Comment les professionnels accueillent-ils l’existence des associations d’usagers ?
Table ronde avec les représentants des associations d'usagers
REEV — LE RESEAU D'ENTRAIDE DES ENTENDEURS DE VOIXTheresja Krummenacher[1]
Conférence prononcée le 13 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l'épreuve de ses usagers.D’emblée, je tiens à préciser que l’invitation parmi les collectifs d’usagers, a suscité de ma part un bon accueil et cela non en tant qu’oratrice mais en tant que porte parole engagé dans la cause de l’entendeur de voix. Au nom du REEV – Genève, je remercie le Centre Georges DEVEREUX de cette opportunité.
Entendre des voix ne rime pas nécessairement avec la maladie mentale, telle que l’ont démontré les recherches scientifiques menées durant les années 80. Le mérite majeur en revient au Professeur Marius Romme qui a été fortement interpellé par une de ses patientes. Cela l’a conduit à entreprendre des études comparatives auprès de personnes en mal de vivre et ceux qui au contraire apprécient leurs voix. De plus, d’autres chercheurs relèvent que cette particularité auditive n’est pas récente ou, ipso-facto un sujet d’inquiétude auprès de nombreux peuples, par exemple africains et d’Amérique latine. Ces derniers mettent même leur faculté en valeur. Grâce à cette reconnaissance récente, les Entendeurs de voix se sentent libérés des préjugés à leur endroit. Désormais, ils peuvent se solidariser et s’affirmer ouvertement pour aboutir progressivement à l’essor associatif.
Une conférence européenne en 1995 tenue par des chercheurs se voulait informative des récentes données plus nuancées et propices concernant la particularité des voix. Malheureusement pour cause de santé et de manque de forces vives, le Mouvement Les Sans-Voix (futur REEV) de Genève devait, à regret, décliner l’invitation hollandaise.
Une seconde occasion se présenta lors de la retraite de l’éminent professeur Romme. La Faculté de Maastricht organisa un Congrès International de deux jours en son honneur en 1999. La thématique s’intitulait Coping with Psychosis, from the object to the subject. Un des nombreux partenaires de par son activité pilote en U.K. réalisa le guide « The Voice Inside ». En quête de différentes diffusions étrangères, il sollicita Les Sans-Voix à effectuer la version française, d’où l’ouvrage Entendre des Voix - Guide pratique, par Paul Baker.
Afin d’enrayer toute équivoque à propos des perceptions de voix et l’appellation : S a n s -Voix, il a fallu adopter un sigle plus évocateur. C’est ainsi que le REEV, Réseau d’Entraide des Entendeurs de Voix prit forme.
La publication du Guide Entendre des Voix, suscita la mise sur pied à Genève d’un groupe de parole mensuel, Mieux vivre ses perceptions. Leurs séances étant tripartites, dans un espace neutre et convivial, dont la présence de personnes concernées et où les proches et les professionnels sont les bienvenus. L’expression des expériences mutuelles aide à relativiser l’angoisse attribuable à l’écoute des voix. Ces rencontres sont ouvertes à d’autres tendances sensorielles : visuelles, olfactives, tactiles et gustatives.
Formellement, l’Association REEV - Genève, s’est concrétisée en septembre 2001. Les sections des cantons de Genève et Vaud sont chacune autonomes.1. A propos de l’accueil de l’association
Le mouvement les Sans-Voix ayant précédé le REEV, vous me permettrez d’aborder les deux associations à titre comparatif.
a) L’accueil du Mouvement Les Sans-Voix par les professionnels en santé mentale
L’objectif du Mouvement fut d’informer le public, patients inclus, sur les traitements psychiatriques par l’intermédiaire de notre première publication Psychiatrie et responsabilité, Faut-il interdire les neuroleptiques ?, du Dr. Lars Martensson. De plus, la position des Sans-Voix consiste à dédramatiser la maladie mentale et d’en contester sa fatalité en dépit de la chronicité exponentielle,
Soulever des sujets médicaux de surcroit extra-tabous, tel que les antipsychotiques, suscitait déjà en 1988 l’approbation de quelques professionnels progressistes, et de certains proches isolés. Cependant, il en fut tout autrement dans l’enceinte clinique ou des spécialistes privés ou même auprès des associations de proches, nationales et européennes. Toutefois, en tant que survivante du cercle vicieux iatrogène des traitements neuroleptiques typiques, il était hors de question de capituler. Quant aux personnes concernées, nous étions loin d’être unanimes. De surcroit, les sympathisants des Sans-Voix ont été souvent dissuadés par leurs thérapeutes, soit de collaborer avec nous, soit de s’intéresser au sujet qui les concernait pourtant en premier chef.
Caricaturalement, les Sans-Voix firent figure de pot de terre, face au pot de fer.
b) L’accueil du REEV au sein des professionnels en santé mentale.
Autre époque, autre pratique. En raison des changements de direction médicale, les mentalités cliniques en santé mentale ont plus ou moins évolué. Opportunément, le REEV bénéficie d’un bon accueil. En effet, les responsables ne pouvaient pas douter du sérieux des recherches pilotes, initiées par un pair. La préface du Guide Pratique, paru en 2000, cosignée par le professeur du Service de psychiatrie adulte à Genève et de l’infirmier cadre en est une preuve. Ce dernier réalisa également une vidéo-témoignage d’un membre, non médicalisé, du REEV.
De par son intégration auprès d’un collectif associatif : patients, proches, professionnels psychosociaux de l’extérieur, le REEV participe aux séances trimestrielles cliniques en présence de certains cadres multi- professionnels. Une fois par an, à l’école de formation d’infirmiers en psychiatrie, le REEV bénéficie d’un espace de sensibilisation à propos de la problématique des voix.
Bien que les contacts relationnels se déroulent d’une manière satisfaisante, qu’en est-il au juste de la pratique ? En dépit de l’ouverture d’esprit clinique, le REEV déplore certaines lacunes. Les hauts cadres médicaux bénéficient-ils réellement de leur libre arbitre ou sont-ils limités par des consignes telles que le respect des directives internes ? - des lois médico – juridiques ? - des structures hiérarchiques ? - des éventuelles dissuasions de leur confrérie soit de l’Ordre ou Collège des médecins ? - des mainmises du lobby pharmaceutique ? Dès lors, quel enseignement transmettraient-ils aux futurs spécialistes ? Seraient-ils prêts à lâcher du lest à l’encontre des traitements psychopharmacologiques aux bénéfices des accompagnements thérapeutiques personnalisés ? En l’espace de cinq ans, les faits démontrent que les préoccupations du REEV à propos des prises en charges cliniques restent malheureusement fondées.
Contrairement aux cliniciens qui semblent fidéliser leur clientèle, il convient de souligner que par l’intermédiaire de thérapeutes privés, l’un ou l’autre entendeur de voix a été dirigé vers le REEV et tel autre en tant que support associatif.
Enfin le REEV tente de promouvoir l’ouverture à la différence, à redonner confiance et une meilleur estime de soi contribuant à développer la dignité humaine des personnes concernées.
Merci de votre attention.
2. De quoi l’association est fière
Tel qu’il m’a été suggéré au sein du REEV, je livre ici un bref survol de mon parcours psy contraignant.
Mon premier kidnapping date de l’été 1966, à l’étranger provoquant un rapatriement. En quittant les lieux hospitaliers, ma condition physique et psychique laissait plus qu’à désirer. Je me sentais tout aussi cassée par le traitement que par le poids de l’étiquette mentale. Emergeant progressivement du trauma, je bénéficiai de sept années de répit. Survint un deuxième internement. Dès lors, s’installera le cercle vicieux amenant à des pseudo-rechutes dû au syndrome de sevrage. Au total une bonne douzaine de fois, en l’espace de vingt ans, l’une plus douloureuse que l’autre. A chaque ré-internement, l’étau du traitement se resserra par des forcings soi-disant indispensables, adéquats et justifiés. Cela sans se soucier de ma super sensitivité médicamenteuse. Alors que mes entrées de l’époque n’avaient rien d’urgent, ni d’alarmant, les sorties furent par contre plutôt catastrophiques. En mars 1986, l’équipe soignante ne jurait que sur la continuité d’un traitement à vie. Résolument opposée en raison de mes expériences précédentes malgré leur sombre pronostic et leurs pressions, j’ai déjoué leur filet thérapeutique, me soustrayant à leur plan médicamenteux.
Bref, actuellement, je suis « clean » de tout produit pharmaceutique depuis à peu près vingt ans, de plus sans rechute. Un défi très gratifiant face aux routines cliniques d’alors. Que serait-il advenu de moi si j’avais consenti aveuglément aux ordres médicaux contreproductifs dans mon cas ?
Probable impact clinique suite à une doléance personnelle.
Nulle part ailleurs qu’en psychiatrie, la ségrégation soignants / soignés fut aussi flagrante. Cela durant des décennies et même au-delà des années 80. Trop contente qu’on me fiche la paix, l’attitude en question ne me pesait pas outre mesure, contrairement aux autres patients, qui eux, réclamaient une présence et du dialogue. Lors de mes remerciements adressés à une conseillère juridique, je lui fis part de ce mépris professionnel. Par détournement, cette lettre arriva à la direction du département de santé publique, puis probablement au service incriminé. Mes doléances laissaient entendre que les infirmiers jouissaient pleinement de temps libre et de leur mobilité tandis que les patients tassés par la sur-médication étaient privés de leurs forces physique et mentale pour effectuer le moindre sport, jeu ou communication verbale. Depuis ces dernières années, on constate un effort d’accompagnement clinique de la part de l’équipe soignante.
Quant à ma démarche de protestation face aux insupportables traitements médicamenteux, il m’a fallu dix ans de bataille pour qu’enfin un tribunal tranche en ma faveur, établissant la reconnaissance des directives anticipées en psychiatrie. Cette jurisprudence de 1995 permit à d’autres patients de voir respecter leurs demandes transcrites au préalable.
L’impact clinique par l’intermédiaire du R.E.E.V.
Petit volte face à Maastricht. Le congrès de 1999 offrait aux patients ou ex-patients, la gratuité d’accès à condition de mobiliser un thérapeute motivé. La direction médicale de Genève, consentit à envoyer un jeune psy. Malheureusement son appréciation du dit congrès divergeait totalement de mon propre avis. Pourtant chaque intervenant avait été fortement applaudi par l’auditoire. Ce clinicien peinait sans doute à dépasser la doctrine clinique, quel dommage !
A deux reprises, en 2001 et en 2004, le professeur Romme, accompagné par son assistante Sandra Escher, prodigua un séminaire en Suisse. Le premier eût lieu dans la banlieue de Bâle, ville frontalière franco-germanique ou dominent les grandes firmes pharmaceutiques.
Parmi une vingtaine de cliniciens, la psychiatrie genevoise était représentée par 5 médecins !
Au printemps 2004, un secteur extra-hospitalier à Genève accueillit le tandem hollandais dans ses murs. Durant une journée et demie, dix-huit cliniciens multi professionnels : médecins, psychologues, infirmiers, suivaient le cours afin de mieux cibler la diversité du phénomène des voix. En fin d’après-midi, une séance sur la psychose aborda un nouveau concept destinée à un plus large public. A la veille du cours, le REEV bénéficia de la visite du Professeur et de son assistante. Idem en octobre 2005, un chef de clinique s’envola au 5ème Congrès organisé par le réseau national des Entendeurs de Voix à Berlin qui a lieu tous les 2 ans. Selon son feedback, il en appréciât les données exposées.
En 2006, lors de la journée francophone de la schizophrénie (12 mars), le REEV co-organisa une conférence-débat intitulée Entendre des voix ? Faut-il en avoir peur ? Outre une thérapeute écrivain, philosophe, entendeuse de voix, notre président et deux cliniciens cadres se joignirent à la table ronde. Une centaine de participants purent apprécier le thème abordé et émettaient des questions ou des témoignages spontanément.
Le 14 septembre 2006, s’est vu célébrée la Première Journée Mondiale de l’Entendeur de Voix à laquelle 14 pays prirent part. Ceci selon les moyens et forces vives de chaque groupement. Le 16 septembre dernier, un stand d’information s’est tenu à la place des Fêtes du 19ème arrondissement à Paris, hélas de trop courte durée. D’ici 2007, y aura-il une équipe de relais ?
En revanche, l’autorisation d’un stand public à Genève n’avait hélas pu aboutir. Ces emplacements furent exclusivement réservés aux partis politiques pendant tous les week-ends du mois de septembre, en raison de votations. Néanmoins, en soirée du 14, le REEV tenait une conférence-débat similaire au thème précédent. Un professeur suppléant avait accepté de participer à la table ronde. Un témoignage éloquent récolta de grands éloges. Cette soirée fructueuse se termina par une collation dans la convivialité.
A l’instar des vastes réseaux anglophones affiliés à l’INTERVOICE[4] , l’association REEV n’est qu’un faible maillon francophone tardif du dit collectif. Or, l’expansion d’une association, hésitant à demander une subvention pour cause de surcharges administratives, n’est pas facile, lorsque les forces vives font défaut. Notre voisin français serait-il disposé à combler la lacune francophone ? Les courriers provenant de France adressés au REEV Suisse ne sont pas négligeables. L’avant dernier SOS datant d’un mois, termina son message de la manière suivante : « Un médecin qui m’a soignée par l’hypnose sans résultat, m’a suggéré de faire appel à un exorciste. Je suis désespérée de constater l’échec des soins médicaux». Ceci n’est pas un cas isolé et donc, les demandes d’aide et d’accompagnement se font manifestement pressantes. A bon entendeurs, bienvenus !!!
Selon les dires du président du CEDEP [5] , un revirement clinique ne s’opérera que grâce aux luttes solidaires du collectif des usagers. Espérons que ce pronostic se réalisera.
Enfin, en guise de conclusion, les demandes ou propositions émanant du REEV - Genève, ont été largement exaucées par les hauts cadres médicaux. L’association en est reconnaissante. Toutefois, quel est le facteur inhibiteur qu’il vaudrait la peine de remettre en question, pour qu’à l’avenir les résultats cliniques soient plus bénéfiques aux premiers intéressés ?
Appel aux professionnels.
Si vous vous sentez motivés et dévoués à la cause de l’entendeur de voix, n’hésitez pas à vous documenter à la source première, puis à vous engager.
Merci pour votre bon accueil et pour votre attention.
Notes [1]. Co-fondatrice et coordinatrice du REEV : Réseau d’entreaide des Entendeurs de Voix : http://www.grepsy.ch/reev.htm .
[2]. Texte prononcé le 13 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l’épreuve de ses usagers, organisé par le Centre Georges Devereux à l’Institut Océanographique de Paris les 12-13 octobre 2006.
[3]. REEV, CP 235, CH-1211 Genève 17, Tél. 0041.(0)22.346.48.21 (matin), reev@mail-box.ch ou lessansvoix@gmail.com.
[4]. INTERVOICE : International Network for Training, Education and Research into Hearing Voices (Réseau International de formation et recherche sur la perception de voix).
[5]. CEDEP : Comité Européen, Droit Ethique en Psychiatrie.
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