que l'on a le droit d'adhérer ou pas à un dogme, dans une démarche personnelle. Or, pour beaucoup, il n'y a pas de conversion possible. On naît avec une affiliation à un Dieu ou à plusieurs divinités. Il arrive aussi, en Inde par exemple, qu'un humain accède de son vivant au statut de divinité.»
Pour ceux qui naissent entre deux systèmes de croyance, la situation est épineuse. «Bien souvent, indique Catherine Grandsard, le choix n'appartient ni à l'enfant ni même à ses parents, mais au groupe.» Récemment, elle a reçu le fils d'un couple franco-africain bien en peine de s'inscrire dans une identité stable: «Le père est un Bakongo du Zaïre. Selon son ethnie matrilinéaire, l'enfant est placé sous l'autorité de l'oncle maternel. Or, l'oncle est alsacien. Pour sortir de l'impasse, l'adolescent s'accuse alors d'être un sorcier, un personnage sacré, reprenant ainsi une croyance bakongo relative aux enfants nés hors du groupe. La famille n'y comprend plus rien.»
Une affaire de goût?
Dans les monothéismes, il n'est pas vraiment question de choix non plus. Si l'on devient chrétien par le baptême, on est en revanche juif de naissance, à condition que la mère soit juive, et musulman, si l'on naît de père musulman. «Si c'est l'inverse, si la mère est musulmane et le père juif, techniquement, on n'est rien du tout», explique Isabelle Lévy, consultante en rites et religions et auteure de «Vivre en couple mixte» (Ed. Presses de la Renaissance, 2007).
«Lorsque les enfants commencent à interroger leurs identités respectives à l'école, ce «Tu n'es rien» peut être terrible. Car cette donnée-là est partie intégrante de l'identité de l'enfant, même s'il la réfute plus tard.» C'est pourquoi il est préférable, estime la spécialiste, de ne pas laisser la question dans le flou, en considérant que l'enfant pourra choisir plus tard, comme si la religion n'était qu'une affaire de goûts et de couleurs. «C'est lui demander de faire des choix que les parents n'ont pas su faire. C'est aussi, quelque part, lui demander de choisir entre son père et sa mère. Dire à un métis: «Fais comme tu veux, la réponse est en toi» est d'une violence inouïe, ajoute Catherine Grandsard. Parce que son problème est au contraire extérieur à lui, il le précède. Lui faire croire qu'il est question d'autodétermination est un leurre.»«Deux religions, c'est deux fois plus de fêtes»
Marie, 11 ans
Entre catholicisme et judaïsme
«Mon papa est catholique. Je fais des prières avec lui, pour mon papy, pour qu'il soit bien, à côté de Dieu. Je prie aussi pour mon papa et ma maman, pour qu'il ne leur arrive rien.
Et pour que je fasse une bonne année à l'école. Je vais à la messe une fois par mois dans mon école, et quelquefois avec ma grand-mère. Parfois, ça m'embête, mais sinon, j'aime bien, c'est un moment différent, j'essaie d'en profiter. Le judaïsme, je le découvre avec ma belle-mère, la femme de mon père. C'est pas très différent, en fait. Hanoukka, c'est Noël. J'aime bien Soukkot, on fait des cabanes. Il y a aussi une fête où on n'a pas le droit de toucher à l'électricité, moi je ne fais pas ça, c'est trop difficile. Mais sinon, j'aime bien les fêtes juives. Le but des deux religions est le même, c'est juste pas raconté de la même façon. Les juifs ne reconnaissent pas Jésus, mais à la base, il était juif, alors ça n'a pas trop d'importance. Mon petit frère est juif, mais il n'est pas circoncis, je ne sais pas pourquoi. Il va à la synagogue, mais il est trop petit pour connaître les prières. C'est chouette d'avoir deux religions, c'est deux fois plus de fêtes.
Il y a plein de chants et on apprend des choses sur l'Histoire. Je pense que je serai toujours catholique, mais ça ne me dérangerait pas, plus tard, de vivre avec un monsieur juif.»
Le livre a été publié dans la collection "les empêcheurs de penser en rond, aux éditions du Seuil à Paris.
Droits de diffusion et de reproduction réservés © 2010, Centre Georges Devereux