Rentrée littéraire de Libération/Essais

jeudi 29 août 2002

Les avions qui ont percuté les tours de Manhattan ont inspiré les penseurs d'une rentrée sous le signe du terrorisme, de la violence et de la guerre. Même si Platon fait un retour en force. Sélection .

On ira des postures (la Construction sociale du corps, de Christine Detrez, "Points" Seuil) aux impostures scientifiques (le Mystère de l'homme de Piltdown, d'Herbert Thomas, Belin). Des jongleurs (le Cirque - Du théâtre équestre aux arts de la piste, de Pascal Jacob, Larousse) aux devins (Histoire de la divination dans l'Antiquité, d'Auguste Bouché-Leclerc, Jérôme Millon). De l'utopie (Un rêve méditerranéen - Des saints-simoniens aux intellectuels des années 30, d'Emile Temine, Actes Sud ou Raison, utopie et imaginaire - Les saint-simoniens et la société française, d'Antoine Picon, Belin) aux lieux réels qui, à Paris ou Venise, "rendaient public" le savoir (De la publication - Entre Renaissance et Lumières, de Christian Jouhaud, Fayard). Des Nourritures divines - Les interdits alimentaires (Olivier Assouly, Solin/Actes sud) au procès de Pierre Mendès France (Un tribunal au garde-à-vous, de Jean-Denis Bredin, Fayard), des portraits de Philosophes du XXe siècle (Guy Petitdemange, Seuil), au psychanalytique Meurtre de la mère (Michèle Gastambide, Desclée de Brouwer), du Sexe des larmes (Patrick Lemoine, Laffont) à l'essor de la sorcellerie (Danse avec le Diable, de Daniel Lacotte, Hachette) ou au déclin de la théologie (la Théologie en exil - Le défi de sa survie dans la culture contemporaine , de Christian Duquoc, Bayard). C'est dire que, comme à l'habitude, la rentrée éditoriale, dans le domaine des sciences humaines et de la philosophie, offrira un éventail très varié de publications. La particularité, cette année, est que la "tendance générale" y est parfaitement visible : rarement en effet essais et documents ne s'étaient fait l'écho direct de ce qui, de terrible, se passe dans le monde. La violence, sous toutes ses formes, dans la société, la famille, ou les champs de bataille, est le thème dominant. Ce qui n'étonnera personne - à l'heure du premier anniversaire du Ground Zero.

"Mais pourquoi ne nous aime-t-on pas ?" , aurait demandé une jeune Américaine émergeant le 11 septembre du tourbillon du World Trade Center (voir plus bas). A la question de l'amour-haine qu'inspirent les Etats Unis, sont consacrés de nombreux ouvrages, notamment l'Amérique expliquée au monde entier, de Mark Hertsgaard (Stock), Pourquoi le monde déteste-t-il l'Amérique ?, de Ziaudin Sardar et Merryl Wyn Davies (Fayard), ou l'Autre Amérique , livre collectif (Textuel) où figurent les signatures d'Angela Davis, Naomi Klein, Gore Vidal, Ronald Workin, Edward Saïd et Noam Chomsky (qui publie chez Fayard, De la propagande, entretiens avec David Barsamian dans lequel il souligne ce que l'impérialisme américain doit aux ressorts psychologiques ou lexicaux de la "fabrication de l'assentiment" dans le monde). Moins conjoncturels : l'Ennemi américain - Généalogie de l'antiaméricanisme français, de Philippe Roger (Seuil), Après l'empire - Essai sur la décomposition du système américain, d'Emmanuel Todd (Gallimard) ou l'Obsession antiaméricaine, de Jean-François Revel (Plon).

Le Centre Pompidou, à Paris, accueillera du 27 novembre 2002 au 10 mars 2003 l'exposition R/B Roland Barthes , accompagnée d'un catalogue contenant des inédits du sémiologue (collectif, Seuil). En même temps, au Seuil, sont repris en poche les Ecrits sur le théâtre, et les OEuvres complètes , publiées jadis en trois volumes, reproposées en cinq tomes, avec de nouvelles introductions d'Eric Marty. Mais l'actualité éditoriale de Barthes tient surtout à la publication (Seuil) de deux volumes inédits, reprenant les cours et séminaires du Collège de France, de 1977-78 (le Neutre) et de 1976-77 (Comment vivre ensemble).

Grande activité autour de Michel De Certeau, jésuite, historien, spécialiste du XVIIe siècle et de la mystique, sociologue de la culture, anthropologue, sémiologue, cofondateur de l'école lacanienne - disparu en janvier 1986. François Dosse lui consacre une biographie, Michel de Certeau - Le marcheur blessé (La Découverte), la revue Espaces Temps un numéro spécial (Histoire et psychanalyse : autour de Michel de Certeau, n° 80/81) et les Editions Complexe un ouvrage collectif, Michel de Certeau, chemins d'histoire. Enfin, Gallimard repropose trois de ses ouvrages : l'Ecriture de l'histoire, la Politique de la langue (écrit avec Dominique Julia et Jacques Revel), ainsi qu'Histoire et psychanalyse entre science et fiction.

Une autre grande figure de la vie intellectuelle française sera aussi à l'honneur, Félix Guattari. Aux Editions de l'Aube paraît La philosophie est essentielle à l'existence humaine (entretiens avec Antoine Spire) et, chez Stock, Félix Guattari, la biographie de Virginie Linhart.

On peut s'interroger - comme le fait Raymond Cahn dans la Fin du divan ? (Odile Jacob) - sur l'avenir de la psychanalyse. Mais celui-ci ne semble guère fermé, si l'on en juge par le nombre d'essais quis'inspirent de la discipline fondée par Freud. Si l'on ajoute les livres de psychologie ou de psychiatrie, la liste devient infinie. On se contentera donc d'un échantillon : la Mort qui fait aimer la vie - Darwin et Freud, d'Adam Phillips (Payot) ; Freud à l'épreuve de la littérature, de Mario Lavagetto (Seuil) ; Freud - Le moi contre sa sexualité, coordonné par Pierre-Henri Castel (PUF) ; Psyché et matière, de Marie-Louise von Franz, qui fut une collaboratrice de Carl Gustav Jung (Albin Michel) ; Introduction à la lecture de Lacan, de Joël Dor (Denoël) ; 789 néologismes de Jacques Lacan - Glossaires et listes, de Marcel Benabou, Laurent Cornaz, Dominique De Liege et Yan Pelissier (Epel) ; Un psychanalyste sur le divan, de Juan David Nasio (Payot) ; la Psychanalyse à l'épreuve de l'islam, de Fehti Benslama (Aubier) ; la Nouvelle Economie psychique, de Charles Melman (Denoël) ; Caïn ou le détournement du sens, d'Edith Cannac (Plon) ; le Démenti pervers - Le refoulé et l'oublié, d'Henri Rey-Flaud (Aubier) ; le Champion, sa vie, sa mort, une psychanalyse du sport, de Claire Carrier (Bayard) ; le Caractère anxieux, d'Alain Braconnier (O. Jacob) ; Cendrillon est un couillon, une étude du comportement obsessionnel et hystérique, de Catherine Lemaire (Les Empêcheurs de penser en rond) ; Hypnose, mode d'emploi, de Gérard Miller (Stock) ; l'Hypnose entre magie et science (Empêcheurs), d'Isabelle Stengers (qui publie par ailleurs, au Seuil, Penser avec Whitehead) ; le Divan et le grigri (O. Jacob), de Tobie Nathan et Catherine Clément (laquelle publie également aux PUF un Claude Lévi-Strauss en "Que sais-je ?", alors que Nathan signe avec Jean-Luc Swertvaegher Sortir d'une secte aux Empêcheurs) ; les Méthodes de l'intervention psychosociologique, de Gérard Mendel et Jean-Luc Prades (La Découverte) ; la Psychologie et ses fantômes d'Alain Tête (PUF).

En art, on découvrira le Livre des peintres II (Belles Lettres), de Karel von Mander, publié en 1604, l'équivalent, pour la peinture du Nord, de la plus célèbre Vie des peintres, de Vasari. Autres essais : Nelson Goodman, Structure de l'apparence (Vrin) ; Sabine Forero-Mendoza, le Temps des ruines - Le goût des ruines et les formes de la conscience historique à la Renaissance (Champ Vallon) ; Christine Buci-Glucksmann, la Folie du voir - Du baroque au virtuel (Galilée) ; Yves Bonnefoy, Remarques sur le regard - Picasso, Giacometti, Morandi, chez Calmann-Lévy (et, au Mercure de France, le Langage et l'oubli) ; Michel Onfray, Splendeur de la catastrophe - La peinture de Vladimir Vélickovic (Galilée) ; Philippe Cardinali, L'invention de la ville moderne - Variations italiennes 1297-1580 (La Différence) ; Gérard-Georges Lemaire, Kafka et Kubin, sur les relations entre l'écrivain et les arts plastiques (La Différence) ; Daniel Grojnowski, Photographie et langage (Corti) ; Bernard Sève, l'Altération musicale ou ce que la musique apprend au philosophe (Seuil) ; Peter Szendy, Membres fantômes - Des corps musiciens (Minuit) ; Pierre-Damien Huyghe, le Différend esthétique (Circé).

Violence politique, terrorisme, carnages, guerres : thèmes obligés. Certains essais se tournent vers le passé - par exemple Carnage et culture - Les grandes batailles qui ont fait l'Occident, de Victor David Hanson (Flammarion) ou l'Eté rouge - Chronique de la violence populaire en France, 1841 , de Jean-Claude Caron (Flammarion) -, mais, dans leur grande majorité, ils tentent de rendre raison de l'actualité et de l'"après-11 septembre". On citera l'Ere de l'épouvante - Folie meurtrière, terreur, guerre, de Wolfgang Sofsky (Gallimard) ; l'Age de l'apocalypse - Les démocraties face aux terrorismes, de Michael Ignatieff (Seuil) ; le Choc des intégrismes, de Tariq Ali (Textuel) ; Dieu en guerre - La violence au coeur des trois monothéismes, de Michel Dousse (Albin Michel) ; Sens et non-sens de la violence, sous la direction d'Olivier Halfon, François Ansermet, Jacques Laget et Blaise Pierrehumbert (PUF) ; la Violence (ouvrage collectif : Bruno Latour, Michel Wieviorka, François Dubet, Antoine Garapon..., Editions de l'Aube). Sur les racines psychologiques de la violence politique : Guy Laval, Bourreaux ordinaires - Psychanalyse du meurtre totalitaire (PUF). On ne pourra pas ne pas lire, après tout cela, édités aux PUF par Yves-Charles Zarka, Frank Lessay et John Rogers les trois volumes consacrés aux Fondements philosophiques de la tolérance !

En histoire, on retrouvera le "livre culte" (1942) de Lucien Febvre, le Problème de l'incroyance au XVIe siècle - La religion de Rabelais, remis en perspective par Denis Crouzet (Albin Michel). Attendue, la réflexion d'Olivier Dumoulin sur le Rôle social de l'historien - De la chaire au prétoire (Albin Michel). Parmi les autres études historiques, on peut citer : Pierre Vidal-Naquet, le Miroir brisé - Tragédie athénienne et politique (Belles Lettres) ; Madeleine Ferrières, une Histoire des peurs alimentaires - Du Moyen Age à l'aube du XXe siècle (Seuil) ; Luciano Canfora, la Bibliothèque du patriarche - Photius censuré dans la France de Mazarin (Belles Lettres) ; Jacques-Guy Petit, Nicole Castan et André Zysberg, Histoire des galères, bagnes et prisons en France de l'Ancien Régime (Privat) ; Dale K. Van Kley, les Origines Religieuses de la Révolution française 1560-1791 (Seuil) ; Serge Bernstein et Michel Winock, l'Invention de la démocratie 1789-1791 (Seuil) ; Arlette Farge, la Nuit blanche, sur un fait divers de 1769 (Seuil) ; Stéphane Sirot, la Grève en France : une histoire sociale, XIXe-XXe siècles (O. Jacob) ; Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, la France d'un siècle à l'autre 1914-2000 (Hachette) ; Mark Roseman, Ordre du jour : génocide. Le 20 janvier 1942 (Louis Audibert) ; Antony Beevor, la Chute de Berlin (De Fallois) ; Jean-Marc Dreyfus, Pillages sur ordonnances - L'aryanisation des banques juives en France 1940-1952 (Fayard) ; Pierre Milza, l'Europe en chemises noires (Fayard) ; Jean-Pierre Greff, Michel Wlassikof et Philippe Delangle, Signes de la collaboration et de la Résistance 1939-1945 , une étude du graphisme et de la communication visuelle pendant l'Occupation, par affiches, pancartes, panneaux signalétiques (Autrement) ; Jean-Pierre Vittori, le Choix des larmes - Algérie 1954-1962 (Arte/Félin) ; Roger Dupuy, la Politique du peuple - Racines, permanences et ambiguïtés du populisme (Albin Michel).

A partir d'une description du mode de reproduction d' "invertébrés très courants dans nos eaux", le généticien Bertrand Jordan, dans le Chant d'amour des concombres de mer (Seuil) livre ses réflexions sur le statut de la biologie, entre science naturelle et science humaine. Sur le Chiffre de la vie, titre du livre que publie Grégory Bénichou (Seuil), on lira également les analyses de Pierre Laszlo, (l'Architecture du vivant, Flammarion) et de Christian De Duve (les Messages du vivant, Odile Jacob).

Quelques grands intellectuels pratiquent le "retour sur soi". Tzvetan Todorov (qui publie par ailleurs, avec Christian Bromberger, Germaine Tillion, une anthropologue dans la cité, Actes Sud), livre son "autobiographie réflexive", sous forme de dialogue avec Catherine Portevin, dans Devoirs et délices (Seuil). Michel Crozier, fondateur de la sociologie des organisations, raconte sa vie d'homme et de théoricien dans Ma belle époque (Fayard), et Jacques Brosse, philosophe, psychanalyste, chrétien devenu maître zen, revient sur son parcours et ses rencontres avec Bachelard, Lévi-Strauss ou Michaux dans Retour à l'origine (Plon). Le plus étonnant, dans ce cadre, sera l'Abécédaire autobiographique d'Antonio Negri (Calmann-Lévy), dans lequel le philosophe, ancien leader de Pouvoir ouvrier, accusé d'être "la tête pensante des Brigades rouges", revisite "les événements les plus importants de sa vie, les choix politiques, l'exil en France, le retour en Italie, l'emprisonnement". De Negri paraît également Job, la force de l'esclave (Bayard).

En Pléiade (Gallimard), on découvrira cette "histoire universelle monumentale" que constitue le Kitab al-'Ibar ou le Livre des exemples , T.1, d'Ibn Khaldûn, le plus connu des historiens arabes (1332-1406). Parmi les autres événements éditoriaux, force est de citer aussi les trois volumes de l'Histoire des Indes du dominicain Fray Bartolomé De Las Casas (1474-1566), qui participa aux expéditions de Christophe Colomb et rapporta cette chronique de la conquête de l'Amérique où il s'attacha à défendre les Indiens(Seuil).

Larousse fête cette année son 150e anniversaire. Célèbrent l'événement une exposition au Palais de la Découverte (3 septembre-24 novembre) retraçant l'histoire de la maison d'édition - dont le fondateur, Pierre Larousse, voulait qu'elle pût "instruire tout le monde et sur toutes choses" - ainsi que la publication d'un bel ouvrage commémoratif, Larousse insolite . Puisque "Larousse" est devenu synonyme de "dictionnaire", on citera ici quelques autres grands ouvrages de ce type publiés chez d'autres éditeurs : Dictionnaire historique de la Gaule, de Jean-Pierre Picot (La Différence) ; Dictionnaire historique de l'unité européenne, de Gérard Bossuat, Pierre Gerbet et Thierry Grosbois, (Complexe) ; Dictionnaire mondial de l'islamisme, dirigé par Antoine Sfeir et Olivier Roy (Plon) ; Dictionnaire de l'extraordinaire chrétien, édité par Patrick Sbalchiero (Fayard).

1790 entrées, 380 auteurs : l'une des grandes entreprises de la rentrée est sans conteste le Dictionnaire du Moyen Age publié aux PUF sous la direction de Claude Gavard, Alain de Libera et Michel Zink, en version «beau livre» (150 euros) et en «version poche» (Quadrige, 45 euros). Autre beau livre : le Moyen Age en lumière - Manuscits enluminés des bibliothèques de France, dirigé par Jacques Dalarun, chez Fayard. Si l'on est insatiable : La France médiévale - De l'an mil à la Peste noire (1348), de Marie-Anne Polo de Beaulieu (Belles Lettres) ; Boire au Moyen Age, de Jean Verdon (Perrin) ; le Moyen Age - Le roi, l'Eglise, les grands, le peuple 481-1514, sous la direction de Philippe Contamine (Seuil) ; Machina memorialis - Méditation, rhétorique et fabrication des images 400-1200, de Mary Carruthers, sur les pratiques de la méditation monastique (Gallimard) ; le Temps des cathédrales - l'Art cistercien II, de Georges Duby, complété de nombreux documents inédits («Quarto», Gallimard).

Maints essais sont consacrés aux processus de mondialisation, aux moyens de s'y opposer et à la recherche de lignes de développement plus respectueuses de l'homme et de la nature (à ce propos, on lira : Atlas mondial du développement durable, d'Anne-Marie Sacquet, les Nouveaux utopistes du développement durable, dirigé par Anna-Marie Ducroux, tous deux publiés par Autrement, ou, au Cherche-Midi, Manifeste pour le développement durable, de Pierre Delaporte et Teddy Follenfant). Quelques titres : Guide critique de la mondialisation, de Georges Soros (Plon) ; le Sud dans la mondialisation, d'Odile Castel (La Découverte) ; Mondialisation de la pauvreté, pauvreté de la mondialisation, de François de Bernard (Félin poche) ; Mondialisation et exception culturelle, de Bernard Gournay (Presses de Sciences-Po) ; Contre-offensive, sur la myriade des mouvements antimondialisation, de Florence Aubenas et Miguel Benasayag (La Découverte) ; les Nouveaux Maîtres du monde - Et ceux qui leur résistent, de Jean Ziegler (Fayard). Plus radical : Pour l'abolition de la société marchande - Pour une société vivante, de Raoul Vaneigem (Payot).

«L'Orient et l'Occident sont-ils condamnés à s'opposer comme l'étaient les Grecs et les Perses, les Romains et les Carthaginois, les empires arabes et la chrétienté byzantine ou européenne ?» Des attentats du 11 septembre on a fait une confirmation de cette hostilité. Georges Corm détruit quelques clichés dans Orient-Occident, la fracture imaginaire (La Découverte). Mais, sur la question, évidemment exacerbée par la guerre en Afghanistan et le conflit israélo-palestinien, on trouvera les éclairages les plus contrastés. Doivent paraître à l'automne : Bernard Lewis, Islam et modernité : le dérapage - Le cas du Moyen-Orient (Gallimard) ; Agnès Levallois, Moyen-Orient, mode d'emploi (Stock) ; Jean Lacouture, Ghassan Tueni et Gérard D. Khoury, un Siècle pour rien - Le Moyen-Orient arabe de l'Empire ottoman à l'empire américain (Albin Michel) ; Frédéric Encel, Géopolitique de l'Apocalypse - La démocratie à l'épreuve de l'islamisme (Flammarion) ; Alexandre Del Valle, le Totalitarisme islamiste à l'assaut des démocraties (Syrtes) ; Michèle Tribalat et Jeanne-Hélène Kaltenbach, la République et l'Islam (Gallimard) ; Tariq Ramadan, les Musulmans de l'Occident face à l'avenir (Sindbad/Actes Sud) ; Abdou Filali-Ansary, Pour un Islam moderne - Le Prophète était-il un roi ? (La Découverte) ; Antoine Bashous, l'Arabie saoudite en question - Du wahhabisme à Ben Laden (Perrin). Sur le conflit israélo-palestinien : Palestine, les déchirures, de Valérie Féron (Félin poche) ; la Palestine comme métaphore, de Mahmoud Darwich (Babel) ; Israël, Palestine - Vérités sur un conflit, d'Alain Gresh (Fayard) ; la Guerre israélienne de l'information - Désinformation et fausses symétries dans le conflit israélo-palestinien, de Joss Dray et Denis Sieffert (La Découverte).

Platon tient, toujours, le haut du pavé. Sur le fondateur de l'Académie paraissent un effet un grand texte d'Al-Fârâbî, la Philosophie de Platon, l'étude de Leo Strauss, le Platon de Fârâbî, tous deux chez Allia (signalons en passant, sur le penseur arabe, l'essai de Muhsin Mahdi, la Fondation de la philosophie politique en Islam - La cité vertueuse d'Alfarabi, Flammarion), ainsi que la monographie de Monique Dixsaut (Platon, Vrin) et quelques autres commentaires, directs (le Paradigme dans la dialectique platonicienne, de Victor Goldschmidt, chez Vrin) ou indirects (le Pur amour - De Platon à Lacan , de Jacques Le Brun, au Seuil). Le rival, Aristote, n'est cependant pas distancé. Au fondateur du Lycée sont consacrées les monographies de Michel Crubellier et Pierre Pellegrin (Aristote, Seuil) ou de Richard Bödéus (Aristote, Vrin), alors que Vrin poursuit la traduction des oeuvres de son illustre commentateur arabe, Averroès : Grand commentaire de la Métaphysique d'Aristote et Commentaire majeur à la Rhétorique d'Aristote. Parmi les autres textes d'auteurs classiques, on citera : Commentaire sur les Sentences, de Porphyre (Vrin), Contre les professeurs, de Sextus Empiricus («Points» Seuil) ; le troisième volume des OEuvres («Pléiade», Gallimard), de saint Augustin, édité par Lucien Jerphagnon (lequel publie Les dieux ne sont jamais loin, chez Desclée de Brouwer) ; Consolation de philosophie, de Boèce (Belles Lettres) ; Pragmatisme et pragmaticisme, de Charles Sanders Peirce, qui inaugure la publication des OEuvres au Cerf ; Histoire et salut, de Karl Löwith (Gallimard) ; le Léviathan dans la doctrine de l'Etat de Thomas Hobbes, de Carl Schmitt (Seuil) ; les Chemins de Heidegger, de Hans G. Gadamer (Vrin) ; Logique d'un monde en déclin et autres essais philosophiques d'Hermann Broch (L'Eclat) ; De la construction du monde, de Rudolf Carnap (Vrin) ; Qu'est-ce que la philosophie de l'existence ?, de Hannah Arendt (Rivages) ; l'Institution - La passivité, notes de cours au collège de France 1954-1955, de Maurice Merleau-Ponty (Belin) ; De l'usage public des idées, de Jürgen Habermas (La Découverte). Les études consacrées à tel ou tel philosophe sont légion : l'Acte d'être - La philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, de Christian Jambet (Fayard) ; Vico, d'André Tosel (Vrin) ; la Condition de la liberté - Rousseau, critique des raisons politiques, de Blaise Bachofen (Payot) ; Simone Weil, l'attention et l'action, de Joël Janiaud (PUF) ; Heidegger - La politique du poème, de Philippe Lacoue-Labarthe (Galilée) ; la Vie humaine - Anthropologie et biologie chez Georges Canguilhem, de Guillaume Le Blanc (PUF) ; Lévinas phénoménologue, de Yasuhiko Murakami (Jérôme Millon) ; Foucault et le courage de la vérité, coordonné par Frédéric Gros (PUF). Pour une vue synthétique sur l'histoire de la philosophie : les Grands philosophes et leur philosophie, de François Dagognet (Empêcheurs) ; Histoire de la philosophie française, dirigée par Denis Huisman (Perrin). Pour sortir du cadre occidental : Spécificité, de la philosophie chinoise, de Mou Zongsan (Cerf). Outre les textes, de Jean Granier (le Combat du sens - Essai sur la destination humaine, Cerf) ; Pierre Hadot (Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel), Giulio Preti (Ecrits philosophiques, Cerf), René Girard (la Voix méconnue du réel, Grasset), Paolo Virno (Grammaire, de la multitude, L'Eclat), Jean-Luc Nancy (A l'écoute, Galilée), Marcel Gauchet (Philosophie des sciences historiques, Seuil), Elisabeth Badinter (les Passions intellectuelles. II. L'exigence, de dignité 1751-1762, Fayard), Jean-Claude Milner (Existe-t-il une vie intellectuelle en France ?, Verdier) ou Luc Ferry (Qu'est-ce qu'une vie réussie ? Grasset), on attend à la rentrée, de nombreux ouvrages de morale, dont on peut constater, signe des temps, qu'ils sont rarement consacrés au bonheur : le Tragique et la tristesse, de Marc Sagnol (Cerf) ; Destin et liberté - La métaphysique du mal, de Serge Margel (Galilée) ; Avions-nous oublié le mal ? La faillite de la pensée politique, de Jean-Pierre Dupuy (Bayard) ; Phénoménologie de l'expérience douloureuse, sous la direction de Bernard Granger et Georges Charbonneau (Le Cercle herméneutique) ; La honte est-elle immorale ?, de Ruwen Ogien (Bayard). Et on ne se console pas en quittant la philosophie pour l'histoire, où l'on trouvera : les Origines du Mal - Histoire du péché originel, de Georges Minois (Fayard), Volupté et crainte du ciel - Peut-on se libérer du péché originel ?, de Gérard Israël (Payot) ou l'Histoire des monstres depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours du Dr Ernest Martin (J. Millon) !

L'Univers a-t-il une forme ?, se demande Roland Lehoucq (Flammarion). On trouvera quelques réponses savantes dans Voyage au coeur de la matière - Noyaux et particules dans l'Univers, coordonné par Hubert Doubre (CNRS Editions), et, plus accessibles, dans Nucléaire Chaos, de Stéphanie Benson («Points» Seuil), les Tactiques de Chronos d'Etienne Klein (Flammarion) ou la Complexité, vertiges et promesses (Le Pommier), fait d'entretiens de Réda Benkirane avec Ilya Prigogine, Edgar Morin, Francisco Varela, Michel Serres... Dans Genèse de l'univers et intuition maçonnique (Dervy), Jacques Rolland, franc-maçon et astrophysicien, propose une approche plus «hermétique», et Pierre-Gilles de Gennes, dans Petit point (Le Pommier), une méditation sur le métier de physicien. En histoire des sciences, on attend Sur Kepler , de Wolfgang Pauli, prix Nobel, l'un des fondateurs de la physique quantique (Albin Michel). Pour une réflexion épistémologique, on consultera, en «Folio» Gallimard, les Philosophes et la science, sous la direction de Pierre Wagner, ou Philosophie des sciences I-II, de Daniel Andler, Anne Fagot-Largeault et Bertrand Saint-Sernin.

Les hasards de l'édition font que paraissent maints ouvrages sur l'ex-URSS, dont : Tamara Kondratieva, Gouverner et nourrir - Du pouvoir en Russie, XVIe-XXe siècle (Belles Lettres) ; Sheila Fitzpatrick, le Stalinisme au quotidien (Flammarion) ; Nicolas Jallot, La Grande désillusion - Un piège de Staline, sur l'histoire des «Russes blancs» (Félin) ; Anatoli Pristavkine, la Vallée de l'ombre mortelle - La commission des grâces en Russie de 1993 à 2001 (Fayard) ; Michael Thumann, le Chant triste de la Russie (Alvik).

Quelques analyses de faits sociaux prévues à la rentrée : Paradis verts - Désir de campagne et passion résidentielle, de Jean-Didier Urbain (Payot) ; Loisirs culturels et sportifs d'Armel Huet et Guy Saez (L'Aube) ; Pas le temps ! Traité sur l'accélération, de Lothar Baier (Actes Sud) ; la Rumeur - Histoires et fantasmes, de Pascal Froissart (Belin) ou De Source sûre - Nouvelles rumeurs d'aujourd'hui , de Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard (Payot). Parmi les travaux des sociologues, on signalera ceux de Zygmunt Bauman, Modernité et Holocauste, un «classique» enfin traduit en français (La Fabrique), de Raymond Boudon (Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?, PUF), Edgar Morin (Dialogue avec les lycéens, L'Aube), François Dubet (le Déclin de l'institution, Seuil), Michel Maffesoli (La part du diable - Précis de subversion postmoderne, Flammarion), Danilo Martuccelli (Grammaire de l'individu, «Folio» Gallimard). Entre sociologie, politique et histoire des idées : le Rappel à l'ordre - Enquête sur les nouveaux réactionnaires, de Daniel Lindenberg (Seuil). A Pierre Bourdieu, dont le Seuil réédite en poche la Domination masculine, sont consacrés l'essai de Lahouari Addi, Sociologie et anthropologie chez Pierre Bourdieu (La Découverte) et celui, revu et augmenté, de Louis Pinto, Pierre Bourdieu et la théorie du monde social («Points» Seuil). Signalons enfin que Les Empêcheurs, qui ont suscité le revival de Gabriel Tarde, publient à la rentrée ses cours du Collège de France consacrés à Augustin Cournot : Philosophie de l'histoire et science sociale.

Les mathématiques excitent la tête et réjouissent le coeur : on n'en doutera pas à la lecture tant de l'essai de Nicolas Bouleau, la Règle, le compas et le divan - Passions mathématiques (Seuil) que de celui de Malcolm E. Lines, Dites un chiffre («Champs» Flammarion). Si on est philosophe, on se reportera à Maurice Caveing, les Objets mathématiques (Vrin). Mais que l'on ait ou pas la bosse des maths, il faudra lire les Divertissements mathématiques de Leon Battista Alberti (Seuil) : une oeuvre rare dans laquelle Alberti (1404-1472), à qui l'on doit des traités sur l'art mais également des réalisations architecturales telles que la façade de l'église Santa Maria Novella de Florence, présente, sous forme de problèmes récréatifs, la résolution de questions pratiques, concernant aussi bien le génie civil et militaire que la topographie ou la navigation, et traduit ainsi, deux siècles avant Galilée, le rêve de «mathématisation de la nature».

Ethnologues et anthropologues arpentent tous les terrains. De la forêt amazonienne des Urubus-Kaapor, Darcy Ribeiro revient avec ses Carnets indiens (Plon), et, du Burkina Faso, Danouta Liberski-Bagnoud avec les Dieux du territoire (CNRS Editions). Du Maghreb, Abderrahmane Moussaoui, directeur de l'ouvrage, rapporte Espace et sacré au Sahara - Ksour et oasis du Sud-Ouest algérien (CNRS), et Bertrand Hell le Tourbillon des génies - Au Maroc avec les Gnawas (Flammarion). Parmi les autres essais : Paul Gilroy, l'Atlantique noire - Modernité et double conscience (L'Eclat/Kargo) ou Florence Heymann, le Crépuscule des lieux - Identités juives de Czermowitz (Stock). Sur les rapports entre psychanalyse et ethnologie : la Folie du Chaman, de Richard Lioger (PUF).

A l'heure où «le désarroi planétaire offre à un certain ésotérisme l'occasion de déployer diffusion mercantile et visées sectaires», il est bon de parcourir la Voie hermétique (Dervy), de François Bonardel, professeur de philosophie des religions à la Sorbonne, qui reconstitue tout le courant de pensée attaché au message spirituel d'Hermès Trismégiste. Pour ce qui est de la mystique, on pourra lire : la Chair des anges - Les phénomènes corporels du mysticisme, de Xavier Yvanoff (Seuil) ; le Vin mystique et autres lieux spirituels de l'Islam, de Salah Stétié (Albin Michel) ; Initiation au soufisme, d'Eric Geoffroy (Fayard) ; les Voies de la sérénité, de Dominique Lormier (Philippe Lebaud) ; ou le Livre des sagesses, de Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier (Bayard). Tout à fait à part, la mystique se faisant mythique : la Gloire de l'aventure - Genèse d'une mystique moderne 1850-1940, de Sylvain Venayre (Aubier), sur la «mystique de l'aventure», le mythe de Rimbaud, Lawrence d'Arabie...

Un nombre considérable d'essais et de documents sont évidemment consacrés au 11 Septembre, au terrorisme, aux réseaux islamiques, à Al-Qaida et à la guerre en Afghanistan. En voici quelques-unes : 11 septembre, un an après, articles du Monde préfacés par Sylvie Kauffman (L'Aube) ; le Jour où le monde a basculé, par les journalistes du Spiegel (Ramsay) ; Que s'est-il passé le 11 septembre ? de Joseph Maïla et Mohamed Arkoun (Desclée de Brouwer) ; Journal d'une année à part - 11 septembre 2001-2002 de Laurence Haïm (La Martinière) ; les Ecrits de Septembre - New York 2001, de Béatrice Fraenkel (Textuel) ; Zacarias mon frère, d'Abd Samad Moussaoui (avec Florence Bouquillat, Denoël) ; Kaboul-Washington - Généalogie de l'après-11 Septembre et l'Islam imaginaire, tous deux au Seuil, d'Olivier Roy ; Ben Laden et le salut de l'Occident, de Bruno de Cessole (La Différence) ; Al-Qaida au coeur du premier réseau terroriste mondial, de Rohan Gunaratna (Autrement) ; le Zombie et le fanatique, de Guillaume Bigot (Flammarion) ; les Filières françaises du terrorisme islamique, d'Ali Laïdi et Hamed Salam (Seuil) ; les Nouveaux martyrs d'Allah, de Fahrad Khosrokhavar (Flammarion) ; la Nébuleuse islamiste en Europe et en Algérie, de Hassane Zerrouky (Editions n° 1) ; Réseaux islamiques - La connexion afghano-pakistanaise, de Maryam Abou-Zahab et Olivier Roy (Autrement) ; le Carrefour afghan, de Bernard Du Paigne et Gilles Rossignol («Folio» Gallimard) ; Massoud - De l'islamisme à la liberté, de Michael Barry (Louis Audibert) ; Massoud l'Afghan, de Christophe de Ponfilly («Folio» Gallimard). Pour une réflexion historique plus large : Du mur de Berlin aux tours de New York, de René Rémond (entretiens avec François Azouvi, Bayard). Sur l'histoire des Twin Towers, comme ensemble architectural : le World Trade Center, de Jean-Yves Andrieux et Frédéric Seitz (Belin).

Successeur de Claude Lévi-Strauss au Collège de France, Françoise Héritier poursuit sa réflexion sur la différence des sexes dans Masculin/Féminin 2 - Dissoudre la hiérarchie (Odile Jacob). Masculin féminin est aussi le titre d'un texte de Sandor Ferenczi, qui précède Thalassa - Psychanalyse des origines de la vie sexuelle et que repropose en poche Payot (où est réédité aussi un autre «classique», la Sexualité féminine, de Janine Chasseguet-Smirgel). A lire également : de Gérard Zwang, Aux origines de la sexualité (PUF), et d'Yvonne Knibielher, la Sexualité et l'histoire (O. Jacob). Pour une analyse historique de la présence des femmes dans la vie politique : le Cens de la famille - Le sexe des individus politiques de la révolution de 1789 à celle de 1848, d'Anne Verjus (Belin).

Guerre et violence, mal, péché, souffrance et intolérance. Dans la production éditoriale de philosophie et de sciences humaines se fait particulièrement bien sentir, en cette rentrée, l'«air du temps», où ne souffle guère le vent de la paix et de la concorde (pour les leçons qu'on peut tirer de l'éthologie, voir Quand le loup habitera avec l'agneau, de Vinciane Despret, aux Empêcheurs). Aussi, à ceux qui voudraient un tant soit peu s'évader, conseillera-t-on le Rire au pied de la croix - De la Bible à Rabelais, de Michael Screech, le «Jean Starobinski d'Outre-Manche», qui traite de l'«invention du rire chrétien» (Bayard). A qui voudrait trouver le «détachement» de tout, l'ouvrage que Claude Durix publie aux Belles Lettres : le Maître de Zen. Et à ceux qui ne savent pas à quel saint se vouer, le Dictionnaire des saints imaginaires, facétieux et substitués, de Jacques E. Merceron (Seuil).

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