Ma visite à de lointains cousins
les " chamans "
[1]

 

Par Claude Mesmin

Maître de conférences, Université de Paris 8

Chercheur au Centre Georges Devereux, Université de Paris 8

 

 

 

table

Les chamans officient dans un congrès scientifique clic

Présentation des personnages et de leurs rituels clic

Les chamans mongols et bouriates clic

1 — Un premier groupe clic

2 - Un deuxième groupe clic

Les chamans de la République de Touva clic

Les rituels clic

Soins clic

Hypnose clic

Offrandes clic

Les chamans Lakotas clic

Les " tentes de sudation " clic

Première séquence clic

Deuxième séquence clic

Troisième séquence clic

Quatrième séquence clic

Quelques réflexions pour conclure clic

Bibliographie clic

 

Les chamans [2] officient dans un congrès scientifique

Jusqu’en ce mois de décembre 98, le seul contact que j’avais eu avec le chamanisme était probablement l’ouvrage d’Eliade (1983). En cela, je pense que je connaissais de cette discipline autant que l’immense majorité des Français. Or, grâce au Professeur Gabriel Maria Sala, de l’Université de Vérone (Italie), j’ai pu assister à un séminaire probablement unique en son genre, car il réunissait cinq groupes de chamans. Sous le titre " La guérison dans le monde chamanique " et le sous-titre : " Initiation, thérapie et sciences anciennes, cérémonie sacrée, rites de guérison avec des chamans sibériens, mongols et amérindiens ", j’ai pu assister à un ensemble de pratiques qui aurait nécessité de parcourir des milliers de kilomètres, de la Mongolie au Mexique, en passant par la Bouriatie, la République de Touva (ou Tuva) et la réserve Pine Ridge aux États-Unis.

Ce séminaire a commencé de la manière la plus rituelle qui soit : les chamans mongols ont donné à boire aux organisateurs du lait fermenté de jument, dans une corne. Puis les différents groupes ont été présentés. Des cadeaux ont été échangés. Notre groupe, (200 personnes, venues surtout d’Italie, mais aussi de Suisse, du Canada…) s’est ensuite scindé en deux sous-groupes. Puis, durant trois jours, nous avons suivi la présentation de rituels que je vais tenter de retracer. Plusieurs traducteurs se sont relayés, du mongol au russe, puis à l’italien et enfin au français [3] ; les Mexicains et Amérindiens parlaient anglais.

Présentation des personnages et de leurs rituels

Ils étaient venus, ils étaient tous là… Ces cinq groupes venant de Mongolie, de Bouriatie, de la République de Touva (ou Tuva), des États-Unis et du Mexique. je vais les présenter comme ils se sont présentés au groupe, avant de décrire leurs rituels. Je ne parlerai pas ici des Mexicains pour ne pas alourdir l’article.

 

Les chamans mongols et bouriates

1 — Un premier groupe

de deux chamans mongols comprend le Tseren Zarin Boo (Boo désignant le chaman) vieux chaman au teint foncé de plus de 70 ans et son fils. Il porte, quand il n’officie pas, une grande robe bleue en velours, resserrée à la taille par une grande écharpe orange qui le ceint plusieurs fois et pend sur le côté. Autour du cou, accroché à un grand ruban bleu, est suspendu le miroir de métal qui, d’après Mircea Eliade (1983, p. 134) aide le chaman " à voir le monde ", (c’est-à-dire à se concentrer), ou " à placer des esprits ", ou " à réfléchir les besoins de l’homme ", etc. Ce miroir, en langue mancho-tongouse, désigne l’âme-ombre, il permet au chaman d’y voir l’âme du défunt (p. 134). Son visage ridé, aux yeux plissés et doux est surmonté d’un couvre-chef carré, dont les quatre pans noirs, bordés de galons dorés et rouges, terminés par des cornes, entourent un cône cannelé rouge et noir. Sur la face antérieure du chapeau, est fixé un autre miroir de métal.

Il porte le titre de Tseren, le plus haut titre chamanique acquis après treize moments d’initiation différents ; sa vocation a été déterminée par la maladie qui l’a assailli, enfant. Entre 8 et 13 ans, il a étudié dans un temple bouddhiste, puis gravement malade, son maître, un lama, a compris que sa voie était celle des chamans et non celle des moines bouddhistes. Tseren explique qu’il est d’une lignée de 33 Tseren, ce qui lui donne force et pouvoir.

Pour préserver la nature, pour la purification des eaux et des montagnes, Tseren prie sans cesse les esprits du "Ciel-toujours-bleu" et les 77 mères de la Terre. Pour que la nature reste pure, il demande que tous les représentants des religions rassemblent leurs forces.

 

2 - Un deuxième groupe

est représenté par Nadia Stépanova accompagnée de son mari. Celui-ci est un artiste peintre et elle rappelle qu’il est parti chercher, en avion et en voiture, les Mongols qui n’avaient jamais quitté leur pays [4]. Nadia est présidente des chamans Bouriates [5], elle enseigne le chamanisme à l’académie de la Culture, à Ulan Ude. Elle a écrit sa bibliographie, L’invocatrice des dieux qui est traduite en italien. Vêtue d’une longue robe blanche, elle porte un miroir accroché à une écharpe bleue. Sa tête est recouverte d’une sorte de chapeau cylindrique blanc, ressemblant à une chéchia.

Dans sa présentation, elle souhaite que tous les hommes du monde trouvent une langue commune, car ils sont tous les fils de la Mère-Terre, et vivent sous le Ciel-toujours-bleu, réchauffés par le feu de la vie.

Pour toutes les personnes présentes, Tseren du groupe de chamans mongols [6] commence un rituel afin que la vie de chacun se prolonge et que la maladie ne touche aucune de nos maisons. Il évoque l’esprit de ses ancêtres, l’esprit du ciel, en jouant du tambour [7] tout en tournant sur lui-même. Ses mouvements sont vifs, les rubans bleus accrochés à son tambour virevoltent en dansant.

Quand il s’arrête, Nadia chante à son tour accompagnée des coups sourds, sur un rythme ternaire, qu’elle imprime à son tambour. Elle est vêtue d’une grande cape bleue recouverte de rubans très colorés qui tournoient avec elle aux sons de son tambour et de ses mouvements. Tandis que Tseren revêt son costume de cérémonie alourdi par 70 kilogrammes de petits objets en fer (des objets de la forge : clochettes, plaques…), Nadia explique aux participants que l’esprit descend parmi nous, qu’il nous aide à vivre nos difficultés actuelles et à perpétuer nos lignées ; l’énergie positive qui se répand, se propage en chacun comme des vagues. Tous les objets que les chamans ont rassemblés y contribuent.

Le nouveau costume de Tseren est impressionnant[8]: de nombreux rubans multicolores enveloppent son vêtement rouge et pendent de son chapeau. Quand il se met à danser en rythmant son chant et ses pas avec son tambour et ceux des autres chamans sibériens, tous les objets de fer cliquettent et l’envol de tous les rubans lui donne un aspect étrange mi-homme, mi-dieu. Le vieux chaman entre en transe quelques instants ; son fils le couvre alors d’un chapeau dont les franges cachent son visage, donc ses yeux, afin que son regard ne soit plus dirigé vers notre monde mais vers celui des esprits. Pendant la transe, l’esprit incarné est celui de son ancêtre, protecteur du clan. Après la transe, Tseren explique que l’esprit lui a montré les autres chamans : il a vu le bâton de chaman de Kam, les yeux brillants d’intelligence de Brant Secunda et les chamans de la République de Touva, ce qu’il interprète comme une affirmation de leurs savoirs. Plusieurs fois, le rythme alerte des tambours entraîne Tseren à danser encore. Après la danse, il boit de la vodka qu’il prépare avec l’eau du lac Baïkal et vingt-deux plantes différentes. Il prend soin d’en jeter quelques gouttes à la terre, au ciel et aux tambours (sur trois points où sont attachés les rubans), pour les nourrir et les honorer. Le vieux chaman s’enquiert du nom du fleuve proche, l’Adige, et annonce que si on appelle les esprits de ce fleuve, les populations, ici, seront en bonne santé. Il révèle ensuite avoir vu pendant sa transe un vieillard à la barbe blanche et demande le nom du saint de cette ville pour l’invoquer.

Nadia, à son tour, fait appel aux esprits Bouriates (55 esprits occidentaux et 44 esprits orientaux) pour que la terre soit encore plus fertile. Elle rythme son chant à l'aide du tambour et agite une clochette pour que ses esprits viennent sur cette terre d’Italie. Elle explique qu’elle soigne des malades chez elle et qu’elle peut se rendre à l’hôpital, à la demande des familles et des médecins. Il lui arrive d’entrer en salle de réanimation car les médecins Bouriates savent que les premiers soins doivent être donnés par le chaman et qu’ensuite ils pourront pratiquer leurs soins habituels. Nous soignons ensemble, dit-elle, le corps spirituel et le corps physique.

Pour soigner, disent les chamans, il faut évoquer l’esprit des ancêtres, l’esprit du ciel. Chacun doit penser que quand l’esprit descend, il est chargé d’énergie positive, et si chacun se conduit bien, cette énergie se propage et se transmet.

Un homme meurt, continue Tseren, quand ses trois âmes se séparent : l’une d’elles reste près du cadavre, la deuxième se transforme en ombre et la troisième monte au ciel. Il existe alors deux moyens de rappeler l’âme sortie du corps (en sachant, bien sûr, que si les trois âmes partent à la fois, la personne meurt). Le chaman peut découper une petite figurine en peau de mouton et il fait un rite magique pour appeler une âme. Le chaman peut prendre aussi un béret ou une ceinture de la personne qui a perdu une âme, puis il l’appelle pour qu’elle revienne dans un des objets.

Ensuite, les chamans conduisent tous les participants à l’extérieur dans le parc, autour d’un feu et tandis que les tambours reprennent, les participants s’imprègnent de la fumée des herbes qui brûlent. À l’exemple des chamans, tous se prosternent mains jointes tandis que tambours et clochettes rythment avec intensité cet instant. Cette cérémonie dédiée à l’esprit du feu est une purification. Elle est la réplique de la cérémonie de la danse sacrée en Sibérie quand la montagne est recouverte de peaux de moutons et que les gens dansent pendant huit jours. La Montagne cosmique, image mythique du "Centre du Monde" permet la liaison entre la Terre et le Ciel. À son sommet, se trouve l’étoile polaire, ou "nombril du Ciel". De cette idée de Montagne cosmique, sont nés plusieurs mythes qui donnent naissance, suivant les peuples, au soleil, à la lune et aux étoiles, ou à l’Aigle. (Eliade, p. 216)

De retour dans la salle, neuf esprits maternels sont invoqués pendant qu’on allume, sur une petite table, neuf bougies. Dans la mythologie mongole, on parle de "Neuf Fils de Dieu" ou "Serviteurs de Dieu" qui sont à la fois des dieux protecteurs et des dieux guerriers. (Eliade, p. 223)

Puisque tout ce que nous brûlons dans notre vie crée de la pollution, Nadia demande au dieu créateur de nettoyer la terre pour que ses habitants soient en meilleure santé. En invoquant les esprits, elle souhaite la prospérité, la paix et la tranquillité. Elle voudrait que les hommes vivent en harmonie quelle que soit leur foi car il n’existe pas une religion meilleure qu’une autre. " Nous sommes tous les enfants de la terre et l’esprit est nourri par le "Ciel toujours bleu" ". Elle espère que les guerres s’arrêteront et que vers l’an 2000 l’esprit de Gengis Khan va se réincarner et que la vie sera meilleure. " Pour prier, dit-elle, levons les trois doigts de la main droite, pouce et auriculaire repliés. L’index représente le Ciel, le majeur, la terre ; l’annulaire, l’eau. Le pouce représente la mère. Chaque doigt est un univers. "

Pour terminer ces trois heures de rituel, Nadia précise que ce qui est incompréhensible dans notre monde peut être expliqué à travers les visions du chaman. De là, naîtront l’harmonie et l’équilibre entre l’énergie de la terre et du feu, et ceci, grâce à nos pensées, nos paroles et nos gestes.

 

Les chamans de la République de Touva

Le troisième groupe des trois chamans de la République de Touva vient d’une région située au cœur de l’Asie, près de la source du fleuve Ienisseï, entre la Sibérie et la République populaire de Mongolie. Sa capitale, Kyzyl, représente le centre géographique du continent asiatique. Entourée de massifs montagneux, cette petite république (300 000 habitants), dominée de tous temps par les empires voisins, a vu son destin tour à tour lié à celui des Mongols, puis à la cour chinoise. Anciennement chamanistes, ses habitants ont été gagnés par le lamaïsme que les Mongols ont apporté du Tibet. Leur langue est d’origine turque, enrichie d’éléments mongols ; depuis cinquante ans, environ, ils ont adopté l’alphabet cyrillique.

Les trois chamans se présentent aux rythmes de leurs tambours qu’ils accompagnent de sons gutturaux, ou légers et sifflants, issus du plus profond de leur être.

Aj-churek Gun est une femme aux long cheveux noirs que l’on considère comme une sainte. Elle porte une grande robe bleu foncé sous une veste noire à laquelle sont accrochés des miroirs et de nombreux objets. Elle explique qu’il est difficile de devenir chaman car, malade, elle a d’abord été considérée comme folle. Il y a trente-cinq ans que son initiation a commencé, et depuis sept ans, elle travaille dans sa "clinique" où elle soigne les malades de l’âme. Depuis son enfance, elle parle aux oiseaux, au vent et aux étoiles. Elle est accompagnée de deux autres chamans, Nicolaj Oorzak, un homme couvert d’un chapeau de peau surmonté de plumes, et revêtu d’une grande robe bleue d’où pendent de nombreux objets, et d’une jeune fille blonde, presque encore une enfant, à la robe claire, rouge et blanche recouverte de nombreux dessins de serpents en relief et d’objets métalliques (grelots, tiges de métal…). Nikolaj explique que le chaman doit connaître et comprendre tous les esprits de la Taïga (des plaines, des eaux…) pour soigner. Il appartient à une famille qui compte sept générations de chamans et il peut nommer ses trente-trois prédécesseurs. Sa puissance vient de la nature qui lui fournit les objets pour soigner dans laquelle l’homme est très fragile.

Tous les trois prennent leurs tambours et, s’aidant de leurs voix qui produisent des sons inconnus, ils proposent immédiatement un rituel de purification car la chamane Aj-churek Gun dit avoir entendu chez les participants, beaucoup de pleurs.

 

Figure 1. Territoires des chamans Mongols, Bouriates et Touvains

(Source : Encyclopédie Hachette Multimédia 99)


Les rituels

Au centre de la salle, a été disposé un grand tapis sur lequel ont été déposés des objets : des fruits, de l’encens, les tambours, des serpents, des plantes… Vera se met à genoux sur le tapis. Elle allume des branches de genévrier qui bientôt, flamme éteinte, dégagent une fumée qu’elle répand dans la pièce en faisant des cercles de gauche à droite devant elle. Aj-churek est assise en tailleur sur le tapis, les mains posées sur ses genoux. Les deux femmes montrent une attitude de grand recueillement. Pendant ce temps, Nikolaj, debout, s’adresse en russe à l’assemblée qui est très attentive à ses paroles et à celles de la traductrice.

" L’esprit de l’univers se trouve dans notre sang. Entre chaque cellule sanguine, l’esprit s’infiltre. La nature n’a pas de loi fixe, ce sont les hommes qui créent les lois, mais entre ces deux séries qui ne s’accordent pas toujours, s’infiltrent la peur, la méchanceté. Nous voulons permettre que vous puissiez vous inscrire dans l’ordre de l’univers et ne plus édicter de lois contraires à cet ordre. Il ne s’agit pas de combattre toutes les lois qui existent mais de les rééquilibrer afin de ressentir dans notre corps les liens avec l’univers. "

La purification commence après ce préambule et Nikolaj allume une bougie sur la petite table basse posée sur un côté du tapis tandis que Vera passe autour des participants en tenant des feuilles qui se consument en fumée. Nikolaj explique que c’est une grande cérémonie, que les tambours vont jouer et que, toujours en gardant les yeux fermés, nous éprouverons des sentiments très forts qui pourront nous donner envie de pleurer ou de rire ou de danser, ce qui signe une grande énergie.

" Nous allons tous participer à ce voyage chamanique. Les yeux fermés, les mains à plat sur les cuisses ; gardez votre âme sereine sans trop penser à votre corps ; c’est l’esprit qui doit vous apporter une nouvelle force pour que vos désirs se réalisent. Vous devez vous sentir comme assis dans l’eau, votre corps presque inexistant… "

Les tambours alors amplifient leurs mélodies, deviennent parfois assourdissants ; une jeune femme se lève, les bras tendus vers le ciel et se balance de gauche à droite. Beaucoup de personnes impriment des mouvements réguliers à leur buste d’avant en arrière, les mains toujours posées sur leurs genoux. D’autres semblent dormir la tête inclinée.

Tandis que les deux femmes continuent à jouer du tambour et à chanter, Nikolaj fait le tour des participants dans un grand bruit de grelots produit par les cliquetis de tous les objets accrochés à sa robe sur laquelle est cousu dans le dos le même miroir rond que porte le premier groupe de chamans. Derrière chaque personne, il tend les mains au-dessus de leur tête, puis, revenant à l’intérieur du groupe, il décrit un autre cercle en passant cette fois devant chacun, tout en s’accompagnant de son tambour. La jeune chamane, à son tour, s’est levée et danse à l’intérieur du cercle en poussant des cris qui ressemblent à des pleurs. Le groupe lui semble-t-il si en danger pour qu’elle s’apitoie ainsi sur son sort ? Et tandis qu’elle lance un peu de lait sur chacun en marchant à l’intérieur du cercle, Aj-churek prend son fouet qui claque fortement à l’horizontal plusieurs fois à l’intérieur de cet espace. J’ai l’impression qu’elle chasse ainsi des esprits mauvais, les mêmes peut-être que ceux qui faisaient pleurer Vera. Nikolaj, à son tour, tenant un plus petit fouet à la main, le passe doucement sur l’épaule gauche de quelques personnes en marchant à l’intérieur du cercle.

À tour de rôle, les trois chamans utilisent divers objets, comme des clochettes qui rythment le temps, des brins de laine qu’ils attachent au poignet de certains participants, et des plumes d’aigle qui balayent l’espace.

Ce rituel de purification est terminé et comme pour l’accentuer, Nikolaj ajoute que l’eau qu’il a projetée est sacrée et ne peut être récoltée que par de vieux chamans dans la taïga. Il ajoute que la cérémonie ne se terminera réellement que dehors, un peu plus tard, mais que pendant trois jours, cette purification sera active et que nous ne devrons pas nous toucher ni laver nos vêtements avant ce délai.

 

Soins

Pour continuer la séance, les trois chamans proposent de soigner quelques personnes qui le désirent. Nikolaj commence et une femme se lève. Couchée d’abord sur le ventre au bord du tapis, Nikolaj, à genoux près d’elle, passe sa main au-dessus de son dos, main qu’il secoue pour chasser les effets négatifs qu’il a enlevés. " Faiblesse du cœur et du ventre, dit-il, quelques massages chamaniques sont nécessaires pour conforter l’âme. "

La participante étant couchée ensuite sur le dos, il procède de la même façon au-dessus du buste de celle-ci, pour chercher des points précis sur lesquels agir. Après avoir repéré certaines zones, il appuie fortement près de la clavicule gauche en tournant sa main, puis au niveau du plexus solaire, et enfin plusieurs fois à gauche et à droite sous la cage thoracique. Ramenant ensuite ses deux mains au-dessus du visage de la femme couchée, il semble hésiter, pose ses pouces sur le front, ses mains enserrant le haut de la tête. Il appuie en même temps sur les tempes, puis sur le front, toujours mains déployées qu’il frotte ensuite à chaque fois, tout en rejetant à l’extérieur quelques menaces invisibles. Il procède une seconde fois de la même façon sur le buste en rejetant toujours quelques indésirables. Ainsi dégagée, la "patiente" est invitée à regagner sa place.

Vera, à son tour, demande à un homme qui lui avait tiré des sanglots en passant près de lui, de venir sur le tapis. Elle envoie de la fumée de genévrier devant lui en faisant des cercles concentriques pour éloigner les énergies négatives. Ensuite, prenant son tambour, et accompagnée de Aj-churek qui rythme doucement ses gestes de la même façon, elle danse en chantant devant lui. Prenant alors une sorte de petit drapeau rouge, elle l’agite autour de sa tête et de ses épaules. Reprenant son tambour, elle joue et chante à nouveau en tournant autour de son "patient". Les coups sont parfois à peine audibles, comme si elle voulait le surprendre en passant brusquement devant lui et en le regardant intensément. Elle sait qu’il ne souffre pas de maladie grave, mais il a une âme sensible. Il semble avoir, près de lui, des énergies négatives, de la souffrance, et peut-être souffre-t-il de maux d’estomac, mais sa tête va bien car elle brille.

Vera explique que des voix lui parlent, qu’elle demande parfois à un coquillage de quelle aide a besoin un patient. Elle utilise des objets, comme sa robe, qui ont beaucoup voyagé et qui lui ont été transmis par le chaman Touva qui l’a initiée avant sa mort.

Pendant ces réflexions, Nikolaj agite une petite cloche et Aj-churek fait résonner doucement son tambour comme pour l’accompagner dans sa séance de soin. Le tambour, dit-elle, est toujours utilisé deux fois, pour le diagnostic et pour le soin.

Puis Vera "s’attaque" à son patient en lui tirant les cheveux, en lui donnant quelques coups de pied et en malaxant ses épaules. Elle asperge ses cheveux d’eau ou de lait. Avec un cristal, elle appuie sur sa poitrine et attend, le visage plus serein qu’au début du soin. Elle souffle ensuite de chaque côté de son cou et tire ses oreilles. Elle le frappe sur les épaules avec une poignée de rubans, et avec une grande plume blanche elle décrit devant lui les mêmes cercles concentriques que ceux faits au début avec la fumée. Ensuite, prenant son tambour, elle se met à chanter d’une voix mélodieuse en dansant légèrement autour de lui, accompagnée encore au tambour par la chamane plus âgée. Les coups, sur son tambour, s’estompent peu à peu quand elle revient devant lui et qu’elle le regarde intensément. Le rituel de soin est terminé.

 

Hypnose

Aj-churek propose ensuite à une femme de venir. Cette dernière s’assoit en tailleur, mains sur les genoux ouvertes vers le ciel, tandis que la chamane explique qu’il est inutile de procéder à un rituel de purification, puisqu’il a déjà été fait collectivement. Pour que la patiente "rentre en elle", il est nécessaire, dit-elle, de procéder par hypnose. La chamane est à genoux devant la patiente, les bras tendus, les mains ouvertes qui tournent d’abord autour de sa tête comme le ferait le soleil. Ainsi, la chamane sent les énergies chaudes et froides qui quittent bientôt la patiente et qu’elle rejette à l’extérieur en frappant ses mains. Après avoir demandé à sa patiente de dénouer ses cheveux, la chamane voit une lumière qui vient de l’intérieur : si cette lumière était rouge ou noire, ce ne serait pas un bon signe, mais le jaune et le blanc sont de bon augure. Elle commence ensuite un massage de la tête, du visage car, dit-elle, " les effets de la vie sont visibles sur chaque visage, ce qui permet de faire de bonnes divinations, car même si le visage est maquillé, il peut pleurer à l’intérieur. " Après cela, comme si les mauvaises énergies s’étaient concentrées dans le nez, lié à la raison, dit-elle, elle le tire plusieurs fois fortement de la main droite, d’un geste large qui rejette les énergies négatives. Ensuite, à genoux derrière la personne, elle passe ses mains au-dessus de la tête, signale que les oreilles ont leur importance car certaines personnes se fient trop à leurs oreilles au lieu d’utiliser leur nez. Ensuite, ayant demandé à la patiente de se mettre debout, elle procède encore à quelques passages de chaque côté avec ses mains, les tape l’une contre l’autre et les frotte pour évacuer les énergies mauvaises.

Satisfaite, semble-t-il, de cet examen, Aj-churek dit que la couleur de l’aura de la patiente est bonne et qu’elle va pouvoir commencer le rituel. Le plus important est de ressentir les pulsations de sa patiente, ce à quoi elle parvient sans instrument de mesure.

À nouveau la patiente est couchée sur le dos et la chamane passe ses mains au-dessus de son ventre. Elle explique qu’elle doit reconnaître l’eau entre les cellules du sang et l’enlever. Elle purifie, dit-elle, à partir du cerveau et c’est douloureux. Cette dame, commente-t-elle, a été très malade, elle avait peut-être une maladie aux reins. Pour la guérir, il faudrait qu’elle fasse glisser l’eau depuis le haut de la tête jusqu’en bas de la colonne vertébrale.

Tout ce travail, qui dure depuis trois heures avec le groupe des chamans Touva, se termine maintenant à l’extérieur, dans le parc. Avant de quitter la salle, nous sommes invités à prendre, sur les plateaux posés sur le tapis, quelques offrandes : fruits, bonbons, grains de riz, que rituellement nous serons amenés à offrir à la mère-terre, au feu et au ciel.

 

Offrandes

Devant un petit feu allumé sur l’herbe dans le parc, le groupe est invité à s’asseoir. Le soleil est brillant, au zénith, mais il fait froid et l’herbe est encore mouillée. Nikolaj explique, que pour garder l’énergie reçue, il faut équilibrer les deux ailes de l’aigle, car l’une contient les forces obscures, et l’autre les forces blanches. Le premier but de l’offrande est de nous relier au monde invisible ; le deuxième but est de transmettre notre message à nos enfants. Nous avons pour tâche de leur transmettre des forces intellectuelles et spirituelles. Les offrandes vont nous relier aux esprits de la Taïga (les sources, les arbres, les animaux…) car à travers la fumée elles vont monter vers les dieux.

Le chaman rappelle au groupe que chacun doit se sentir libre d’agir comme bon lui semble. Il est possible de se coucher sur le sol et de prendre ainsi de l’énergie dans la mère-terre en laissant se décharger les mauvaises énergies ; on peut aussi entourer un arbre de nos bras, lui dire nos désirs car il les enverra vers le ciel.

Chacun est ensuite invité à mettre une partie de ce qu’il a emporté dans le feu, en offrande à la mère-terre, et à en garder une partie toujours sur soi. C’est ainsi que quelques grains de riz ont trouvé place dans mon sac…

Pour terminer, le chaman nous invite à prier en regardant le soleil à travers le troisième œil, c’est-à-dire en joignant nos mains devant les yeux, poignets écartés. Puis, en posant nos mains dans cette position au-dessus de la tête et devant le ventre, il précise que chacun possède des forces dans ses mains pour trouver son chemin, et que chacun, seul, doit le faire.

Pour terminer cette cérémonie, les trois chamans lancent également de l’eau, du lait, du miel, de l’huile, dans le feu, reprennent leurs tambours en tournant autour du feu, s’en approchant parfois comme pour que le feu entende leurs voix, ou comme pour l’apprivoiser ; ils chantent et sont le lien entre la terre et le ciel en élevant leur tambour et en l’abaissant. Avec sa maraca à tête d’aigle, Nikolaj semble bénir l’assemblée.

Chacun est ensuite invité à se mettre à genoux et à poser la tête par terre, tandis qu’Aj-churek lance à nouveau son fouet autour d’elle, que Vera chante les mêmes sons gutturaux déjà entendus, et que Nikolaj agite régulièrement de petites clochettes au son très métallique.

Beaucoup de pensées sont venues se télescoper avec ce que je voyais et entendais, mais avant d’essayer de les rassembler et de les organiser, il me faut décrire encore des rituels très différents présentés par les chamans amérindiens.

 

Les chamans Lakotas

Kam Lau Night-Chase et sa femme Mary viennent de la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, aux États-Unis. Ce sont des Indiens porteurs de la Pipe-Sacrée, descendants de l’Élan Noir et du Cheval Fou. Kam est président de la West-Shield, association internationale de la Danse du Soleil. Ils vont organiser deux "tentes à sudation" qui servent à procurer des visions. Il se dit autorisé à pratiquer ce rituel avec les non-Indiens que nous sommes, depuis que lors d’un rituel, il a la vision d’hommes et de femmes de différentes races qui dansaient ensemble.

 

 

Figure 2. Territoire des chamans Lakotas

(Source : Les Indiens d’Amérique, Éditions du Rocher, 1993)

 

 

Les " tentes de sudation "

Kam Lau Night-Chase et sa femme Mary proposent un rituel qui est probablement le plus éprouvant parmi ceux que nous venons de vivre. Nous sommes si nombreux qu’il faut partager les volontaires en deux groupes et construire deux cabanes de sudation. Le but de cette cabane est de s’y purifier par le bain de vapeur en restant isolé dans le noir afin de favoriser la venue de visions.

Avant la construction des cabanes, nous chantons ensemble vers les six directions du monde (nord, sud, est, ouest, le ciel et la mère-terre) tandis que Mary apporte des feuilles de thuya, les brûle et utilise la fumée pour la purification. Puis chaque groupe de participants s’active à couper des branches de saules pour construire les cabanes. Il nous est recommandé de bien choisir ensemble les douze branches nécessaires, de nous excuser auprès de chaque arbre ainsi coupé. Ensuite, deux trous, constituant les cœurs de chaque cabane, sont creusés, puis garnis d’offrandes de tabac et de plantes.

Pour terminer, les douze branches devenues, piquets, sont placées à égale distance sur un cercle et se croisent au sommet ; elles sont bientôt recouvertes de trois couches de couvertures qui constituent le toit.

Pendant cette construction, d’autres participants sont occupés à couper du bois pour faire un grand feu, tandis que d’autres encore apportent les pierres qui vont être chauffées. Le feu est ventilé avec une aile d’aigle tandis que chacun prépare un sachet en tissu rouge.

Après ce temps de préparation, qui a duré environ trois heures, chacun est invité à se dévêtir dans la maison proche pour ne garder qu’un vêtement long et léger pour les femmes, un short pour les hommes. Les cabanes ayant été purifiées avec des fumées d’herbes, Kam et Mary se tenant devant chaque porte, nous entrons en tournant à gauche, dans le sens horaire, à l’intérieur de la cabane afin que le premier se retrouve à droite de la porte. Un deuxième tour est nécessaire car nous sommes très nombreux.

 

Première séquence

Assis par terre, jambes croisées, nous recevons un peu de tabac à placer dans notre sachet rouge fermé par un fil noir et nous l’accrochons à une branche au-dessus de notre tête, après y avoir glissé à l’intérieur une pensée personnelle. Kam, après quelques phrases de réassurance, car il fait froid, demande au "serviteur" resté à l’extérieur, d’apporter treize pierres bien rougies dans le feu. Il les range ensuite correctement à l’aide d’une fourche de cornes de cerf. Un seau d’eau est introduit par la porte, puis la porte est refermée de l’extérieur. Le noir est complet et la voix de Kam nous parvient pour nous aider à penser que nous sommes dans le ventre maternel, que le feu représente la mère qui nous enveloppe de sa chaleur. Ses paroles se veulent rassurantes comme celles du traducteur italien Luigi, initié à la danse du soleil par Kam. " Il faut rester calme, votre cœur doit battre un peu plus vite mais il va se calmer. " Kam et Luigi chantent accompagnés par leur tambour et jettent ensuite l’eau sur les pierres.

 

Deuxième séquence

Un instant plus tard, sept nouvelles pierres brûlantes sont apportées et nous en profitons pour boire un peu d’eau tout en restant tous assis sans bouger. C’est le moment que choisit Kam pour allumer la Pipe sacrée, et la faire circuler afin que chacun tire une bouffée. " Fumer la Pipe sacrée, c’est communiquer avec les ancêtres, l’ensemble de la Création et le Grand Esprit lui-même ; c’est revivre le moment où les esprits ont fait don de cette pipe aux Indiens. " (Zimmerman, 1977, p. 104) Ensuite commence une prière dite à voix haute ou silencieusement, chacun devant la terminer par " pour tous mes proches " ce qui permet à la personne suivante de prier à son tour, et c’est le moment choisi par Kam pour jeter un peu d’eau sur les pierres. Quand les vingt personnes du groupe ont terminé, nous avons perdu toute notion du temps.

 

Troisième séquence

La porte est à nouveau ouverte pour laisser passer sept nouvelles pierres et boire un peu d’eau. Puis le chaman nous demande de visualiser une toile d’araignée dans laquelle nous occupons le centre, et d’y suspendre des objets que nous souhaiterions jeter "sauf un". De petites araignées doivent se charger d’enlever les objets et de réparer la toile, si elle se détériore. Il nous suggère encore de visualiser la position dans laquelle nous nous trouvons par rapport à la toile, pendu à un fil ou enveloppé et de faire bouger cette toile en soufflant doucement devant soi. En ouvrant ensuite les yeux, nous devons vérifier si la toile est toujours présente, puis en les refermant, de devenir cette toile, revenir dans notre corps et ouvrir enfin la toile pour nous dégager.

 

Quatrième séquence

Kam chante encore, accompagné au tambour, puis il jette beaucoup d’eau sur les pierres. Une vapeur étouffante se dégage, notre peau semble se détacher de notre visage, nous ne pouvons plus qu’aspirer l’air brûlant par petites bouffées par le nez. Nous l’entendons encore jeter de l’eau, mais à chaque fois, c’est presque insupportable. Son chant s’arrête enfin, et quelques instants plus tard, il fait ouvrir la porte. Avant de sortir, il nous demande de prendre notre sachet accroché au-dessus de notre tête, puis après s’être levé très doucement , et en faisant le tour par la gauche, de le jeter dans le feu et de rentrer vite dans la maison proche.

Ce rituel complet a duré huit heures (dont trois heures dans la cabane) et nous sommes exténués, tremblants. Le temps passé à l’intérieur de la cabane a été particulièrement éprouvant. Ce rituel exige un engagement important de chaque participant, engagement physique puis au plus profond de soi quand on se retrouve seul dans le noir enveloppé par une chaleur humide accablante.

 

Quelques réflexions pour conclure

Si j’ai raconté l’ensemble de ces rituels avec beaucoup de détails, c’est d’une part que peu d’explications théoriques ont été données par les différents chamans et que je voulais laisser le lecteur au plus près des événements pour qu’il puisse s’imprégner des différents mouvements et l’inciter à se faire sa propre opinion.

D’autre part, je participais surtout à ce séminaire en tant que chercheur, intéressée par les mouvements que provoquaient en moi ces différents rituels, mais très attentive aux réactions des participants. Parmi eux, certains sont mes amis et j’ai entendu quelques uns de leurs commentaires, en particulier, ceux de l’organisateur G. Sala, qui a bien voulu me confier ses impressions.

Le but de ce séminaire, rappelons-le, était pour lui de procurer des sources de connaissances encore puissantes dont il n’existe, en Europe, que des résidus, ensuite de faire participer à des rituels afin d’entrer dans une sorte de proximité avec les hommes, les animaux, les choses... les univers très particuliers dont chaque chaman est un gardien capable de transmettre.

Pendant ces journées, les rituels ont ouvert ou réouvert d’autres horizons : certaines personnes ont eu des visions précises, durables ; d’autres ont éprouvé de la joie ou supporté de la souffrance, car ils ont senti leur corps comblé ou bousculé, étiré ou fouetté…

Ils ont perçu des sons, des voix, des murmures, des cris. D’autres encore, ont senti des êtres réels interagir avec eux l’espace d’un instant, ou pendant des heures. Ces êtres les ont fait trembler ou rire, leur ont apporté quiétude ou frayeur.

Nous savons que la perception peut se modifier à partir de substances ou d’expériences particulières. Pendant ces trois jours, notre monde a été peuplé d’autres êtres qui animent les arbres, les montagnes, les nuages, le ciel, les cours d’eau, les lacs, les animaux, les hommes…, la terre entière ; grâce aux pouvoirs des différents chamans, nous avons perçu tout cela avec plus d’intensité. En d’autres termes, nous avons ressenti que le monde n’est pas un, mais multiple, et que les chamans ont cette capacité (ou le pouvoir) de parcourir ces différents univers. Ils connaissent la façon de les invoquer, ils connaissent les rites des offrandes, ils peuvent "convoquer" ou invoquer les êtres des mondes invisibles, ils savent interagir avec eux et leur poser des questions. À partir des réponses des esprits, ils prévoient et traduisent leurs effets sur chacun de nous.

Pour ceux qui y sont venus, et c’était le but de ce séminaire, entrer en relation avec les chamans signifie communiquer avec des personnes qui vivent des moments extraordinaires dans les différents mondes, à travers la parole et les objets. Par les liens qu’ils entretiennent avec ces intermédiaires, les chamans utilisent une façon particulière d’agir pour soigner et guérir. Mais chacun d’eux indique, en même temps, que ce n’est pas lui qui agit seul, mais l’esprit du feu, la force de l’eau, le sang du cerf, ce sont ces objets, leurs objets qui soignent et guérissent. Ils affirment n’être que des intermédiaires ou des médiateurs plus ou moins puissants d’une action rendue possible grâce à leur proximité avec ces univers.

Pour conclure provisoirement, et pour rester au plus près de ce que tous nous avons ressenti profondément, ces journées m’apparaissent comme des expériences exceptionnelles par le contact avec d’autres mondes, même si des intermédiaires nous sont nécessaires pour y accéder. Tous les participants n’y sont peut-être pas parvenus, mais certains ont témoigné de ce voyage. Francine Rosenbaum exprime sa totale adhésion en ayant ressenti comme "un véritable cadeau" cette plongée à l’intérieur d’elle-même. Le discours chamanique, qui a prévalu pendant ce séminaire, a montré la conception dualiste du monde, en passant de l’aspect animiste (qui est peut-être le plus complet) à celui qui explique l’essence du monde, sans rien laisser dans l’ombre (Freud, 1977, p. 92).


 

Notes

[1] Allusion au texte de T. Nathan "Visite à une lointaine cousine …" (1994, p. 37).

[2].Le mot " chamanisme " vient de shaman, vocable emprunté aux Toungouzes sibériens. Il désigne un ensemble de croyances et de phénomènes magiques observés chez les peuples de Sibérie et d’Asie centrale, mais aussi en Corée, au Tibet, chez les Eskimo, chez les Indiens d’Amérique, en Indonésie et en Océanie. " (Eliade, 1983, p. 136)

[3].Francine Rosenbaum, orthophoniste à Neuchâtel, a bien voulu pendant trois jours, assurer cette traduction. Elle est l’auteur d’un livre remarquable concernant le langage et la migration : "Approche transculturelle des troubles de la communication", Masson, 1997.

[4]. Quatre voitures différentes et 24 heures de trajet ont été nécessaires pour les conduire de leur région enneigée et sans routes et leur permettre de rejoindre l’Autriche où une autre personne les a conduits en Allemagne. Ils ont été accueillis ensuite à l’Université de Francfort puis, de cette ville, ils ont pu prendre l’avion pour Vérone.

[5]. Les Bouriates, établis près du lac Baïkal en Sibérie, parlent une langue proche du mongol.

[6]. Ces deux chamans, Mongol (Tseren) et Bouriate (Nadia) appartiennent au même clan Derchat des forgerons, considéré comme le groupe le plus puissant. Ils descendent du même clan que le grand chef mongol Gengis Khan, appelé le Fils du Ciel, puisque sa conception eut lieu, dit-on, quand un trait de lumière, lancé par le Dieu du Ciel, entra dans la tente de sa mère et la féconda (Vitebsky, p. 56).

[7]. Le chaman a fabriqué récemment ce tambour vert, décoré de 2 aigles en argent, car le précédent a disparu l’an dernier, en Mongolie, pendant un terrible orage.

[8]. Les chamans n’ont pas apporté autant de costumes qu’ils le souhaitaient car ces costumes sont lourds à transporter, pas plus que l’épée de Tseren, qui à la douane, aurait été confisquée.


Bibliographie

Castaneda Carlos, L’Herbe du diable et la petite fumée, Christian Bourgois Éditeur, 1984.

Clerc Isabelle, La liane des dieux, Accarias, 1998.

Eliade Mircea, Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, Payot, 1983.

Freud Sigmund, Totem et Tabou, Payot, 1977.

Nathan Tobie, Stengers Isabelle, Médecins et sorciers, Les empêcheurs de penser en rond, 1995.

Rossi Ilario, Corps et chamanisme, Armand Colin, 1997.

Vitebsky Piers, Les chamans, Albin Michel, 1995.

Zimmerman Larry J., Les Amérindiens, Albin Michel, 1997

 

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