Première question : comment les professionnels accueillent-ils l’existence des associations d’usagers ?

Table ronde avec les représentants des associations d'usagers

AUTISME-FRANCE

 

Agnès Fonbonne[1]


Texte prononcé le 13 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l’épreuve de ses usagers, organisé par le Centre Georges Devereux à l’Institut Océanographique de Paris les 12-13 octobre 2006.
 

En ce qui nous concerne, je pense qu’il est impossible de parler de l’accueil que les professionnels nous ont réservé et nous réservent encore, sans soulever la question de celui qu’ils ont offert et offrent encore à leurs patients autistes, sans défense et sans parole pour la plupart. Pour toute réponse à cette question de l’accueil des professionnels, des mots très clairs me viennent immédiatement à l’esprit : violence morale, incompétence et non assistance à personne en danger. Et depuis 17 ans, la présence d’Autisme France sur le terrain professionnel et politique, tente de faire cesser cette cruauté institutionnelle.

Je crois qu’il est nécessaire ici de souligner qu’Autisme France n’est pas un collectif d’usagers à proprement parler, mais de pères et de mères d’usagers, pour la simple et bonne raison que nos enfants, dans la grande majorité des cas, sont dans l’incapacité de pouvoir décider ou choisir quoique ce soit qui les concerne.

Ils sont autistes. Cela signifie qu’ils sont de grands handicapés mentaux, quasiment incapables de communiquer ordinairement. Et nous, parents fondateurs du mouvement, en avons eu assez de nous faire rouler dans la farine de l’incompétence freudo-bettelheimienne.

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Autisme France
a donc été créé pour que cesse la violation des droits fondamentaux et universels de nos enfants et que soit enfin respecté leur droit à une véritable éducation adaptée, à la mesure de leurs aptitudes individuelles, et ce tout au long de leur vie. Parce qu’en effet, contrairement à une théorie qui est encore trop souvent répandue, un bébé naît autiste, il devient un adolescent autiste puis un adulte autiste et il meure en vieillard autiste. Et d’une manière ou d’une autre, nous devons assumer l’injustice de cette vie-là.

Comme vous le savez sûrement, l’autisme est un handicap extrêmement lourd qui se caractérise, entre autres, par une incapacité à comprendre et à traiter l’information. Les personnes autistes présentent d’énormes difficultés à décrypter la signification des situations sociales, émotionnelles et affectives, elles n’ont pas les codes d’accès pour pénétrer le sens des relations humaines, de la communication verbale ou non verbale. Il existe en plus un énorme pourcentage de personnes autistes qui sont sur-handicapées par une arriération mentale profonde, des épilepsies sévères, une absence totale de langage, des Troubles Obsessionnels Compulsifs, une résistance au changement, une incapacité à généraliser les acquis et par toute une panoplie de troubles associés.

C’est le cas de mon fils qui égraine tous ces symptômes les uns à la suite des autres, ainsi qu’une surdité sévère. Chez les personnes autistes, cette déficience très lourde de la communication entraîne d’énormes difficultés dans les comportements, tels que l’automutilation, parfois jusqu’à la mort, les cris et les hurlements, la violence, l’agressivité physique, des troubles massifs du sommeil, de l’alimentation et j’en passe... Et je ne connais aucun parent qui ne soit pas à bout de force après quelques années de ce régime-là…

Aujourd’hui il ne fait plus aucun doute que les causes de l’autisme, certes multifactorielles, soient organiques. La recherche scientifique met en avant des facteurs génétiques indéniables, bien qu’il n’existe pas un gène unique de l’autisme. Mais il faut savoir qu’en France l’autisme a été et reste encore très souvent appréhendé comme une pathologie psychogénique essentiellement liée, et là je ne rentrerai pas dans les détails scabreux, à une défaillance plus ou moins consciente de l’amour maternel et partant de là, de la sacro-sainte relation mère-enfant.


C’est Bruno Bettelheim, qui dans les années 60, reprend à son compte l’expression de mère-réfrigérateur utilisée 20 ans avant par Léo Kanner, lequel fait d’ailleurs amende honorable et « acquitte », le mot est ainsi prononcé, les parents dans un mémorable discours prononcé en 1969. Mais à peu près à la même époque, Bettelheim ne l’entend pas de cette oreille. En s’appuyant sur son expérience concentrationnaire à Dachau et Buchenwald, il constate que dans des situations extrêmes, à savoir les camps de concentrations nazis, certaines victimes se déshumanisent dans une tentative désespérée pour échapper à la violence de la réalité. De l’univers concentrationnaire à l’autisme, il n’y a qu’un pas, que Bettelheim franchit allégrement en établissant un parallèle avec les enfants autistes. Selon lui, leur retrait social et leur manque apparent d’humanisation sont des réactions logiques à une situation extrême, celle-ci étant en la matière, incarnée par la présence menaçante et machiavélique de leurs mères, transformées ainsi en véritables Kapo. Ce concept diabolique est médiatisé en France au début des années 70, puis largement diffusé par les petits et grands gourous du lobby psychanalysant, dont certains sont encore en place à l’heure actuelle et à des postes clés. Ce sont précisément ces professionnels là auxquels les parents d’enfants autistes ont affaire quand ils découvrent, avec l’angoisse qu’on imagine, que leur enfant ne se développe pas normalement. Même si la situation est un peu plus facile aujourd’hui, trop souvent encore, les familles sont dirigées par leurs médecins ou leurs pédiatres, sur des consultations en pédopsychiatrie ou sur les CAMPS locaux, deux institutions hautement sous influence freudo-analysante. Malgré le travail des collectifs sur le terrain, les recherches scientifiques et l’information relayée par les médias, il est encore trop rare que les parents arrivent directement dans les unités hospitalières spécifiques, qui commencent ça et là à voir le jour en France, où de véritables professionnels savent poser un diagnostic, les informer du pronostic et les orienter vers des prises en charge adaptées et efficaces, qui sont pour l’heure essentiellement cognitives, éducatives et comportementales.

Autisme France est donc un mouvement de parents d’usagers, dont la naissance est directement liée à leur révolte face à une injustice profonde. Outre sa démarche pour réhabiliter les mères, ce collectif de parents a été créé pour tenter d’obtenir le choix de la thérapie et de pallier les carences de pseudo-professionnels qui depuis des décennies flirtent avec les limites de la légalité en imposant l’hégémonie de leur système thérapeutique sectaire. En effet, sous prétexte d’occuper le champ du soin, la thérapie analytique, quelque qu’en soit son mode, prend en fait la place d’une éducation spécifique adaptée à l’autisme, et impose de ce fait, l’impossibilité du libre choix des parents quant à la prise en charge de leurs enfants… C’est contre cette situation en forme de véritable abus de pouvoir et totalement antidémocratique qu’Autisme France a dû se battre en s’érigeant contre l’omnipotence absolue du monopole psychanalysant, en faisant reconnaître ses enfants comme handicapés et non plus comme des malades, et en exigeant de ce fait le libre choix de leur prise en charge et le respect de leur droit fondamental à une vie la plus autonome possible… Au départ, il a donc fallu imposer des modes de prises en charge efficaces et adaptées à l’autisme, déjà instituées depuis 30 ans aux Etats-Unis et dans tous les pays industrialisés occidentaux. Ce combat qui est encore loin d’être entièrement gagné, a pourtant été mené contre vents et marées, mais surtout contre l’avis de tous les soi-disant spécialistes de l’autisme, qui de surcroît envahissent les sphères du Politique, y compris les plus hautes. Et nous nous y sommes heurtés de plein fouet. Nous savions tous que l’Eglise était bien séparée de l’Etat, mais notre fréquentation assidue des bureaux ministériels nous a montré très vite que l’église freudienne, elle, n’avait pas encore consommé la rupture… Outre cette importation de techniques et d’outils pédagogiques pour aider nos enfants à vivre le mieux possible, il a fallu créer des établissements et former des équipes compétentes pour pouvoir les y faire travailler, et voir enfin véritablement progresser nos enfants. Et je peux vous assurer que pour des parents normalement constitués, comme vous et moi, c'est-à-dire à peu près incapables de remplir un dossier de sécu ou une déclaration d’impôts sans faire de rature ou d’ulcère à l’estomac, affronter des référents tutélaires totalement inféodés à des théories et des pratiques préhistoriques, pour déposer des statuts associatifs, des créations de projets, des montages de budget, tout cela relève carrément de l’inhumain… Sans compter qu’à la maison, il faut aussi continuer quotidiennement avec nos petits et grands princes de l’impossible et bien évidemment garder le sourire à défaut d’être politiquement corrects...

Je n’irai pas plus loin dans ce descriptif. Il deviendrait vite sordide et ennuyeux. Mais pour reprendre la question de l’accueil des collectifs par les professionnels, vous imaginez bien que dans ces conditions, il n’a pas été des plus convivial… Seuls restent les vrais gens de terrain qui ont été formés aux stratégies éducatives de l’autisme et partagent avec nous, temps, énergie, espoirs et parfois leur boites de kleenex. De parents coupables et incapables, nous sommes devenus co-thérapeutes de nos propres enfants et l’aspect subversif de ce défi place encore davantage le microcosme psychanalysant dans un déni de compétence. Nous ne leur reconnaissons plus aucune capacité et envahissons du même coup un terrain de jeu sur lequel il n’ont de toute façon rien à faire. On récolte ce que l’on sème

Je vous remercie de votre attention.


Bruno Bettelheim ou la Fabrication d'un mythe : Une biographie
de Richard Pollak, traduction : Agnès Fonbonne . Les Empêcheurs de penser en rond/ Le Seuil, 2003


Deuxième question : de quoi les associations d’usagers sont-elles fières ? Qu’est-ce qu’elles ont réussi à faire évoluer ?

 
 

Table ronde avec les représentants des associations d'usagers

 

Agnès Fonbonne[1]


Je pense que la première des fiertés d’Autisme France , c’est d’être parvenu à rester debout, compte tenu de la lourdeur de notre cahier des charges et de la taille du mammouth qu’on s’apprêtait à chasser… Au départ, il y a 17 ans, nous n’étions qu’une poignée de parents, et quand je dis une poignée, je veux dire à peine 10 familles. Du statut de tribu de base, nous sommes passés à celui de horde (sauvage), reconnue d’utilité publique qui plus est, et constituée de 9000 familles et d’une centaine d’associations membres partenaires et affiliées. Crée en 1989, notre collectif est membre d’Autisme Europe et de l’Organisation Mondiale de la Santé. A ce titre, nous défendons la recherche scientifique la plus avancée et les approches éducatives et d’intégration sociale des personnes autistes ou atteintes de troubles envahissants du développement. Même si la situation des familles en France est loin d’être encore vraiment réglée, l’évolution de notre mouvement a permis de pallier certaines carences. Nous avons à notre actif quelques actions et services dont nous pouvons être fier. En voici une liste non exhaustive :

Dans les années 90, nous sollicitons Madame Simone Veil afin que les pouvoirs publics reconnaissent l’autisme comme un handicap et non plus comme une maladie. L’acceptation de cette subtilité sémantique change la donne stratégique auprès des ministères de tutelles et permet aux parents de revendiquer dûment une éducation qui soit adaptée à nos enfants et leur permettent de vivre dans la plus grande autonomie possible.

Autisme France a mis effectivement en place une représentation des personnes autistes et de leurs familles auprès des autorités et des pouvoirs publics. Dans ce cadre, nous proposons des amendements aux projets de loi relatifs aux droits des personnes handicapées ou aux textes relatifs aux prises en charge des personnes autistes.∑ Autisme France a procédé à la création d’un service d’accueil et d’informations destiné aux familles et aux professionnels. Nous apportons aux familles, aux professionnels et aux services sociaux une information et une documentation constamment mises à jour, relatives à la définition de l’autisme, aux modes de prise en charge, aux lieux d’accueil, à la recherche, aux avancées scientifiques, etc… Nous orientons les familles vers les centres diagnostic et professionnels compétents, vers les services ou les établissements offrant aux enfants et aux adultes une prise en charge adaptée et vers les associations locales susceptibles de les assister sur le terrain. Pour assurer ces prestations, le secrétariat d’AF, ouvert toute la semaine, reçoit en moyenne 300 appels par mois sur son numéro Azur.

Autisme France a créé un service juridique qui assure une activité de conseil juridique et oriente au besoin les familles ou les associations partenaires vers les barreaux ou vers des avocats susceptibles de les défendre devant les juridictions. En 2005, par exemple, une centaine d’affaires ont été traitées par le service juridique, dont une moitié étaient relatives à des hospitalisations forcées ou des dommages subies pour non scolarisation d’enfants autistes. Le service juridique envisage dans un avenir proche de développer des saisines de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

Autisme France a mis en place Un service d’accompagnement et de mise en réseau des professionnels (et là, nous parlons évidemment des véritables professionnels de l’autisme…) Qui contribue à la constitution d’un réseau de personnes travaillant au service des personnes autistes.

Autisme France propose un service d’informations, de médiatisation et de sensibilisation en direction du public. Cela signifie l’organisation annuelle de notre congrès international rassemblant chaque fois environ 1000 personnes. Ces congrès ouverts à toutes les personnes concernées par l’autisme et animés par des professionnels du monde entier, mettent systématiquement en avant la nécessité d’apporter des soins adaptés à nos enfants et à nos adultes, en suivant les dernières avancées scientifiques dans le domaine de l’autisme. Et comprenez bien évidemment que les « soins » dont il s’agit lors de ces congrès ne portent aucunement sur les ceux prétendument thérapeutiques dont je parlais lors de ma première intervention, ceux qui sont éloignés de toute vérité scientifique et validée, et dont nous avons ô combien leur inefficacité voire leur dangerosité dans certains cas. Le prochain congrès d’Autisme France aura lieu le 9 décembre 2006 à Paris, au Palais des Congrès. Le thème retenu cette année est : « Autisme et éducation adaptée »

Autisme France a créé une revue trimestrielle et un site internet. Tous les trois mois Autisme France publie une revue, « La lettre d’AF » et diffuse une newsletter électronique, « Le lien ». Depuis environ 6 ans, nous avons mis en ligne un site internet qui offre une actualité continue, notamment en matière de recherche, d’éducation, de droit et de formations. Le site propose également une base documentaire importante et des conseils pratiques. Autisme France mène des actions de sensibilisation à destination du grand public, et entreprend régulièrement des enquêtes qui permettent de connaître au mieux l’état des lieux afin de mieux dénoncer les dysfonctionnements dans les domaines du dépistage, du diagnostic, de l’éducation, et de l’intégration scolaire, sociale ou professionnelle et les abus ou exclusions vécus par les personnes autistes. Ces actions informent et orientent les pouvoirs publics qui sont ainsi conduits à devoir prendre des mesures ou améliorer la situation.

Mais notre démarche la plus glorieuse parce que sans doute la plus vengeresse, est sûrement notre action collective portée par Autisme Europe devant le Conseil de l’Europe qui a conduit, en 2003, à la condamnation de la France pour violation de la Charte sociale européenne, qui oblige les états à offrir une éducation adaptée et surtout effective aux personnes handicapées. En ce qui concerne les personnes autistes, le Conseil de l’Europe a constaté, et 2003, c’est vraiment récent, que la France retenait encore une approche extrêmement restrictive de l’autisme en ne respectant pas la classification de l’OMS établit selon les critères diagnostic du DSM 4 et de la CIM 10 et qu’il en résultait un manque dramatique de places adaptées. Il faut savoir, malgré tous nos efforts, que seuls 10% de la population autistique française, tous âges confondus, est accueillie dans des établissements adaptés à l’autisme. Les 90 autres pour cent, sont à la rue, à la maison, dans des établissements non spécialisés ou en HP à vie, gavés de neuroleptiques retard et parfois encore en cellules capitonnées…

Le Conseil de l’Europe a donc retenu contre la France une obligation de l’Etat de prendre des mesures de manière à effectuer des progrès évaluables dans un délai raisonnable…


Autisme et A.B.A : une pédagogie du progrès de Ron Leaf et John McEachin. Traduction: Agnès Fonbonne, Catherine Milcent , Pearson Education, avril 2006.

 

 

 

 

 

 

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Notes

[1]. Ancienne administratrice d’Autisme France

Droits de diffusion et de reproduction réservés © 2006— Centre Georges Devereux