Tobie Nathan
2012
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mis à jour le mardi 23 avril, 2013 15:35
Présentation de l'éditeur
Très tôt, dans son enfance égyptienne, Tobie Nathan a entretenu une native complicité avec les mythes, les légendes et, d”une manière générale, avec la “pensée magique” qui, selon lui, reste l’ADN le plus fiable de la nature humaine. Cette affinité avec l’étrange, avec l’étrangeté de l’autre, l’a conduit très tôt vers l’ethnopsychiatrie de Georges Devereux, ce freudien hérétique qui voulait analyser ses patients en les inscrivant dans leur contexte culturel. De là, est née une oeuvre passionnante, toujours fidèle au légendaire, mais articulée autour des concepts les plus aigus de la psychologie. Sorciers, chamans, vieux sages, marabouts, et autres créatures pittoresques eurent plein droit de cité dans ses livres – et dans sa vie.
C’est cette vie, précisément, que Tobie Nathan a entrepris de raconter, en va-et-vient, dans l’”ethno-roman” qu’il nous propose ici. Le voici donc dans la Sorbonne post-soixante huitarde, dans les services psychiatriques où il officie, dans sa mémoire égyptienne, chez les fous-sages chez des sages un peu dingues, chez les devins d’Afrique et dans les dîners d’Ambassade… Sur ce monde, notre monde, il pose un regard d’adulte émerveillé et mélancolique, pessimiste, lucide, généreux.
Cette autobiograhie intellectuelle, morale et savante, se lit comme un roman : le roman d’une belle vie.en librairie le 12 septembre 2012
Ethno-Roman
Paris, Grasset, 2012
Tobie Nathan
Universitaire, ethnologue, diplomate, Tobie Nathan est, d’abord un intellectuel né au sein d’une vieille famille juive égyptienne. Il a exercé des fonctions de Conseiller culturel en Israël et en Guinée, après avoir collaboré au Centre de consultations ethnopsychiatriques de l’hôpital Avicenne de Bobigny. Tobie Nathan a publié de nombreux ouvrages, fruit de son expérience au Centre Georges Devereux qu’il a fondé en 1993 – dont La nouvelle interprétation des rêves ou Psychanalyse païenne. il est également l’auteur de romans policiers (aux éditions Rivages). En 2010, il a publié chez Grasset Qui a tué Arlozoroff ?
4ème de couverture
Né en Égypte, je suis égyptien, comme le furent mes ancêtres, enterrés dans le cimetière du Caire, à Bassatine, depuis des temps immémoriaux. Héritier de générations de rabbins, portant le nom du plus célèbre, je suis juif « au naturel », pas dans l’excès de ceux qui, s’étant trop éloigné de Dieu, se collent à lui pour être certains de ne pas le perdre une nouvelle fois. Ayant vécu enfant à Rome, je suis italien, comme il était inscrit sur nos passeports. Ayant grandi à Gennevilliers, je suis communiste, comme l’était cette ville, héritière des années de guerre. Ayant eu vingt ans en 68, j’ai à la fois vécu passionnément la révolution culturelle française et traversé les événements comme Fabrice à Waterloo. Formé à l’institut de psychanalyse de la rue Saint Jacques, j’ai essayé d’épouser au moins l’identité de psychanalyste, mais n’y suis pas parvenu. Je suis comme la goutte qui file entre les doigts pour s’en aller rejoindre la source…
TN
Extrait Je m’appelle Tobie Nathan
En vérité, je suis né après ma naissance. La France, mon pays, j’y suis arrivé un peu tard, en 1958 — comme de Gaulle au pouvoir — déjà âgé de dix ans, déjà fabriqué, pour ainsi dire. Les Français sortaient de la guerre ; nous sortions d’Égypte, arrivés tout droit de l’antiquité. Je ne comprenais pas l’ambiance, de tristesse et de plainte qui régnait alors en France. Mes parents n’avaient été ni déportés, ni collabos, ni bofs ; et certainement pas de ces moutons que raillait le Général. Mes parents venaient d’ailleurs et restaient imprégnés des préoccupations de ce monde lointain. Ils lisaient le journal, non pour connaître le prix du beurre, mais pour avoir des nouvelles de Krouchtchev ou de Boulganine parce que c’étaient eux, les dirigeants soviétiques, qui avaient été à l’origine de leur expulsion d’Égypte, en menaçant les Français et les Anglais durant l’affaire de Suez.
Quand je suis arrivé en France, chacun n’avait qu’une idée en tête, régler les comptes de la guerre. Nous autres, Français, je l’ai compris depuis, sommes éternels opiniâtres de nos raisons… raison d’avoir été pétainiste, raison d’être communiste, raison d’être pacifiste… en ces temps, il y avait encore de tout !…J’ai eu vingt ans en 68, à Paris. J’étais étudiant en sociologie à la Sorbonne. Le matin, je prenais le train, en Gare de Garges-Sarcelles. En hiver, il faisait un froid glacial sur ce quai où déambulaient des âmes en maraude. J’aimais ce vieux manteau qui avait appartenu à mon frère en Égypte. C’était ma coquetterie. J’enfonçais une casquette de tweed jusqu’aux oreilles et m’enroulais le nez dans une longue écharpe noire. Elle prenait le même train. Elle se rendait aussi à la Sorbonne où elle étudiait la littérature anglaise. Elle avait une tête de dessin animé, des yeux tout ronds, un bonnet de laine à pompon et le nez rougi par le froid. Elle trimballait partout un énorme nounours blanc, dans le train, à l’université, au bistrot — un nounours qu’elle reniflait sans cesse en lisant Shakespeare. Nous grimpions dans le même wagon. Nous nous regardions, sans nous parler, chacun pressentant chez l’autre une même inquiétude à vivre. Elle habitait Sarcelles, le noyau de la ville, la fondation ; j’habitais Garges-lès-Gonesse, la cité des paumés. Un soir d’hiver, avec mes philosophes de nuit, nous déambulions, d’amis en amis, d’appartement en appartement, de verre de whisky bon marché en verre de vin chaud. Nous avions faim de pensée et d’aventures. Nous avons fini par atterrir chez elle. Nous nous sommes regardés, souris, reconnus. Le train du matin, la casquette de tweed, le nounours blanc…
Paris, le 5 novembre 2012 :
Prix Femina de l'Essai
Critiques sur le site de la librairie La Vagabonde
par Fabien Lacoste
le 25 mars 2013
Tobie Nathan retrace son itinéraire personnel et intellectuel qui le conduisit à dépasser la psychanalyse au profit de l’ethnopsychiatrie.
Ce pourrait être le récit désincarné de la naissance d’une nouvelle discipline parmi les sciences humaines et c’est l’exact contraire. Ethno-Roman relate la rencontre d’une existence singulière avec une théorie, l’ethnopsychiatrie.
Chassé d’Egypte en 1958 parce qu’il était juif, Tobie Nathan atterrit en France, à Gennevilliers, selon le désir de sa mère, pédagogue idéale, qui voulait connaître le pays de Hugo. Il y grandit au contact des espoirs de la Gauche, eut vingt ans en 1968 et surtout, forma ce projet dès l’adolescence : devenir psychanalyste.
Nathan restitue le mélange d’enthousiasme et de désarroi qui fut le sien ; déçu par l’Université et taraudé par le désir de savoir, qu’il lie indissolublement au désir des femmes. Il fut sauvé par la rencontre d’un maître atypique, Georges Devereux, ethnologue asocial et génial, qui adoubait puis excommuniait ses élèves.
La vie s’écoule de chaque page de cette autobiographie, que l’on suive l’étudiant fiévreux, le thérapeute opiniâtre ou le fils dans l’exploration de sa généalogie et de son héritage religieux.
Nathan obéit à une volonté farouche de ne pas penser banalement, ne pas prêter sa voix aux évidences persécutrices. On relève aussi chez lui un penchant peu commun chez les adeptes de sciences humaines, épris de concepts, pour la chatoyance et la multiplicité du sensible. C’est presque un sensualiste. Il est attentif aux inflexions d’une voix et à l’affectation d’un mouvement comme à la cosmogonie mandingue ou aux subtilités des rites des juifs d’Egypte.
C’est ce tempérament, impossible à corseter dans l’orthodoxie freudienne, qui forgea l’ethnopsychiatrie. Nathan est convaincu qu’il est ruineux de soigner un sénégalais en le considérant aux prises avec le même monde intérieur qu’un viennois. C’est cette thèse, qui veut que l’inconscient varie en fonction des cultures qui fonde la pratique de Nathan. Il s’ensuit une réhabilitation des représentations et des traditions du patient qui ne sont plus évacuées comme superstitieuses ou névrotiques. Nathan nous convie alors aux rites de guérison qu’il a observé partout dans le monde, de la guérisseuse réunionnaise au marabout aux prises avec les djinns et les sheytanés.
Et c’est le moment où la discipline de Nathan nous interroge le plus. Jusqu’où prêter foi aux guérisons ésotériques qui défient la raison pratique et donnent la voix aux esprits ? Est-on prêt à accepter ce ré-enchantement du monde par la croyance aux esprits, à la visitation des vivants par les morts ?
De la fréquentation de ce livre, on ressort rendu à l’exigence de penser sans révérence mais avec une attention redoublée à ce qui se présente à nous.
Fabien LACOSTEsur le blog de Philippe Dossal : L'atelier d'un Polygraphe
le 10 février 2013
À qui j'appartiens*
par Pascale
De Tobie Nathan, j’avais lu, il y a quelques mois , Mon patient Sigmund Freud, roman d’une incroyable liberté, qui mêle aventure, histoire et psychanalyse, invention, fiction et réalité. Je n’avais pas choisi ce livre, c’était un coup du hasard. Qui récidive avec Ethno-roman dont le titre intrigue l’ignorante que je suis de l’auteur, ses œuvres et ses pompes, à ma grande honte. Je lis l’ensemble d’un trait, et s’il n’y avait eu l’amicale invitation de Philippe à préciser mon enthousiasme sous d’autres mots, je m’en serais certainement tenue là. Là, c'est-à-dire, l’état de bien-être qu’une lecture peut infuser en soi, sans qu’il puisse pour autant prendre forme ni formulation. Voilà, c’est un livre comme on aime en rencontrer. Depuis, j’ai appris qu’il fut même récompensé, et j’en sais un peu plus sur l’ethnopsychiatrie, je suis allée voir ce qu’il s’en dit ici ou là. Mais, rien, je dois le dire, n’a brouillé mes souvenirs de lectrice, rien ne les a affectés, rien ne les a modifiés.
Ethno-roman n’est ni un roman, ni un traité d’éthnologie. C’est une magnifique histoire de générations, de lignages, de grand-parents, de prénoms, de migrants, de langues. D’aucuns y verront d’abord l’histoire personnelle de Tobie Nathan, une autobiographie intellectuelle, comme on dit aujourd’hui, par les aléas des rencontres, ratées parfois, avec des maîtres, son parcours sinueux entre les écoles, les universités, les centres de soins, sa formation si peu livresque et si humaine. Le livre aurait pu avoir pour titre celui du premier chapitre : ‘Je m’appelle Tobie Nathan’ ou comment d’un rêve maternel et du poids légendaire du grand-père du grand-père, on porte un nom, ou deux ou trois… La tentation est grande parfois de saisir feuille et crayon et de tracer l’arbre, son tronc et ses branches qui, depuis Yom-Tov, l’aïeul absolu, par le père du grand-père maternel, on arrive à Rena, la mère de Tobie, dont il dit qu’elle est tout à la fois Sarah Bernhardt, Shirley Temple et George Sand (ne pointant pas d’ailleurs, dans ce dernier rapprochement, un prénom si présent déjà dans sa propre histoire !). Si je m’autorise dans ces quelques lignes qui se veulent générales, ce genre de ‘détails’ c’est pour montrer à quel point certaines pages sont tout simplement fascinantes.
Tobie Nathan traverse le temps de l’histoire verticale –celle des générations et des généalogies- et de l’histoire horizontale, celle qu’il a vécue avec ses contemporains. Celle-là aussi est formidable, et peut se résumer en quelques formules : avoir 20 ans en 68 ; être ado à Genevilliers ; qu’est-ce qu’être communiste dans ces années-là ; vivre en France dans les années 60-70… et bien d’autres. Il n’est pas complaisant avec certains universitaires, à juste titre. Il est pertinent sur les ‘cités’ d’alors. Il ose un certain doute sur la psychanalyse. Il est lucide sur ses propres difficultés, voire ses échecs comme thérapeute ‘besogneux’. Certains chapitres sont traversés, comme une trouée dans une forêt épaisse, d’autres récits qu’on pourrait dire ana-chroniques au sens où ils bousculent les dates, mais aussi les lieux, et nous mènent à la Réunion près d’un guérisseur descendant d’esclaves, dans le nord d’Israël dans le cabinet d’un soignant juif yéménite, au Burkina Faso rencontrer un guérisseur mossi, pour exemples.Et puis il y a La rencontre. L’immense. G. Devereux. Dont le récit est ahurissant. Depuis le matin jusqu’au soir, dans l’intime d’un appartement, la cuisine, la chambre. On a peine à y croire. Quel personnage ! Juif qui ne veut pas le dire, politiquement ‘à droite de la droite’, capable d’une certaine brutalité dans les propos ou le comportement, direct et pourtant chaleureux en même temps. Les trois premières heures de cette journée décidèrent de tout. Mais la rupture fut tout aussi brutale et définitive –bien des années plus tard- quand T.Nathan ouvre une consultation d’ethnopsychiatrie à Bobigny grâce à S.Lebovici. Il y a là un des chapitres les plus beaux, celui titré ‘Prudence’ du prénom d’une jeune Camerounaise en grande difficulté. Les séances sont publiques (psychiatres, internes, étudiants….) mais pourtant tout y est silence, gestes feutrés, douceur. Généalogiques autant qu’éthnologiques, elles font la part belle à l’incantation de la parole pesée, posée, déposée, quasi magique. Nathan a une formule magnifique : les migrants viennent avec leurs « invisibles » et il sait de quoi il parle, lui l’Egyptien passé par l’Italie pour arriver en France… Pour aider Prudence, il fera même venir sa famille depuis le Cameroun.
Ce que Tobie Nathan affirme, à la suite de son maître Dereveux, et en contradiction tant avec la vulgate psychanalytique qu’avec ses travaux les plus sérieux, c’est que les désordres psychiques ne sont pas le fait du sujet, de l’individu. Ils seraient, en quelque sorte, déjà fournis, « prêts à l’usage » par appartenance culturelle. Et il le montre. Mais ce que je retiens, ce qui me retient, après lecture, c’est une autre conviction qui vient accompagner mes intuitions récurrentes. On n’est jamais seulement l’enfant de ses parents, on n’a jamais un prénom par hasard, on ne vient jamais de nulle part, quelques soient les distances, les temps et les lieux. Toujours, un jour, les fils se tissent. De l’importance des mots que l’on dit aux enfants. Les légendes familiales sont souvent les plus belles.* titre d'un ouvrage de Tobie Nathan
en italien
"ETHNO-ROMAN"
di Tobie Nathan
Recensione di Christophe Colera
Gide avrebbe detto che è meglio far raccontare una storia da un uomo arrabbiato. Per raccontare un'epoca, o anche i contesti che concorsero a forgiarne lo stile, non c'è di meglio che la testimonianza di uno spirito non solo brillante ma anche e soprattutto profondamente onesto (e le due cose vanno insieme dato che non c'è intelligenza senza onestà). "Eccone uno!" si potrebbe esclamare, lanterna in mano come Diogene: Tobie Nathan, ecce homo.
Ecco dunque il testimone utile, indispensabile per farvi comprendere gli anni '60: il municipio comunista di Gennevilliers, gli adolescenti in cerca di esperienze sessuali che si appassionano per la psicoanalisi, la rivoluzione che cade loro addosso nel 1968 (Tobie Nathan ha venti anni e la attraversa come Fabrice a Waterloo) ed in realtà si tratta di bombe a scoppio ritardato.
I "cliché" ne ricevono un brutto colpo: non tutti gli attivisti del maggio '68 erano borghesi del Quartiere latino al modo degli Eredi di Pierre Bourdieu, e nemmeno la religione ebraica implica una fede cieca in Dio e, per le malattie psichiche, è meglio forse una seduta di esorcismo che una di psicoanalisi (dalla bocca di un freudiano "pentito", o parzialmente pentito, la sottolineatura ha un suo valore).
Il libro avanza in tutte le direzioni, da un secolo all'altro, in avanti e indietro, e si passa dal ricordo di una guaritrice dell'isola Reunion negli anni '80 agli antenati di Nathan nell'Egitto del XIX secolo, dalla descrizione della brutalità del regime di Nasser nel 1956 a quella degli ambienti psichiatrici a Parigi negli anni '70. Questi andirivieni della memoria non sono mai gratuiti e conferiscono un senso non solo personale ma anche collettivo al vissuto dell'autore. Dato che l'individuo è lo specchio del gruppo (e spesso persino della tribù, se non ne è addirittura un semplice ventriloquo) e viceversa. Del maoismo Tobie Nathan confessa di aver mantenuto la convinzione che sono i popoli a pensare, piuttosto che gli esseri isolati. Sono i popoli che inventano le parole, i gesti e le idee. E da tale convinzione è nata la sua etnopsichiatria, la disciplina a cui l'autore ha consacrato la sua vita.
Chiunque si interessi della storia delle idee troverà in questo libro dei racconti assolutamente accattivanti sul modo in cui tale teoria (ma anche pratica clinica) ha cercato di adattare il freudismo (un freudismo peraltro considerato con molto scetticismo con il passare degli anni, anche a fronte degli eccessi dogmatici del lacanismo) alla diversità delle culture, col contributo di quel personaggio improbabile che è stato il suo fondatore Georges Devereux, di cui Tobie Nathan descrive con molte sfumature le prese di posizione ed i comportamenti, offrendo di passaggio un quadro sorprendente della relazione così complessa che si può annodare tra il maestro ed il discepolo.
Accanto alla testimonianza storica, l'opera è anche una dichiarazione d'amore: ai suoi amici, alla sua famiglia, ai suoi antenati di cui ci vengono offerti dei ricchi ritratti. L'amore così come l'odio non è sempre giusto (ad esempio quando l'autore presta a sua madre i tratti di George Sand, che i fedeli di Aurore Dupin non riconosceranno in questo quadro, o quando attribuisce forse un po' troppo rapidamente al suo maestro di scuola delle tendenze antisemite laddove forse si è trattato semplicemente - seppure violentemente - di un banale assimilazionismo del vecchio insegnante repubblicano, a spese delle culture regionali). Che importa! In uno psicologo onesto le grida del cuore sono indissociabili dai partiti presi teorici.
Attraverso la testimonianza di Tobie Nathan, si comprende meglio quale percorso il freudismo, il marxismo, il sionismo, l'appartenenza repubblicana alla Francia, tutte queste rappresentazioni, e le pratiche concrete che ne derivavano, abbiano potuto lasciare un'impronta di sé nell'ultimo quarto del XX secolo, tenendo conto dell'eredità che si proiettavano su di esse. Si comprende anche il perché la psicologia si sia fatta "etnologica", qualsiasi cosa si pensi di questo progetto, mirando in fondo a riportare gli dei sulla terra.en anglais sur le blog du Jewish Daily Forward
Remembering Freudians and Cannibals
By Benjamin Ivry
The Cairo-born French Jewish ethnopsychiatrist Tobie Nathan previously published a novel, “Who Killed Arlozoroff?” about the 1933 murder of left-wing Israeli political leader Haim Arlosoroff, as well as a book-length essay last year criticizing Sigmund Freud’s 1899 “Interpretation of Dreams.”
Now the ever-iconoclastic Nathan, born in 1948, has written his memoirs “Ethno-Novel,” to explain how he got that way. His narrative begins with the 1956 expulsion of Egypt’s Jews following the Suez Crisis by President Nasser, amid murderous anti-Semitic persecution. Before that, whenever his family celebrated Passover, Nathan was puzzled by the ceremony which thanked God for delivering the Jews safely from Egypt, since his family still lived there. After they moved to a humble northern Paris suburb, young Nathan found a country still “settling scores” over the Nazi Occupation where a different form of anti-Semitism reigned. In school, after Nathan announced that his family would be celebrating Passover by reading the Haggadah, he was mocked by a teacher and counseled by a school-friend, “Shut up! This is France. If you’re Jewish, you hide it.”
At about age 15 Nathan wrote a novel and submitted it to a local author, the Polish Jewish novelist and concentration camp survivor Anna Langfus (1920-1966). Winner of France’s Goncourt Prize for a 1962 Holocaust-themed novel which was translated as “The Lost Shore,” Langfus, whose heartrending novels deserve reprinting, encouraged Nathan, but died of a heart attack not long after. Nathan soon happened upon Freud’s writings, which he terms the perfect “reading for adolescents [since]… we were obsessed with sex, and Freud too!” Although he recalls studying Freud “with the same fervor that our ancestors studied the Talmud,” he was never tempted to become a strict Freudian, instead studying in college with George Devereux (born György Dobó to a Jewish family from the Banat region of Central Europe), a founding father of ethnopsychiatry.
Devereux slated eminent psychoanalysts, such as the Vienna-born Jewish practitioner Melanie Klein, whom he termed a “madwoman” for claiming that a six-month old baby can have cannibalistic impulses: “At six months, a child cannot tell animal meat from human meat. How could it be a cannibal?” Sparked by such lectures, heard amid the turmoil of the 1960s French student revolution – one of Nathan’s fellow sociology majors was the firebrand Daniel Cohn-Bendit – Nathan developed into the freshly original writer he is today.
Watch Tobie Nathan explain ethnopsychiatry here.
And check out Tobie Nathan’s analysis of dreams here.Read more: http://blogs.forward.com/the-arty-semite/168765/remembering-freudians-and-cannibals/#ixzz2HzcqOBGE
Dimanche 18 novembre 2012
Fondateur de la consultation d'ethnopsychiatrie à l'hôpital Avicenne de Bobigny en 1985, Tobie Nathan se raconte dans ce texte qu'il qualifie "d'exercice de sincérité". Sa vie prend sens dans ses racines familiales; né en 1948 d'une lignée de Juifs égyptiens qui remonte à 1492, T. Nathan ses parents et son frère furent expulsés du Caire en 1956, par une "opération de nettoyage ethnique" note-t-il avec humour. Exilée deux ans à Rome, la famille prit la nationalité italienne ; arrivé en France en 1958, T. Nathan fut naturalisé français en 1969. Lui qui a vécu le traumatisme migratoire à la confluence de trois cultures comprend les souffrances des populations venues d'autres horizons. Georges Devereux, professeur à l'Ecole Pratiques des Hautes Études l'a initié à l'ethnopsychiatrie en lui révélant ce qu'il savait sans le savoir par sa culture juive égyptienne ; l'observation des guérisseurs, en Afrique surtout, a conforté sa vocation : on ne peut soigner les migrants que si l'on connaît leur contexte culturel, leurs mondes intérieurs.
Son nom a toujours été sa bouée dans la tempête de l'émigration. Prénommé "Yom Tov", comme le grand rabbin égyptien du 19e siècle dont sa mère le savait la réincarnation, son père préféra le déclarer "Tobie" par prudence en 1948, année de la création de l'État d'Israël. Ce prénom n'étant pas reconnu par l'état-civil français, il choisit "Théophile", "celui qui aime Dieu": car Dieu demeure pour lui et les siens "un partenaire naturel" auquel il voue "un amour bien tempéré" qu'il distingue de l'extrémisme ashkénaze. Entre Garges-les Gonesses et Gennevilliers, à l'âge de dix ans, la rencontre d'autres immigrés et du milieu ouvrier communiste renforce son caractère rebelle d'enfant "qui ne sait pas se taire" et "proclam(e) sa judéité". Tobie Nathan est demeuré insoumis aux pensées convenues. Les événements de Mai 68 lui ont fourni l'occasion, en devenant "une graine de gauchiste" d'affirmer sa personnalité hors normes. Révolté, il a participé au bouleversement social d'alors sans jamais adhérer à aucune idéologie, tout comme il n'a jamais adhéré aux discours de ses enseignants: "je n'ai rien appris à l'école", j'étais un élève "incapable de me contraindre". Tobie Nathan ne ménage pas ses critiques à l'égard de ses professeurs de faculté dans les années 70, conférenciers sans passion qui ne suscitaient qu'ennui et indifférence. Excepté son maître, G.Devereux. T.Nathan a vite pris ses distances avec l'enseignement psychanalytique institutionnel et théorique. Il estime avoir davantage appris son métier grâce à ses patients : c'est de la pratique de terrain que naît la théorisation. Il dénonce de même le terrorisme de l'inconscient : les symptômes de sa maladie ne sont pas spécifiques à un individu mais proviennent du contexte culturel de sa naissance. Selon l'ethnopsychiatrie, aucun homme n'est mû par sa seule volonté mais demeure attaché, enraciné comme l'arbre, dans son monde et sa lignée. Et de conter l'anecdote de son fils Michaël, qui à cinq mois prononça le nom de leur chatte : ce pouvoir de la parole chez le bébé, c'était la voix en lui réincarnée du grand rabbi Yom Tov. La fréquentation des guérisseurs et l'efficacité de leurs pratiques ont convaincu T. de l'existence des "esprits", des forces qui déterminent les hommes : "la main invisible", le destin. Savoir que les phénomènes de transe, de possession, les attaques de sorcellerie signent souvent la vengeance d'un ancêtre négligé, par exemple, confère à ce thérapeute la compétence de soin requise. Juif égyptien aux identités multiples, Tobie Nathan ne se vit pas pour autant comme exilé. Fin connaisseur de la langue arabe, il se sait africain et relié par sa judéité. Ethnopsychiatre, il allie les techniques rationnelles au respect du monde des "non-humains", comme Bruno Latour dont il se dit proche.
Outre l'évocation polémique du microcosme germano-pratin des années 70, ce passionnant récit autobiographique, en bouleversant nos certitudes rationalistes, nous incite à reconsidérer notre rapport au monde.
Tobie Nathan : Ethno-roman. Grasset, 2012, 381 pages. - Prix Fémina de l'Essai 2012.Tobie NATHAN, l’Hérétique...
Une Lecture d’ETHNO-ROMAN
samedi 17 novembre 2012
Prix Fémina de l’Essai, paru chez Grasset, ETHNO-ROMAN, ce dernier opus de Tobie Nathan (professeur de psychologie, ethnopsychiatre, écrivain de polars et de pièces de théâtre, romancier, diplomate, et joué par Yvan Attal dans Saraka Bo, film tiré de son premier thriller ethnopsy), croise les genres…
...Roman, autobiographie, « essai », ...cet « Ethno-roman », échappe aux genres clos sur eux-mêmes, aux rigueurs attendues de l’essai comme aux facéties en roue libre du roman et au nombrilisme crispé de l’autobiographie : - l’auteur intrique ses idées théoriques à un point de vue situé au plus près de sa subjectivité dument localisée, - ce n’est pas "le point de vue de nulle part..." - retrace l’itinéraire d’un "insoumis" depuis le milieu traditionnel d’une Egypte aujourd’hui disparue jusqu’aux confins d’une « Afrique fantôme » comme dirait Michel Leiris, retrouvée au fin fond du Burkina Faso dans ses relativement récentes fonctions diplomatiques, - et chemine jusque dans les contre-allées des oppositions de doctrine du milieu analytique... Le propos, noue, hybride le subjectif, le singulier, assumé en première personne (point de vue du romancier ou de l’autobiographe) et ...l’universel coulé dans ses invites théoriques déjà déposées ailleurs, et dans un récit historisant dépassant son auteur, devenu ici narrateur de fragments d’une Histoire, qui va au-delà de celle de la « fabrication/dé-fabrication » d’un psychanalyste absolument rétif aux accoutumances comme aux fades honneurs dévolus aux suivants, ceux d’un milieu universitaire ou psychanalytique décrit sans aménité.
Cet ouvrage tranche sur les précédents parce que Nathan retrace en véritable -conteur-, les vies enchevêtrées de mondes divers, de ces mondes connexes à leurs jointures que le regard versé au commun a pris l’habitude de ne plus discerner selon les vertus de l "éloignement" prisée par la Raison des "modernes" ; mais à la différence des ouvrages théoriques et cliniques antérieurs, ou de ses divers thrillers ou pièces de théâtre, qui en portaient déjà témoignage, il lève plus précisément, on l’aura compris, un large voile sur l’entrelacement de ces mondes intriqués -ses- mondes à lui. Nathan retrace ainsi aussi bien les déconvenues de l’exil qui amena sa famille à quitter l’Egypte précipitamment en 56, que les tribulations d’une adolescence en banlieue parisienne passée à draguer les filles et à taquiner le concept ou l’inverse... ou frayer encore avec la gauche de la gauche dans les parages de mai 68 ; mais aussi le parcours non linéaire qui l’amena à se passionner longtemps de psychanalyse avant s’en détacher progressivement, en s’affichant peu à peu dans une forme de radicalité, liée à une créativité non bornée, consommant ainsi une rupture définitive…/…
La nudité
Pratiques et significations Editions du Cygne, 2008sur --- Le blog de Christophe Colera ---
Le ventre des ethnopsychiatres
Christophe Coléra — L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris, actuellement chercheur associé au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (Université de Strasbourg), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, de La Nudité, pratiques et significations (Editions du Cygne) et Individualité et subjectivité chez Nietzsche (L’Harmattan).
"Ethnoroman" de Tobie Nathan
Gide aurait dit qu’il vaut mieux faire raconter une histoire par un homme en colère. Pour raconter une époque, ou des milieux qui concoururent à en forger le style, rien ne vaut le témoignage d’un esprit non seulement brillant mais aussi et surtout foncièrement honnête (et les deux vont ensemble car il n’y a pas d’intelligence sans probité). «En voici un !», pourrait-on s’exclamer, lanterne à la main comme Diogène : Tobie Nathan, ecce homo.
Le voilà donc le témoin utile, indispensable, pour vous faire comprendre les années 60 : la municipalité communiste de Gennevilliers, les ados en quête de sensations sexuelles qui se passionnent pour la psychanalyse, cette révolution qui leur tombe dessus en 1968 (Tobie Nathan a juste vingt ans et la traverse comme Fabrice à Waterloo) et en fait des bombes à retardement.
Les clichés en prennent un coup : non les activistes de mai 68 n’étaient pas tous des bourgeois du Quartier latin à la manière des Héritiers de Pierre Bourdieu, non la religion juive n’implique pas une foi aveugle en Dieu, et, oui, pour les maladies psychiques mieux vaut parfois une bonne séance d’exorcisme qu’une psychanalyse (dans la bouche d’un freudien «repenti», ou partiellement repenti, la remarque a sa valeur).
Le livre avance dans toutes les directions, d’un siècle l’autre, en avant et à reculons, on passe de l’évocation d’une guérisseuse de la Réunion dans les années 1980 aux ancêtres de Nathan dans l’Egypte du XIXe siècle, de la description de la brutalité du nassérisme en 1956 à celle des milieux psychiatriques à Paris dans les années 1970. Ces allers-retours de la mémoire ne sont jamais gratuits et donnent un sens non seulement personnel mais aussi collectif au vécu de l’auteur. Car l’individu est miroir du groupe (et même souvent de la tribu, quand il n'en est pas même le simple ventriloque) et réciproquement. Du maoïsme, Tobie Nathan avoue avoir gardé la conviction que ce sont les peuples qui pensent, plus que les êtres isolés. Ce sont les peuples qui inventent les mots, les gestes, les idées. Et de cette conviction est née son ethnopsychiatrie à lui, la discipline à laquelle l’auteur aura consacré sa vie.
Quiconque s’intéresse à l’histoire des idées trouvera dans ce livre des récits absolument captivants sur la manière dont cette théorie (mais aussi cette pratique clinique) tenta d’accommoder le freudisme (un freudisme d’ailleurs considéré avec beaucoup de scepticisme l’âge venant, et face aux excès dogmatiques du lacanisme) à la diversité des cultures, sur cette personnalité improbable que fut son fondateur Georges Devereux dont Tobie Nathan décrit avec beaucoup de nuances les prises de position et les comportements, offrant au passage un tableau saisissant de la relation ô combien complexe qui peut se nouer entre le maître et le disciple.
A côté du témoignage historique, l’ouvrage est aussi une déclaration d’amour : à ses amis, à sa famille, à ses ancêtres, dont de riches portraits nous sont offerts. L’amour comme la haine ne sont pas toujours justes (par exemple quand l’auteur prête à sa mère les traits de George Sand, que les fidèles d’Aurore Dupin ne reconnaîtront sans doute pas dans ce tableau, ou quand il attribue peut-être un peu trop rapidement à son instituteur de CM2 des penchants antisémites là où il s’agit peut-être tout simplement – quoique fort violemment – du banal assimilationnisme du vieil enseignement républicain, dont les cultures régionales firent aussi les frais). Qu’importe ! Chez un psychologue honnête les cris du cœur sont indissociables des partis pris théoriques.
A travers le témoignage de Tobie Nathan, on comprend mieux quels chemins le freudisme, le marxisme, le sionisme, l’appartenance républicaine à la France, toutes ces représentations, et les pratiques concrètes qui en dérivaient ont pu emprunter dans le dernier quart du XXe siècle, compte tenu des héritages qui se projetaient sur elles. On comprend aussi pourquoi la psychologie s’est faite «ethnologique», quoi que l’on pense de ce projet, qui vise au fond à ramener les dieux sur terre.
• Christophe Colera
( Mis en ligne le 13/11/2012 )
LIVRE
Samedi 10 novembre 2012Tobie Nathan, savant et sorcier
par Réda Benkirane
Le quasi-inventeur de l’ethnopsychiatrie française se raconte dans un livre qui commence non avec sa vie mais par les temps immémoriaux d’Egypte
Tobie Nathan a commencé à faire parler de lui il y a un peu plus d’une quinzaine d’années pour la discipline, l’ethnopsychiatrie, qu’il a pour l’essentiel inventée dans les couloirs d’hôpitaux français. Au contact de migrants névrosés issus de cultures extra-européennes, il élabore une thérapeutique métisse de la maladie mentale, au croisement de la psychothérapie et de l’ethnologie. Approcher le trouble mental selon l’arrière-plan culturel du patient, recourir à des techniques traditionnelles de transe et de soin, interpréter ses rêves, faire parler les esprits qui l’agitent, travailler avec des traducteurs d’idiomes africains et avec des guérisseurs, telle est la démarche décomplexée de ce psychothérapeute.
Dans ses Mémoires où résonnent de multiples voix, l’auteur retrace son parcours, de sa quasi mystique «sortie d’Egypte» en 1956 suite à la crise de Suez jusqu’à sa rencontre décisive avec son mentor, l’anthropologue Georges Devereux.
C’est l’histoire d’un émigré, juif levantin, un jeune banlieusard des années 1960. Formé dans le chaudron social de mai 68, il aura su échapper aux impasses existentielles de l’idéologie et de la drogue, en poursuivant une quête du savoir, un amour des femmes et de la littérature, une formation à la psychanalyse. Son -«intégration» à la société française passe par l’école et l’université, mais n’a jamais signifié de renoncer à la mémoire du passé antérieur ni de renier les cultures dont sa famille hérite depuis des générations: judéité, arabité, francité, africanité… Ethno-Roman (Prix Femina essai 2012) raconte aussi le processus qui amène le disciple à se libérer du Maître et de ses pulsions égotistes pour poursuivre son propre chemin vers «les Autres».
L’irruption de la pensée sauvage dans la médecine
La psychanalyse de papa ramenait tout à des déterminations courues d’avance: maman, œdipe, phallus, anus. L’ethnopsychiatrie de Tobie Nathan introduit la pensée sauvage dans la médecine occidentale; elle renvoie au grand délire collectif qui agite les choses animées depuis la nuit des temps, à la polyphonie des anges et des démons, aux feux de brousse qu’embrasent des forces malignes de quelque Afrique mentale.
Gitan de la science, métèque, juif aimant Dieu mais aussi ses divinités connexes, Tobie Nathan traduit les mythes bibliques et les fait dialoguer avec les contes orientaux ou africains. La religion n’est pas seulement affaire de croyance mais aussi de créance. Se confier, s’en remettre aux esprits, parlementer avec les morts, percevoir les mondes invisibles, c’est accéder à l’idéalisation de la réalité qui façonne des paysages mentaux.
Le passeur clandestin de savoirs parsème son autobiographie de retours d’expérience: des séances de guérison loin du regard de l’Occident ponctuent une démonstration tout en pointillés sur d’autres modes de rationalité. Les histoires de vie de Tobie Nathan rappellent que chaque migrant confiné à la banlieue, rejeté par consensus ou par sondage d’opinion, sous-estimé, sous-aimé est potentiellement un medecine man , un trickster , un diplomate, un artisan des relations interculturelles et un intercesseur auprès des dieux mineurs et des malins génies. L’auteur est mû par une intuition fondamentale: la pensée est une production collective.
• Réda Benkirane
Samedi 27 octobre 2012
L'autobiographie de Tobie Nathan
Dans ma boîte aux lettres ce matin, l'autobiographie de Tobie Nathan, l'ethnopsychiatre. Depuis lors je la dévore. Et pourtant c'est douloureux, très douloureux.
Je ne sais pas pourquoi je suis tenté de la comparer avec le Lièvre de Patagonie de Lanzmann que j'avais lu après que le blogueur Edgar en eût dit du bien. Peut-être parce que ce sont toutes les deux des biographies d'intellectuels juifs ex-maoïstes. Pourtant je trouve que ça n'a rien à voir. Lanzmann a un côté virtuose dilettante. Il confie des drames personnels comme le suicide de sa soeur, mais il semble mieux installé dans l'existence que Tobie Nathan. Il est vrai qu'il y a une grosse différence de statut social entre les deux. Une différence de génération aussi. Lanzmann est né en 1925, Nathan en 1948.
Je me sens incontestablement plus proche de Nathan. Et quelque chose me brise quand je lis ses pages. Surtout quand il évoque sa passion pour Freud à 17 ans, sa foi freudo-marxiste en 68, puis son désarroi face à la psychanalyse, face au monde universitaire, enfin son rapport étrange à Devereux, un auteur que j'ai déjà évoqué en passant sur ce blog.
Nathan parle vrai. C'est un homme vrai. Cela en fait un auteur fiable et de bonne compagnie. Mais mon émotion ne tient sans doute pas qu'à cela. Elle me révèle une proximité entre moi et la génération de 68 que j'avais oubliée, moi qui pourtant ne viens pas du tout de cet univers-là (ni d'une famille qui pût avoir le moindre point commun avec lui). Ce que j'ai eu en commun avec un type comme Tobie Nathan c'est la passion du savoir mêlée à des rêves politiques, et l'amertume devant la faillite de l'université. Moi aussi j'ai eu Freud, Nietzsche et Reich dans un coin de ma tête, et j'ai cru au désir, autrement que les "coach du développement personnel" aujourd'hui. Donc fatalement je partage avec lui le sentiment de provenir d'un monde englouti.
Mais oui j'aime son honnêteté, qui fait de lui un homme en quête perpétuelle. C'est sans doute la seule valeur qui reste quand rien n'a fonctionné comme on voulait et quand les magasins de fringues et les banques ont remplacé les librairies. Nathan est toujours parti chercher le vrai ailleurs. Et donc, dans un sens, les magasins de fringues n'ont pas le dernier mot sur lui.• Frédéric Delorca
Autobiographie excentrée
par Eglal Errera
dans Le Monde du 9 novembre 2012
Le prix Femina de l'Essai vient de couronner un ouvrage alliant récit autobiographique et réflexion sur la psychanalyse et l'ethnopsychiatrie, dont l'auteur est un théoricien et un praticien de la première heure.
Servi par une écriture d'une belle vitalité, Ethno-roman est la chronique intellectuelle d'une génération et d'une communauté oublié, celle des Juifs d'Égypte, dont l'émigration engendra une diaspora discrète.
Tobie Nathan est né au Caire, en 1948, dans une famille de longue lignée rabbinique. Il en a hérité le goût du savoir, et dès l'adolescence, lisait Freud avec la même ferveur que ses ancêtres le Talmud.
Ethno-roman est empli de sa gratitude à l'égard de ceux qui l'initièrent à la connaissance, à commencer par sa mère :
"Posée dans sa famille comme un fragment d'intelligence pure, elle voulait seulement apprendre et enseigner", écrit-il.
Il y ajouté la fureur de soigner rencontrée chez les lointains guérisseurs et aux côtés de Georges Devereux, le fondateur de l'ethnopsychiatrie, auquel le lia un puissant et ambivalent attachement, et dont il dresse le portrait acéré.
Ethno-roman offre une vision excentrée et captivante du monde, soutenue par l'incessant désir de vivre, d'agir et d'apprendre
• Eglal Errera
Chaque semaine, retrouvez nos 10 livres coups de cœur. Thrillers, romans pour tous les âges, récits historiques… Voici les incontournables sélectionnés par les chroniqueurs du service livres de ELLE. Le 6 novembre 2012.
« Ethno-roman », de Tobie Nathan (Grasset). Egyptien de naissance, psychologue et écrivain , l’un des inventeurs de l’ethnopsychiatrie revient sur ses années de formation… Et si son plus grand talent était celui de conteur ? La preuve il vient de recevoir le prix Femina de l’essai.
N° 63 — octobre 2012
Livre de l’exil et de l’identité impossible, Ethno-roman fait parler les esprits : ceux des patients envoûtés, des guérisseurs et des sorciers rencontrés par l’auteur sur le terrain de l’ethnopsychiatrie ; et ceux de la petite tribu qui lui tient lieu de patrie (son frère, lord Edwin, ses parents, son aïeul Yom-Tov, le grand rabbin du Caire, Devereux, son insaisissable maître…). « Tobie, comme dans la Bible ; Nathan, comme dans la Bible. » Né en 1948 « après sa naissance », le jour où sa famille est contrainte de quitter l’Égypte, Tobie Nathan est un conteur. Qu’importe le tragique de l’existence, lorsqu’on sait l’envelopper d’un peu de magie ? Et qu’importe l’étrangeté à soi, lorsqu’on est assuré de la tendresse d’un Dieu qui se tient là, à portée de chacun, pour peu qu’on l’aime sans le craindre ? Grave et léger comme une histoire juive, Ethno-roman est un tendre retour aux origines, où la « fureur de guérir » qui anime l’auteur rejoint sa biographie.
• Chloé Salvan
sur le site de Tobie Nathan, chroniqueur à Philosophie magazine, est le lauréat du prix Femina 2012 de l’essai, pour Ethno-roman. Entrelaçant le récit de sa vie d’intellectuel et de diplomate né en Égypte, avec le récit de l’aventure de l’ethnopsychiatrie, cette autobiographie intellectuelle le suit dans ses déambulations avec ses amis « philosophes de nuit » dans le Paris soixante-huitard, jusque dans les couloirs des services psychiatriques et chez les devins d’Afrique.
Célèbre figure de l’ethnopsychiatrie – « la seule psychothérapie compatible avec un monde ouvert, polyglotte, polythéiste par nature, cosmopolite, riche d’êtres (visibles et invisibles) et de choses qui entendent ne pas disparaître » –, Tobie Nathan prend en compte les «thérapies traditionnelles» dans le traitement des populations immigrées en souffrance, laissant agir la « pensée magique », « l’ADN la plus fiable de la nature humaine ».
Né en 1948, ce professeur de psychologie à l’université de Paris-8, est l’auteur de Psychanalyse païenne. Essais ethnopsychanalytiques (Dunod, 1988. rééd. Odile Jacob), mais également de romans policiers, comme Dieu-Dope (Rivages, 1995). Intervenant régulièrement dans les pages de Philosophie magazine, il a notamment commenté la nouvelle d'un autre écrivain, lauréat du prestigieux prix Goncourt cette année: Jérôme Ferrari.
• Cédric ENJALBERT
Sur le site de Gauche Hebdo
Du quartier juif du Caire à la chaire d’université
par Pierre Jeanneret
vendredi 12 octobre 2012
Dans « Ethno-roman », le célèbre ethnopsychiatre Tobie Nathan raconte son parcours de vie et de migrant.
Tobie Nathan est reconnu comme une sommité mondiale (certes parfois contestée) de l’ethnopsychiatrie. En bref, cette discipline postule que certaines souffrances intérieures engendrant des dysfonctionnements ne proviennent pas du tréfonds de l’individu, de son moi, mais du hiatus entre la culture d’origine des populations migrantes et celle de leur lieu d’insertion : « je m’intéressais aux pathologies des personnes venant de loin, d’un autre pays, d’une autre culture, d’un autre monde. » Ce qui nécessite l’adoption de thérapies nouvelles, qui répondent à des croyances telles que « la possession par les esprits, la vengeance des morts, les attaques de sorcellerie ». Nathan est lui-même l’un de ces migrants qui ont dû s’adapter de gré ou de force à la société française. Né en 1948 au Caire, il appartient à l’antique communauté juive d’Egypte, chassée du pays par Nasser après l’agression franco-anglo-israélienne liée à l’affaire de Suez en 1956. Auteur de très nombreux ouvrages scientifiques, professeur de psychologie pathologique et clinique à l’Université de Paris VIII, diplomate, T. Nathan s’est aussi distingué par ses romans qui ont obtenu un légitime succès. C’est doté d’une plume de véritable écrivain qu’il a entrepris de raconter son « roman familial » et son propre parcours de vie. Les pages les plus émouvantes sont sans doute celles qu’il consacre à son enfance cairote, dans cette communauté des « Juifs du Nil » à la fois si fidèle à ses traditions et si enracinée dans la société cosmopolite égyptienne. Attachement à la langue arabe ; sentiment très fort d’appartenance à une famille dont la destinée a épousé celle des juifs séfarades depuis leur expulsion d’Espagne en 1492 ; beau portrait d’un père qui a transmis à ses enfants non la foi exacerbée des Askhénazes, mais un amour « tempéré » de Dieu et des rituels qui lui sont liés ; amour de sa mère pour la culture française incarnée par George Sand ou Victor Hugo. On relèvera aussi des pages poignantes sur l’exil, avec l’illusion du retour qui fait bientôt place à la nécessaire rupture avec la terre des origines, ainsi que des réflexions pertinentes sur la problématique des immigrés : par exemple le fait que le père devienne un enfant aux yeux de son fils, seul capable de remplir les formulaires de la sécurité sociale. « Ayant accompli le parcours de la migration avant eux – écrit Nathan – je le connaissais dans ses méandres ».
Milieu parisien et expériences médico-psychiques sur divers continents
Le livre est un aller-retour entre l’évocation de cette enfance et ses années de formation académique parisienne. Avec une ironie mordante, T. Nathan évoque les cours somnifères et complètement déconnectés de la réalité présente, dispensés dans les universités françaises (mais celles aussi de Suisse, ce que nous avons personnellement vécu !). Avant que Mai 68 ne provoque un véritable raz-demarée. L’auteur décrit de façon très vivante ces événements et leur ivresse libératoire, notamment sexuelle, tels qu’ils furent vécus part la « piétaille » dont il faisait partie. Son livre dépeint aussi de grandes figures de l’intelligentsia française : Vladimir Jankélévitch, Georges Devereux souvent considéré comme le fondateur de l’ethnopsychiatrie, Jacques Lacan qu’il n’est pas loin de considérer comme un imposteur, ou encore Benny Lévy, dirigeant de la Gauche prolétarienne en 68 … et transformé en juif religieux ultra-orthodoxe. Luttant contre le « prêt à penser » intellectuel, il remet utilement en question certaines thèses de Freud et certains tabous de la psychiatrie, comme le fameux « test de Rorschach ». L’un des postulats les plus discutés de l’ethnopsychiatrie est la réhabilitation des savoir-faire médicaux traditionnels, ceux des chamans et autres guérisseurs. Dans des chapitres troublants, T. Nathan rapporte des expériences singulières de « guérisons » sur l’île de la Réunion, au Burkina Faso, et à Rio de Janeiro les rituels de candomblé, religion apportée d’Afrique par les esclaves noirs. Sans doute ces processus qui échappent à l’univers de la Raison pourront-ils heurter des esprits trop cartésiens ! On est ici aux frontières floues entre la médecine, la psychologie et l’anthropologie. Mais surtout – et tel nous paraît être le message essentiel d’Ethno-roman – il n’est pour l’homme de compréhension possible des autres cultures sans une véritable intégration dans la sienne propre. Le livre de Tobie Nathan est donc d’abord, fondamentalement, une tentative d’explicitation de son rapport très profond sinon à la foi, du moins à l’âme et à la culture juives qui lui ont été transmises dès son enfance.Tobie Nathan, Ethno-roman, éd. Grasset, Paris 2012, 382 p.
Nouvel Observateur N° 2497, du 13 au 19 septembre
Tobie or not Tobie
Le créateur de l'ethnopsychiatrie publie ses mémoires. De son enfance au Caire à ses consultations en France avec les immigrés àù s'invite le monde magique des esprits.
UN ENTRETIEN DE Gilles ANQUETIL avec Tobie NATHAN
Le Nouvel Observateur L’histoire mouvementée de votre prénom pourrait être un cas d’école en ethnopsychiatrie, discipline que vous avez créé dans les années 80. En quoi a-t-elle marqué votre identité ?
Tobie Nathan. C’est l’impossibilité de porter mon prénom qui a imprimé mon identité. En raison d’un rêve de ma mère avant ma naissance j’aurai dû m’appeler Yom-Tov, prénom du grand-père de mon grand-père qui fut grand rabbin d’Egypte. Mais, quand mon père en 1948 va au Caire me déclarer à l’état-civil, c’est le moment où commence la guerre entre les juifs et les arabes. Il fut alors impossible à mon père de me donner le prénom de Tobie qui est le diminutif de Yom-Tov parce il sonnait aux oreilles égyptiennes trop juif ou trop anglais. En hébreu, Yom-Tov veut dire « jour de fête », alors, dans l’urgence, il a choisi de m’appeler « Eïd », comme l’Eïd el kébir. Plus tard en France au moment de ma naturalisation à l’âge de 21 ans impossible une nouvelle fois de récupérer mon prénom Tobie en raison d’un refus de l’administration. J’ai donc choisi, de nouveau dans l’urgence, le prénom de Théophile, « celui qui aime Dieu ». J’aurais préféré être « l’aimé de Dieu ». Mais on ne peut décider de tout. Sur mes papiers d’identité je m’appelle toujours Théophile.
Le Nouvel Observateur Dans votre enfance au Caire, jusqu’à l’âge de dix ans, vous avez vécu dans un concert de langues différentes.
Tobie Nathan. A cette époque les trois quarts des juifs d’Egypte ne parlaient pas l’hébreu, mais le français, et bien sûr l’arabe. C’était une francophonie de distinction. Enfants, tous, nous vivions au milieu de multiplicité de langues. Nous baragouinions de l’arménien, du grec, du turc, de l’italien… Héritage de l’empire ottoman, mes parents avaient la nationalité italienne, car il était quasi impossible d’être égyptien si on n’était pas musulman. Mes parents croyaient que ce passeport leur assurait une protection. Autochtones, les juifs d’Egypte sont par accident devenus des étrangers dans leur propre pays. Mais mes parents n’avaient jamais imaginé qu’ils seraient expulsés vers l’Italie en 1957. Ce fut pour eux une surprise totale.Le Nouvel Observateur Dans votre mémoire d’enfant le Caire de cette époque constituait une sorte de « parlement des dieux »
Tobie Nathan. Oui. Nous étions tous très attentifs aux religions des autres et surtout à leurs fêtes. Cela faisait partie de la politesse commune. Quand dans les années 80 j’ai institué mes premières consultations d’ethnopsychiatrie à Bobigny, avec cette diversité de dieux, d’esprits et de langues, j’ai d’une certaine manière reconstitué ce parlement des dieux de mon enfance. Mais cela, je ne l’ai compris qu’après coup.
Le Nouvel Observateur L’autre particularité de votre enfance cairote est cette cohabitation entre le monde visible et invisible, le monde moderne et celui des djinns et des esprits.
Tobie Nathan. Tout naturellement dans ce monde le médecin et le guérisseur juif ou arabe cohabitaient .Quand j’étais malade ma grand-mère me donnait à la fois des médicaments et des potions traditionnelles. La distinction entre le rationnel et l’irrationnel n’existait pas. Je ne l’ai connu que bien plus tard.
Le Nouvel Observateur Adolescent en France, à Gennevilliers, vous vous prenez de passion pour les livres de Freud.
Tobie Nathan. En particulier pour ses « Trois essais sur la théorie de la sexualité ». Freud me parlait enfin de choses qui m’intéressaient. Avec quelques amis, on lisait les textes de psychanalyse comme le Talmud. On les apprenait par cœur.
Le Nouvel Observateur Vous avez même poussé à 19 ans la passion ou le vice jusqu'à, avec un ami, vous psychanalyser mutuellement.
Tobie Nathan. Nous avons pratiqué pendant deux à trois ans cette analyse mutuelle et totalement sauvage. Mon ami est d’ailleurs devenu psychanalyste. On a commencé comme cela. Au fond, ce fut sans doute ma seule vraie psychanalyse.
Le Nouvel Observateur L’autre passion à la fin des années 60, ce fut la politique ?
Tobie Nathan. Bien sûr, je rêvais de relier la psychanalyse et la politique et surtout d’apporter la psychanalyse au peuple, de la chasser de son monde bourgeois. En réalité, c’est ce que j’ai fait tout au long de ma vie avec l’ethnopsychiatrie, par l’intermédiaire de ces consultations collectives, transnationales et multilingues. Toutes mes consultations avec des patients ont été et sont gratuites. Ce qui, à l’époque, a scandalisé et mis en fureur le monde psy.
Gilles AnquetilLe Nouvel Observateur Et puis à l’âge de 22 ans une rencontre a changé votre vie : celle avec Georges Devereux, ce chercheur si mystérieux et passionnant
Tobie Nathan. Devereux fut mon maître, pas mon professeur, lui qui pourtant n’a jamais réussi à trouver le sien. Il avait une pensée totalement libre et originale. Tous ses étudiants de l’Ecole pratique des Hautes Etudes étaient d’extrême gauche et lui très à droite On s’en moquait. Il appartenait à une droite anarchiste austro-hongroise marquée par la phobie totale du communisme. Lui, converti dans les années trente au catholicisme, dont le vrai nom hongrois était Georghe Dobo a, et c’est incroyable, toujours dissimulé son identité juive. Mais pendant la guerre du Kippour en 1973, il tremblait littéralement de peur pour Israël. La première fois que je l’ai vu, il m’a choisi comme son successeur. J’avais 22 ans. Il fut donc mon maître. Il m’a intellectuellement fabriqué. Je pensais par sa tête, alors que sa personne complexe et possessive ne m’intéressait guère. Vingt ans plus tard, au moment où je créais mes premières consultations d’ethnopsychiatrie, il m’a brutalement accusé de l’avoir trahi et la rupture fut immédiate. En un certain sens, il m’avait donné un prétexte pour reprendre ma liberté. C’était quatre ans avant sa mort. Je ne l’ai plus jamais revu. L’invention de l’ethnopsychiatrie s’est faite dans l’improvisation la plus totale. Elle a bénéficié du fait qu’à cette époque la psychanalyse et l’ethnologie étaient des disciplines phares, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Georges Devereux
Le Nouvel Observateur Vous avez introduit dans vos consultations un étrange commerce avec l’invisible.
Tobie Nathan. La psychanalyse s’est construite contre les esprits, mais avec l’ arrivée d’une foule de nouveaux migrants venant de cultures très différentes, il a fallu tout réinventer. On considérait ces migrants comme de nouveaux prolétaires sans reconnaître qu’ils étaient toujours connectés avec les esprits et les ancêtres de leurs pays d’origine. Installés en France, ils appartiennent toujours à leur « monde » plus ou moins magique dont on a voulu les « nettoyer ». C’est absurde et, heureusement impossible. La richesse des pensées et pratiques thérapeutiques apportée par les migrants est incroyable. Les thérapeutes traditionnels sont des stratèges qui négocient et rusent avec les esprits et l’invisible. On ne négocie pas avec l’inconscient. C’est pourquoi je préfère les esprits à l’inconscient. J’ai bien connu Flavio Pessoa, un grand professeur d’anthropologie brésilien, eh bien, le week-end, il était maître de cérémonie vaudou. Cette autre relation au monde était pour lui parfaitement naturelle. Ce qui me frappe chez les guérisseurs, à la différence des psychanalystes, c’est leur passion pour la guérison. C’est elle qui les intéresse. C’est pourquoi je tiens beaucoup au suffixe « iatrie » (cure, soin) d’ethnopsychiatrie. Devereux disait toujours qu’il ne fallait pas abandonner la « iatrie » aux médecins.
Le Nouvel Observateur Vous écrivez dans « Ethno-roman » qu’il est très dangereux de négliger les morts. Pourquoi ?
Tobie Nathan. Vous ne trouvez pas que c’est important ? En Afrique, il y a partout des endroits où l’on fait parler les morts. En France, il n’y a que les médecins légistes et les notaires qui leur donnent la parole. La séance du testament chez le notaire correspond à tout ce que l’on peut voir au Congo ou au Cameroun où l’on ne craint pas de faire apparaître les morts. Il n’y a pas d’irrationnel mais des formes de rationalités différentes qu’il faut apprendre à découvrir. L’ethnopyschiatrie ne connaît ni racisme ni frontières. Si j’ai eu des élèves, si j’ai dérigé de nombreuses thèses de doctorat, je ne suis le maître de personne. Peut-être l’ethnopsychiatrie disparaîtra-t-elle après moi. Mais les questions qu’elle pose, et celles, par exemple, des nouveaux et jeunes migrants, parfois des mineurs isolés coupés de leurs parents et leur culture familiale, ne peuvent pas disparaître.
Propos recueillis par Gilles Anquetil
Sur le Blog "Au fil de mes pas"
Jeudi 13 décembre 2012
Tobie or not Tobie
ETHNO-ROMAN
J'avais retardé le moment d'acheter ce livre. Le passage de l'auteur à " la Grande Librairie " m'a poussé à franchir le pas. Il m'a fallu encore patienter avant de pouvoir me plonger dans sa lecture. Mon mari m'avait devancé, sitôt le livre acheté.
La perspective de trouver dans les mots d'un autre ce qui résonne chez soi, est souvent alléchante. Je l'ai vu accueillir ce livre à la fois comme une confirmation et comme un baume, de ce qu'il a lui même vécu en quittant la chaleur de sa Tunisie natale. Indubitablement cela laisse plus d'une trace,. Ce livre s'écoute comme une conversation que l'on surprendrait dans un train. C'est très agréable. Avec beaucoup de tendresse et d'humour, l'auteur nous livre certaines pages de son existence. Sa famille, ses ancêtres y tiennent une place prépondérante. Son parcours est celui d'un émigré, qui pose les pieds d'abord en Italie puis en France à Gennevilliers. Les souvenirs et les réflexions s'enchainent entre une mère qu'il dépeint comme un fragment d'intelligence pure, un père qui demeure une énigme et un frère qu'il aime " tout simplement".
Tobie Nathan à la grande LibrairieSa curiosité intellectuelle et son besoin de comprendre le monde en effervescence le conduisent à ouvrir ses premiers livres de psychanalyse et ensuite à s'inscrire en fac de sociologie, quand résonne les slogans de Mai 68. Grâce à la plume de Tobie Nathan, il devient facile de respirer quelques uns de ses parfums entêtants.
Son récit est fait de nombreux allers-retours. Comme les brodeuses, qui connaissent l'art de raconter sans jamais quitter leur ouvrage, il revient à plusieurs reprises sur son enfance égyptienne. Il s'y ressource.Cela résonne comme un leit-motiv.C'est là que s'enracine sa compréhension des traditions orales. Alors quand il rencontre Georges Devereux, il y a comme une reconnaissance naturelle , évidente, tacite que l'un devient le maître et l'autre l'élève qui lui succédera. " Son expérience, écrit Tobie Nathan me semblait infinie, la mienne surtout imaginaire - il avait fait le tour du monde et moi plusieurs fois celui de ma chambre." Plus loin , il le présente comme un "découvreur, un décapsuleur, un maniaque de l'euréka." Le portrait qu'il dresse de son maître, permet de saisir la complexité du pionnier qu'il fut.
http://tobienathan.wordpress.com/about/trouve-toi-un-maitre/
Cette spécialité est encore jeune. Tout est à inventer. A Bobigny, ce sera Serge Lebovici qui en lui donnant carte blanche, lui permet d'ouvrir le premier centre Georges Devereux à St-Denis . Seul un homme déraciné et curieux est à même d'entendre derrière les souffrances et les errances des patients qu'il reçoit, l'impact de la culture d'origine sur les processus d'adaptation et d'insertion ; seul un homme qui n'ignore pas la force des mythes et des rituels ancestraux, de la force de la "pensée magique" est à même de soulager et guérir.
Un proverbe touareg dit qu' "Au premier voyage on découvre, au second on s’enrichit." Tobie Nathan, a voyagé pour rencontrer des guérisseurs africains, réunionnais ou brésiliens. D'ailleurs les récits de ces rendez-vous assortis de guérisons étonnantes jalonnent le roman. C'est l'expérience de toute une vie que l'auteur nous propose. Ce livre pourrait n'être qu un essai intéressant, il est bien davantage par les leçons de vie qu'il nous donne à mi voix .
Nous l'en remercions.Extraits:
" J'ai seulement appris de mon père que l'on ne peut prier contraint, que Dieu est seulement une présence et la prière, quelquefois la chance d'une visite. " " En quelques mois j'étais devenu un petit italien turbulent expert en italianité.Je servais de guide à mon père resté suspendu, pas encore parti d’Égypte, ne sachant s'il resterait là, qui regardait de l'autre côté de la mer une terre qu'il n'atteindrait jamais... Tel est souvent le destin des enfants dans les familles migrantes, guides de leur propres parents dont l'âme parasitée est hypnotisée par ce monde trop nouveau. "
" Combien d'enfants ne parviennent pas à se familiariser avec le savoir, parce qu'il leur arrive comme venin. "
" Si les psychanalystes ont si souvent des airs de parvenus, c'est que se sentant investis par leurs patients et par leurs élèves comme modèles, ils finissent par coller au rôle. Je sentais le rôle social m'agripper, me coller aux basques. Et puis le métier de psychanalyste est un tel esclavage qu'il laisse peu de temps à la fantaisie. j'ai obtenu quelques succès thérapeutiques, néanmoins, mais besogneusement, sans panache. Pour ceux-là, comme on dit, " j'avais mouillé ma chemise!" Je ne savais pas encore le formuler , mais je pressentais que les pathologies des patients s'améliorent à l'aune des sacrifices consentis par le thérapeute. "
"Je soignais pour apprendre ; j'apprenais pour enseigner ; j'enseignais pour retenir ce que j'avais appris. "Les confessions de Tobie Nathan
par Éric de Bellefroid
Sur le site de La Libre Belgique — Mis en ligne le 10/09/2012
Un “Ethno-Roman” d’une lumineuse intelligence humaine.
Né au Caire, qu’il dut fuir lors de la crise de Suez en 1956 sous la présidence nationaliste de Nasser, Tobie Nathan (novembre 1948) vint trouver - via l’Italie - l’asile en France, dans l’humble cité de Gennevilliers. Mais il n’a pas perdu en chemin une seule miette d’une "judéité arabe" qui en aura fait un prince de la diaspora, l’un de ces savants les plus éminemment cosmopolites de notre époque. "Exilé, je l’étais sans doute; mon Ithaque, je ne la connaissais pas; je me vivais seulement Ulysse en errance."
En 1968, il eut bientôt vingt ans quand, sur Paris puis la France entière, souffla l’haleine des grands soirs d’un printemps torride. Une révolution anarcho-romantique dans un premier temps, dont le dessein n’était pas tant de prendre le pouvoir que de changer les institutions. Entre Nanterre et la Sorbonne, Tobie Nathan chevauchait les rues à bord de sa vieille 2 CV.
Le jeune immigré d’alors, un temps situationniste à la façon de Raoul Vaneigem, communiste de cœur, n’inclinait guère cependant pour les violentes dérives qui suivirent. Plus préoccupé en définitive par les diatribes qui entouraient le séminaire néo-freudien de Jacques Lacan, et fasciné déjà par l’enseignement de Georges Devereux, son maître et directeur de thèse, Juif hongrois d’origine ne voulant plus trop le savoir, qui avait beaucoup voyagé en Asie et qui installait le courant ethnopsychiatrique à l’Université.
Il demeure que l’étudiant en psychologie aspirait de toutes ses forces à devenir psychanalyste et professeur. Vint le jour du reste où il alla s’allonger sur le divan pour cinq ans, trois fois par semaine. Tout cela avec le maigre salaire qu’il percevait alors, tandis qu’il pratiquait des séances de psychothérapie à domicile, auprès des "vraies personnes", et poursuivait des recherches assidues sur les communautés sexuelles. Car Tobie Nathan, marié à 20 ans, aimait déjà passionnément l’amour, les femmes, le sexe.
Dans le sublime foisonnement de cet "Ethno-Roman", qui relèverait plus en vérité d’une autobiographie intellectuelle et généalogique, on reconnaîtra l’influence particulièrement prégnante des guérisseurs de la folie rencontrés de par le monde, et plus singulièrement en Afrique. Mais aussi, au milieu des orages qui s’abattent sur la psychanalyse depuis plusieurs années, l’auteur apporte au débat un jugement nuancé, non sans poser des questions délicates qui ne plaident pas toujours, il est vrai, en faveur de la cure et de la légitimité de l’analyste.
Proche du Dr Ostaptzeff, son véritable initiateur en clinique, qui "avait connu les asiles psychiatriques d’après guerre, les fous avant les médicaments modernes, le grand enfermement, comme l’appelait Michel Foucault", et qui ne "croyait pas aux vertus de la psychanalyse en un temps où tous les praticiens de la psychiatrie la brandissaient comme fétiche", Tobie Nathan finit par lui donner raison, et par s’interroger sérieusement sur "le marché de la guérison".
Toujours soucieux et respectueux de la thématique identitaire, l’intellectuel remonte volontiers à ses racines rabbiniques. Mais en prenant quelques distances avec la prière contrainte - aimer Dieu, oui; le craindre, non. Il postule de surcroît qu’on ne naît pas religieux, la foi ne pouvant guère affleurer qu’au fil d’un long cheminement. C’est une fière leçon que nous administre ce grand ambassadeur de l’ethnopsychiatrie, dans un livre enluminé, d’une chaude humanité, peuplé de grands esprits, y compris ceux des morts qui continuent de planer au-dessus de nous.
• Éric de BellefroidEthno-Roman Tobie Nathan Grasset 380 pp., env. 19,50 €
Coup de coeur !!!
Tobie Nathan livre des mémoires divinement peu egotiques. Ethno-roman.24/09/2012
L’ethno-psychiatre et écrivain Tobie Nathan livre chez Grasset un récit joyeux et en pointillés de sa vie. Un livre plein de joie, de portraits réussis d’intellectuels des années 1970 et une défense très personnelle mais jamais égotique de l’ethnopsychiatrie, discipline qui fait appel à l’ethnologie et qui interroge le milieu culturel des sujets pour mieux engager le processus de thérapie.
Sortie le 12 septembre 2012.
Né dans une famille juive et de culture déjà marxiste en Égypte après la Deuxième Guerre mondiale, Tobie Nathan est encore enfant quand ses parents doivent quitter précipitamment leur pays, qui expulse ses juifs. Il fait alors le parcours classique de l’immigré d’Afrique du Nord sans moyens financier en France : cages à lapins de banlieues où sa famille s’entasse tandis-que son père tente de trouver de quoi faire bouillir la marmite.
Situation de précarité de laquelle il ne garde pas un souvenir traumatisant… Il a exactement 20 ans en Mai 68 et lit Freud essai après essai sans pouvoir reprendre son souffle. Alors que l’inflexibilité de doctrines marxistes de certains camarades l’éloigne de toute velléité politique, il désire néanmoins compter pour son temps. C’est la rencontre avec l’anthropologue et psychanalyste, fondateur de l’ethnopsychanalyse qui change le cours de sa vie. Pendant dix ans, ce dernier le suit tandis-que Tobie Nathan rédige sa thèse.
Une fois diplômé, il rompt bien malgré lui avec son maître aux affinités sautillantes et au caractère difficile pour créer un département d’ethnopsychiatrie à Bobigny, ville aux communautés diverses qui est le lieu idéal pour tester les vertus de cette nouvelle discipline…
Avec beaucoup de joie d’écrire et de goût pour la vie, Tobie Nathan livre des mémoires à la fois conventionnels (sa trajectoire de vie) et originaux : la vocation d’ethnopsychiatre de cet intellectuel, le pousse à préférer se décrire évoluant au sein de sa famille juive ou dans le milieu de la psychiatrie française des années 1970, plutôt que de livrer un exercice égotique de success-story personnelle. le résultat livre des clés intéressante pour comprendre l’homme mais aussi les milieux qui l’ont forgé.
Se risquant par exemple à défendre le communautarisme de certains noyaux d’immigrés comme les juifs Égyptiens qui s’entraidaient « entre-eux » à l’arrive de nouveaux venus en France est courageuse à l’heure où de telles « enfermements » dans la communauté sont décriés de toutes part. Plus qu’une histoire éducation intellectuelle et sentimentale, le livre est donc une défense philosophique et humaine de la discipline que Tobie Nathan a contribué à forger. Si bien que le texte est lardé d’épisodes cliniques, qui ont pour originalité d’être aussi des fragments de voyages, puisque l’ethnopsychiatre est aussi ethnologue et est allé rencontrer ses patients un peu partout dans le monde.
Tobie Nathan, Ethno-roman, Grasset, 382 P., 19.50 euros. Sortie le 12 septembre 2012.
« Mais certains adultes- je crois que c’étaient les plus mûrs e les plus accomplis- organisaient leu univers pour nier l’exil. elle, je la reconnais comme mon double en nostalgie.Nus l’appelions « la tante G. », parce qu’elle était réellement la tante de l’un d’entre-nous. Elle avait décidé de vivre en France comme elle vivait au Caire, une vie de discussions perpétuelles autour d’un whisky en tapant le carton. la journée, elle s’occupait tant bien que mal de sa maison et de ses trois enfants. mais quand arrivait le soir, c’est alors que commençait la vraie vie. Un taxi venait la chercher pour la conduire au casino d’Enghien. Elle y retrouvait d’autres Egyptienne, comme elle, mais aussi des Algériennes et des Tunisiennes. Elle y passait la nuit entière, rentrant à l’aube, le visage et les vêtements fripés, quelquefois reconduite par un galant occasionnel. Pour supporter la situation, son mari faisait taxi de nuit. » pp. 277-278.
in toutelaculture.com par Yael
Ethno-Roman
par Philippe Gauthier
sur le site de Froggy's Delight le 10 septembre 2012
Une autobiographie crée souvent autant d’enthousiasme pour celui qui l’écrit que d’ennui pour celui qui la lit. Jeu de sanctification de son auteur, qui n’a pas au préalable un piédestal disponible pour installer ce dernier bien à son aise et l’admirer, n’aura que faire des jeux d’atermoiement ou d’autosatisfaction convenus et pourra bien vite piquer du nez non par déférence mais par ennui.
Comment ce livre échappe-t-il à la règle ? Sans doute en brisant constamment sa ligne de narration. La chronologie devient folle : la naissance de Tobie Nathan précède et suit sa naissance physique. Le spectre d’un arrière arrière grand père rabbin en Egypte revient prendre place dans le foyer de sa descendance en donnant son nom à l’enfant à naître. L’exode des juifs d’Egypte en 1958 pousse la famille de Tobie Nathan à immigrer en France et le fait naître une nouvelle fois (la véritable selon lui). Il est alors âgé de 10 ans. Né trois fois là où les autres se contentent de ne naître qu’une…
La biographie de Tobie Nathan suit les soubresauts du mouvement de l’histoire. Mai 68 passe par là, et l’ivresse de la liberté qui naîtra alors suivra Tobie Nathan toute sa vie. Il refusera les chapelles et fuira les tendances dominantes (qu’elles soient psychanalytiques ou politiques). Ce livre décrit le long cheminement de l’auteur pour parvenir à développer l’ethnopsychiatrie, comme si elle venait tout naturellement s’inscrire dans un parcours a priori chaotique.
La rencontre de Georges Devereux est déterminante. Il est le véritable initiateur de l’ethnopsychiatrie et choisit l’auteur (du moins selon ce dernier) comme héritier intellectuel. Tobie Nathan nous le présente comme un véritable personnage de roman, loin de toute convention universitaire, provocateur en réaction à l’esprit soixant-huitard et pourtant en totale harmonie avec lui : véritable anarchiste qui va jusqu’à se refuser cette étiquette. Ce portrait justifie à lui seul (s’il le fallait) la lecture du livre.
Le livre est parsemé d’incises qui font respirer le texte : au milieu du récit survient l’épisode de telle ou telle rencontre avec des guérisseurs de différents pays. Rapportés avec un véritable talent de conteur, ces moments qui pourraient n’être qu’un compte-rendu d’un travail d’ethnologue sur le terrain donnent a posteriori une perspective différente sur l’itinéraire de Tobie Nathan. Drôle d’autobiographie qui laisse la place à une sorte de mystère sans pour autant nous conduire à un quelconque mysticisme. Peut-être plus proche, littérairement parlant, du roman que de l’autobiographie (comme l’indique le titre du livre), le plaisir de lecture en est décuplé.• Philippe Gauthier
20 août 2012
Ethno-Roman de Tobie Nathan
Par Esther Orner
dans Kef Israël :
En ce moment je lis au moins trois livres à la fois. Mais ce Shabbat je l’ai entièrement consacré à Ethno-Roman de Tobie Nathan arrivé à ma grande surprise ces jours-ci. Je comptais le lire en plusieurs fois. Ne pas l’avaler en papivore que je suis. Dans la nuit du vendredi au samedi, je me suis réveillée à trois heures du matin. J’ai commencé la lecture. Je n’ai pas « le goût de la nuit » comme Tobie Nathan, mais plutôt celui du grand jour. Il a dû m’inspirer ou m’envoyer ses esprits. Je me suis rendormie à l’aube pour me réveiller plus tard et enchainer la lecture avec quelques pauses jusqu’à la sortie du Shabbat.
Dès l’incipit, j’ai été intriguée: « En vérité, je suis né après ma naissance ». J’aime que l’on soit né après sa naissance.
Sa famille proche quitte l’Égypte comme tant d’autres après l’opération de Suez, en 1956. D’abord ils immigrent à Rome, ils sont sujets italiens, puis en France. Ils n’ont pas choisi Israël comme beaucoup d’Egyptiens. Tobie Nathan a dix ans. Par sa mère qu’il considère comme un génie et apparemment cette femme était géniale, il fait partie d’une lignée de grands rabbins qui ont joué un rôle aussi bien dans la communauté juive qu’à l’extérieur. D’une famille aisée, voire riche, ils devinrent pauvres comme tant d’immigrés et vivrons dans la banlieue parisienne. Tobie Nathan ne retournera jamais en Égypte. D’ailleurs il n’y a plus de juifs en Égypte. Il rapporte sa rencontre avec le chargé d’affaires de l’ambassade d’Égypte à Tel Aviv, étonné par son bon arabe égyptien. Tobie Nathan lui répond qu’il est juif égyptien depuis des générations. L’égyptien rétorque « Il n’y a pas jamais eu de Juifs en Égypte » (pages 183- 84)) Judenrein? Oui, absolument. Il reste bien quelques vieillards, mais tout de même Judenrein.
Tobie Nathan ne deviendra pas rabbin. Ce qui ne l’empêchera pas d’être relié profondément au judaïsme, à sa culture, à son Dieu. Il sera Ethnopsychiatre, intéressé par les migrants d’autres cultures, par leurs esprits par leur divinités. Nathan est tout de même un peu spécial comme on dit dans un de mes pays d’origine… Ce qui ne peut plaire à tout le monde.
Pour lui penser, écrire sont exercices de sincérité (page 359.). Cette sincérité c’est ce qui m’a frappé tout le long du récit. Et puis ne jamais parler pour ne rien dire. Il l’a en commun avec son maitre Devereux à qui il consacre des pages inoubliables. Une rencontre étourdissante. Rare. Manitou aurait pu être son maitre. Il ne le sera pas. Cela sera réservé à Georges Devereux. C’est dans la logique du personnage.
On rencontre une foule d’individus très connus dans le landerneau parisien, les maitres à penser des années 70, mais aussi de nobles inconnus et les femmes qu’il a aimées.
Son père tient lui également une grande place dans son roman. « Mon père a toujours été un insoumis. Non pas un révolté, encore moins un révolutionnaire… » Un insoumis fondamental, silencieux et souriant, moqueur et taquin, farouchement lui-même – un autonome » (page 164) Cette description ne le décrit-elle pas aussi?
Ethno-Roman est une autobiographie. Ni déguisée, ni une autofiction. Il se lit comme un roman policier qui décrit toute une époque comme dans les meilleures biographies – Mai 68 et sa révolution culturelle, le communisme à la française, la psychanalyse et ses écoles, l’exil contemporain et bien sûr l’Égypte d’avant avec sa population diversifiée et cosmopolite.
©Esther OrnerTélés Télés…/… François Busnel
à La Grande Librairie, le jeudi 1er novembre à 20h40…
et à 22h55 le dimanche 4 novembreprésentée par François Busnel
en compagnie de Wajdi Mouawad, Agnès Desarthe et Jérôme FerrariOn peut regarder l’émission ici <—
Radios Radios…/… Victor Malka
Le 25 novembre 2012 à 9h10
Maison d'Étude
La foi d'un psychanalyste : Tobie Nathan
On peut réécouter l'émission ici <—
Tewfik Hakem
Le 11 octobre 2012 à 6h30
Un autre jour est possible
Invité :
Tobie Nathan pour son texte autobiographique Ethno-Roman, paru aux éditions Grasset.
On peut réécouter l'émission ici <—
Laurent Goumarre
Le 5 octobre 2012 à 19h03
Le Rendez-vous
Invité(s) :
Georges Didi-Huberman
Tobie Nathan, diplomate, écrivain et professeur de psychologie
Liesa Van Der Aa, musicienneOn peut réécouter l'émission ici <—
Christophe Bourseiller
Le lundi 24 septembre, Tobie Nathan, à la Matinale de France Musique, à 8h00, à l'occasion de la sortie d'Ethno-Roman (Grasset), le 12 septembre en librairie.
Il signe également une enquête intitulée "Qui sont les enfants sorciers", à paraître dans Philosophie Magazine n°63 (octobre 2012).
Sur les ondes de la
Radio suisse romande
Anik SchuinLe 14 septembre 2012 le grand entretien avec Anik Schuin
Présentation sur le site de la radio :
"Le célèbre ethnopsychiatre raconte son épopée personnelle et revient sur une discipline qui prend en compte le monde culturel du patient.
Où l’on apprend que Tobie s’appelle aussi Yom Tov et Théophile, “celui qui aime Dieu”.
Tobie Nathan se résume ainsi et fort bien: “Je suis comme la goutte qui file entre les doigts pour s’en aller rejoindre la source…”
Tobie Nathan, pionnier de l’ethnopsychiatrie, né au Caire en 1948, est égyptien. Héritier d’une lignée de rabbins, il est juif “sans excès”. Ayant enfant vécu à Rome, il est italien rejoignant ainsi son passeport. Une jeunesse passée dans la Cité de Gennevilliers en France a fait de lui un communiste. Formé à la psychanalyse, il n’a jamais rejoint le rang.
Après nous avoir donné des clés pour interpréter les rêves, Tobie Nathan, prolixe auteur et romancier à ses heures, nous ouvre quelques portes sur son parcours familial, intime et professionnel.
—> Pour (ré)écouter l’émission
à l’occasion de la sortie le 12 septembre 2012 de son ETHNO-ROMAN, François Busnel consacre l'émission du 29 août 2012 à un grand entretien avec Tobie Nathan.
Choix musical de l’invité :
You’re the boss (chanson de Jerry Leiber et Mike Stoller), Interprétée par Lavern Baker et Jimmy Ricks en 1961…à l’occasion de la sortie le 12 septembre 2012 de son ETHNO-ROMAN, Paula Jacques consacre le dernier “Tout compte fait” de l’été à Tobie Nathan…/… dans l'émission du dimanche 26 août 2012
Né en 1948 au Caire en Egypte, professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université de Paris VIII, Tobie Nathan est le grand représentant en France d'un courant de la psychiatrie travaillant sur l'origine culturelle des patients : l'ethnopsychiatrie. Il a fondé en 1993 le Centre Georges-Devereux, centre universitaire d'aide psychologique aux familles migrante. Diplomate, il est depuis septembre 2009 Conseiller de Coopération et d'Action Culturelle près l'Ambassade de France en Guinée, à Conakry.
(Biographie de la Documentation de Radio France)Distinctions 06/11/2012 16:30
Félicitations d'Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, à Tobie Nathan
Le Prix Femina de l’essai est attribué cette année à Tobie Nathan pour « Ethno-roman » une autobiographie intellectuelle qui raconte, avec la séduction raffinée d’un conteur égyptien, l’aventure de l’ethnopsychiatrie.
J’adresse mes chaleureuses félicitations à ce narrateur à l’univers si riche, aussi à l’aise et captivant dans ses ouvrages spécialisés (« La nouvelle interprétation des rêves », « Psychanalyse païenne ») que dans ses romans policiers, ainsi qu'à son éditeur Grasset.
Pionnier de l’ethnopsychiatrie, Tobie Nathan soigne ses patients en prenant en compte leur culture et en laissant agir la « pensée magique », « l’ADN la plus fiable de la nature humaine ». C’est cela que raconte « Ethno-roman », entrelacé au récit de sa vie d’ethnologue et de diplomate (ex conseiller culturel en Israël et Guinée), depuis l’enfance égyptienne et l’émigration en France, en 1958. Avec l’écriture pour complice.
Publié le 06/11/2012 à Paris sur le site du Ministère de la Culture et de la communication
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