DÉBAT
ACT-UP/

TRANSSEXUALITÉ par Jérôme Martin[1]

Conférence prononcée le 13 octobre 2006 au colloque La psychothérapie à l'épreuve de ses usagers.
  COMMENT RÉVÉLER SON HÉTÉROSEXUALITÉ À SES PARENTS ?  
Je m'appelle Jérôme Martin. Je fais partie d'Act-Up Paris.

Par rapport à la psy, je voudrais vous parler 30 secondes de moi : J'ai commencé à m'intéresser à la psy à l'adolescence, vers 15 ans quand mon petit frère, qui en avait 12 a dit, un jour à mes parents qu'il aimerait coucher avec des filles, qu'il se sentait hétérosexuel. Comme cela a été très très douloureux pour mes parents d'apprendre que leur fils était hétérosexuel et comme il n'y avait pas encore d'émission télévisée pour dire, pour conseiller aux jeunes comment parler de son hétérosexualité à ses parents, j'ai dû m'intéresser un petit peu à la psychanalyse. J'ai lu. Je n'ai pas trouvé grand chose sur comment révéler son hétérosexualité à ses parents. C'est comme ça que je me suis intéressé à la psy. J'en profite pour passer un appel aux producteurs de TV : on aimerait avoir une émission aussi intéressante que celle que l'on a vue mais qui aborderait la question : “ comment révéler son hétérosexualité à ses parents” !

C'est une blague facile, je l'admets mais je l'ai commise pour introduire des questions qui se posent dans le cadre du combat d'Act-Up Paris dans la lutte contre le sida et pour le droit d'un certain nombre de minorités – je veux parler de la persistance d'un certain nombre de discours qu'on pourrait qualifier de majoritairement opposés à ces minorités, les disqualifiant, les invisibilisant, les discours de la psychiatrie – en tout cas, certains de ses discours – s'avérant en faire partie.

Quand nous avons été invités à ce colloque, en juin, nous avons beaucoup discuté, à Act-Up, de la manière dont nous allions intervenir ici. On s'est dit qu'il n'était pas question qu'on se présente comme des experts de la psychiatrie car même si on en est usagers – on peut en être usagers en tant que malades-, même si on a développé un discours sur la psychiatrie à partir d'un certain nombre d'axes de la lutte contre le sida, on ne peut évidemment pas prétendre au même statut d'usagers de la psychiatrie que les personnes qui vont intervenir au cours de la table ronde.

Cela ne nous paraissait pas très honnête d'intervenir comme cela, comme des spécialistes.

Par contre, on s'est dit qu'il était peut-être intéressant dans le cadre d'un thème général tel que : “une pratique de psy qui tienne compte de la parole de ses usagers” et, plus précisément, le chapitre intitulé :”Constructions collectives de la subjectivité” de présenter :

 

dans un premier temps, le travail que les militants d'Act-Up font autour de la construction d'une expertise sur la maladie sida – donc, on s'éloignera dans un premier temps de la psy elle-même pour montrer un peu ce que c'est que ce travail-là – car c'est quand même dans le champ de la lutte contre le sida que des choses très spécifiques se sont produites ces 20 dernières années, des choses qu'on retrouve assez peu dans d'autres domaines de santé.

Et, à partir de ce cadre général, dans un second temps, je vous présenterai un peu les axes de confrontation entre la lutte contre le sida et la psychiatrie. Quand je parle de confrontation, je n'évoque pas quelque chose de type forcément conflictuel mais de points de tension, de là où ça achoppe, là où il peut y avoir des problèmes, des discussions, des fronts, des luttes à mener parfois contre la psychiatrie, par exemple, mais aussi parfois avec.

 

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  Précautions  
 


Avant de poursuivre mon propos, je tiens à prendre deux précautions, à demander une certaine bienveillance à la salle concernant deux choses :

- d'une part, sur le léger flottement que vais faire dans l'usage des termes “psychiatrie”, “psychanalyse” - les frontières entre ces deux fonctions n'étant pas très définies au travers de mon discours. Je pense que du point de vue des usagers que peuvent être les malades du sida, ce flou correspond à quelque chose qui est bien réel : ainsi, au décours du parcours hospitalier que l'on a quand on est atteint d'une pathologie grave comme le VIH, on ne sait pas trop vers qui se tourner : psychiatre, Psychanalyste ? Les spécialistes et les médecins traitants le sida ayant tout autant, souvent, bien du mal aussi à savoir comment orienter les personnes.

- d'autre part, - seconde précaution -, je vais évidemment émettre des critiques vis à vis de la psychiatrie et à l'encontre de certains psychiatres. Je ne voudrais pas que mes propos soient entendus comme des généralisations abusives. J'essaierai d'être le plus prudent possible mais les attitudes adoptées par certains interlocuteurs de la psychiatrie déclenchent, chez moi, de la colère et parfois, ma colère dépasse ma réserve.

- Une dernière précaution, bien que je ne vous en annoncé que deux : quand je dis “nous” à propos des malades, je ne sui moi-même pas séropositif mais on est, à Act-Up, dans l'idée d'une construction collective de l'expertise. Act-Up est une association de malades. Même si j'en ai été le porte-parole, le président pendant deux ans et demi, en tant que non malade, je continue à me définir comme représentant d'une association de malades.

 

  L'expertise des malades.  
 

Donc, dans un premier temps, je vais évoquer ce que l'on entend par “expertise générale des malades par les malades et pour les malades”. C'est quelque chose qui est très ancien dans la lutte contre le sida. Cela a commencé en 1983, donc avant la naissance des Act-Up aux US, avant la découverte du virus responsable du sida. Les premiers malades se sont réunis lors d'une conférence sur les virus à Denver et ils ont défini un certain nombre de principes sur cette maladie qui était complètement nouvelle. Ces principes, qu'on appelle les principes de Denver, ont servi et servent de base à l'activisme sida.

Parmi ces principes fondateurs, on trouve l'idée d'intervenir d'égal à égal vis à vis des médecins dans les décisions thérapeutiques. Cette idée, c'est quelque chose qui est resté dans toutes les associations de lutte contre le sida même celles qui sont moins activistes qu'Act-Up, même celles qu'on voit moins manifester à la TV. Cette idée de s'approprier l'expertise, le savoir institutionnel des chercheurs et d'en produire un qui soit propre aux malades. C'est le cas à Act-Up Paris. C'est sans doute à Act-Up où on pousse ce principe au bout avec le plus de virulence et ce, en deux moments : il s'agit d'abord d'absorber le savoir médical, tout ce qui se fait dans le monde médical – cela signifie être présent dans les conférences, être reconnu comme interlocuteur légitime dans ces conférences qui ont lieu très régulièrement ; lire la littérature médicale sur tous les aspects ; être associés aux agences de recherches mais aussi associés comme interlocuteurs auprès de l'industrie pharmaceutique.

Cela, c'est le volant : “on absorbe”... mais ce qu'on absorbe, on le confronte à l'expression même des malades. Donc aux témoignages individuels et c'est de cette confrontation entre un savoir institutionnel et l'expérience propre des malades que va naître l'expertise spécifique des malades, laquelle ne sera pas complètement celle des institutions, pas complètement celle des chercheurs, des médecins, laquelle ne sera pas non plus un savoir de vulgarisation. Ce qui va s'élaborer sera une expertise propre parfois complémentaire, parfois conflictuelle aux autres énoncés, aux autres discours.

Il suffit de lire les brochures d'Act-Up pour voir que nous ne sommes pas dans la vulgarisation. C'est quelque chose qui distingue ce que nous faisons de ce que à quoi s'emploient d'autres associations de malades, notamment dans d'autres domaines que la lutte contre le sida, quand ces dernières promeuvent des vulgarisations de discours scientifiques, de médecins avec des témoignages de malades qui illustrent le discours médical.

A Act-Up, nous construisons une expertise par les malades et avant tout pour les malades... que ce soit en référence à un cadre de relation individuelle avec son médecin – l'idée étant de devenir suffisamment fort pour pouvoir parler des stratégies thérapeutiques avec son médecin d'égal à égal... que ce soit en référence à un niveau plus collectif – l'idée étant de pouvoir participer activement aux prises de décisions, au contrôle et à l'élaboration des recommandations des experts. On est là alors dans une démarche de démocratie sanitaire, citoyenne, de représentation des malades auprès des instances appropriées.

Bien sûr, comme vous vous en doutez, au départ de la lutte contre le sida, cela ne s'est pas fait sans conflits. Il s'agissait, il s'agit toujours, de conquérir une légitimité, d'ouvrir des portes et quand je dis “ouvrir des portes”, vous connaissez la réputation d'Act-Up, sa réputation soi-disant de violence, ses actions coups de poing, je souligne qu'il a fallu forcer les portes des institutions pour y être reconnus. C'est sûr que maintenant dans le domaine médical, nous n'avons, en général, plus besoin de cela parce qu'on est maintenant associés à toutes les décisions que ce soit au niveau du ministère de la santé de la direction générale de la santé, de l'agence de recherche contre le sida, etc. Là, on se trouve désormais dans une stratégie de collaboration.

Cela n'empêche pas les conflits sur tel ou tel sujet mais on est quand dans quelque chose qui demande moins d'énergie en terme de revendication de légitimité, même si cette légitimité est constamment à défendre.

Car la recherche sur le sida, au fur et à mesure où elle avance, se complexifie, s'intensifie sans cesse. De nouveaux fronts surgissent : les effets secondaires des traitements, de nouvelles pathologies opportunistes, ... et chacun de ces fronts gagne en complexité. Cela demande énormément de travail et chaque fois, de plus en plus de terrains à conquérir.
Un exemple concret pour illustrer ce que cela peut donner, cette expertise spécifique, cette expertise propre.

En février 1999, on est 3-4 ans après l'arrivée des trithérapies, on est encore dans cette vague où l'opinion publique est prise par l'idée que “ça y est ! On est passé à autre chose ! Victoire, le virus sida est contrôlé”. Le discours sur les effets secondaires des traitements n'est pas encore bien passé auprès des médecins ni, bien sûr, auprès du grand public. On est dans la phase où une des priorités des associations consiste justement à faire valoir le problème des effets secondaires, complètement sous-évalué et sous-traité par les médecins, par tous les spécialistes au nom de la grande révolution apparue par les antiviraux, les anti protéases.

C'est vrai que c'était difficile de reconnaître, pour beaucoup de personnes, que les rémissions étaient très provisoires et c'était aussi vrai que la mise sous traitement de ces antirétroviraux, pour les médecins, a demandé une vraie appropriation d'un nouveau savoir spécifique qui n'était pas simple.

Les recommandations aux malades sont devenues plus complexes, il a fallu que les médecins reconnaissent un certain de choses des personnes qu'ils avaient en face d'eux, des choses dont ils n'avaient ni la culture, ni l'expérience de savoir reconnaître.

C'est dans ce contexte-là qu'en janvier 99, on a recueilli des témoignages de personnes séropositives sous traitement depuis longtemps qui se trouvaient avoir des fractures spontanées de la hanche, de la jambe, du bras. On a commencé à s'inquiéter, à chercher des informations. Dans la littérature américaine, seulement américaine, des recherches existaient. Elles montraient l'existence d'une corrélation entre la prise de certains traitements anti-sida et des ostéoporoses ou des ostéonécroses ; les ostéoporoses étant des maladies qui, traditionnellement, concernent surtout des femmes lors de la ménopause.

Cela a été un long combat. On n'a pas eu besoin des médias pour sensibiliser les médecins, les chercheurs à la réalité de cet effet secondaire. Il a fallu que les associations téléphonent aux centres hospitaliers parisiens pour recenser les cas. Nous avons réussi à publier le nombre de cas sur Paris et montrer qu'il y avait vraiment un problème. A partir de là, des recherches ont pu alors être menées.

Ce sont les associations qui ont été en première ligne. Et ce, grâce aux expressions individuelles de témoignages et à la découverte d'une petite étude américaine qui était restée confidentielle et qui était passée inaperçue en France.
C'est comme cela qu'il a été possible de construire une expertise

- qu'on a pu ensuite diffuser d'abord auprès des malades pour que l'information arrive en premier lieu aux malades, pour leur dire : si vous êtes dans telle ou telle situation, il y a peut-être des examens à faire, même si ces examens n'étaient pas, à l'époque, remboursés par la sécurité sociale,

- et qui a permis, ensuite d’engager un travail de lobby pour une reconnaissance de ce problème, pour que des recommandations en termes de prévention et de prise en charge de personnes – l'importance du problème n'étant évident pour personne dans le monde scientifique.

J'espère, avec cet exemple, avoir été clair sur ce que j'entends par expertise spécifique : confrontation avec un savoir médical très pointu et en même temps très confidentiel et une expertise propre de la maladie individuelle qui a du mal à passer. Enfin, un travail et une action qui ne vise pas simplement à produire de l'information mais qui produit aussi du lobby.

  Parenthèses  
 

Deux parenthèses :

1- j'ai vu que demain, Isabelle Stengers doit parler des associations d'usagers en posant la question : de la construction d'expertises au lobby.
Pour nous, à Act-Up Paris, il s'agit de faire les deux. En tous cas, c'est très souvent les deux.
La question du travail de lobby se pose car elle est liée à la question de la légitimité des personnes. Si déjà, il n'est pas évident d'arriver face à des médecins pour leur dire qu'on a une parole légitime à faire entendre, si déjà cela demande un énorme travail de la part des malades de réussir à dire : “je suis malade, je suis le premier concerné, donc j'ai le droit à la parole “– ce qui est parfaitement vrai -, encore faut-il réussir à conserver ce droit dans les instances spécialisées pour discuter d'égal à égal. Et là, il y a vraiment un énorme travail à faire, bien souvent, un travail de lobby.

2- Cela pose bien évidemment la question de comment on se définit. A Act-Up Paris, on se définit assez peu comme association d'usagers quand il s'agit des questions médicales. On préfère plutôt le terme d'association de malades. Nous avons engagé toute une réflexion sur le vocabulaire qu'on emploie. On parlera, nous, d'usagers quand nous abordons des domaines du champ social : usagers de la caisse d'allocations familiales, usagers de la maison du handicap.

Par rapport à la médecine, nous n'aimons pas trop le terme de patients. Cette réflexion engage la façon dont on s'auto-définit, dont on se dégage de la dénomination que les médecins décrètent. Nous tenons avant tout à nous présenter comme des personnes vivant avec le VIH même si le terme “patients”, nous l'utilisons nous-mêmes pour des situations bien précises.

Voilà un peu ce que je souhaitais développer concernant le cadre général de l'expertise spécifique.

 
Une question avant de continuer
 



A ce sujet, je me pose très souvent une question en discutant avec d'autres associations de malades du cancer ou de personnes handicapées : pourquoi tout ce qui s'est fait dans le champ de la lutte contre le sida – où quand même on sait maintenant que beaucoup de choses fonctionnent - n'a pas pu être plus ou moins copié ou repris par d'autres associations, dans d'autres domaines que celui du sida. En France, le mode d'interaction entre les associations de malades du sida et le monde de la recherche publique est, je pense, un modèle qui pourrait être efficace pour beaucoup d'autres pathologies. C'est très curieux que ce modèle n'ait pas été exporté même si, bien évidemment, il n'est pas adaptable pour toutes les pathologies.

Une des explications possibles – et on en vient à la question de l'extension illégitime des discours de la psychiatrie -, tient au fait que le sida était une maladie nouvelle et forcément, les malades, au départ, étaient au même niveau de connaissance que les médecins. Il y a eu des effets de panique qui ont fait que les médecins ont sans doute été plus ouverts aux témoignages des personnes.

Mais je crois qu'il y eu aussi le fait que parmi les populations les plus touchées, au départ il y avait les homos, lesquels avaient déjà une longue expérience d'une méfiance et d'un combat contre la médecine en général et contre la psychiatrie en particulier. On ne peut oublier que les années 60/70 ont été marquées par la constitution de réseaux homos particulièrement mobilisés par la dé-psychiatrisation de l'homosexualité. Et si je me souviens bien, la dé-psychiatrisation de l'homosexualité à l'OMS est pratiquement contingente de la découverte du virus du sida. C'est à partir de cela que j'explique, historiquement et sociologiquement, que les choses ont bien fonctionné dans le champ de la lutte contre le sida et que ce qui a été inventé là reste un modèle qui peut, qui devrait pouvoir fonctionner dans le champ d'autres pathologies.

 
  De l’extension illégitime des discours des psys  
 


Cela me conduit maintenant à évoquer un certain aspect des fronts dans la lutte contre le sida, je veux parler des questions liées à la psychiatrie. Et c'est là où je vais commencer à être un peu plus critique.

Je pense qu'on ne peut pas ignorer que la psychiatrie fait partie globalement de ces discours qui, quand ils se tiennent dans le domaine public, ont très très peu tendance à s'interroger sur leur propre légitimité, notamment sur leur légitimité à parler en terme d'universel, de droit et je crois vraiment que sur les questions d'homosexualité ou de transgenre/ de transsexualité dont on parlera un peu après, on est en plein dedans.

Je suis toujours frappé du fait que, même si l'homosexualité a été dé-psychiatrisée, des psychiatres puissent toujours s'arroger le droit d'écrire des choses sur les homos en général sans s'interroger sur ce qui les y autorise, eux qui, normalement sont censés parler à partir d'une pratique. Comment peuvent-ils déployer des discours qui aboutissent à des choses qui tiennent plus de propos de café du commerce que des énoncés vraiment réfléchis ? Et cela donne par exemple des choses comme sur le développement normal d'un enfant : il faut un papa et une maman.

Je sais bien qu'on est pris dans une longue tradition d'influence de la psychanalyse, les psy peuvent penser ce qu'ils pensent, peuvent dire ce qu'ils pensent mais cela ne leur confère aucune légitimité pour se définir en tant que prescripteurs de droits, comme le fait un Tony Anatrella dans Le Monde à peu près une fois tous les deux mois, une Edwige Antier, qui l'a refait il y a encore 15 jours à la TV ou encore une Colette Chiland en ce qui concerne les transsexuels et bien d'autres encore.

Des psys peuvent penser que le développement normal d'un enfant exige un papa et une maman et on pourrait très bien discuter de cela avec eux s'ils acceptaient la discussion.
Or bien sûr, ce n'est pas possible. Mais alors que signifie ce dépassement du territoire de la relation individuelle à quelque chose qui est du collectif ? Dans notre exemple, ces psys n'hésitent pas à tenir, dans le cas d'un couple homosexuel, le même énoncé concernant le développement normal des enfants alors que celui-ci est totalement disqualifié par toutes les études existant actuellement.

Cela pose un problème de fond et si j'en parle là, dans le cadre de la lutte contre le sida, c'est parce ce type de discours psy donne une légitimité à toute une séries de discours, de pratiques qui invisibilisent ensuite des minorités entières.

Ce fut le cas pour le sida où le discours psy a véritablement servi à rendre les homosexuels invisibles dans la société.... et donc à rendre l'épidémie, chez les homos, invisible.
Je crois que c'est encore le cas pour les transsexuels mais aussi pour les usagers de drogues.

- 1er point : quand les psys se posent comme l’alpha et l’oméga de toute décisions que l’on devrait prendre -

C'est un premier problème d'une façon générale : l'extension illégitime de la psychologie, de la psychiatrie, de la psychanalyse à des champs qui ne sont pas les siens dès le départ – à des champs dont elles peuvent, dont elles doivent même, contribuer à apporter des éléments de réflexion. Or, on voit les psys qui en viennent à se poser, comme si c'était quelque de chose de normal, comme l'alpha et l'oméga de toute décision qu'on devrait prendre.

Je repense là à Edwige Antier qui est intervenue dans l'émission de Stéphane Bern, il y a 15 jours. C'était absolument incroyable cette façon de dire qu'il ne fallait surtout pas laisser le droit aux couples d'homo d'adopter des enfants... alors qu'on sait qu'un homo seul a le droit d'adopter... Si cette psy se fait le vecteur d’une vérité qui énonce qu'un enfant ne peut être élevé que par un papa et une maman, dans ce cas, elle se doit d’aller au bout de son énoncé et dire qu’il faut retirer tous les enfants des mères célibataires car sinon ils courent un grave danger.

- 2ème point : quand les médecins se font les vecteurs de la tendance psychologiser les effets secondaires des traitements

Cette extension illégitime de la psychiatrie, on la retrouve, pas forcément tenue par les seuls psychiatres, dans la prise en charge thérapeutique des malades.

Je vous ai parlé tout à l'heure de l'ostéoporose, de ce problème des effets secondaires mal pris en compte par les médecins traitants. Il y a encore un peu, même si cela s'est amélioré depuis les années 98/premières années 2000, une tendance à psychologiser un certains nombre d'effets secondaires des traitements. Parmi les plus courants, les vomissements, mais aussi les problèmes cardiaques, des déformations du visage, etc. qui ont été attribués au stress, à des données psychologiques par les médecins traitants eux-mêmes qui ne prenaient pas la peine de recourir à un avis d'expert avant d’émettre leur diagnostic.

On a recueilli suffisamment de témoignages graves, notamment celui où un médecin traitant disait à une femme sous traitement depuis longtemps et qui se plaignait de douleurs à la poitrine, que c'était là une manifestation du stress. Cette femme a fait un accident cardiaque 3 semaines plus tard, un accident qui s'est avéré lié aux effets du traitement.

On souligne là
un vrai problème de coordination des soins.

- 3ème point : quand les psys présentent de profondes lacunes de connaissance des pathologies qu’ils se proposent de soigner -

Un autre type de problème que l'on a identifié : des situations où les médecins psychiatres se trouvent à prendre en charge des personnes séropositives alors que ces psys présentent de profondes lacunes sur la connaissance des multiples aspects de la pathologie.

Dès qu’on aborde une spécialité, à Act-Up Paris, nous sommes toujours confrontés à ce type de problématique.

Mais le pire des domaines où il y a le plus de manque de connexion dans les services hospitaliers, c'est la gynécologie.
Pendant très longtemps, les questions VIH sont restées peu connues des gynécologues. On est un peu familier de cette question car le VIH entraîne tellement de complications, tellement de problèmes nouveaux qu'à chaque fois, la question de la formation de telle ou telle spécialité aux problèmes spécifiques du sida, se révèle toujours une difficulté.

- 4ème point : quand les spécialistes ignorent les effets des médicaments -

Autre type de problématiques : tout ce qui recouvre le domaine des effets des traitements antisida sur le psychisme.
La prise d’un médicament comme le SUSTIVA peut déclencher de lourdes conséquences sur les personnes en termes de cauchemars, de dépression, de tentative de suicide. On a pu constater à quel point les psys sont si peu au fait des effets de tels traitements.

Autre problème, encore : l'interaction entre les médicaments.
Et là, j'aimerais savoir s'il existe des formations spécifiques pour les psys qui sont amenés à prescrire des antidépresseurs, des psychotropes pour des personnes qui se trouvent confrontées à des questions notamment d'hépato-toxicité.

Car ce sont des problèmes auxquels on est confronté quand on voit des usagers de drogues ou des anciens usagers de drogues qui ont contracté le VIH ou une hépatite, qui sont pris en charge pour des difficultés psy et qui vont se voir prescrire des choses sans que la prescription ne tienne compte de leur situation vis à vis de leur foie.

Il y a très peu d'études sur le sujet et très peu de connexions dans les domaines de recherche sur cette question.

J’évoquerai, enfin, un dernier type de problème lié aux lacunes de connaissances des psys : les problèmes de démence liés à l'évolution du virus – ou liés aux infections opportunistes. D'une part, j'ai le sentiment que les médecins traitants sont débordés par ce type de problèmes, notamment par tout ce qui concerne les maladies qui peuvent vous atteindre quand votre système immunitaire est déprimé.

On a découvert récemment que le virus pouvait aussi passer directement dans le cerveau – même s'il semblait contrôlé dans le sang. Qu'il pouvait provoquer des lésions qui entraînent ensuite un certains nombre de problèmes. Des témoignages font état de telles situations qui, n'ayant pas été repérées correctement, aboutissaient à des prises en charge psy s’avérant très très difficiles par la suite.

Tout cela pose évidemment le problème de la connexion entre les spécialités.

Il existe un réel problème qui est un problème général d'organisation des soins, de besoins de budgets de recherche là-dessus.

Je voulais en parler en tant que témoin mais aussi en tant qu'appel à la salle.

 
  LA TRANSSEXUALITÉ : UN EXEMPLE DES EFFETS DE L’EXTENSION ILLÉGITIME DES DISCOURS PSYS  
 


Malheureusement, je n'ai plus beaucoup de temps pour parler des questions trans.

Pourtant, c’est un des fronts récents qu'on a ouvert le plus à Act Up Paris, celui de la dé-psychiatrisation des trans. Un front où on a particulièrement produit de la visibilité c'est-à-dire qu'il y a beaucoup de personnes transgenres, transsexuelles qui sont venues à Act Up pour travailler sur cette question-là et on a alors beaucoup montré le lien entre la question de psychiatrisation de la transsexualité (les deux ans de protocole qui s'apparentent souvent à quelque chose de très très difficile pour les personnes) et le fait qu’il n’y a aucune étude sur la séroprévalence concernant cette population, que la population transgenre/transsexuelle est sous estimée dans les données.

Il y a vraiment un lien étroit entre ces deux domaines. Or, en mettant en visibilité ce lien, on en est venu à des questions de légitimité contre légitimité c'est-à-dire qu'on se heurte à des spécialistes qui sont “au pouvoir” sur ces questions-là et qui ne sont pas présents dans la salle car ils ne viendraient pas dans cette salle tout simplement parce qu'ils n'aiment pas être confrontés aux usagers.

Ces confrontations, y compris pacifiques, on les a pourtant cherchées. Mais c'est constamment impossible puisque le seul refus qu'on nous adresse, c'est vraiment le refus de dialoguer.

Quand on veut dialoguer, dans c’est le cas par exemple avec Colette Chiland, c'est uniquement dans le cadre d'un procès en diffamation c'est-à-dire qu'on se voit opposer un refus de discuter légitimité contre légitimité. “L’adversaire” qu’est la personne transgenre ou transsexuelle - ou collectivement, une association comme Act-up Paris -, est alors délégitimée alors qu'elle est parfaitement légitime, étant la première concernée.

Je pense que ce qui se passe là a de vraies conséquences. C'est pour cela que j'étais très content d'être invité ici pour en parler avec vous. C'est pour cela aussi que je vais m'arrêter ici sinon il n'y aurait plus de temps pour des débats ensuite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 
Notes

[1]. Ex-président d’Act-Up Paris.
Act-Up Paris : http://www.actupparis.org/.
Jérôme Martin : jeromemartin@samizdat.net

 
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