Tobie Nathan

1998

Psychothérapies

Alain Blanchet, Serban Ionescu,
Nathalie Zajde

 

Mis à jour le samedi 24 juillet, 2010 0:15

 

Nathalie Zajde

 

 

Alain Blanchet

Tobie Nathan

 

 

 

Serban Ionescu

4ème de couverture:

Comment guérit-on de troubles psychiques ? Quelle psychothérapie nous donne le plus de chances de guérir ? Est-on sûr que tout n'aurait pas fini par s'arranger de soi-même ? Dans ce livre, Tobie Nathan et ses collègues passent au crible toutes les méthodes thérapeutiques qu'offre la psychologie actuelle : psychanalyse, ethnoanalyse, thérapie cognitive, comportementale, systémique... Leurs dispositifs thérapeutiques - du divan à l'amulette -, leurs manières de prendre en charge les traumatismes psychiques, leurs effets thérapeutiques et leur efficacité sont minutieusement décrits et analysés. À lire avant de consulter...

 

Auteur du chapitre :

Tobie Nathan

Titre du chapitre :

Eléments de psychothérapie

Editeur :

Paris, Odile Jacob,1998.


Résumé :

Introduction à une théorie générale - métaculturelle - des psychothérapies. Cette introduction est un essai faisant le pari de décrire les dispositifs des psychothérapies sans se référer à aucune théorie psychothérapique. L'auteur a pris le parti de considérer sur le même plan : les psychothérapies "savantes", celles qui prétendent se baser sur une description scientifique de la "nature" ; les thérapies "traditionnelles" qui elles, prétendent se baser sur les connaissances ancestrales d'un groupe ethnique ; les thérapies religieuses, se déroulant au sein de groupes charismatiques. Trois parties : la place de la théorie dans les dispotifs techniques, la fabrication des thérapeutes, les réseaux sociaux engendrés par les thérapies.

Mots clés :

Psychanalyse, psychothérapie, ethnopsychiatrie, épistémologie des sciences humaines.

 

 
Extrait
 

" 3. Pour introduire la notion de réseau dans l'analyse des dispositifs therapeutiques

3.1 Professions, objets, réseaux

Nous allons partir d'une observation courante : une personne se présente devant un psychologue, un psychiatre ou même devant une assistante sociale ou un éducateur… Sans doute a-t-elle été orientée par un "conseiller" [1], parfois lui-même professionnel (une institutrice, par exemple, ou bien un médecin généraliste). Peut-être était-elle réticente à moins que, au contraire, elle espérait depuis longtemps une telle rencontre. Eh bien, quelles que soient les modalités de son orientation, quelles que soient ses dispositions intérieures, à partir du moment où elle franchit le seuil du cabinet, comme par magie, le professionnel — disons : le "psy" — devient ipso facto le représentant d'une "espèce" légitime. Les Africains de l'Ouest connaissent bien l'étrange alchimie qui transforme la parole du devin en dette vis à vis du destin. Les Bambaras du Mali, par exemple, ont l'habitude de questionner les devins qui "lisent" dans le sable, dans les cauris [2] ou dans l'eau [3]. Si le devin "voit" et énonce : «Saraka bô » — "sortir les offrandes"[4] — ce qui est loin d'être rare, le consultant se trouve irrémédiablement lié par l'oracle. Ne pas obéir à la prescription risque alors d'entraîner les pires calamités. Qui interroge est tenu d'accomplir les prescriptions issues de la terre. Qu'est-ce donc qui a qualifié le "psy" ? Qu'est-ce qui a validé la parole du devin ? Qu'est ce qui a transformé leurs énoncés qui n'auraient pu être que simples opinions en paroles d'experts ?


Fabrication

Avant tout, l'appartenance à une profession ! Mais l’existence d’une profession implique l'activité d'enseignants, de formateurs, de maîtres, qui transmettent des automatismes, des attitudes, une philosophie. La fabrication des thérapeutes est en réalité parfaitement perceptible.

Exemples :

• Derrière la bonhomie de tel professionnel de la psychothérapie, un tant soit peu rondouillard et barbu, naturellement entièrement vêtu de noir, l'œil exercé reconnaîtra aisément l'enseignement de la non-directivité de l'école "rogerienne" [5].

• Si le "psy" se love tel un vieux chat dans un immense fauteuil de cuir, laissant reposer son menton au creux de sa main largement ouverte, gardant les yeux mi-clos, caressant sa barbe naissante d'un doigt distrait, il est de fortes chances que ce soit un psychanalyste affilié à la S.P.P. ou à l'A.P.F. [6].

• Si, en revanche, il présente d'emblée un visage fermé, manifeste sa mauvaise humeur après quelques minutes d'entretien, comme s'il pensait que tout ce que dit le patient n'était que tissu de mensonges, il s'agit probablement d'un psychanalyste affilié à l'un des innombrables groupuscules lacaniens.

• Si le professionnel fait mine de "comprendre" ou même répète à plusieurs reprises "je comprends, je comprends" ; si, de plus, il se penche, avançant le buste en direction du patient, d'un air dévoué, à la manière d'un prêtre, il participe certainement d'un courant de "gestalt thérapie" ou "d'analyse transactionnelle".

• S'il commence par adopter l'attitude du précédent mais lâche soudain une phrase incompréhensible, contradictoire ou paradoxale, avec le même sourire bienveillant qu'au début de l'entretien, il s'agit d'un adepte de l'hypnose ericksonienne , etc…

Ainsi, ce que le consultant attribue spontanément à quelque singularité individuelle du professionnel — son laconisme ou son caractère "bon-papa", son "côté rêveur" ou bien son "mauvais caractère", n'est le plus souvent que le résultat des modalités de "fabrication" spécifiques du thérapeute .

Première régle méthodologique, donc, pour qui veut saisir les ressorts des dispositifs thérapeutiques : toujours considérer un thérapeute comme le résultat d'une fabrication spécifique, jamais comme le résultat d’un destin singulier.

D'où l'importance que nous devons accorder aux "écoles", aux groupes d'appartenance, à leurs modalités de validation, aux hiérarchies qui organisent la vie de ces groupes et aux réseaux d'influence, de pouvoir et d'amitiés qu'elles génèrent. Pour pénétrer l'action des thérapeutes, plutôt que d'étudier leurs théories, il nous faudra observer attentivement leur pratique concrète au décours tant de leur travail clinique que de leur enseignement…"

 

 
[1]. Doit-on dire un "annonciateur", retrouvant dans celle du "conseiller" la même fonction que Jeanne Favret Saada avait reconnu à celui qui, lui aussi, dans une certaine mesure, "conseille" à son voisin d'aller consulter un désorceleur ? Cf Favret-Saada, 1977, 1986.
[2]. Petits coquillages de l'espèce des porcelaines, autrefois utilisés comme monnaie, aujourd'hui tantôt comme parure, tantôt comme support de divination.

[3].Cf R. Jaulin: La géomancie. Analyse formelle. Paris, Mouton, 1967.
[4].Saraka, déformation de sadaka , mot d'origine arabe signifiant acte pieux ou juste, par extension : offrande. Bô : "sortir" dans le sens de "dévoiler", "montrer" mais aussi "exprimer". "Sortir les offrandes" laisse sous-entendre qu'il est temps que le caché (l'offrande à accomplir, celle exigée par Dieu) se donne enfin à voir.
[5]. Rogers : psychologue et psychothérapeute américain, à l'origine de la non-directivité, représenté aujourd’hui en France par Max Pagès et ses élèves.

[6]. L'International Psychoanalytic Association — Fédération mondiale des associations psychanalytiques attribue son label à certaines associations locales — en France, deux seulement (parmi des dizaines) ont reçu leur agrément : la Société Psychanalytique de Paris (SPP) et l'Association Psychanalytique de France (APF).
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