La damnation de Freud

(une nuit aux archives Freud)

une pièce en quatre actes de

Tobie Nathan, Isabelle Stengers et Lucien Hounkpatin

 

 
 

 

L'histoire se déroule en 1919. Sandor Ferenczi vient rendre visite à Sigmund Freud, à Vienne. En passant à l'hôpital militaire, il rencontre un patient africain, tirailleur sénégalais, mutique, manifestement victime d'une névrose de guerre. Ferenczi convainc Freud de recevoir cet africain chez lui pour vérifier sur un "primitif" la validité universelle des grands concepts psychanalytiques comme le complexe d'OEdipe. Freud se laisse convaincre et c'est ainsi que commence une étrange aventure. Un événement inattendu va contraindre Freud à faire un choix qui oblitèrera l'avenir de la psychanalyse.

Un texte drôle, dramatique et tendre qui évoque aussi tous les problèmes posés par l'extension des théories psychanalytiques aux populations non-occidentales…

       
Isabelle Stengers
est professeur de philosophie à l'Université libre de Bruxelles

Tobie Nathan
est professeur de psychologie clinique à l'Université de Paris 8

 

Lucien Hounkpatin
est maître de conférences
à l'Université de Paris 8
 

 

mises en scène

 

2001-2002      
La pièce a été mise en scène par Greg Germain et jouée en 2001 et 2002 au Festival off d'Avignon

 

Elle a également été jouée du vendredi 21 septembre jusqu'au 21 octobre 2001 (mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 21h et dimanche à 16h), au théâtre de l'Epée de Bois (Cartoucherie de Vincennes) Réservation : 01 48 08 39 74

avec : Serge Feuillard (Sigmund Freud), Françoise Pavy (Martha Freud), Gunther Germain (Ferenczi), S. Kotto (Ekudi), Sarah Bromberg (Anna Freud), Greg Germain (Babatundé).

 

quelques critiques…

"Une démonstration éclatante." Dauphiné.

"Un trio d’auteurs gagnants... Une distribution splendide." La Marseillaise.

"Une satire joyeuse et enlevée." La Terrasse.

"Un vrai délice de Théâtre." Le Comtadin.

"Un texte essentiel." Semaine des Spectacles.

"Le meilleur rire est le ‘rire intelligent." AgoraPièces.

une video Ina reportage FR3 sur la pièce en Avignon

       
2004      
La pièce a été reprise du 12 novembre au 18 décembre 2004 au théâtre de la place des Martyrs à Bruxelles, mise en scène par Christine Delmotte.

«La Damnation de Freud» s'avère une oeuvre riche, dense et brillante, offerte à plusieurs niveaux de lecture et généreusement ouverte au spectateur.
Savants et «sauvage»

La Libre Belgique

       
Et des analyses…




Mercredi 4 février 2015
Le Blog de Menon
"Voici une pièce brillante écrite à trois mains et qui, il me semble, porte plus particulièrement la marque de Tobie Nathan dont on retrouve le style si vivant. L’idée est la suivante : à la fin de la première Guerre Mondiale, le docteur Ferenzci propose à Freud de traiter un tirailleur sénégalais frappé d’une névrose de guerre. Devenu mutique, le professeur Freud va lui rendre la parole et l’accueillir chez lui comme objet d’étude – vous pensez bien, un primitif à disposition ! De quoi vérifiez l’universalité du complexe d’Œdipe. Mais Ekidu, c’est le nom du tirailleur, est loin d’être l’idiot qu’on veut bien croire. Formé à l’école de la médecine de l’âme de l’Afrique, il va soumettre Freud, Ferenzci mais aussi Martha et Anna (respectivement femme et fille cadette de Freud) à un véritable interrogatoire qui porte, au fond, sur la naissance de la psychanalyse et qui pourrait se résumer comme suit : qui a initié Freud pour en faire un guérisseur ? Par l’intermédiaire de cette pièce, Nathan, Stengers et Hounkpatin pointent finalement ce que le maitre es ésotérisme René Guénon reprochait à la psychanalyse : pour être initié, il faut avoir un maître ; or, Freud s’est initié lui-même ; pis, même : à contre courant de l’enseignement du Judaïsme ; coupé de toute transcendance, la psychanalyse n’est que l’affaire d’un homme, Freud, persuadé d’avoir inventé la panacée. Passionnant et fascinant, La damnation de Freud constitue en quelque-sorte un manifeste pour l’ethno-psychiatrie et intéressera tout amateur de la psychanalyse et de la biographie freudienne."




Mardi 25 septembre 2001


Tobie Nathan, Isabelle Stengers et Lucien Hounkpatin, tous trois ethnopsychiatres, ont axé leurs recherches autour des troubles identitaires rencontrés par les familles migrantes. La Damnation de Freud, est une pièce de théâtre qu’ils ont écrite ensemble, une sorte de duel initiatique entre Sigmund Freud et un sorcier Yoruba, tirailleur sénégalais nommé Ekudi.

Huis Clos psychanalytique. Il s’agit d’une confrontation entre deux mondes. Celui de la psychanalyse, à ses débuts, au moment où Freud, son fondateur, en élabore les premières théories et celui d’un guérisseur Yoruba qui, grâce au pouvoir des initiés, est l’héritier d’un savoir transmis depuis la nuit des temps. Cette fiction est imaginée par le petit-fils du sorcier Ekudi (Greg Germain), qui retrouve la trace de cette thérapie dans les archives de Freud, à Washington. Chacun, à son insu, deviendra un sujet d’étude pour l’autre.

Choc des cultures et électrochoc

Progressivement, au cours d’une séance d’hypnose, au fur et à mesure qu’Ekudi retrouve la parole, Freud, lui, perd ses repères. Il ne peut admettre que les fondements mêmes de la psychanalyse soient ébranlés par un homme aux pouvoirs occultes. Pour Ekudi, le seul moyen d’avancer ou de se projeter dans l’avenir, c’est de savoir d’où l’on vient. La quête des origines est sa préoccupation majeure. Ekudi oblige Freud (Serge Feuillard) à se remettre en question et à faire exploser son vernis mental, où rien n’existe en dehors de ses théories. Toute croyance précédant l’ère de la psychanalyse n’étant pour lui qu’obscurantisme.
Comment des travaux aussi révolutionnaires pour sonder l’âme humaine, peuvent-ils rivaliser avec des cultes aussi archaïques que ceux utilisés par le guérisseur ? Vaudou, Yoruba, gri-gri, koris, amulettes se confrontent aux concepts de névrose, psychose, complexe d’OEdipe ou transfert. Puis troublé par la logique du guérisseur, Freud va remonter à ses origines judaïques, pour explorer son comportement vis-à-vis de sa fille, Anna (Sarah Bromberg). Ensuite, il fera disparaître toute trace de ces travaux, ne pouvant admettre d’avoir mis en péril les fondements mêmes de la psychanalyse, en privilégiant l’irrationnel au profit de la réflexion.

Science contre sagesse

La mise en scène de Greg Germain est claire et lisible, laissant passer des bribes d’humour dans les brèches du discours freudien. Au centre de la scène, le divan mythique de Freud recueille les secrets d’un autre monde, réceptacle d’une culture de l’oralité où le visible et l’invisible seront racontés par le tirailleur échoué là comme une pirogue, à la dérive entre deux continents. Le continent de la Science et celui de la multiplicité des croyances animistes. Il est vrai qu’il faut replacer la pièce dans le contexte de l’époque, car la notion du bon sauvage, qui sert de sujet d’étude au maître de la psychanalyse, peut paraître caricaturale. Ce qui donne la force à la mise en scène c’est le dramatique retournement de situation.

Le plus perturbé, finalement c’est Freud, car ses théories ne supportent pas la confrontation avec d’autres mondes. Tout se passe comme si son savoir était un privilège acquis pour accéder au pouvoir. Alors que pour le sorcier Yoruba, le seul pouvoir qui compte, c’est celui de la transmission.

A voir !

Théâtre de L’Epée de Bois. Cartoucherie. 75012. Paris. Réservations : 0148 08 39 74. Du mercredi au samedi à 21 heures, le dimanche à 16 heures.

       
à Bruxelles    

Imaginez la rencontre de Sigmund Freud et d’un tirailleur sénégalais Yoruba nommé Ekudi… Cette étrange rencontre entre le fondateur de la psychanalyse et un apprenti guérisseur et sage venu d’Afrique aurait-elle pu influencer tout l’avenir de la psychanalyse? « La damnation de Freud » est une œuvre de « scientifiction », une pièce de théâtre écrite conjointement par Isabelle Stengers, philosophe des sciences (ULB), Tobie Nathan, ethnopsychiatre, et Lucien Hounkpatin, psychologue clinicien béninois. Cette pièce teintée d’humour mais aussi d’une bonne dose de provocation sera jouée dans la grande salle du Théâtre des Martyrs par la Cie Biloxi 48. La mise en scène est signée Christine Delmotte et parmi les interprètes, l’on retrouvera Pietro Pizzuti, Jean-Claude Derudder, Tshilombo Imhoteb…Du 12 novembre au 18 décembre.

Théâtre

"Par Biloxi 48. Mise en scène Christine Delmotte Avec Pietro Pizzuti, Jean-Claude Derudder, Tshilombo Imhoteb.

Imaginez la rencontre de Sigmund Freud et d'un tirailleur sénégalais Yoruba . Que vont-ils se dire? Cette confrontation de deux cultures, cette incroyable rencontre entre le fondateur de la psychanalyse et le guérisseur africain aurait influencé tout l'avenir de la psychanalyse. Un pan entier de la passionnante épopée de Freud . Une étrange aventure écrite avec humour, originalité et une provocation du propos qui nous tiennent en haleine jusqu'au bout."


Théâtre de la Place des Martyrs
Place des Martyrs 22
1000 Bruxelles

Du 12 novembre au 18 décembre 2004

Prix:
. Adultes: € 14 - € 12
. Etudiants (26 ans): € 9 - € 7,50
. Seniors (60 ans): € 11,50 - € 10,50
. Article 27: € 5

Réservations et infos: Tél.: 02/223 32 08 - Fax: 02/227 50 08 (du mardi au vendredi de 11h à 18h et le samedi de 14h à 18h) en mentionnant le numéro de code repris sur votre Bon Temps Libre jaune pour profiter de cette offre.


E-mail: theatre.martyrs@busmail.net

 

       
   

Théâtre :

Freud et le guérisseur yoruba

par Philip Tirard

"Voici du théâtre d'idées comme on l'aime: intelligent avec humanité, profond
avec humour. Christine Delmotte réussit un excellent spectacle.

Ce n'est pas vraiment là qu'on attendait Isabelle Stengers. Philosophe spécialisée en épistémologie, truchement attitré d'Ilya Prigogine, alter-mondialiste à ses heures, elle a écrit en collaboration avec l'ethnopsychiatre français Tobie Nathan et le psychologue béninois Lucien Hounkpatin une pièce sur le père de la psychanalyse, Sigmund Freud. A l'épreuve de la scène, «La Damnation de Freud» s'avère une oeuvre riche, dense et brillante, offerte à plusieurs niveaux de lecture et généreusement ouverte au spectateur.
Savants et «sauvage»


Dans la grande salle du Théâtre de la place des Martyrs, Christine Delmotte en a assuré une mise en scène à la fois claire, dépouillée - les chaises et les tapis de la scénographie de Nathalie Borlée font songer à «l'espace vide» de Peter Brook - et très construite, avec une efficace utilisation du «multimédia». Une partie importante de la narration est ainsi prise en charge par des images filmées du comédien Tshilombo Imhotep, par ailleurs également présent sur la scène, dans le rôle du grand-père de l'homme qui parle à l'écran.Si certains des personnages et le contexte sont bien réels -nous sommes en 1919, dans l'appartement de Freud à Vienne, où on le voit en compagnie de deux de ses disciples, le Hongrois Sandor Ferenczi et l'Anglais Ernest Jones - l'histoire est, elle, totalement inventée. Les auteurs ont imaginé que Ferenczi amène à Freud un tirailleur sénégalais mutique, souffrant d'une névrose de guerre. Les deux médecins vont tenter de vérifier sur ce «primitif», comme ils disent, la validité des théories et des techniques psychanalytiques.

Cure des âmes

Or il s'avère que ce soldat «sénégalais» est en réalité un guérisseur en provenance de l'ethnie Yoruba, initié, dans son pays, à une pratique ancestrale de cure des âmes. Il s'ensuit une passionnante et parfois bouleversante rencontre entre magie et science, entre la pensée «sauvage» - analogique, animiste, symbolique, initiatique, etc. - et la rationalité occidentale.Cependant la pièce entrelace habilement les fils de plusieurs trames parallèles. A la fin des années 60, le descendant béninois du guérisseur découvre sous nos yeux, dans un fonds d'archives restées secrètes, le drame qui s'est joué dans la maisonnée de Freud. Par ailleurs, à la faveur d'un véritable suspense, nous apprenons comment le mage africain a en quelque sorte accouché chaque être du foyer où il était hébergé de sa propre destinée.

Une autre science de l'être

Le spectacle est étayé par une solide distribution. Jean-Claude Derudder incarne un Freud plein d'une intelligence et d'une autorité, mais aussi d'un orgueil confinant au solipsisme, qui le mènent inéluctablement à la «damnation» évoquée dans le titre de la pièce. Colette Emmanuelle joue les épouses aimantes et intuitives, Ana Rodriguez est Anna Freud, fille et dépositaire malgré elle de l'héritage du père. La sensibilité vibrante de Pietro Pizzuti projette l'image d'un fidèle mais fragile Ferenczi. Maximilien Herry campe un Ernest Jones pragmatique, ambitieux et étroitement rationaliste. Et puis il y a Tshilombo Imhotep, particulièrement attachant dans le double rôle d'Ekudy et de son petit-fils chercheur universitaire.


Emouvante mise à l'épreuve de la puissance du verbe, pénétrante réflexion sur la place de la tradition dans la pensée, mise en cause radicale des excès de la rationalité et de l'ambition, «La Damnation de Freud» pose l'utopie d'une science de l'être qui réconcilierait spiritualité et savoir. Ce beau conte pour grandes personnes, cette «scientifiction», comme l'appelle Isabelle Stengers, mérite assurément d'être vue par toute personne qui prétend s'intéresser d'un peu près à la spécificité de l'animal humain.


Bruxelles, Théâtre de la place des Martyrs, jusqu'au 18 décembre. Tél. 022233208.


© La Libre Belgique 2004

       

Les discussions entre Freud et Ekudi, le tirailleur sénégalais sont éclairées par une vidéo montrant les recherches du petit-fils du tirailleur en 1969, aux archives Freud à Washington.

La pièce se décline à plusieurs niveaux. Elle montre sans ambiguïté l’attitude dominante et dominatrice du docteur Freud face au tirailleur sénégalais, face à ses collaborateurs, sa femme et sa fille.

Elle dépeint aussi avec beaucoup de subtilité l’apport essentiel du savoir africain basé sur la transmission de la connaissance. Le discours et la sagesse d’Ekudi vont ébranler les certitudes de Sigmund Freud.
Une belle distribution, emmenée par Jean-Claude Derudder, Pietro Pizzuti et Thilamnbo Inhotep s’affronte avec passion autour d’une certaine idée de la psychanalyse et du choc des cultures.

« La damnation de Freud », dans une mise en scène de Christine Delmotte est proposé par la compagnie Biloxie 48 jusqu’au 18 décembre au théâtre de la place des Martyrs. Réservations au 02/223 32 08.


Paul-Etienne Cantinaux
Date de diffusion:
22/11/2004

       
 
       
sur les sites internet    

 

par Roger Simmons dans Cinemaniacs

La damnation de Freud représentations le mardi à 19h -- du mercredi au samedi à 20h15-- les dimanches 21/11 et 05/12 à 16h. Théâtre de la place des Martyrs (Grande salle)
place des Martyrs 22 - 1000 Bruxellesdu 12/11/2004 au 18/12/2004


Réservations : 02/ 223 32 08
Prix des places : de 7,50 à 14 €


La scène se déroule à la fois une nuit de septembre 1969 à Washington, aux archives Freud, et dans le cabinet de Sigmund Freud à Vienne, en septembre – octobre 1919.

Christine Delmotte , initiatrice du projet et metteuse en scène , n’a pas voulu faire de cette « pièce-débat » une reconstitution historique. Sa réalisation se veut respectueuse de l’état d’esprit qui se dégage de la pièce.


Christine Delmotte ( metteuse en scène) : Tout est écrit et les faits rapportés sont de pure fiction. Une fantastique fantaisie écrite par Isabelle Stengers, Tobie Nathan, Lucien Hounkpatin et Isabelle Stengers.( texte publié par « les Empêcheurs de penser en rond » aux éditions du Seuil)


Isabelle Stengers : Dramatiser , c’est s’engager dans la fiction, et plus précisément, dans ce cas, dans ce que , avec quelques autres , j’ai choisi de nommer ce débat « scientifiction » ; c’est se brancher sur un événement historique réel pour le dramatiser , c’est réinventer l’Histoire pour lui donner une nouvelle importance.
C’est la rencontre imaginaire de Sigmund Freud et d’un tirailleur sénégalais yoruba. Que vont-ils se dire ? . Cette confrontation de deux cultures, cette incroyable rencontre entre le fondateur de la psychanalyse et du guérisseur africain aurait influencé tout l’avenir de la psychanalyse.

Comment se présente la pièce-débat ?
1919. Sigmund Freud, sous l’impulsion de Sandor Ferenczi , Hongrois, disciple de Freud, reçoit dans son cabinet viennois un tirailleur sénégalais rescapé de la grande guerre. Mondiale 14-18 Commence alors une extraordinaire aventure thérapeutique, culturelle et scientifique…


Quand on pense à l’intérêt scientifique que présente un tel cas! On pourrait étudier son psychisme, vérifier si la technique psychanalytique marche dans son cas…Une névrose traumatique chez un primitif…Est-ce seulement possible ?


1969. Gabriel Babatundé , chercheur béninois , petit-fils du tirailleur qui fait des recherches aux Archives Freud à Washington , nous donne à voir cette fascinante histoire sous un regard nouveau.
Christine Delmotte a procédé à une double vision du propos : l’une en images filmées et projetées sur grand écran, et l’autre à un dialogue échangé sur scène entre les personnages.

Christine Delmotte ( metteuse en scène) : Il s’agit bien d’un texte de théâtre qui rend au débat scientifique son évidence humaine.
Beaucoup de questions se posent parmi lesquelles:« Comment guérir un primitif ? » ( le sénégalais est un primitif , c’est ainsi que l’on considérait les africains au début du 20 ème siècle)


Il est bon – avant de voir ce spectacle- de lire (ou relire) quelques pages sur la psychanalyse pour entrer plus facilement dans le sujet proposé par Christine Delmotte. Si on n’y entre pas dès le début , on risque fort de se perdre en cours de route… scientifique …


Les six acteurs sont très justes et très vrais dans leurs personnages : Jean-Claude Derudder (Freud), Pietro Pizutti(Ferenczi- Hongrois, disciple de Freud)et Maximilien Herry (Ernest Jones , disciple de Freud), Colette Emmanuelle ( Martha Freud , l’épouse de Freud , petite- fille du grand rabbin de Hambourg- Isaac Bernays) ) Ana Rodriguez (Anna, fille de Sigmund et Martha), Tshilombo Imhotep ( Ekudi - tirailleur sénégalais dans l’armée française d’ethnie yoruba, et Gabriel Babatundé , chercheur béninois , petit fils d’Ekudi).


La scénographie propose un décor dénudé de tout objet. Seules en scène : six chaises qui désignent le fauteuil d’analyste. Le bureau de travail viennois de Freud est dessiné à la craie sur le sol. Donc, à partir de ce choix de « scientifiction » et la présentation des personnages, , il faut se laisser prendre par l’histoire !


Christine Delmotte : La bande son est essentielle, jouissive comme les images sur le grand écran, fixé en fond de scène. Une tentative de recomposer le passé à partir d’archives sonores.
J’ai choisi une musique juive (cérémonies yorubas) des ambiances de villages africains , des sons suggérant la guerre 1914-1918 , la vraie voix de Freud , des chansons d’Yvette Guilbert…


J’ai également sélectionné des textes et dessins de Freud, des extraits de films d’époque, des photos du Bénin et de ses pratiques divinatoires.


« La damnation de Freud » en nous révélant cette confrontation scientifique entre un monde à univers unique et un monde à univers multiples , nous raconte l’approche de différentes réalités d’une autre manière.


Une pièce difficile mais intéressante, écrite par

Isabelle Stengers(philosophe des sciences à l’ULB, qui récemment s’est intéressée à l’hypnose) et a écrit entre autres :« Hypnose, entre magie et science »), Tobie Nathan (docteur en psychologie et docteur ès lettres et sciences humaines, créateur de la première consultation d’ethnopsychiatrie en France en 1979 et fondateur du Centre Georges Devereux- centre universitaire d’aide psychologique aux familles migrantes), Lucien Hounkpatin ( psychologue clinicien , maître de conférences à l’Université de Paris 8, spécialiste de psychopathologie et techniques thérapeutiques dans le sud du Bénin)

Trois personnalités qui se devaient de nous révéler leurs connaissances, et de nous éclairer sur tous ces problèmes difficiles, ardus parfois mais importants pour la science et pour l’être humain ! Christine Delmotte a fait ici un excellent travail de recherches et de direction d’acteurs.

Roger Simons

 

       
 

 

Extraits :

 

     

"Babatundé(chercheur béninois, petit fils d’Ekudi) : Si les psychanalystes savaient ce que contiennent les archives Freud, ce n’est pas un nègre qu’ils choisiraient pour gardien de nuit, c’est un commando de Marines.
Mais comment auraient-ils pu se douter que quelque part au Bénin, dans le yoxo…
Vous ne savez pas ce qu’est un yoxo, n’est-ce pas, vous les universitaires, si fiers d’avoir permis à un petit Béninois de partager les lumières de la science. Vous auriez été effrayés, n’est-ce pas, de me voir agenouillé dans le yoxo, la case des morts, de me voir mourir mon grand père, devant son assányi … Vous auriez hurlé à la superstition… Comment auriez-vous pu soupçonner..."


( assanyi : emblèmes de morts promus au statut d’ancêtres)

 

"Anna Freud : Le Docteur Ferenczi est là avec quelqu’un…un homme noir…
Sigmund Freud : Oui oui ! Vas , toi…Entrez docteur Ferenczi , entrez ! Alors , comment est-il aujourd’hui ?

Sandor Ferenczi : Son état est stationnaire. Il est toujours aussi mutique…Voilà trois jours qu’il a la fièvre. On craint une atteinte organique. Ce tyran de Schumächer veut le trépaner…


Sigmund Freud : Alors, nous devons faire vite…sinon ils nous l’abîmeront et nous ne pourrons plus rien en faire.


Sandor Ferenczi : Comment allons-nous procéder ?


Sigmund Freud : L’hypnose, l’hypnose, bien sûr ! Nous l’endormons puis nous lui suggérons de se réveiller en parlant…et l’affaire est dans le sac…


Sandor Ferenczi : C’est une bonne idée, Professeur puisque la suggestion c’est ce dans quoi baignent les primitifs…


Sigmund Freud : Il me semble même avoir écrit il y a longtemps , dans « Le Traitement psychique » je crois , que l’hypnose n’était jamais qu’une forme perfectionnée de ce que font tous les sorciers et faiseurs de miracles…

 

Christine Delmotte : Ecrire « La damnation de Freud », c’est parier pour une époque , la nôtre , où peut-être Freud aurait pu oser un autre choix…


Daniel Scahaise ( directeur du Théâtre de la place des Martyrs) : Pour moi, cette pièce , une pièce- débat comme vous l’avez souligné, est une étrange aventure écrite avec humour , d’une certaine originalité mais aussi une provocation du propos qui nous tient en haleine jusqu’au bout…

 

Sigmund Freud : Cher ami Ferenczi, écoutez-moi bien… Je vais vous parler franchement, je vais vous dire ce que je n’ai jamais dit à personne (à voix basse) Ferenczi, je doute de la psychanalyse.


Sandor Ferenczi :La belle affaire! Quoi de plus normal? La science n’est pas une religion; c’est le doute qui nous fait progresser, non pas la certitude…


Sigmund Freud : Je ne parle pas de cette sorte de doute, Ferenczi. .Non! Je doute dans le fond; je doute du bien-fondé de la méthode… Je doute de la …cause … Il me vient de plus en plus souvent l’idée que nous nous sommes fourvoyés depuis le début…

Gabriel Babatundé : Et voici maintenant la parole : tue ton ennemi avec la férocité de la panthère, mais n’oublie jamais d’enfouir son dieu dans ton ventre !
Ton ennemi n’oublie jamais d’enfouir son dieu dans ton ventre !

(Extraits de la pièce « La Damnation de Freud » ainsi que de propos publiés dans le programme du théâtre)

       
 

 

Table ronde

Extraits de la table ronde organisée lors du TOMA 2001 à La Chapelle du Verbe Incarnédans le cadre des Petits matins du T.O.M.A. / Africultures

avec Tobie Nathan, Isabelle Stengers, Lucien Hounkpatin

Avignon, le 13 juillet 2001 propos recueillis par Sylvie Chalaye

publié le 25/10/2002

 

LA DAMNATION DE FREUD…

Vous qui êtes tous trois des scientifiques, universitaires de surcroît. Comment avez-vous été amenés à écrire pour la scène ?


Isabelle Stengers : Je crois que l’aventure a commencé à l’occasion de rencontres à Châteauvallon à Toulon qui s’appelaient “Théâtre de la science”. (…) Au cours des débats est apparue l’idée que l’on devrait pouvoir créer un vrai théâtre, une vraie théâtralisation d’enjeux de savoirs, d’histoire de savoirs, de conflits de savoirs. Dès cette époque on savait que le sujet concernerait les thérapies de l’âme et on s’amusait avec un nom de code : “Les controverses de Châteauvallon” en référence à la fameuse controverse de Valliadolid qui pose la question : “Les indiens ont-ils une âme ?” (…)

Peut-on parler d’une démarche un peu pédagogique ?

Isabelle Stengers : Tout dépend ce que l’on entend par pédagogique. En un sens oui. Malheureusement souvent quand on parle d’oeuvre pédagogique, ça suppose initier le public à un savoir bon en soi, comme s’il était ignorant et devait être amené à partager le bien commun de ceux qui savent. Or ici, il ne s’agit pas d’initier, d’emmener le spectateur au bon endroit. Il s’agit surtout de l’emmener à l’endroit où les savoirs se cherchent pour lui faire partager les disputes de savoirs. Il ne s’agit pas de faire partager au public le sentiment de son ignorance. Il s’agit de le faire penser non pas comme des scientifiques, mais avec eux, contre eux. Car la pensée scientifique est une pensée qui se débat.
Il s’agit donc de mettre en somme le public au coeur de la polémique. (...)


Lucien Houkpatin : Mon approche n’est pas différente. Ce qui m’a motivé dans cette aventure, c’est l’envie d’aller chatouiller les profondeurs, car c’est en chatouillant les profondeurs que l’on parvient à les infiltrer. Et le théâtre nous offre un outil qui permet de chatouiller.

Tobie Nathan : Je partage entièrement ce qu’a dit Isabelle. D’ailleurs Isabelle est mon maître, je ne dis pas ma maîtresse parce que cela pourrait prêter à confusion. Je rajouterais juste une chose : j’aime écrire des romans policiers, parce que la vie est noire, la vie est triste et la littérature sait mieux rendre compte de la noirceur de la vie et des terreurs qui nous traversent. C’est ce que j’ai essayé de mettre au service de la philosophie, puisque la philosophie n’a pas voulu de moi. La philosophie est toujours optimiste, elle est convaincue que la pensée peut amener de la lumière. Isabelle est un savant, comme Lucien, mais moi je ne suis rien de tout cela. Les savants interrogent la matière, ils contraignent la matière à répondre, ils la triturent. Au fond, un écrivain de roman policier manipule un autre type de matière, il contraint le public à être le représentant de cette matière et à répondre. (...)


Comment vous est venue l’idée d’inventer une rencontre de Freud avec un tirailleur yoruba de la guerre de 14 ?


Isabelle Stengers : A part ce qui concerne Ekudi, tout le reste est authentique. En 1919, ce qui arrive à Freud, qui passe d’une aventure de chercheur, avec Ferenczi notamment, à une situation de maître, maître d’une Institution liée plutôt à Ernest Jones, est véridique. Le fait qu'Anna Freud semblait pouvoir avoir alors une vie propre, le découragement de Freud après la guerre, tout ceci est vrai. Ce genre de fiction implique, si on se place en tant qu’historien, qu’on trouve dans l’histoire qui intéresse un moment sensible, un moment où tout un ensemble de choses se retournent. Il y a des explications, mais on peut en rajouter, on peut les multiplier parce que ce qui se passe est très grave, on ajoute du sens à ce point tournant, on l’enrichit, on en fait vivre les multiples enjeux. La fiction que l’on a rajoutée et qui met en scène Ekudi, est une fiction qui intervient en toute loyauté avec l’histoire. De fait, à ce moment-là, la psychanalyse prend le tournant vers l’institution internationale qui aura à partir de là l’autorité qu’on lui connaît. (...)


Tobie Nathan : Tout est absolument vrai. Les historiens travaillent à partir de documents, personne aujourd’hui à part quelques vieillards déments n’est en mesure de témoigner de cette époque. Il ne nous reste donc pour raconter l’histoire aujourd’hui que des documents et des réflexions. Quelqu’un comme Freud, dont on dit qu’il a été l’homme le plus intelligent du XXe siècle et c’est d’ailleurs comme cela qu’il souhaitait qu’on le présente, ne pouvait pas ne pas s’être posé ces questions. Nous sommes en 1920, l’Allemagne a perdu la guerre, elle vient de perdre le Cameroun et le Togo, Vienne est en train de s’écrouler... Comment donc un homme aussi intelligent aurait-il pu passer à côté de ces événements sans se poser la question de savoir quelle est la pensée des Africains, comment ils réagissent ? C’est absurde ! C’est nous qui détenons la vraie histoire, même si on ne la raconte pas dans les livres. Nous sommes donc allés chercher la vraie histoire.


Et vous Lucien Hounkpatin, que dites vous de cette “vraie fausse invention” ?

Lucien Hounkpatin : C’est un travail de construction, de complexification des choses et non pas une simplification. Une complexification qui fait avancer. (…)


Tobie Nathan : L’histoire du Togo est fondamentale dans cette affaire, le Togo tombe en 1916, on ne sait pas encore s’il sera français ou anglais, à côté il y a le Ghana qui sera anglais et le Dahomey qui va rester français. Or, à ce moment-là, Freud pense ou ne pense pas ? Moi, je ne peux pas accepter que mon ancêtre psychanalyste ne pense pas. Je fais donc le pari qu’il pense et qu’il se dit qu'il a besoin de savoir ce qu’il se passe à Lomé où ses enfants auraient pu se battre puisqu’un de ses fils est allé à la guerre : c’était le front Russe mais il aurait pu partir pour Lomé. Pourquoi un tirailleur yoruba ? Vous vous dites, c’est parce qu’on a rencontré Lucien. Mais non. C’est l’Histoire qui nous a envoyé Lucien pour nous éclairer. En fait, la psychanalyse même la plus lacanienne est infiltrée depuis longtemps par la pensée yoruba. Il faut le savoir.

Lucien Hounkpatin, vous seriez donc un espion ?

Lucien Hounkpatin : En effet, qu’est-ce que l’on fait des noyaux durs qui circulent ?

Tobie Nathan : On ne peut pas les avaler, on ne peut pas les cracher non plus. (...)

Quel est l’enjeu d’une telle pièce ?

Isabelle Stengers : Pour chacun c’est différent. Pour moi, un enjeu sort de l’écheveau, car si on a un seul enjeu autant écrire un article académique. Mon problème comme philosophe ce sont les pratiques de savoir. Quand les sciences occidentales sont fortes parce qu’elles ressemblent à la physique ou à la chimie, cela ne veut pas dire qu’elles ont trouvé l’ouvre-boîte universel. On peut se dire que dans certains domaines de production de savoir, si elles ne larguent pas les amarres avec ce qui a fait leur force, elles risquent de payer le prix. Et dans notre histoire occidentale, le modèle des sciences positives est relativement hégémonique. Avant de rencontrer Tobie et Lucien, j’avais l’intuition que dans le domaine de la psychothérapie, la question de qu’est-ce qu’une science a un prix catastrophique. Pour moi, cette rencontre Freud / Ekudi, c’est la rencontre entre, d’un côté, quelqu’un qui croit enfin faire converger l’art de guérir et la recherche scientifique au sens où l’entend la physique et la chimie et de l’autre un maître en formation venu d’ailleurs. Qu’est-ce que guérir ? Voilà la question qui les rapproche. Quand on s’éloigne des sciences dites expérimentales, on voit que le modèle qui prospère, repris dans d’autres domaines de production de savoir, se transforme en poison.

Tobie Nathan : Moi j’avais deux enjeux. D’abord une passion amoureuse pour Freud. Depuis l’adolescence, parce qu’il a accompagné ma sexualité adolescente, comme beaucoup de jeune gens de ces années-là, j’ai fait un transfert amoureux. J’aime Freud. Et aimant Freud, j’ai voulu le sauver. La Damnation de Freud est une tentative de sauver Freud de deux problèmes où il a perdu son âme. Le premier, c’est qu’il croit que les Blancs pensent, ce qui est déjà discutable, mais surtout il est convaincu que les Blancs sont les seuls à penser. Et il fallait que je le sauve de cela, sinon je ne pouvais continuer à l’aimer. Pour moi, ce n’est pas par bêtise, mais par décision stratégique qu’il se met à défendre cela. Mais si vous dites que Freud s’est laissé berner pas la pensée ambiante vous cassez mon idole, et vous sapez ma sexualité par la même occasion. (Rires) Le deuxième enjeu, c’est le judaïsme de Freud qui écrit dans Totem et tabou “Je suis juif et je ne sais pas pourquoi.” Ce qui est terrible. Comment un Juif peut-il dire cela ? Alors là, il fallait absolument que je le sauve une deuxième fois. Je me suis donc retroussé les manches. J’espère que j’y suis parvenu et que l’on m’en saura gré dans la famille de Freud et dans la famille psychanalytique.

Et vous Lucien, s’agissait-il de planter les fameux noyaux ?

Lucien Hounkpatin : Il y a pour moi aussi deux enjeux. Si on revient à mon histoire de noyaux, il s’agissait d’interroger l’existence du multiple. Y-a-t-il une multiplicité ? Et l’autre enjeu : comment la rendre possible ? La pièce est un objet fabriqué pour penser à l’espace des possibles. (...)

Avignon, le 13 juillet 2001
propos recueillis par Sylvie Chalaye

       
   

Le texte de cette pièce est paru aux empêcheurs de penser en rond en 1997