Mon patient Sigmund Freud
4ème de
couv
Paris, Perrin,
2006
dans toutes les bonnes
librairies depuis le 23 mars 2006 |
C’est le livre de l’été ! Merci Monsieur Tobie
Nathan pour ce superbe roman sur Sigmund Freud !
Vous avez réussi là un véritable chef d’œuvre
qu’on ne lache qu’à la dernière page. Une vraie
fausse-fiction qui raconte la vie de Freud, la création de la psychanalyse,
les intrigues, les conflits, mais aussi les cafés viennois, le
bouillonnement intellectuel et artistique de l’époque, la
liberté sexuelle et les révolutions en préparation.
Tout commence en 2003, dans l’aeroport de Lagos au Nigéria,
en flamme. Léopold Caro, un prof de fac de psycho qui a quitté
la France pour s’occuper d’une agence humanitaire dans la
région des Grands Lacs rencontre un Israelien, Jack Bean coincé
comme lui dans cet aeroport-coupe-gorge et qui doit pourtant se rendre
à l’enterrement de sa mère en Israel – «
c’est moi l’aîné, c’est moi qui doit faire
le Kaddish ! » Le temps de faire connaissance et surtout le temps
pour Jack Bean de confier à Léopold Caro un fichier électronique
qui contient le journal intime de son père, décédé
en 1949 durant la guerre d’indépendance en Israel. Puis les
deux hommes se quittent pour ne plus se revoir — Jack Bean sera
retrouvé assassiné dans les toilettes de l’aéroport.
Qui y a t il dans ce journal ? La vie d’un juif de la première
moitié du 20ème siècle qui a rencontré les
plus grands psychanalystes et surtout qui fut l’ami et le confident
de Freud. Isaac Rabinovitch, a eu plusieurs noms, et plusieurs vies, toutes
pleines de tourments et de passions. Comme beaucoup de juifs de l’Europe
de l’Est, il quitte « encore puceau » Odessa pour échapper
au service militaire, mais aussi pour aller faire ses études de
médecine en Autriche, et surtout pour rencontrer la modernité,
la liberté, et participer au monde en marche. Il rencontrera Freud
et toute sa famille, il fréquentera intimement Otto Gross, Stephan
Zweig, Jung, les dadaistes, les révolutionnaires en exil à
Zurich, et Lénine. Il attirera dans son lit les plus belles femmes
d’Europe, les plus riches et les plus intelligentes. Il découvrira
la passion mais aussi le désespoir amoureux. Il verra son égérie
– la superbe Hannah von Kessler, celle avec laquelle il passe les
fameuses « nuits talmudiques » (comprenez des nuits où
alternent les ébats amoureux les plus érotiques et les débats
philosophiques les plus subtils) - tantôt sous l’emprise de
la cocaïne tantôt sous celle de la psychanalyse.
Mais Isaac Rabinovitch fut avant tout l’ami et le confident exceptionnel
de Freud, au point que celui-ci lui confiera un secret et une mission
qui transformera la vie du jeune Russe ainsi que celle de ses descendants.
« Carnets de Jack Bean. Vienne, le jeudi 13 janvier 1910.
Le mercredi 12 janvier 1910 fut un jour mémorable entre tous. Dans
la soirée, j’ai assisté pour la première fois
à la réunion de la société psychanalytique,
chez le Professeur Sigmund Freud lui même. J’en suis sorti
comme porté par le vent chaud du désert, des ailes aux talons
et la tête dans les étoiles…
Freud est un homme de taille moyenne, plutôt petit, à la
mise élégante, très soigné, vêtu à
l’anglaise, d’un costume trois pièces en tweed, portant
au cou une drôle de cravate que l’on dirait sortie d’une
photographie du Far West américain. Sa façon de se vêtir
lui donne un petit côté suranné, mais bien élevé.
Il paraît très soucieux de l’effet qu’il produit,
vous inspectant sans cesse comme pour surveiller l’écho de
sa parole. C’est un professionnel de l’influence. Il compte
sur sa présence pour modifier l’état du malade. Même
si dans sa théorie, il s’agit d’une action sur ce qu’il
appelle la partie refoulée de la personne et non pas d’un
simple acte de suggestion, sa présence, ses vêtements, son
comportement doivent être de la plus haute importance. Il a fixé
sur moi un regard perçant ; deux billes noires brillantes derrière
ses épaisses lunettes de myope. J’ai ressenti comme deux
flammes qui voulaient pénétrer mon l’âme. J’ai
instinctivement fermé les yeux. Il a gardé ce visage tendu
quelques secondes encore, puis il a élégamment posé
son menton au creux de sa main et s’est lové, tel un chat
au plus profond de son fauteuil, m’invitant à m’expliquer.
Je n’étais pas sitôt installé ; j’avais
à peine ouvert la bouche que, sans même lever les yeux, il
me demandait ce que j’avais pu raconter à « ce Monsieur
Stekel »… « Dîtes moi donc, m’a-t-il demandé,
dîtes moi ce qu’il vous voulait »… Apparemment,
la paix ne règne pas entre les membres de la Société
psychanalytique de Vienne. » p.133-134
Et l’on est autant captivé par le journal d’Isaac Rabinovitch,
qui est à lui seul une saga viennoise passionnante que par le récit
de Léopold Caro, qui ne comprend pas le lien entre le fait de posséder
ce journal et les déboires qui ne cessent de l’accabler.
Cette superbe burundaise, Préciose, ensorceleuse aux charmes desquels
Caro n’a pu résister… survivante du génocide
des Tutsi, ancienne espionne belge, est-elle sincère quand elle
lui dit qu’elle l’aime ou ne cherche-t-elle qu’a lui
extirper des informations. Et pourquoi ?
« Journal de Léopold Caro. Dakar, le 14 décembre 2003
: J’interromps à regret la lecture des carnets de Jack Bean.
J’ai rendez vous à 17 h 30 avec des Canadiens croisés
dans le hall à mon arrivée. Je leur ai promis de les accompagner
chez un marchand de statuettes africaines. Ils connaissent mon goût
pour les fétiches et me croient quelque peu expert. Il doit bien
faire 35°. Je les trouve affalés dans les larges fauteuils
de l’entrée, dégoulinants et poisseux. Entre eux,
une magnifique jeune femme noire, drapée de soie sombre. Je ne
la connais pas. C’est pourtant elle qui m’accueille :
_ Ah, vous voila enfin, Professeur Caro ! Je crois que vos amis sont prêts
à s’évanouir de soif. Il est grand temps de leur offrir
une bière !
Mais d’où sort cette femme ? Au début, j’ai
cru qu’il s’agissait d’une sorte de prostituée,
comme il y en a tant en Afrique — pas vraiment une prostituée,
plutôt une courtisane, comme dans l’antiquité grecque,
une hétaïre. En Afrique, lorsqu’elles sont intelligentes
et lettrées, les femmes sont souvent des grisettes. Elles savent
que leur corps est leur seul patrimoine, leur mise initiale — leur
seule chance d’entrer dans le grand casino. Alors, entre le proposer
au plus offrant et l’abîmer dans des grossesses à répétition,
les plus fines préfèrent l’attrait de la découverte.
Mais lorsqu’elle s’est mise à parler, je me suis rendu
compte qu’elle connaissait parfaitement notre organisation, le Président,
le prénom de sa femme et de ses enfants. Elle demandait même
de leurs nouvelles. Alors, qui était-cette femme ? » p.44
Caro ne comprend pas l’intérêt que tous ceux qu’il
rencontre portent à l’existence du fichier électronique
qu’il a téléchargé dans l’aéroport
de Lagos. Et nous découvrons, avec Caro, au fur et à mesure
de notre lecture les véritables raisons de cette tension, la véritable
vie de Rabinovitch, et surtout une vérité incroyable sur
Freud.
Grace à Sigmund Freud, Mon patient, on apprend en se divertissant…
sur la psychanalyse, sur son histoire et sur les notions que nous utilisons
tous, sans véritablement savoir au fond ce qu’elles veulent
dire : le transfert, la névrose, l’oedipe, etc. Ici, Tobie
Nathan se révèle un artiste en pédagogie! On apprend
également sur l’Afrique, continent que Tobie Nathan connaît
bien, puisqu’il y a lui même vécu ; il sait nous le
rendre accessible, vrai et presque familier.
Ce roman est écrit à la manière des meilleures sagas,
son style est beau et coulant. Mais il possède un atout qui en
fait, à mon avis, un véritable chef d’œuvre :
il contient des idées surprenantes, des informations sur une époque,
sur Freud, Vienne, la psychanalyse qu’on n’est pas près
d’oublier !
Son art pour le récit de toutes ces vies européennes et
africaines qu’il sait nous rendre passionnantes, sa grande érudition
et sa fidélité au grand penseur et créateur qu’était
Sigmund Freud, fait de Tobie Nathan l’auteur du roman de l’été!
Grâce à Tobie Nathan, Freud est à nouveau vivant !
Tobie Nathan « Mon patient Sigmund Freud » roman publié
aux éditions Perrin, en 2006, 466 pages, ISBN 2.262.02112.0
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