../Paris 8/UFR7/Aide psychologique aux familles migrantes/EA2034
Auteur |
Magali Uhl |
Titre |
À lépreuve du sujet. Éléments de métasociologie de la recherche |
Diplôme |
Thèse de doctorat en Sociologie |
Directeur de recherche |
Alain Gras |
Jury |
Edgar Morin (Dir de recherche émérite, Président du jury), Jean Marie Brohm (Montpellier, rapporteur) Tobie Nathan (Paris 8, rapporteur), Alain Gras (Paris 1, directeur de la thèse), Michel Henry (Professeur émérite) |
Date de soutenance |
16 décembre
2000
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Décision |
Mention très
honorable, félicitations du jury.
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RÉSUMÉ |
À partir dune réflexion sur le rapport entre le chercheur et son objet de recherche, jen suis arrivée à poser la prééminence aussi bien théorique que praxéologique du sujet de recherche sur le monde des objets, des faits et des états de chose. Cette première topique a permis de confirmer mon intuition originaire concernant la primauté des fondements subjectifs dans lacte de recherche (partie I, section 1). Ce caractère primordial de la subjectivité dans les opérations théoriques de pensée a, à son tour, suscité des interrogations sur les relations entre le constitué et le constituant au regard de la recherche sociologique.
À lissue dun développement sur les bases théoriques et méthodologiques de mon travail (partie I, section 3), sest posée la question de savoir ce qui chez le sujet donne limpulsion de la recherche. Il avait été au préalable souligné que le choix des objets, des thématiques ou des méthodes nentamait en rien lintentionnalité subjective de toute recherche, même lorsquelle se présente sous laspect de déterminations ou de contraintes objectives (appartenances institutionnelles, état du " marché " de la recherche, modes théoriques, pressions idéologiques, censures du champ, etc.) (partie I, section 2).
Cette intentionnalité subjective, comme le rappelle la phénoménologie, est ce qui innerve la recherche, aussi bien dans son impulsion première que dans ses fins (partie I, section 3, B). Autrement dit, ce nest pas tant le choix dun objet particulier, dune démarche méthodologique, dune discipline qui constitue lobjet de recherche, mais le sujet lui-même, le chercheur dans son ipséité radicale. Ainsi simpose alors la problématique du sujet constituant.
Dans la mesure où lon admet lindividualité créatrice du chercheur, toute prétention typologique ou classificatoire en tant que finalité de la recherche se trouve du même coup remise en question. Il savère en effet que les grandes tendances de la sociologie classique ne prêtent guère à une réflexion approfondie sur le sujet constituant puisquelles se situent, par définition, dans la posteriori de sa constitution, cest-à-dire en aval de celle-ci, en partant des sujets déjà constitués par des conditions sociales, des identités culturelles ou des caractéristiques psychologiques. Mon intention a donc été de dépasser la doxa dominante des sciences humaines qui tient le sujet pour une " variable " quil faut mettre à distance, objectiver, voire neutraliser. Or, en mappuyant sur diverses traditions sociologiques, philosophiques et épistémologiques, jai rappelé que le sujet nest pas second dans lopération sociologique de connaissance, il nest pas dérivé, mais il se situe au fondement même du connaître : il constitue la recherche. Dès lors, la recherche de ce qui constitue lessence de la recherche ne sinscrit plus en aval des opérations de la connaissance, cest-à-dire dans lempirie, mais en amont de celle-ci, dans ses fondements antéprédicatifs, cest-à-dire métasociologiques. Cest donc létude de ces fondements aprioriques qui rend possible la compréhension des voies de la recherche.
À partir de cette reconnaissance du sujet constituant dans lacte de recherche, jai suivi une démarche transversale de décloisonnement des disciplines et darticulation des perspectives théoriques qui élargit le domaine propre de la sociologie et permet de penser ses fondements et ses principes premiers (partie II). Cette métasociologie embrasse donc le champ des propriétés générales de la sociologie, mais aussi et surtout lensemble des conditions de possibilité transcendantales de la sociologie comme discipline scientifique. En ce sens la métasociologie névite pas la question ontologique du sens de lêtre de la réalité humaine et de la sociologie en tant que science de la société. À cet égard elle interpelle existentiellement la sociologie dans sa prétention à rendre compte objectivement de la genèse, des structures et du fonctionnement de la société. Comme telle elle interroge plus largement la connaissance, notamment la connaissance scientifique.
La métasociologie, qui se présente comme une condition préalable de toute recherche empirique, ne peut pas sexprimer à laide des seuls concepts sociologiques. Ce nest donc pas à lintérieur de la sociologie, en reprenant ses méthodes et ses raisonnements comme autant doutils conceptuels normalisés par lusage, que lon peut appréhender ce qui la fonde et la légitime. Il faut, dune certaine manière, opérer un retrait, se distancier en changeant de topique pour dépasser la phénoménalité empirique et percevoir les modalités de sa constitution qui seules rendent possible une réelle connaissance sociologique. Cela signifie également quon ne peut ignorer les exigences de la métaphysique comme mode de questionnement et dappréhension dun ordre différent et ultime des choses. Autrement dit, il convient dinterroger lessence constitutive (métasociologique) par-delà le phénomène (sociologique).
En effet, dans la conception sociologique classique la connaissance sociologique est déterminée comme toute forme de connaissance par ses conditions de production et de reproduction liées à lhistoire, aux rapports sociaux, aux institutions culturelles, aux moyens de communication, etc. La connaissance sociologique, elle-même dépendante de la sociologie de la connaissance, na donc quune valeur limitée parce que relative à des positions, des points de vue ou des situations. De ce fait elle perd sa vérité en perdant son autonomie, parce que si toute connaissance est liée dans ses formes et ses contenus à ses conditions de production ou démergence, la connaissance sociologique, elle aussi, est atteinte dans sa souveraineté et sa prétention à lobjectivité. Telle est laporie fondatrice de la sociologie de la connaissance ou le cercle dans lequel elle se meut. Cela suppose dès lors, pour sortir de limpasse, que lon ait recours à la pratique théorique de la multiréférentialité et de la transdisciplinarité telles quelles ont été définies dans leur complémentarité (partie I, section 3, A).
Jai tenté de fournir quelques éléments de cette métasociologie dans la seconde partie de ma thèse. Cest pourquoi jai proposé trois régions de lêtre (pulsion, projet, volonté) correspondant à des modalités essentielles de lacte de connaître. Jai ainsi posé les termes dune réflexion portant sur les fondements mêmes de la connaissance en sociologie. Le choix des théories retenues sest effectué en raison de leur apport décisif quant à la reconnaissance du sujet constituant comme pivot central de toute recherche, mais aussi en raison de leur compréhension existentielle de ce même sujet, perçu comme un être vivant et non comme un objet abstrait, une chose inanimée.
Il apparaît par ailleurs que le point aveugle majeur des théories sociologiques est quelles oublient, in fine, lantériorité constituante du sujet le sujet dans sa radicale individualité créatrice pour se focaliser sur le constitué, cest-à-dire sur ce qui le détermine. Apparaît alors un sujet étriqué, emprisonné dans son univers pulsionnel, fantasmatique, institutionnel, langagier, volitif, axiologique, etc. On observe donc une réduction du sujet aux conditions de sa production ou de sa " construction sociale ". Or, avant dêtre un agent créé par les déterminations de son milieu social, le résultat dagencements institutionnels ou linguistiques, le produit de socialisations primaires ou secondaires, etc., le sujet est dabord, parce que sujet précisément, acteur, créateur, producteur. Autrement dit, alors que le sujet ne peut jamais être une instance objectivée, neutre, impartiale, la plupart des théories le conçoivent comme une objectivation réductible à des traces visibles dans lextériorité mondaine.
Jai ainsi voulu montrer que le sujet qui rend possible la connaissance était, avant toute détermination objectivante, un être de désir : désir de chercher, désir de connaître, désir dengendrer se trouvent ainsi au cur de lacte de recherche. Cette définition du sujet de la recherche comme être vivant et incarné met en évidence que le constitué du sujet nest en dernière instance quune donnée dérivée, car un sujet nest jamais réductible à des pulsions primaires, à des appartenances de classe, à des identités culturelles ou sexuelles, à des aspirations de pouvoir, etc. Ces déterminations objectives montrent, bien évidemment, quil y a du constitué chez le sujet prétendre le contraire invaliderait toutes les sciences humaines mais elles témoignent surtout du fait que toutes les réflexions sur le constitué renvoient invariablement au constituant, cest-à-dire au sujet lui-même dans son ipséité fondamentale en tant quêtre de désir et désir dêtre et de connaître, source constituante de toute connaissance.
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