Tobie Nathan,
Catherine Lewertowski

 

Soigner...

le virus et le fétiche

 

Auteurs

• Tobie Nathan, Professeur de Psychologie clinique et pathologique a l'Universite de Paris 8 ;

Catherine Lewertowski, médecin, chargée de mission a la Fondation de France


Editeur
Paris, Odile Jacob,1998
Résumé

A travers six cas cliniques exposés de maniere tres detaillée, ce livre raconte l'histoire d'une collaboration exceptionnelle entre une équipe de médecins de l'hopital Necker-Enfants malades et un groupe d'ethnopsychanalystes du Centre Georges Devereux, Université de Paris 8. Ces deux équipes ont réuni leur savoir, leurs efforts et leurs compétences techniques pour prendre en charge des malades du sida originaires d'Afrique centrale, du Maghreb et de Haiti. Exemple d'une collaboration entre médecine et sciences humaines, entre techniques thérapeutiques médicales sophistiquées et techniques thérapeutiques traditionnelles ayant un autre type de sophistication.

Une expérience pionnière qui ouvre des perspectives nouvelles pour changer les modes de soin.

La médecine se révèle souvent très efficace dans la prise en charge technique des maladies infectieuses. Elle l'est beaucoup moins dans les relations avec les patients. Lorsque ces derniers sont d'une culture totalement différente de celle de leur médecin, le malentendu est particulièrement grave.

Mots clés

Sida, Prévention, Migrants, Ethnopsychiatrie, épistémologie des sciences humaines.

 

 
 
 

 

Une recension de l'ouvrage

 

Sida et gris-gris - 19 janvier 1999 - par TAREK MOUSSA

 

Comment soigner les séropositifs issus d'une culture différente ? Histoire d'une expérience pionnière menée à Paris.

Il est établi, aujourd'hui, que la totalité des malades d'origine africaine, antillaise et maghrébine vivant avec le VIH recourent, concurremment aux soins hospitaliers, à des thérapeutiques « parallèles ». Appels à l'aide, énoncés magiques, rituels thérapeutiques, fréquentation de groupes de prière, recours aux amulettes et autres gris-gris, autant de procédures autour desquelles s'organise la vie concrète des familles et qu'il n'est pas possible d'ignorer si l'on veut parvenir à élaborer des messages de prévention adaptés.

Une équipe d'universitaires français dirigée par Tobie Nathan, professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université de Paris-VIII, et Stéphane Blanche, directeur du service d'immuno-hématologie pédiatrique de l'hôpital Necker-Enfants malades, a accompagné, trois ans durant, des mères et des enfants migrants infectés par le VIH, en essayant de faire cohabiter, par le biais d'une démarche ethnopsychiatrique, les propositions médicales et les procédures thérapeutiques traditionnelles. Soigner est le compte rendu, à travers six cas cliniques exemplaires, de cette entreprise pionnière dont l'objectif avoué est d'améliorer la prise en charge relationnelle de patients aux origines culturelles bien marquées.

Bien sûr, il n'était pas question de prendre les récits des malades pour argent comptant, mais il fallait se mettre à leur écoute, comprendre leur interprétation de la maladie, en acquérir une meilleure intelligence. Il n'est pas un patient dans cette population, fût-il cultivé et parfaitement instruit des causes objectives de l'infection, qui ne prenne au sérieux les autres raisons, à ses yeux plus fondamentales : attaques sorcières, expiation, signe d'une élection... La permanence de cette grille de lecture n'est pas fortuite et ne peut être réduite à une simple croyance.

Dans le cas des Congolais, par exemple, aux yeux desquels le sida est intimement lié à la sorcellerie, probablement en raison d'une parenté conceptuelle entre les mécanismes de l'épidémie (le sida est donné par quelqu'un, un proche lui-même contaminé) et les théories sorcières (capture et « dévoration » d'un proche de l'un des membres du groupe de sorciers), celui qui récuse l'origine sorcière de son mal s'exclut du même coup du réseau communautaire de prise en charge et renonce à la protection du lignage. En tant qu'individu isolé, il ne peut plus compter sur l'intervention du féticheur. « Le réseau d'entraide congo est structuré autour du kundu, la substance de sorcellerie, et du nkisi, la force destinée à la combattre. Supprimer l'accès à l'interprétation sorcière, c'est supprimer l'accès à l'ensemble du réseau produit par l'existence de ces êtres. » Pis : en adoptant une stratégie de défense individuelle, le malade occupe la place exacte « du sorcier qui, lui aussi, est un être solitaire, poursuivant des intérêts personnels » et risque de ce fait les vengeances de la collectivité. Vouloir se soustraire à la sorcellerie conduit donc à se priver des remèdes de la contre-sorcellerie.

Pasteur évangéliste, nganga (féticheur congolais), docteur-feuille, marabout, cheikh (guérisseur), waliy (saint musulman), autant de personnages ou d'entités auxquels les malades font constamment référence et dont l'action est perçue comme décisive pour contrecarrer les attaques sorcières. Car si le réseau médical est perçu comme un moyen efficace de lutter contre les symptômes de la maladie et accepté en tant que tel, le recours au réseau traditionnel permet de s'attaquer directement à l'origine du mal.
Tobie Nathan relève, cependant, une parenté structurelle entre la médecine moderne et la sorcellerie. L'une et l'autre constituent un réseau. Tout Occidental en difficulté peut se connecter au réseau médical, de même que toute personne d'ethnie congo confrontée aux mêmes difficultés peut se relier au réseau de sorcellerie. Le parallèle ne s'arrête pas là. Chaque réseau s'articule, en effet, autour d'objets et de forces réelles : « Le virus VIH et les forces d'invention et de créativité qu'il a déclenchées chez les humains » pour la médecine ; le kundu et le nkisi pour le réseau d'entraide congo. Ces réseaux étant parfaitement réels, les événements ou les énoncés exprimés « doivent a priori être aussi considérés comme réels ». On ne peut donc raisonnablement attendre de ces malades qu'ils renoncent à leur interprétation. Il faut, au contraire, s'efforcer de dispenser les soins « de manière audible sans couper les malades et leurs familles des mondes qui leur apportent le plus de réconfort ». Car la compréhension par les médecins du dispositif traditionnel « a toujours eu pour conséquence l'approfondissement du lien et de la relation médicale, et donc une plus grande efficacité du traitement ».
Le message de Tobie Nathan est double : il invite les praticiens à mieux tenir compte des habitudes culturelles de gestion de la maladie et plaide pour une paix négociée entre sciences humaines (psychologie, anthropologie, etc.) et médecine traditionnelle au nom d'une meilleure prise en charge relationnelle du patient.

 

Une autre recension de l'ouvrage dans Sciences Humaines, N° 90, janvier 1999

 

Soigner. Le virus et le fétiche

Tobie Nathan et Catherine Lewertowski, Odile Jacob, 1998, 206 p., 130 F.

par Magali Molinié

Nombre de malades d'origine non-occidentale ont recours à des systèmes de soins traditionnels concurremment aux soins hospitaliers. Ils accordent le même crédit aux explications données par la sorcellerie et aux énoncés médicaux. Les médecins peuvent-ils soigner et faire de la prévention sans couper les malades et leur famille de ces réseaux d'entraide traditionnels qui leur apportent du réconfort ? Doivent-ils considérer ces systèmes de pensée comme des ensembles de croyances, un complément psychologique à la thérapeutique médicale, ou autre chose encore ?

Une équipe de l'hôpital Necker-Enfants malades et un groupe d'ethnopsychanalystes de l'université Paris-VIII, respectivement dirigés par les Pr. Stéphane Blanche et Tobie Nathan, ont choisi « de discuter sérieusement avec (les malades) des étiologies qui animent leurs drames familiaux », y compris lorsqu'elles entrent en contradiction avec la pensée des médecins.

Leur travail s'appuie sur le suivi d'une trentaine de familles où l'enfant, et bien souvent la mère, ont été contaminés par le sida. Six cas de patientes originaires du Congo-Zaïre, de Haïti et du Maghreb sont largement développés dans le livre et leurs contextes culturels explicités.

Il s'avère que le diagnostic médical de séropositivité fait souvent courir le risque au malade d'être identifié comme sorcier par son groupe, accusation qui renforce son isolement. A l'inverse, l'intervention du guérisseur traditionnel permet de l'identifier comme victime et mobilise ses réseaux de soutien familiaux et communautaires. Dès lors, malgré leur apparence antisociale, les étiologies sorcières se révèlent la clé de voûte d'un système généralisé de contrainte et de lien dont la thérapeutique est une des fonctions essentielles. De tels systèmes ont vocation à tout expliquer de l'origine de la maladie, et en dernier ressort à défendre la survie du groupe. Ils ont une parenté structurelle avec le système médical qui s'est organisé en Occident autour du sida.

 

 
  Summary  
Health Care and Treatment

This book is the result of an ethnopsychiatric study that Nathan conducted on a group of AIDS-infected immigrants at the Necker Hospital in Paris. The hospital team responsible for the immigrants quickly learned that these sick people would refuse to take the medecine they were given on the grounds that they didn't yet feel ill. This book presents a series of case studies, discussing AIDS, ethnopsychiatric issues and Nathan's methods. Tobie Nathan is a professor of clinical psychology at l'Université de ...
This book is the result of an ethnopsychiatric study that Nathan conducted on a group of AIDS-infected immigrants at the Necker Hospital in Paris. The hospital team responsible for the immigrants quickly learned that these sick people would refuse to take the medecine they were given on the grounds that they didn't yet feel ill. This book presents a series of case studies, discussing AIDS, ethnopsychiatric issues and Nathan's methods. Tobie Nathan is a professor of clinical psychology at l'Université de Paris VIII and director of the Georges Devereux Center. Catherine Lewertowski is a doctor.
 
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