Psychothérapie et politique
Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de l'ethnopsychiatrie
Genèses, N° 38
Tobie Nathan
Résumé
Dans ce texte, l'auteur répond à de très violentes critiques qui lui ont été adressées dans le précédent numéro de Genèses par Didier Fassin. Ces critiques , qui se présentaient comme une analyse d'ouvrages, étaient en fait structurées comme la mise en cause d'une démarche de recherche, l'ethnopsychiatrie, d'une pratique clinique et par là-même sociale et aussi peut-être même avant tout d'une personne. L'auteur répond ici en démontant les termes de la controverse, montrant qu'ils ne sont pas pertinents, ni sur le plan social (problème des appartenances), ni sur le plan politique (la démarche thérapeutique ne nie pas les problèmes politiques), ni sur le plan clinique (une clinique ne peut partir de prémisses de type moral).
L'auteur montre ici comment l'ethnopsychiatrie moderne pratiquée en France a pris le risque d'une confrontation théorique avec des énoncés considérés évidents tant par certains anthropologues, comme ceux de croyance et d'efficacité symbolique que par certains psychanalystes, comme ceux d'influence ou de suggestion. Il insiste ensuite sur les choix méthodologiques de l'ethnopsychiatrie, s'intéressant plus aux langues qu'au langage, plus aux dispositifs thérapeutiques qu'aux pathologies. Il considère en effet que ces choix méthodologiques constituent les enjeux théoriques majeurs posés par la pratique de l'ethnopsychiatrie.
Il montre ensuite que l'ethnopsychiatrie, du fait de son implantation au sein de l'Université, s'est trouvée au cur d'un débat institutionnel concernant une éventuelle législation de la pratique et de l'enseignement universitaire de la psychothérapie.
Décrivant rapidement le déroulement d'une consultation d'ethnopsychiatrie, où une dizaine de cliniciens reçoivent une même famille durant deux à trois heures, l'auteur montre que ce type de pratique s'éloigne du modèle du confessionnal pour se rapprocher de celui du parlement. Il précise également qu'à ce parlement ne sont pas seulement convoqués les hommes, mais aussi les dieux et les choses. Il en conclut que l'ethnopsychiatrie met également en scène des enjeux politiques en ce sens qu'elle introduit une nouvelle forme de démocratie, de type contradictoire, au sein même du dispositif clinique.
En fin de son article, l'auteur explicite certains malentendus, peut-être pas involontaires de Didier Fassin, concernant notamment le caractère "construit" des appartenances culturelles. Il en profite pour expliquer que l'ethnopsychiatrie ne se veut pas psychiatrie spécifique pour migrants, mais veut se donner les moyens de saisir l'occasion offerte par la présence des migrants pour repenser la façon dont on comprend et dont on prend en charge le désordre psychologique en Occident.
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