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Auteur

Alain Houlou

Titre

La pomme acide. De l'augustinisme juridique à l'invention de la psychologie.

Diplôme

Habilitation à diriger des recherches.

Directeur de recherche

Tobie Nathan

Jury

Rodolphe Ghiglione (Paris 8), André Demichel (Paris 8), Armelle Debru (Paris 5), Alexandre Dorna (Caen), Tobie Nathan (Paris 8)

Date de soutenance

6 janvier 1999

Université

Université de Paris 8

 

 

 

RÉSUMÉ

Alain Houlou: La pomme acide. De l'augustinisme juridique à l'invention de la psychologie.

Le point fort tourne autour d'une recherche à la fois juridique et psychologique concernant saint Augustin comportant près de mille pages et intitulée " La pomme acide. De l’augustinisme juridique à l’invention de la psychologie ".

Auparavant une autre recherche, ayant mené à un doctorat d'état en droit soutenu à Paris II en 1974, avait été consacrée à Aristote. Nous donnerons ici un résumé des deux études et une réflexion sur les liens entre ces deux axes de recherche.

Intitulée " Aux origines de la monarchie hellénistique : La Lettre d'Aristote à Alexandre sur la politique envers les cités ", la thèse de droit a pour objet l'édition critique accompagnée d'un commentaire détaillé et d'une étude d'ensemble d'un texte encore assez peu connu mais capital pour l'histoire des institutions et des idées politiques. Il s'agit d'un document conservé seulement par quelques manuscrits arabes dont les meilleurs n'ont été rendus accessibles au monde savant qu'en 1970 à la suite d'une publication faite à Varsovie par deux savants polonais. Après avoir rendu compte de cette publication dans la Revue historique de droit français et étranger (n° 50, 1972, ppes-263-264), nous nous sommes attachés à établir une édition nouvelle de ce texte et à examiner les problèmes de fond et de forme posés par celui-ci : s'agissait-il d'un faux arabe ou d'une traduction d'un texte grec original ? Et, en ce cas, le texte grec lui-même était-il un texte authentique remontant au Stagirite ou un de ces nombreux textes épigraphes qu'on lui attribue ?

Acte de naissance de la monarchie hellénistique et acte fondateur du droit constitutionnel, la Lettre est le point de départ d'une nouvelle conception du pouvoir qui domine le monde grec postérieur aux conquêtes d'Alexandre et qui se prolongera jusqu'à l'empire romain, et au-delà dans toutes les conceptions occidentales d'empire universel. La fonction de la loi comme facteur d'un ordre universel, le rôle du roi comme soutien de la loi et comme lien de l'amitié entre les hommes, l'idée d'une ; " cité unique " sous le commandement d'un souverain unique, evergète par définition, les rapports entre conquis et conquérants constituent les temps forts de la Lettre.

À notre sens, il pourrait s'agir d'un opuscule composé au premier siècle après Jésus-Christ à partir de deux textes d'Aristote : un traité Sur la royauté (Peri Basileias) écrit au temps du préceptorat d'Alexandre et une lettre effectivement adressée à l'été 330 avant Jésus-Christ par le philosophe à son royal disciple après la victoire d'Alexandre sur les Perses à Gaugamèles. Plutarque comme Strabon confirment d'ailleurs l'authenticité d'un passage terrible de la Lettre où Aristote conseille à Alexandre de déporter massivement l'ensemble de la population perse et de les laisser mourir à titre de vengeance. L'horreur des camps de concentration est, même si Alexandre n'a pas suivi ce conseil, sous la plume de l'auteur de " l'Éthique à Nicomaque ".

L'étude sur Augustin s'est intéressée à la philosophie du droit et à la pratique juridique de l'auteur de La cité de Dieu ainsi qu'à l'émergence du concept du " moi " et à l'invention de la psychologie.

Le titre, La pomme acide, est une allusion à la préface de l'Anti-Duhring où Engels déclare : " Il m'a fallu tout de même un an pour me résoudre à abandonner d'autres travaux et à mordre dans cette pomme acide. C'était en effet de ces sortes de pommes qu'il faut avaler tout entières une fois qu'on y a mordu. Et elle n'était pas seulement fort acide, elle était aussi fort grosse. "

Nous avons eu à cœur d'étudier l'ensemble du gigantesque corpus augustinien, œuvre par œuvre sans négliger les milliers de pages de sermons et de lettres que nous avons conservées de l'auteur des Confessions . Nous avons en outre utilisé notre compétence de juriste en nous référant en permanence à la globalité du corpus juridique romain, sans hésiter à jeter des ponts nombreux tant vers le droit canon que le droit contemporain.

L'étude a une double perspective :

1°) Établir la réalité d'une compétence juridique accrue de d'Augustin au cours de sa vie et de son œuvre tout en montrant qu'il n'y a pas chez lui de philosophie du droit mais une spiritualité juridique ; au passage, il a semblé nécessaire de dénoncer le fantasme de " l’augustinisme politique ".

2°) Montrer comme illustration de ce qui pourrait être une approche ethnopsychiatrique des religions, comment Augustin en inventant le moi, l'individu, bref l'homme occidental, a réellement fondé la psychologie.

À notre sens la cause directe de l'émergence du fallor (si fallor sum,"si je me trompe je suis") augustinien, sorte de cogito avant la lettre, réside dans la rupture totale, radicale et éradiquante que le christianisme a opéré avec les autres religions et l'ensemble des traditions . Le vide ainsi créé a été tel, que l'être humain ne savait plus à quoi se rattacher, le christianisme ayant aboli le lien à l'ancien invisible, aux divinités poliades, aux ancêtres - que le culte des martyrs ne peut remplacer puisqu'il est hors famille. Il a fallu le cogito augustinien pour reconstruire un JE, le JE individuel psychologique sur les braises fumantes du JE social et classique antérieur.

Si Descartes est le fondateur, de l'individualisme, Augustin est, douze siècles auparavant, le créateur de 1' individu. Mais, différence profonde de perspective entre les deux auteurs, Descartes crée le cogito par excès, Augustin par défaut. Et de ce point de vue Augustin est plus moderne que Descartes et rejoint, comme nous avons tenté de le montrer, les réflexions de la physique contemporaine.

L'ensemble de cette problématique nouvelle issue du christianisme est décliné dans la thèse à partir de la thématique de l'inquietudo, de l'ordo amoris, des concepts d' immortalité, justice, loi, etc. Le passage du moi individuel des Confessions au moi social de la Cité de Dieu illustre en même temps le lien entre la géniale invention augustinienne de la psychologie et l'augustinisme juridique.

Les questions de l'anti-judaisme, des hérésies, du Donatisme, de la coercition sont étudiées dans la perspective d'une Église considérée comme une totalité organique (le corps du Christ) avec d'une part ses présupposés et conséquences juridiques, d'autre part sa perspective psychologique d'englobant (terme pris à la philosophie de JASPERS) constituant un référent nouveau à l'individu naissant à travers l'invention d'un moi n'ayant plus aucune attache ici et maintenant.

Ce sur quoi nous avons voulu insister est que, au-delà de cette synthèse que nous avons tenté, synthèse fixiste et comme synchronique, il y a une évolution constante d'Augustin sur les deux plans envisagés : l'approche juridique et l'approche psychologique. Cette dernière explose déjà dans les Soliloques pour s'affirmer dans les Confessions. L'approche juridique a été plus lente, moins aisée ; il a fallu des années pour que l'auteur, ignare des choses, du droit du Contra Academicos devienne l'expert des années de maturité, sans jamais pour autant qu'il soit devenu un jurisconsulte avisé style Tertullien. Mais ce n'était là pas son but, d'autant qu'il n'a pas choisi la doctrine (philosophie du droit, etc.) mais la pratique – pour laquelle, au travers de sa fonction (l'episcopalis audientia ou activité de l'évêque en tant que juge), il a été choisi...

Cette réflexion tente, à partir de l'étude de l'œuvre augustinienne, de s'engager dans deux directions. Nous nous sommes en effet intéressés, en premier lieu, aux fondements de l'irruption du catholicisme dans la démocratie parlementaire (du Concile de Jérusalem de 49, acte précurseur, sinon fondateur des partis politiques contemporains, à la démocratie chrétienne des XIXe-XXe siècles). D'autre part, nous avons esquissé une réflexion plus générale sur la science des religions en posant les principes d'un manifeste " Pour une ethnopsychiatrie des religions " qu'on pourrait fonder parallèlement à une ethnopsychiatrie juridique à naître.

C’est là une thèse réellement pluridisciplinaire qui fait donc appel à plusieurs disciplines :

-Langues/philologie

-Histoire

-Philosophie

-Psychologie

-Ethnopsychiatrie

-Sciences politiques (notamment sur la démocratie chrétienne)

-Droit (droit civil ; droit pénal ; histoire du droit ; droit canon)

De la même manière, les méthodes mises en œuvre sont multiples, de type à la fois :

-lexicologique juridique

-historique

-ethnopsychiatrique

Terminons ce résumé de deux de nos travaux sur une réflexion à propos des points communs entre la thèse de droit et la thèse de lettres, qui nous semblent être au moins de quatre ordres :

1°, Il s'agit d'un monde en rupture, d'un bouleversement, d'un passage vers autre chose, où tout est possible. Mais nuances importantes, chez Aristote on sent une exaltation face au monde nouveau qui s'annonce après la conquête d'Alexandre. C'est l'utopie – mot inventé plus tard par More, dans les mêmes circonstances d'exaltation, en 1516 à l'aube de la Renaissance.

Chez Augustin, après l'effondrement du système ancien et la certitude que désormais, c'en est fini de l'empire romain avec le sac de Rome de 410 – que ses contemporains n'analyseront pas avec une telle lucidité à long terme, on sent une crainte et une certitude sur l'avenir lui interdit toute utopie ici et maintenant. L'utopie, étymologiquement chez More le " non lieu ", ne peut être qu'ailleurs. Et ce sera " La Cité de Dieu ".

Mais, pour les deux, on est, en appliquant à l'histoire un concept issu de la psychologie, dans un " état-limite " de l'ordre du monde.

2°, Le changement induit la réflexion globalisante, le bilan et le passage à un autre mode de penser qui engendre invention et innovation (pour reprendre les termes chers à l'économiste Rostow) :

• Invention du droit constitutionnel chez Aristote ;

• Invention de l'individu et de la psychologie chez Augustin.

3°, Ces deux philosophes qui actent le changement /le passage sont des sommets de la pensée, auteurs d'une œuvre gigantesque qui s'efforce d'englober l'ensemble des connaissances dans une réflexion synthétique et magistrale sur le monde en gestation.

Pour le philosophe penser c'est choisir entre Platon et Aristote.

Pour le croyant penser c'est choisir entre Augustin et Thomas d'Aquin.

Aristote et Augustin sont deux versants de deux sommets différents.

4°, Aristote le médecin et Augustin le professeur de rhétorique ne sont que des juristes, ni spécialistes du droit – comme Tertullien – ni avocats comme Démosthène ou Cicéron. Et pourtant le droit est une de leurs préoccupations. Pour Aristote, le droit est une des clés de la Polis et il met en exergue – après avoir étudié sous formes de monographies plus de 230 constitutions – une autre réflexion sur la politeia en fondant le droit constitutionnel à l'occasion de la rupture dans le système institutionnel opéré par les victoires d'Alexandre sur les Perses. Et Augustin, lui, est au cœur d'un système fondé sur le droit : l'empire romain que le christianisme ne peut durablement conquérir de l'intérieur idéologiquement qu'en investissant le droit.

Concluons en disant que nous avons affaire, avec ces deux génies, à des penseurs qui ont, avant la lettre et avant le mot, pratiqué la pluridisciplinarité en considérant de façon totale, englobante, holistique le champ de la réalité et donc des connaissances. Leurs héritiers ont nom pour l'un : Descartes ou Leibnitz dans leur rayonnement à la fois sur la philosophie et la science, pour l'autre : Kant, Hegel ou Marx.

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