../Paris 8/UFR7/Aide psychologique aux familles migrantes/EA2034

 

 

 

 

Auteur

Lucien Hounkpatin

Titre

Psychopathologie Yoruba

Diplôme

Thèse de doctorat en Psychologie [Psychologie Clinique et Psychopathologie]

Directeur de recherche

Tobie Nathan

Jury

Tobie Nathan (Paris 8), Isabelle Stengers (Université Libre de Bruxelles), Thérèse Agossou (Université de Cotonou – Bénin), Patrick Deshayes (Université de Paris 7).

Date de soutenance

9 janvier 1999

 

Décision

Mention très honorable, félicitations du jury.

 

 

 

 

RÉSUMÉ

 

Lucien Hounkpatin: Psychopathologie Yoruba

Ce travail est une tentative de construire les prémisses d'une psychopathologie yoruba ; c'est-à-dire une psychopathologie qui n e renoncerait ni aux acquis de la psychopathologie moderne ni aux acquis de la pensée yoruba .

Cette recherche commence par l'exposé détaillé des complexités méthodologiques. Pour investiguer la pensée yoruba au sujet de ce que l'on décrit en Occident comme psychopathologie, il faut évidemment se rendre "sur le terrain". Là-bas, l'on m'a très vite fait comprendre que :

- Si l'on souhaite entreprendre des recherches sur la pensée et 1a thérapeutique yoruba, il ne suffit pas de vouloir, il faut aussi aller "toucher" ;

- il ne suffit pas de "toucher", il faut aussi aller "s'asseoir" ;

- il ne suffit pas de "s'asseoir", il faut aussi s'assurer que l'on ne trahit pas, s'assurer que l'on ne se comporte pas seulement en "informateur".

- Mais pour faire des recherches, il faut aussi un maître avec qui l’on dialogue.

- I1 faut également s'assurer que celui à qui l'on parle ne trahit pas son propre monde ;

- et cela, même lorsqu ' il vient apprendre auprès de l’autre.

Et puis, il faut réfléchir plus loin ; penser à ce que sera le monde dans l'avenir. Que rapporterait un travail qui aurait contribué à affaiblir les Yorubas d'Acron, à Porto Novo : à simplement révéler leurs secrets ? Il fallait aussi tenter de se soumettre à une autre exigence : celle de décrire en le renforçant le système thérapeutique yoruba. Parler et agir – ou plutôt faire en sorte que l’activité de savoir soit aussi une activité d e construction.

Cliniques :

Le paradigme clinique a fait surgir une multitude de questions :

C'est à l'éclaircissement de telles prises en charge qu'est destiné le travail que je vais maintenant aborder. Il est essentiellement destiné à répondre aux questions suivantes :

1. La pratique de la psychothérapie avec des migrants originaires du Sud-Bénin implique-t-elle des connaissances spécifiques sur la culture d' origine des patients ?

2. De quelle nature et jusqu'à quel degré d'approfondissement doivent aller ces connaissances ?

3. Je dévoilerai en partie les conclusions qui apparaîtront au fur et à mesure de l'ouvrage en affirmant que les connaissances à acquérir en priorité sont celles concernant les systèmes thérapeutiques des patients et non pas celles tentant de décrire une éventuelle spécificité des désordres . En cela, je rejoins la pensée de Tobie Nathan qui affirme dans un texte très récent :

"L'ethnopsychiatrie est une discipline clinique qui se donne pourtant pour objet l'analyse de tous les systèmes thérapeutiques, envisagés comme systèmes d'objets ; tous les systèmes, sans exclusive ni hiérarchie, qu'ils se revendiquent "savants" ou qu'ils se présentent comme spécifiques à un collectif, à une communauté – ethnique, religieuse ou sociale. [...] Cette discipline revendique une scientificité spécifique du fait que, envisageant les systèmes thérapeutiques comme la propriété de groupes – selon la formule énoncée plus haut : les groupes fabriquent les objets qui fabriquent à leur tour les personnes, elle cherche à démontrer ses hypothèses en inventant des méthodes permettant aux représentants de ces groupes de se prononcer sur leur validité."

4. Existe-t-il une possibilité d'utiliser les connaissances acquises sur les systèmes thérapeutiques culturels des patients dans leur prise en charge? Et de quelle manière ?

5. Étant donné que nous savons qu'il est a priori impossible d'acquérir de telles connaissances sans s'engager soi-même dans une démarche de "formation" ou "d'initiation" auprès des professionnels détenteurs de s dispositifs "traditionnels" de soin, quelle place accorder à cette nouvelle formation dans le bagage intellectuel universitaire ?

6. Quelles conséquences une telle double formation peut-elle avoir sur la constitution de l'identité professionnelle du chercheur-clinicien ?

7. Comment les connaissances ainsi acquises entrent-elles en résonance avec les connaissances universitaires en psychologie, en psychologie clinique et en psychopathologie ? À quels aménagements devrons-nous nous livrer pour rendre néanmoins fonctionnels les connaissances cliniques acquises par ailleurs ?

Après une description des logiques organisant les pratiques thérapeutiques yoruba, nous donnons un long cas clinique traité par un guérisseur, spécialiste du traitement par les plantes, dans la région de Cotonou.

Ce cas est placé en contrepoint de trois autres cas cliniques de patients béninois pris en charge dans la migration, en France, selon la méthodologie ethnopsychiatrique.

Terrains :

La seconde série d'investigations est constituée d'un travail de recherche sur le terrain : 1) auprès d'une église charismatique très importante au Bénin : L'Église du Christianisme Céleste ; auprès d'une association de guérisseurs de la région d' Abomey.

Le travail auprès de l'église a consisté en

• Deux "portraits", 1) d'un adepte, 2) d'une ancienne adepte – cela afin de saisir pour ainsi dire "du dedans" la façon dont les préceptes d e l'église viennent rejoindre les bases traditionnelles yoruba.

• L'analyse de deux séances de guérison pratiquées dans cette église afin de montrer comment ces noyaux restent actifs dans le dispositif thérapeutique.

• L'analyse, enfin, des actes et des objets auxquels recourt cette église.

Le travail auprès de l'association de guérisseurs a consisté en conversations techniques avec eux afin de décider s'ils travaillent à partir de croyances ou de présupposés de nature technique.

Conclusions

Qu'ils résident dans leur village, dans une grande métropole ou dans l'émigration, à l'étranger, les Yorubas ont tendance à présenter leurs symptômes selon la même logique. Les migrants (Vioutou, Rachidatou, Moreniké), ceux qui, comme Paul, n'ont pas quitté leur village, tout comme ceux qui se sont adressés à la paroisse des Gbigbowiwés, à Cotonou, tous attribuaient leur mal à l'action des voduns. Les uns pensaient qu'il s'agissait d'une vengeance des divinités, délaissées depuis une ou deux générations, les autres que des personnes malveillantes avaient fait appel aux voduns pour les agresser en sorcellerie. Cela, au fond, sans le savoir avec certitude, nous nous en doutions avant de commencer ce long travail de recherche.

Bien plus intéressantes à nos yeux nous sont apparues les investigations sur les dispositifs thérapeutiques. D'abord, nous avons constaté qu'il existait une multitude de lieux thérapeutiques destinés aux Yorubas. Outre les concessions des guérisseurs, des babalawo, toujours très fréquentées, les églises charismatiques, d'obédience généralement protestante, pullulent au Sud Bénin comme dans la migration. Ces différents dispositifs de soin ne peuvent exister, ne peuvent démontrer leur efficacité que pour autant qu'ils se réfèrent sans cesse au travail initial de fabrication des êtres, tel que nous avons tenté de le restituer dans la première partie de cette thèse. Au fond, aucune thérapeutique yoruba ne pourrait exister qui ne tiendrait compte de la cosmologie et de l'ontologie yoruba.

Plus encore, il semble que l'ensemble du système yoruba soit fondé sur la notion d'initiation. L'être est initié dès sa conception, à nouveau à sa naissance, aux grands moments de son existence (puberté, mariage, naissance de ses enfants, décès de ses parents), et tout autant à sa mort. Si l'on peut tirer une conclusion de ce tour d'horizon, bien rapide il est vrai, de la psychopathologie yoruba, c'est bien que là, toute pathologie est en dernière analyse pensée comme un raté de l'initiation, toute thérapeutique une mise en œuvre d'une nouvelle étape de l’initiation. Système éminemment cohérent et singulièrement tautologique. Tout semble indiquer que l'ensemble des efforts d'éducation cherche en quelque sorte à prévenir les désordres ; inversement, tout désordre est immédiatement perçu comme un échec de l'éducation. Système absolument constructiviste aussi où, comme on le dit d'ailleurs de manière explicite, les humains doivent être considérés comme des objets fabriqués. Ce que l'on a décrit au sujet de l'attribution des noms semble être valable pour le fonctionnement de la personne tout entière. C'est le babalawo qui construit le nom à partir de toute une série de déterminants. Si un jour, le sujet vient à tomber malade, reste à trouver le babalowo à l'origine de ce nom ; lui sans doute connaîtra le meilleur moyen de le soigner. Les personnes sont donc "fabriquées" ; les soigner consiste à reprendre leur fabrication afin de déceler le moment où elle a failli.

De telles propositions semblent organisées selon une logique radicalement différente de celle qui a cours dans la psychopathologie occidentale. Cependant, nous avons trouvé de très nombreuses et sans doute fécondes ressemblances avec les thèses récentes de l'ethnopsychiatrie. Mais tout cela est un nouveau chapitre que nous n'avons pu traiter dans le cadre de cette thèse – chapitre que l'on pourrait intituler : Apports des logiques thérapeutiques yoruba à une théorie générale de la psychopathologie.

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