Un pavé dans la mare des seventies : 30 ans après la parution du livre Les analysés parlent

 

par Dominique Frischer [1]


Conférence prononcée le 12 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l'épreuve de ses usagers.

I. Une image de la psychanalyse après usage

 
 

1/ Le contexte

Ce livre, publié en mars 1977 et suivi de plusieurs éditions successives, m’a été inspiré par la vogue grandissante de la psychanalyse partir des années 70 dans le sillage du désenchantement qui a succédé à mai 68, sachant qu’en France il a fallu attendre le milieu des années 50 pour que la psychanalyse se popularise et que s’ouvre des dispensaires d’hygiène mentale parallèlement aux services psychiatriques des hôpitaux généraux et universitaires où commençaient à exercer des analystes.

Pour faire court disons qu’un certain nombre de personnes entre 20 et 35 ans se sont mis à aller mal après l’effondrement des idéologies (communisme et maoïsme). Autrement dit, aussi longtemps que le militantisme canalisait leur énergie, certains d’entre eux avaient pu mettre entre parenthèse leurs problèmes personnels qui les ont submergés ensuite comme si après avoir renoncé à changer le monde, ils avaient été en quelque sorte rattrapés par leurs problèmes. La psychanalyse étant de plus en plus à la mode et omniprésente dans le discours ambiant, la seule alternative qui s’est alors présentée à un certain nombre de ceux qui allaient mal fut de s’orienter vers la psychanalyse, et pour une minorité vers la religion.

N’oublions pas que mai 68 avait insisté sur l’épanouissement personnel, la sexualité libérée, la jouissance tous azimuts, l’expression de la créativité, donc, pour compenser en quelque sorte le désenchantement politique et la sortie du collectif, certains ont misé à fond sur des valeurs de développement individuel. Ainsi, après avoir violemment critiqué la société de consommation, bon nombre d’ex révolutionnaires se sont ensuite réfugiés sur les divans pour devenir aptes à en profiter davantage. Du moins, est-ce l’une des questions que je me posais en constatant la vogue grandissante de la psychanalyse autour de moi au point que j’en étais venue à me demander, en voyant tant de gens devenir intarissable sur le sujet de leur cure, si la psychanalyse n’était pas devenu un élément du cursus des élites comme jadis le voyage d’initiation formateur. Comme si, dans cette période de recul des idéalismes, certains incapables de vivre sans se raccrocher à une idéologie ou à un groupe social, à défaut d’autres choses, avaient choisi la psychanalyse comme idéologie de substitution, d’autant qu’elle s’était imposée dans le champ intellectuel et le monde médiatique comme grille d’interprétation universelle, accaparant insidieusement la place désertée par les idéologies. C’est la raison pour laquelle elle a fini par apparaître comme un élément du cursus pour un certain nombre d’étudiants et d’intellectuels proches des sciences humaines, de la psychiatrie, du monde artistique, de la publicité et aussi de la littérature à qui elle allait porter un coup fatal. Pour qui a étudié d’un peu près les publications romanesques des trente dernières années, il paraît limpide que c’est sous l’influence de la psychanalyse que la littérature française est devenue la plus nombriliste et la plus inintéressante du monde occidental.

N’oublions pas non plus que vers la même époque, la psychanalyse commencait à se vulgariser dans les médias via les émissions de Françoise Dolto et de Ménie Grégoire mais aussi que Jacques Lacan, qui s’était imposé comme le maître à penser de l’intelligentsia, prônait, en caricaturant à peine, que la psychanalyse n’était faite ni pour soigner ni pour guérir mais représentait la voie royale d’accès à l’Inconscient. Sans oublier le fait qu’entrer en analyse avec lui impliquait l’éventualité du suicide en guise de fin d’analyse.

A côté de ces analysants de hauts rangs qui attendaient de l’analyse de devenir des surhommes ayant traversé des épreuves sublimes, il y avait tous les analysés anonymes qui hantaient les cabinets des psychanalystes plus obscurs et avec comme principales motivations de soulager des souffrances et des inhibitions qui leurs pourrissaient la vie et pour lesquels ne semblaient exister qu’une seule médication : la psychanalyse dont nul n’avait encore essayé d’évaluer les résultats.

C’est pour faire le point sur ce qu’il en était des bienfaits et des méfaits de la psychanalyse, mais aussi pour essayer de déterminer les raisons ayant amené un nombre grandissant d’individus à tenter l’aventure du voyage intérieur que j’ai réalisé cette enquête qui se voulait une image de la psychanalyse après usage, sorte de contrepoint à l’ouvrage de Serge Moscovici, La psychanalyse, son image, son public, qui était l’étude des représentations entourant la psychanalyse dans le corps social. J’étais aussi curieuse de connaître d’un peu plus près comment s’était effectué le parcours analytique des analysés et surtout le bilan que tiraient de leur cure les vétérans de l’analyse, disposant d’un recul suffisant pour en dégager les grandes lignes.

 

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2/ L’approche méthodologique

a) La méthode :
Celle de l’entretien non directif, c'est-à-dire un entretien libre qui a duré entre trois et cinq heures ce qui a, dans certains cas, exigé deux séances.
Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits.

b) Critères de recrutement :
- Des personnes en cours d’analyse et ayant déjà plusieurs années de cure ;
- des personnes ayant terminé leur analyse, à supposer qu’il s’agit du terme approprié, puisqu’en principe dans l’esprit des analystes il s’agit d’une interruption, les mordus de l’analyse ayant tendance à rempiler pour de nouvelles tranches à chaque difficulté majeure.
Le recrutement : par le bouche à oreille relationnel et les petites annonces passées dans des quotidiens et hebdomadaires.

c) Caractéristiques de l’échantillon :
Une centaine d’entretiens ont été réalisés ; une trentaine seulement ont donné lieu à une analyse de contenu approfondi selon la méthode structuraliste en vogue à l’époque.
La plupart des interviewés étaient nés juste avant, pendant ou peu après la guerre de 39-45. Une majorité de personnes appartenaient aux classes moyennes, dont nombre de diplômés du supérieur. En revanche, malgré mes efforts pour en rencontrer, je n’ai pu m’entretenir qu’avec un seul ouvrier et encore s’agissait-il d’un marginal.

Parmi les réponses qui me sont parvenues, suite à des petites annonces, une majorité écrasante de femmes en souffrance.
Autre facteur déroutant dont je n’ai compris la signification que récemment: une forte proportion de juifs et parmi eux un certain nombre d’orphelins de la Shoah, d’enfants cachés et d’enfants de survivants. Curieusement, au cours de l’entretien, aucun n’a évoqué la Shoah, la guerre ou la déportation de leurs proches comme si ce thème n’avait pas été effleuré dans leur cure ou si peu qu’ils ne voyaient pas l’utilité d’en parler, comme si c’était un élément qui n’avait pas été pris en compte par l’analyste. Rétrospectivement ce détail, qui renvoie à ma recherche en cours, confirme à mes yeux l’incapacité de la psychanalyse à soulager des gens dont les traumatismes ne répondent pas aux concepts psychanalytique usuels avec lesquels travaillent les analystes depuis Freud sans avoir jamais jugé utile de prendre en compte d’autres facteurs que ceux recensés par les pères fondateurs, ce qui montre à quel point, la psychanalyse s’est sclérosée, à cause de l’excès de conformisme de ses zélateurs. Ainsi, certaines personnes m’ont confié récemment avoir fait de longues cures sans jamais s’attarder sur leur judéité, ainsi que les frayeurs et les pertes consécutives à ce statut comme si des notions conjoncturelles non mentionnées par Freud et ses épigones n’étaient pas digne d’être pris en compte et ne méritaient pas qu’on y réfléchisse.
Par l’intermédiaire des petites annonces j’avais également rencontré une association d’anciens analysés plus âgés que mon cœur de cible. Après la fin de leur analyse qui les avaient laissés passablement insatisfaits, ces gens avaient ressenti le besoin de se livrer à une évaluation sur les bienfaits et les méfaits de leur psychanalyse avec comme objectif d’élaborer une sorte de charte destinée aux futurs usagers afin de leur éviter certaines embûches donc en leur proposant des listes de thérapeutes sérieux avec leurs tarifs et un aperçu de leurs méthodes mais aussi des mises en garde pour éviter les charlatans.

d) date des entretiens: 1975-76

3/ Les motivations des interviewés à répondre

Principalement : Evaluer les résultats de la cure avec un interlocuteur extérieur sachant qu’une telle démarche est inconcevable avec un psychanalyste, toute question sur l’efficacité de la cure, son déroulement sa durée etc… se heurtant au silence de l’analyste qui renvoie l’impétrant à ses résistances…

II. Le vécu de la cure  
 


1/ Les raisons d’entreprendre une analyse.
Nombreuses et multiples mais en gros, un mal de vivre complété par divers symptômes psychosomatiques, phobies plus ou moins graves, névroses d’échec et avec toujours un douloureux facteur déclencheur récent, investi d’une signification inquiétante car lié à un caractère répétitif.
Au départ on recherche en priorité la guérison de certains symptômes qui pourrissent la vie, en particulier :
- Certains troubles et inhibitions particulièrement douloureux ou handicapants (tics, énurésie, frigidité, impuissance, claustrophobie, plus la panoplie des obsessions et compulsions).
- Se préserver de la maladie mentale, pour ceux ayant eu des problèmes psychiatriques alarmants quant à l’avenir.

2/ Les attentes
- Restaurer son identité et réparer les blessures de l’enfance
- Mieux maîtriser sa vie en devenant plus performant, en accédant à plus de réussite, de jouissance, de créativité, l’analyse étant censée favoriser l’émergence de l’être merveilleux que chacun porte en soi mais que la névrose inhibe ; bénéfices fantasmatiques liées à l’image idéalisée du pouvoir de changement de la psychanalyse ; afin de rejoindre les rangs d’une supposée élite libérée de la « barbarie émotionnelle » caractérisant les non A (non analysés).
Il est intéressant de noter que les personnes en cure parlent de l’analyse en termes de croyance comme les adeptes d’une religion ou d’une secte évoquant les fondements de leur foi et l’acte de croire, comme si la guérison dépendait d’un bréviaire comprenant un certain nombre d’impératifs à respecter dont la foi, l’observance, l’assiduité, la dépendance à la loi analytique qui ne tolère aucune remise en cause.
En effet, celui qui entreprend ce voyage d’une durée indéterminée, avec un guide inconnu à qui on s’engage de faire confiance en aveugle, est pour ainsi dire contraint, pour persévérer dans un travail souvent douloureux et coûteux d’imaginer les transformations miraculeuses dont il bénéficiera au terme du voyage. Il est aussi averti des risques causés par une interruption de la cure en cours de route.

3/ Le choix de l’analyste
Il restait assez difficile et aléatoire dans les années 70, donc souvent conditionné par le hasard ou le bouche à oreille.
Principaux clivages :
- médecins et non médecins
- freudiens classiques rattachés à l’Institut / lacaniens adeptes de pratiques moins orthodoxes.

Faute d’un code déontologique ou de critères précis, il était particulièrement difficile de se repérer dans une jungle où rien alors n’était référencé et ne l’est à peine davantage aujourd’hui où les protestations des psychanalystes défraient la chronique dès qu’il est question de réglementer d’une façon quelconque l’exercice de la psychanalyse qui pour « fonctionner » doit échapper à toute forme de contrainte ou de carcan (formation, diplôme, tarif, durée des séances…) D’où l’impossibilité de faire appel à une quelconque instance comme le Conseil de l’Ordre en cas d’insuccès, d’aggravation, ou de débordement.

A l’époque la rumeur disait :
- qu’un névrosé de base, très mal en point, avait intérêt à aller chez un psy-médecin affilié à l’Institut et ayant prêté le serment d’Hippocrate ce qui impliquait qu’il y avait de sa part le désir de guérir ou tout au moins de soulager son patient;
- mais qu’un névrosé « supérieur » désireux de tirer un bénéfice intellectuel de la cure, devait plutôt consulter un lacanien, moins laborieux, plus intelligent, puisque c’est là qu’on trouvait des interlocuteurs d’un haut niveau intellectuel, moyennant néanmoins le risque de se confronter au suicide, mais avec le privilège d’être plus valorisé si l’on survivait à l’épreuve.
Il faut savoir que si l’image des membres de l’Institut était de vouloir soigner, ce concept au même titre que celui de guérison, reste définitivement banni du vocabulaire des lacaniens pour qui la psychanalyse vise à une toute autre finalité que la disparition des symptômes ou la guérison puisqu’il s’agit selon eux de la Voie royale qui permet de dialoguer avec son Inconscient.

4/ La règle:
Presque rien n’a changé depuis Freud, si ce n’est la durée des séances qui varie selon les écoles et, de ce fait est devenu l’objet de discussion sanglantes entre partisans des séances à durée fixe (45’) ou variable de 3’ à 30’ maximum, encore que depuis les années 80, rares son ceux qui respectent encore les 45’, la plupart des séances tournant autour de 30’, toutes écoles confondues.
A propos des séances ultracourtes, plusieurs théories s’affrontent autour du rôle de signifiant suscité par la scansion et la frustration stimulante engendrée par les séances ultra courtes. Sans que l’on sache vraiment si elles sont destinées à aider le patient ou à favoriser le pouvoir du thérapeute et surtout son chiffre d’affaire au détriment de la dépendance des patients, contraints pour compenser la brièveté des séances de doubler la durée moyenne de la cure, donc d’investir beaucoup plus.

5/ L’argent :
En principe il est fonction des revenus du patient mais aussi de la notoriété de l’analyste. A l’époque, le prix d’une séance variait entre 70 et 150 francs en moyenne mais parfois bien plus. Maintenant il se situe en moyenne autour de 50 euros la séance. Longtemps les analystes médecins refusaient de faire des feuilles ou de délivrer des ordonnances. La psychanalyse étant en crise et la concurrence de plus en plus rude, les psychanalystes médecins, confrontés à la dure réalité, assouplissent la règle et consentent à faire des feuilles, à réduire le nombre de séances, à se limiter à des psychothérapies en face à face alors que c’était loin d’être le cas à l‘époque de l’enquête où, pour les personnes aux revenus modestes la dîme analytique atteignait souvent le tiers des revenus d’un jeune patient voire la moitié, donc devenait parfois un sujet de litige entre patients et thérapeutes.
Selon l’axiome : il faut « que ça coûte » les usagers constataient que le paiement donnait lieu à différents arbitraires destinés surtout à renforcer leur dépendance. Alors que le patient doit apprendre à se conformer au principe de réalité, dans l’analyse il s’apercevait être très souvent confronté à l’arbitraire et à l’incohérence à travers la négation pure et simple de la réalité par certains analystes qui, faute de code déontologique, se permettaient d’exiger :
- le paiement le paiement en liquide alors que d’autres acceptaient les chèques ;
- le paiement intégral des séances manquées malgré des excuses valables (déplacements professionnels, familial, maladies) les séances de rattrapage étant payées en sus ;
- que les patients prennent leurs vacances à la même date qu’eux-mêmes.

6/ Les outils analytiques:
- Peu d’innovations en plus d’un siècle.
- Interprétations de plus en plus rares et elliptiques, silence assourdissant.
- Problématique autour de la gestion du transfert et du contre-transfert : on s’aperçoit que si le transfert st positif et si l’analyste fait preuve d’une certaine souplesse les résultats sont plus satisfaisants et souvent plus rapides.
- En revanche, si le transfert est d’emblée négatif, la cure s’enlise dans des conflits non verbalisés et se termine en queue de poisson ou alors c’est l’état du patient s’aggrave. D’autant que le patient qui parle d’arrêter est accusé de ne pas lutter contre ses « résistances » à l’analyse et n’a pas le droit de s’interroger sur l’incompétence du thérapeute ou l’inadéquation de la psychanalyse à son problème spécifique.
D’une façon générale, les usagers insistent sur le fait que toute question dérangeante est assimilée à une forme de résistance inconsciente et de ce fait est irrecevable tant par les analystes que par leurs épigones.

Ainsi, le fait que mon livre faisait état des critiques exprimés par des patients déçus par la psychanalyse m’a valu d’être l’objet, dans la presse et sur le plateau d’Apostrophes [2], d’attaques ad nominem selon lesquelles si je faisais crédit aux propos de certains déçus de l’analyse c’est que moi aussi j’avais raté mon analyse par ma faute. Comme si la faute incombait seulement aux patients mécontents, jamais à l’incompétence de l’analyste ou au caractère inapproprié de l’analyse dans certains cas. Cela me rappelle l’histoire de l’Homme au magnétophone, Jean-Jacques Abraham, qui au bout de quinze ans avait exigé de son analyste qu’il lui explique pourquoi il n’allait pas mieux etc… L’analyste pris de panique avait appelé Police secours et on avait interné d’office le patient récalcitrant qui exigeait qu’on lui rende des comptes !
Il n’empêche que toute tentative des pouvoirs publics de soumettre l’exercice de la psychanalyse a un code déontologique suscite un tollé immédiat dans le Landernau intellectuel, sous prétexte que l’analyse ne peut fonctionner qu’en dehors de toute règle fixe, sa pratique ne relevant pas de la médecine… Par ailleurs, alors que dans le cadre d’un traitement médical ou de toute autre prestation, le client dispose de son libre arbitre pour juger de la qualité de la prestation et éventuellement porter plainte pour faute professionnelle avérée, cela est quasi impossible avec la psychanalyse toute critique étant annulée par le renvoi du patient à ses résistances ou à ses troubles mentaux.
D’où l’initiative des créateurs du Club des Analysés d’essayer de palier à ses carences pour protéger le droit des patients mais cela n’a pas abouti.

7/ Durée de la cure : très fluctuante
Depuis Freud on assiste à un allongement exponentiel de la durée des cures. Alors que dans les années 20 elles dépassaient rarement un ou deux ans, en 1975 elles tournaient en moyenne autour de 4-5 ans avec déjà des cures au long cours entre 8 ans, 10 ans voire 15 ans. Aujourd’hui, les cures longues se banalisent et ont encore tendance à s’allonger par l’addition de tranches dans certains cas de gens en analyse depuis longtemps ou qui font partie de la corporation.

En revanche c’est plus fluctuant pour les nouveaux venus qui sont plus au fait de l’éventail de thérapies proposées sur le marché et qui parfois consultent un analyste tout en suivant en parallèle une thérapie de groupe ou comportementaliste, etc…Ce qui était inconcevable dans les années 80.

IV. Les raisons d’arrêter ou pas  
 

1/ Les raisons d’arrêter :

A/ Pour les analysés moyennement atteints et n’ayant pas trop intellectualisés la cure, le constat, à travers divers signes, d’une amélioration suffisante pour s’estimer capable de voler de ses propres ailes les a incité à sortir d’une vie entre parenthèse à cause de la cure, pour plonger dans le réel sans regarder en arrière. Quand le mieux persiste, ils estiment ne plus avoir de raison de continuer à se soumettre à un rabâchage fastidieux et à une tutelle onéreuse.
Ils ont besoin de se tester sans le soutien d’une béquille.
Chez certains, il y avait aussi la crainte que prolonger la cure présente un risque de régression, autrement dit qu’après une phase d’amélioration, ils prennent le risque de replonger et de ne pas remonter à la surface. Donc ils ont préféré interrompre dans la hâte sans demander au préalable la bénédiction de l’analyste de crainte de se voir dissuader. D’autant qu’ils gardaient la possibilité, en cas de rechute, de refaire une tranche.

B/ Le constat que rien ne se passe de concluant et que la cure pourrait continuer ainsi infiniment sauf qu’ils en ont marre de se raconter dans le silence ou d’entendre des jugements dissuasifs ou moralisateurs sur leurs choix de vie.

C/ Un clash avec l’analyste pour des raisons diverses parmi lesquelles : conflit autour de l’argent, du choix du partenaire, du nombre de séances par semaine, etc…

2/ Les raisons de persister indéfininiment
Les adeptes des analyses longues et des tranches successives en revanche sont des obsessionnels perfectionnistes, des addicts de la chose qui veulent entrer dans la carrière pour rester en analyse ad eternam. C’est devenu le mode de fonctionnement de certaines personnes devenues incapables de fonctionner sans se référer à ce contrôleur omniscient auquel ils soumettent toute forme de réflexion introspectives, voire de prises de décisions.

Les jusqu’aux boutistes: les accros et les bons élèves pour qui la véritable analyse débute après 8 ans d’effort. Le mieux espéré ou la représentation de l’être merveilleux que l’on porte en soi tardant à faire surface, ils prolongent car de toute façon avec les séances ultracourtes, ils n’ont pas eu leur compte de temps de paroles et n’ont pu accéder au tréfonds de l’Inconscient qui n’a pas livré tous ses secrets.
Sans oublier la pression de certains analystes qui avouent candidement ne pas laisser partir leurs patients les plus intéressants quand ils vont mieux car c’est le moment où ces derniers deviennent enfin intéressants à écouter…

 
V. Les critères de changement  
 

Ils sont très difficiles à évaluer dans la mesure où le bilan était inévitablement confronté aux attentes initiales, souvent démesurées, à cause de la représentation idéalisée de la plupart des candidats à la psychanalyse. Ainsi certains s’estiment satisfaits malgré la persistance de certains symptômes dans la mesure où ils les assument mieux alors que d’autres se montrent dépités et frustrés devant des améliorations pas très tangibles.

D’une façon générale, le changement apporté par une cure analytique reste une notion floue, impressionniste, fugitive d’autant que rien ne prouve qu’une autre thérapie ou discipline (sport, méditation, yoga, etc…) n’aurait pas eu sensiblement le même effet si on s’y était adonné avec le même sérieux.
Le résultat le plus probant ne se mesure donc pas en terme d’éradication totale de certains symptômes qui continuent souvent à persister mais plutôt dans la manière de les assumer, de vivre avec, après en avoir identifié la cause psychologique. Certains cessent d’avoir la phobie de l’avion ou des ascenseurs et d’autres pas malgré dix ans d’analyse ce qui ne les empêche pas de se vanter d’avoir réglé d’autres problèmes. C’est l’histoire de ce psychanalyste devenu, après mes films [3], la coqueluche des médias et l’expert psy présent dans tous les débats de société mais dont le symptôme boulimique a pris une telle ampleur avec les années, au point de provoquer une impressionnante obésité, sans que personne ne s’interroge sur l’efficacité de la psychanalyse dans son cas particulier sachant qu’au début de sa cure, il voulait maîtriser ses pulsions boulimiques… Quarante ans après, s’il s’en accommode sur le plan psychologique, il a de plus en plus de mal à se déplacer et risque même d’en mourir !

Il faut rappeler que pour les tenants de l’idéologie psychanalytique ce type de remarques iconoclastes n’ont pas droit de cité. Pourtant en entendant certains analysés parler de leur analyse on ne peut s’empêcher d’évoquer ce conte d’Andersen : les habits neufs de l’empereur et des tailleurs escrocs qui lui avaient fait croire que les vêtements hors de prix qu’ils confectionnaient pour le monarque étaient réalisés dans des matières si raffinées que seuls des yeux d’esthètes avertis étaient en mesure de les percevoir et d’en évaluer toute la beauté. Et chacun à la cour de s’extasier sur les vêtements somptueux du monarque jusqu’à ce qu’un pauvre petit innocent s’écrie en voyant l’empereur porté en triomphe dans la rue : mais l’Empereur est nu !

C’est aussi l’histoire du coureur impénitent que sa femme avait fini par quitter et qui, au cours de son analyse, s’était trouvé une autre épouse. Malgré tout son amour pour sa nouvelle épouse et cinq ans d’analyse, il n’avait pas cessé d’être volage. Mais l’analyse lui avait appris à se débrouiller pour mieux cacher ses infidélités. Ou encore l’histoire de l’énurétique qui rencontre un copain qui lui demande comment il va après 8 ans d’analyse et à qui il répond : très bien. L’autre en déduit qu’il peut se permettre de lui demander : Alors tu ne pisses plus au lit ? Si, répond l’analysé triomphant, mais maintenant je m’en fous !

Donc, assez rarement les transformations radicales escomptées mais la disparition de certaines conduites d’échecs dans le domaine sentimental ou professionnel et d’une façon générale une meilleure adaptation.

D’une façon générale le fameux Surmoi qui compliquait la vie à beaucoup a été remisé au placard ou est devenu plus accommodant ou pour ceux chez qui il était défaillant, sait se manifester à bon escient pour éviter certaines conduites préjudiciables répétitives.

Autrement dit, si la discipline analytique ne semble pas éradiquer complètement certains symptômes psychosomatiques, en revanche dans les cas les plus satisfaisants elle a permis au sujet d’aller globalement mieux ou de reconquérir l’estime de soi ou de se sentir moins coupable vis-à-vis de lui-même, moins infériorisé ou révolté vis-à-vis de la société.

Dans ce sens on peut dire, contrairement à ce que démentent les analystes comme si c’était quelque chose de honteux, que si la psychanalyse n’est pas une médication qui guérit, elle présente au moins l’intérêt dans certains cas d’être un outil d’intégration sociale relativement efficace. C’est du moins ce qu’écrivait au début des années 70 le philosophe Louis Althusser dans un article sur Marx et Lacan. Après plus de trente années passées en analyse, le philosophe continuait à souffrir d’une psychose maniacodépressive, déplorait que la psychanalyse était devenue tout au plus une technique de réadaptation émotionnelle ou affective, un banal objet de consommation dans la culture et l’idéologie moderne.

Le sociologue Robert Castel dans son livre Le Psychanalysme paru aussi en 1977, allait plus loin en accusant la psychanalyse de flatter le narcissisme intellectuel de ceux qui monopolisent les biens de culture. « Sans héritage économique pas d’accès à la cure, mais sans héritage culturel, pas d’accès au discours de l’Inconscient. La psychanalyse renforce ainsi le poids du privilège culturel et ses effets de pouvoir. »

 
VI. Le feed back  
 
Une controverse d’une violence inouïe a commencé avant même la parution de mon livre.

L’Express achète les bonnes feuilles à partir des épreuves mais à cause des protestations de Madeleine Chapsal renonce à les publier. En contrepartie, Chapsal se fend d’un article de 2 pages où elle reconnaît l’intérêt de la démarche mais met en doute la fiabilité des résultats à partir :
- primo de l’équation : qui se dit déçu de la psychanalyse ne doit s’en prendre qu’à lui-même et à ses résistances ;
- deuxio, de l’argument selon lequel le but de la psychanalyse n’est pas de soulager des souffrances psychiques mais de permettre d’accéder à son inconscient.
Heureusement sur Europe 1, le jour de la sortie du livre ainsi que dans Le Point, Philippe Gildas parle d’un livre absolument passionnant et salutaire dont il recommande séance tenante la lecture à tous : c’est l’envolée.

Libération résume ces attaques contre l’auteur et l’éditeur à une affaire de gros sous après avoir repris les arguments de L’Express qui se retrouveront accommodés dans Le Figaro et dans d’autres journaux où les analystes ont leurs entrées.
Dans Politique Hebdo, un chapeau laudatif complété par la publication de larges extraits du dernier chapitre qui démontre que la psychanalyse, loin d’être un outil révolutionnaire, contrairement à ce que prétendait Freud qui en voguant vers les Etats-Unis, déclarait que les Américains ignorait qu’il leur apportait la peste, est en effet un levier de démobilisation de la vie politique et sociale.

En effet le bilan exprimé par la plupart des analysés révèle que la psychanalyse renforce l’individualisme, l’égocentrisme, voire le nombrilisme et la démobilisation politique.

Cette publication suscitera un abondant courrier de lecteur et une polémique virulente autour du thème politique et psychanalyse.

Dans l’émission Apostrophes, Bernard Pivot apporte son soutien inconditionnel, ne manquant pas citer toutes les aberrations de la pratique analytique dénoncées par les patients : le rituel du kleenex utilisé à contre usage, le cérémonial du paiement… les analysts séducteurs…

Dans Le Monde, Roland Jaccard, en général plutôt critique envers la psychanalyse et ouvert aux thérapies comportementales venues des Etats-Unis, s’en tire par une pirouette en disant que c’est dommage que les éditeurs ne soignent pas davantage la relecture d’ouvrages par ailleurs intéressants. Pour ensuite réaliser pour Le Monde une grande enquête sur les querelles autour de l’héritage de Lacan par ses disciples les plus proches, qui pour la plupart poursuivaient leur analyse avec celui qu’ils décrivaient cependant comme un vieillard sénile depuis plusieurs années ; l’article, avant parution, sera soumis à un comité de censure présidé par Jacques Nobécourt et d’autres inconditionnels de la psychanalyse lacanienne. Car dans les années 80, critiquer la psychanalyse, avait la même signification que dénoncer le stalinisme avant le rapport Kroutchev.

Je ne citerai pas les critiques plutôt positives dans les revues de sciences humaines, voire dans la presse féminine et médicale (qui en ont beaucoup parlé) car se serait fastidieux.
Je mentionnerai cependant l’émission polémique de Michel Polak et l’éloge qui fut fait par le psychiatre et analyste Léon Chertok qui, bien que n’ayant pas lu le livre avant, en avait fait l’éloge d’autant qu’après avoir constaté l’inefficacité de la cure analytique sur divers patients, il s’était orienté vers l’hypnose, au même titre que l’ex-lacanien François Roustang, auteur d’un violent réquisitoire contre les états de dépendance créés par transfert et contre-transfert. C’est de plus en plus désabusé pas l’indigence thérapeutique de l’analyse que lui aussi a fini par délaisser cette pratique au profit de l’hypnose et des thérapies comportementales.

Du côté des usagers : quelques lettres de personnes plutôt satisfaites de leur cure et qui vantaient les améliorations et les progrès constatés. Ou tout au moins la sérénité qu’ils éprouvaient désormais malgré la persistance, sous une forme atténuée de certains symptômes ainsi que leur meilleure intégration sociale. Apparemment les analysés satisfaits n’écrivent pas si ce n’est des livres à la gloire de la psychanalyse, comme Les Mots pour le dire de Marie Cardinal. Le seul à s’être moqué de Lacan, avec qui il avait été en analyse, est le romancier François Weyergans dans son premier roman intitulé Le Pitre.

En revanche, j’ai reçu des centaines de lettres d’anonymes se plaignant de leur cure ou de leurs analystes et qui s’interrogeaient sur la décision à prendre face à un traitement qui piétinent mais qu’ils n’osaient interrompre de crainte d’aller encore plus mal ou parce qu’ils ignoraient à qui s’adresser pour en changer.

J’ai aussi reçu plusieurs lettres bouleversantes de mères d’enfants autistes culpabilisées par des psy et envoyées en analyse prétextant qu’elles étaient à l’origine de la maladie de leur enfant.

Enfin, ces dizaines et ces dizaines de lettres réclamant les coordonnées du Club des analysés…
 
     
     
Notes

[1]. Psychosociologue et documentaliste, Dominique Frischer est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Les analysés parlent (Stock, 1977), Les faiseurs d'argent ou les mécanismes de la réussite (Belfond, 1983), La France vue d'en face (Laffont, 1990), La revanche des misogynes (Albin Michel, 1997) et A quoi rêvent les jeunes filles (Grasset, 1999).

[2]. Emission culturelle phare animée pendant des années par Bernard Pivot et diffusée tous les vendredis soirs sur Antenne 2.

[3]. Il s’agit d’une série de documentaires sur la psychanalyse diffusée sur une chaîne publique dans les années 80.

 
une conférence de Dominique Frischer sur le Baron de Hirsch, le Moïse des Amériques —>
   
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