La "chose" et "l'objet"*
Tobie
Nathan
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Tobie Nathan |
Science
et psychothérapie
En psychologie,
la psychothérapie occupe une place singulièrement paradoxale
à la fois suspecte et prometteuse. Suspecte, puisquelle
parvient très difficilement à soumettre ses propositions
méthodologiques et ses énoncés théoriques
à la rigueur ayant cours dans les autres champs de la discipline
(expérimentation, évaluations quantitatives) suspecte
dêtre seulement un avatar de lhypnose de music hall
malencontreusement égarée à luniversité
ou au sein de sociétés savantes. Mais prometteuse aussi,
car parmi les activités du psychologue, celle qui ressemble le
plus aux domaines des sciences dures du fait quelle est avant
tout une technique et se doit donc de soumettre à lanalyse
les actions du chercheur qui est aussi, dans ce cas, le thérapeute
les soumettre à lanalyse, non par jeu ou pour obéir
à quelquimpératif abstrait de rigueur, mais par
nécessité clinique. Car agir en thérapeute implique
que lon peut au moins sexpliquer sur la raison de son action.
Si lon
accorde lattention nécessaire au fait que :
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Proposition
1 |
la psychothérapie
est lart du maniement technique de linfluence, on comprendra
que son analyse ne souffre pas limprovisation, tout comme le
travail de lexpérimentateur devient absurde sil
est dicté par la seule fantaisie.
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Proposition
2 |
De
ce fait, il est légitime de considérer lespace
de la psychothérapie comme un champ de recherche et, sil
se soumet à certaines contraintes, le psychothérapeute
comme un chercheur potentiel[1] .
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Lattitude professionnelle du psychanalyste
qui a tendance à contaminer toute la "planète Psy" est de
fait une blouse blanche mentale ! |
Considérant ces données
dexpérience immédiate, et pour respecter leur spécificité,
jai naguère défini la psychothérapie comme
une procédure dinfluence [2]
; jai même précisé quau sens strict,
il ne pouvait exister quune " influençologie "
et non une théorie générale de la psychothérapie.
Des lecteurs malintentionnés sont allés interpréter
que je promouvais la pratique de linfluence directe, de lhypnose,
voire de la manipulation [3].
Ma proposition était cependant à la fois plus simple et
plus riche de conséquences : il sagissait dattirer
lattention sur le fait que toute psychothérapie
est par nature une pratique de linfluence et que celles qui prétendent
y échapper ne le font que pour mimer et cela de manière
tout à fait inadaptée les méthodologies
des sciences dures. Car ce nest pas dans ce que Isabelle Stengers
a fort bien nommé " la purification de la scène
analytique ", à lexemple de la purification du
champ dexpérience du chimiste [4]
quil faut chercher la capacité de la psychothérapie
à " devenir science ", mais bien dans la
possibilité quelle peut offrir au " sujet "
de se révéler récalcitrant. Je précise :
" récalcitrant ", comme lélectron
est récalcitrant à la volonté du physicien ;
comme lélectron vit imperturbablement sa vie délectron
quelles que soient les manigances mises en uvre par le chercheur
[5].
Distinguant sans cesse le bon
grain de " lanalyse du transfert " de livraie
de " la suggestion ", la psychanalyse a donné
le pli, incitant les chercheurs à adopter cette même méthodologie
de la preuve : "suggestion" est devenu équivalent
de manuvre plus ou moins malhonnête de lexpérimentateur ;
"analyse du transfert" de rigueur scientifique. Lon
ne sest pas rendu compte à quel point la poursuite de limage
du savant a influencé jusquaux attitudes des psychanalystes
qui nont abandonné la blouse blanche que pour revêtir,
bien plus profondément quun uniforme, des attitudes et
des comportements purificatoires. Car si la blouse immaculée
du médecin et du chercheur signifient combien ils sont attentifs
à la moindre poussière venant souiller leur espace de
travail, le retrait affectif, le refus de sengager dans la conversation,
lattitude "en miroir", lusage des " relances ",
tout indique que la psychanalyse a décidé de chasser jusquaux
dernières scories de la prétendue " suggestion ".
Lattitude professionnelle du psychanalyste qui a tendance à
contaminer toute la "planète Psy" est de fait une blouse blanche
mentale !
Dans les analyses des pratiques
psychothérapiques, suite à lexemple de Freud, soupçonné
depuis ses premières publications de " trafiquer "
ses observations dans le but demporter ladhésion
du lecteur [6],
les chercheurs ont la plupart du temps fait le choix de prétendre
que cétait le sujet qui sinflençait lui-même,
qui prêtait au thérapeute ses propres tendances à
la "toute-puissance" et cela, par le biais du transfert. En proposant
lhypothèse du transfert, Freud pensait avoir définitivement
résolu le problème de " linfluence "
(" vous influencez vos patients et leur suggérez les
idées que vous nous présentez ensuite comme sils
les avaient spontanément produites
" lui disaient
ses contemporains), mais à mon sens, avait dirigé
et pour près dun siècle la réflexion
sur la psychothérapie dans un cul de sac. Car le problème
nest certainement pas " dinfluencer ",
de " suggestionner ", " dhypnotiser ",
mais de penser de penser au sens fort du terme ; de produire
de la pensée !
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Proposition
3 |
Cest la pensée
que cultive le thérapeute, celle quil habite et partage
avec un groupe de pairs, celle à partir de laquelle il pense
le désordre quon lui soumet cest cette pensée
qui est le principal moteur de linfluence la pensée
donc quil a réellement et non pas celle que lui prête
son patient, sa théorie, par nature uvre dun collectif.
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Tout se passe en effet comme si le patient entendait :
" regarde, tous les savants pensent ainsi et je suis leur
représentant auprès de toi
" Cest
cette double induction, combinant un énoncé implicite
sur la nature, une parole de vérité [" les
humains sont ainsi ", mais qui peut tout aussi bien être
"ethnique" : " les Inuit sont ainsi "]
et un acte dautorité [" je suis le représentant
auprès de toi de la pensée des savants qui ont établi
que les humains étaient ainsi
"] qui déclenche,
non pas la totale adhésion du patient, non pas sa soumission,
mais son consentement , lacceptation dune sorte de
jeu comportant à la fois un pari et sa dimension de défi
et une volonté de parcourir une démonstration par curiosité,
par intérêt théorique, en quelque sorte. Lon
pourrait dailleurs facilement vérifier que les dispositifs
thérapeutiques contiennent en général les deux
versants de ce type dinduction : 1) laffirmation dune
ontologie ; 2) lexercice dune autorité.
Si
la proposition 3 est exacte, alors il faut considérer les dispositifs
thérapeutiques comme des lieux de production et de reproduction
de pensées abstraites de type philosophique (ontologie) et
lintérêt que lui portent les patients comme une curiosité
bien légitime envers les pensées spéculatives concernant
les grandes questions de lexistence.
Cette
description concerne le dispositif en général. Quun
tel dispositif soit mis en uvre avant tout pour soulager une souffrance
ne change rien au problème, mais démontre au contraire
sa complexité. La psychothérapie serait une sorte de jeu
intellectuel auquel ne sont admis que ceux qui souffrent.
Ainsi,
laction manifeste du thérapeute, les actes et les procédés
auxquels il incite son patient à se prêter ne sont pas
le vecteur principal de linfluence exercée. Les actes et
les procédures mises en uvre par le thérapeute doivent
être considérés comme des moyens dincarner
la théorie qui elle, est le véritable levier de linfluence.
Cest bien cette théorie qui est objet de curiosité,
souvent de fascination
Ainsi, quun thérapeute désire
consciemment "exercer une influence" par exemple en
essayant de " convaincre " son patient ou quil
ne cherche quà "permettre au sujet dadvenir",
la procédure se ramène, en dernière analyse au
même mécanisme de " démonstration dune
théorie " mécanisme que lon peut
alors comparer aux autres modalités de linfluence :
rhétorique, religieuse, politique, etc.
Car
les seules véritables procédures d'influence sont des
mises en uvre de théories abstraites !
La modification réelle
et durable dune personne, dune famille, dune situation
nest pas uvre facile et lon peut imaginer que tous
les thérapeutes du monde sont confrontés aux mêmes
types de difficultés. Par " tous les thérapeutes ",
je veux aussi dire toutes les techniques thérapeutiques. Je considèrerai
donc que le babalawo[7]
yoruba[8]
du Nigeria, en tant que professionnel de la thérapie, est soumis
aux mêmes contraintes, doit surmonter les mêmes difficultés
que le fkih[9]
marocain ou que le psychothérapeute parisien. En poursuivant
lexemple, ces trois types de thérapeute doivent surmonter
le même type dobstacle et pourtant, dévidence,
ils ne font absolument pas la même chose. Sengager dans
la compréhension des mécanismes de la psychothérapie
cest accepter et tirer les conséquences de ce constat dévidence :
quoiquils rencontrent les mêmes problèmes, ils
ne font pas la même chose. De plus, il est presque inutile de
le rappeler, ils ne partagent pas la même théorie. Si
jinsiste ainsi sur le fait quils ne font pas la même
chose, quils ne partagent pas la même théorie, cest
pour minterdire de penser que lune quelconque des théorisations
occidentales (symbolisation, croyance, manipulation "naïve"
du transfert, suggestion) pourrait rendre compte des dispositifs autres.
Mon analyse exclut donc a priori toute interprétation
ethnocentrique des techniques thérapeutiques "exotiques" [10].
Mais les théories "savantes"[11]
doivent être traitées de la même manière.
Créatrices dunivers, agents de modification, elles sont
mondes et lon doit donc rechercher, tout comme pour les
théories des thérapeutes lointains, les clés permettant
dy entrer.
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Proposition
4 |
Puisque lon peut considérer
que chaque technique thérapeutique est une solution à
un même type de problèmes, il nous faut envisager la
déclinaison des pratiques des thérapeutes à travers
le monde comme un véritable champ dexpérimentation
"naturelle" [12].
Corollaire
1 :
Admettre ce premier principe moblige à tout considérer
de ce que font les thérapeutes je veux dire :
à nen rien jeter, à nen rien considérer
comme secondaire, décoratif, inutile et donc à
minterdire la pratique de linterprétation ethnocentrique
qui, in fine, aboutit à disqualifier les pratiques que
lon décrit et avant tout en niant leur caractère
nécessaire [13]
.
À considérer de
la sorte que tout ce qui se déroule dans le champ dexercice
dune technique thérapeutique est intéressant a
priori pourrait évidemment conduire à des impasses.
Que faire, en effet, des abus de pouvoir manifestes de certains thérapeutes ?
Nest-il pas évident que certaines techniques thérapeutiques
donnent plus facilement lieu à des violences physiques ou à
dinsupportables soumissions des plus faibles ? Plutôt
que de se reposer sur ce type dargument pour introduire les interprétations
ethnocentriques et détruire du même coup notre champ dexpérimentation
naturelle, il nous faudra tempérer la propension des thérapeutes
à s'auto-justifier en introduisant dans leur analyse des points
de vue contradictoires. Il nous faudra donc tenir compte du fait que
les thérapies sont des pratiques complexes mettant en jeu des
intérêts multiples et convoquer les représentants
de chacun de ces intérêts.
Corollaire
2 : Il me faudra donc considérer justement les pratiques
thérapeutiques dans toute leur complexité, non pas
en lecture linéaire, mais observée par tous les
personnages concernés : les professionnels, les usagers,
les opposants à telle ou telle autre technique et
surtout les renégats de la critique desquels sortent souvent
les meilleures analyses.
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Proposition 5 |
Je propose donc détudier
les psychothérapies comme le cas particulier dun ensemble
de pratiques en usage dans le monde, destinées à modifier
les personnes, les groupes et les situations à partir dune
procédure technique.
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Remarque |
En se définissant,
en s'instituant, les psychothérapies ont délimité
leur domaine de manière à exclure. Je ne parle pas
seulement du passé, il sagit dun phénomène
général et permanent une sorte de génie
spécifique des psychothérapies. Il est vrai que les
domaines dintérêt et de recherche, les idées,
les êtres en général, apparaissent à
la fois avec et contre. Sitôt apparus, les voila qui cherchent
des alliés, qui établissent des contrats, et dans
un même mouvement posent des anathèmes. Mais certains
êtres sont chasseurs et carnivores par nature. Ils apparaissent
pour combattre, dévorer, éliminer. Les psychothérapies
sont de cette espèce. C'est pourquoi la plupart des auto-définitions
des psychothérapies sont de fait négatives. Lambiguïté
du terme, le flou de sa signification en est un signe.
Exemple : le terme psychothérapie
, signifie thérapeutique par l'esprit [14]
et non pas thérapeutique de l'esprit
puisque :
1) des patients souffrant
de désordres somatiques sont réputés pouvoir
en bénéficier [15].
2) Puisque, d'autre part,
les psychothérapeutes excluent c'est même ainsi
qu'ils s'auto-défnissent la plupart du temps l'usage
des médicaments. Or, il est parfaitement envisageable de
soigner "l'esprit" par une substance, à considérer
l'usage de plus en plus répandu des psychotropes [16].
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Définition de la psychothérapie |
En vérité,
psychothérapie désigne " la thérapeutique
de la personne (de l'être), par le traitement de son " âme ",
selon des méthodes excluant le recours à la chimiothérapie
[17]"
définition à
laquelle j'ajouterai aujourd'hui :
et à toute
forme de procédés impliquant l'action de la matière
sur l'esprit. Dans leur définition-même, les psychothérapies
entrent en guerre ou en chasse, si lon veut contre
toute autre forme de thérapeutique. En effet, la plupart des
thérapeutiques que lon rencontre à travers le
monde traitent les humains à partir de laction sur une
matière. Force est donc de constater que les psychothérapies
ne peuvent se définir que de manière négative.
En d'autres mots, ce que détestent les psychothérapies,
toutes les psychothérapies, cest précisément
la matière.
Remarquons que, lorsquil
sagit de thérapeutique, il est absurde dopposer action
de la matière sur lesprit (chimiothérapie) à
action de lesprit sur la matière (psychothérapie).
Même la psychothérapie agit sur la matière
fût-ce en la niant.
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Proposition 6 |
Toute thérapie (y
compris la psychothérapie) est action sur la matière
dans le but de modifier lêtre.
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Cest pour toutes ces raisons
quil me semble plus judicieux de définir les psychothérapies
par leurs antipathies et leurs tropismes. Essentiel aussi de ne pas
les figer dans des définitions positives qui donneraient lillusion
dobjets "naturels". Bref : le mot psychothérapie convient
essentiellement, et pour lheure [18],
aux pays occidentaux. Il désigne une intervention thérapeutique
se proclamant non-armée sengageant donc par principe
à ne jamais recourir à lusage dun certain
nombre dobjets.
Elles ne sont pas des chimiothérapies, sinterdisant lusage
de médicaments, de drogues, de substances.
Elles ne sont pas des thérapies traditionnelles, sinterdisant,
cela va de soi, lusage d'amulettes, de fétiches ou de sacrifices
animaux.
Elles ne sont pas des thérapies religieuses, sinterdisant
lusage de prières, de limposition des mains ou du
sentiment de communion au sein d'un groupe de fidèles.
Elles ne sont pas des thérapies "politiques", sinterdisant
(en principe) lusage de l'inscription de la personne souffrant
d'un désordre dans la hiérarchie d'un groupe ayant vocation
d'agir dans la vie publique se refusant donc à être
réellement des sortes d'initiations.
Les psychothérapies se
définissent par conséquent par les objets quelles
nutilisent pas et cest par cette même référence
aux objets absents quelles construisent la vérité.
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Proposition 7 |
Car ce que nous appellerons
désormais les " thérapeutiques ",
dont un cas particulier se trouve être les psychothérapies,
construisent toujours la vérité en référence
à des objets.
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Jutilise ici le mot " objet "
dans son sens banal : " objet du monde sensible ",
fait de matière et dont lexistence ne doit rien à
la perception ou à limagination dun quelconque " sujet ".
L'objet est donc ce contre quoi bute la perception. La médecine
moderne soigne à laide de médicaments et nous assistons
même de nos jours, comme le remarque Philippe Pignarre [19],
à lestompage du personnage du médecin au profit
du personnage du pharmacien non pas du détenteur dofficine,
mais du fabricant de molécules : le pharmacien du laboratoire
pharmaceutique. Et les médecines que lon rencontre dans
les pays du Sud sont focalisées de manière plus radicale
encore autour de leurs objets. Les thérapeutes habitent une pensée
théorique, les malades expérimentent sur leur corps et
les objets sont entre les deux. Envisagés dun point de
vue structural, les objets occupent donc lemplacement d'une charnière
entre le dispositif théorique des professionnels et la suspicion
légitime des usagers. Le thérapeute construit sa pratique
en référence au fonctionnement de lobjet qu'il maîtrise,
le malade expérimente lefficacité de lobjet
sur son propre corps. Sommet dun triangle, les objets dominent
la scène thérapeutique, la reproduisent à volonté,
permettent son exportation vers dautres mondes. Car ce sont les
objets, surtout lorsquils sont efficaces, qui traversent les frontières
frontières physiques et frontières culturelles. Lon
pourrait presque dire que les objets sont les seuls acteurs de la scène
thérapeutique, produisant les démonstrations, recrutant
des patients et des candidats thérapeutes, permettant le développement
de la pensée théorique qui leur a donné naissance.
Cest pourquoi ma nouvelle proposition sera la suivante :
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Proposition 8 |
La
principale fonction des objets est de démontrer la pensée
théorique des thérapeutes.
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Ici,
vous pouvez démarrer le diaporama >
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Gilles Deleuze
Le marquis de Puysegur |
ce
que signifie " changer " en psychothérapie
Le problème du " changement "
na pas cessé de hanter la psychothérapie
depuis le renoncement dégoûté de Freud aux " miracles
de la guérison " ["Analyse terminée, analyse
interminable"] jusquaux critiques astucieuses de Sartre sur
le versant de " la mauvaise foi " (dans Lêtre
et le néant). Comment en effet être soi être,
donc ! et engager ce même soi dans un changement,
donc dans un non-être. Que faire de ce moment sensible de lentre-deux,
le moment de la cure dont on sait que, par exemple en psychanalyse,
il peut occuper des pans entiers de lexistence. Cest pourquoi
le problème du changement en psychothérapie a oscillé
entre trois grandes possibilités : leureka
miraculeux [20],
si souvent amèrement contredit par les résultats réels
des cures, la pédagogie, parfois délibérément
assumée par certaines techniques (analyse transactionnelle, thérapies
cognitive) et le renoncement cynique à tout changement, cette
position quIsabelle Stengers définit ainsi : apprendre
enfin à se découvrir incurable [21].
"Je veux changer car je souffre", sattend à entendre
le psychothérapeute de son patient. La plupart du temps, cest
la famille, les proches du patient : "changez le ; il
nous fait souffrir". Mais quest ce que changer pour un être
humain ? Cest sans doute les anciens qui ont le plus réfléchi
sur ce problème, et notamment les Grecs en évoquant, dans
leurs récits mythiques, la possibilité des métamorphoses [22]
problème fort peu repris sauf évidemment par Kafka,
mais surtout par Deleuze qui a fort bien compris que la métamorphose
était une question dalliance. Car lon se métamorphose
toujours en quelque chose. Le patient des psychothérapies ne
cherche pas à devenir un "homme normal" ; il tend vers un
autre être défini par la théorie de son thérapeute.
La guêpe se métamorphose-t-elle en orchidée lorsquelle
la féconde ? Le chat se transforme-t-il en babouin lorsquils
partagent le même virus ?
" Il
y a un bloc de devenir qui prend la guêpe et lorchidée,
mais dont aucune guêpe-orchidée ne peut descendre. Il y
a un bloc de devenir qui saisit le chat et le babouin, et dont un virus
C opère lalliance
ces phénomènes où
lévolution ne va pas dun moins différencié
à un plus différencié, et cesse dêtre
une évolution filiative héréditaire pour devenir
plutôt communicative ou contagieuse. Nous préfèrerions
alors appeler "involution" cette forme dévolution
qui se fait entre hétérogènes, à condition
que lon ne confonde surtout pas linvolution avec la régression.
Le devenir est involutif, linvolution est créatrice. [23]"
Voilà les mots-clés
dune théorie du changement en psychothérapie :
"devenir", "évolution entre hétérogènes",
"contagion", "création".
Au printemps 1784, le marquis
de Puysegur plonge pour la première fois Victor Race, un jeune
paysan âgé de 24 ans, dans une sorte de sommeil somnambulique.
Au départ, il veut seulement le soulager de sa fluxion de poitrine.
Le malade sendort profondément. Le marquis poursuit lexpérience.
Victor se met alors à parler du fond de son sommeil, mais il
abandonne son patois et sexprime sur des sujets complexes que,
ce jeune paysan illétré ne pouvait sans doute pas connaître.
Stupéfait, le marquis tente dapprofondir létat ;
il insiste, y revient. Il constate que létat somnambulique
de Victor lui confère des capacités extraordinaires :
il devine les pensées de son maître, lit dans son esprit,
pour ainsi dire :
" Cette
capacité sest manifestée dès la première
crise, quand Victor sest mis à chantonner lair que
son maître avait dans la tête, et depuis elle ne cesse détonner
et démerveiller laristocrate, qui savoue incapable
de définir létre transformé qui émerge
pendant la crise. "Quand il est dans létat magnétique,
écrit-il, ce nest plus un paysan niais, sachant à
peine répondre à une phrase, cest un être
que je ne sais pas nommer : je nai pas besoin de lui parler ;
je pense devant lui, et il mentend, me répond. [24]"
Cette expérience est cruciale
et tout particulièrement pour notre compréhension
des mécanismes de la psychothérapie. Car le marquis qui,
au début voulait seulement soigner en appliquant ce que lui avait
appris Mesmer est lui-même transformé par lexpérience.
Ce nest évidemment pas le jeune malade qui lintéresse
mais la chose quil pressent et qui confère à Victor
des capacités de voyance. Et cette chose quil ne sait pas
encore nommer est accueillie par la toute jeune idéologie rousseauiste
selon laquelle la nature est bonne ; cette nature qui sourd brusquement
du jeune paysan endormi. Cette chose est uvre de la nature. Une
théorie plus une chose et du coup, le marquis, nest plus
cet aristocrate éclairé et bienfaisant ; il est soudain
devenu un acteur, un être utile : un thérapeute.
Maintenant voici Puysegur et Victor constituant un couple thérapeutique
que les patients viennent consulter. Seul, Puysegur nest pas un
médecin ; seul, Victor nest quun paysan simplet,
mais ensemble, tous deux font apparaître la chose ; cette
chose qui soigne : le fluide.
" Au
bout dune quinzaine de jours, le nouvel état "magnétique"
présente déjà la plupart des traits qui vont le
caractériser par la suite, et une relation inédite de
collaboration sest établie entre le grand seigneur et le
jeune paysan. Victor prédit ses crises futures, en donne avec
exactitude le calendrier et les résultats. Mais il fait plus :
il guide le marquis dans lexploration de la nouvelle dimension
qui vient de se dévoiler, il laide, quand il est en
transe, à diagnostiquer les maux dautres malades, et lui
explique la conduite à tenir envers eux
[25]"
Imaginons maintenant les malades
venant consulter létrange couple constitué du marquis
et de son jeune sibylle. Ils sadressent au marquis, le questionnant
sur lénigme de leur souffrance et le voient interroger
un devin traversé par un fluide "naturel". Dès
lors, la scène a changé :
1) Lénigme posée
par la souffrance explose, séparpille, se dilue
reste alors celle, autrement passionnante, complexe et surtout publique
du fonctionnement du couple thérapeutique : "comment
parviennent-ils à deviner ce qui agit en moi ?"
2) Lintérêt
sest déplacé. Au devant de la scène, nous
ne voyons plus les humains et leurs maux, mais une chose (des choses)
que lon peut techniquement contraindre à se manifester
(ici : le fluide).
Déplacement, pourrait-on
dire
Certes ; mais pas régression ! Fuite en
avant vers du plus complexe, vers de lhétérogène,
glissement de lintérêt pour lhumain vers lénigme
du fluide. Tout le monde semble saccorder : quimporte
la souffrance devant lénormité de la découverte.
Victor Race, ce paysan un peu simplet ne présente pas dintérêt
en tant quhumain en souffrance mais pour autant que son état
révèle lexistence dune chose invisible et
à lefficacité impressionnante. Nous imaginons les
premiers clients, comme pris de vertige devant lévénement :
la découverte dune chose (le fluide) présente depuis
lorigine des temps et enfin dévoilée aux humains.
Pas étonnant quils restent là, même après
leur guérison. Pas étonnant que dautres viennent
les rejoindre, que lon sy presse même par centaines :
" Bientôt
Victor nest plus seul. Dans les semaines qui suivent, le marquis
suscite de nouveaux somnambules : Joly, le " somnambule
écrivain ", qui, pendant ses transes, dicte de longues
lettres au magnétiseur, dans lesquelles il décrit ce
quil éprouve, et entreprend de théoriser le nouvel
état ; ou encore Viélet. Ces patients réagissent
les uns sur les autres, se diagnostiquent mutuellement leurs maladies,
se prescrivent des remèdes. Un climat indicible sétend
sur le domaine de Buzancy. La rumeur se répand comme une traînée
de poudre, et, bien vite, la situation commence à échapper
à Puységur. Débordé par un afflux de malades,
et par la multlplication des somnambules, le colonel-magnétiseur
a recours à une variante pastorale du fameux baquet, il met
en place un "traitement magnético-végetal" :
il magnetise un orme, auquel les patients sont reliés par des
cordes, et qui est censé dispenser le fluide bénéfique.
Le 17 mai, soit 13 jours seulement après lapparition
du somnambulisme, il écrit à son frère :
" Ils affluent autour de mon arbre, il y en avait ce matin plus
de 130. [26]"
Une petite distinction simpose
ici : jappelle " chose ", cet être
à la nature imprécise et qui " cause ",
au sens de " qui produit ce que jobserve ".
Mais je veux être plus précis.
" Chose " est cet être qui capture qui sen
approche. Non pas lexplication que je dois chercher à une
suite dévénements car dans ce cas, ce sont les événements
qui " causent ", non pas la théorie scientique
que je construis, car dans ce cas, cest moi qui " cause ".
Non ! Lêtre qui est à lorigine et dont
je ne peux plus me défaire. Ce qui, une fois établi son
origine ne peut être chassé pour être remplacé
par une intentionnalité humaine. Quest ce qui rend Romeo
amoureux fou ? Est-ce lintention de Juliette ? Certes
non ! Sa beauté, sa grâce, son esprit, son appartenance
à la famille ennemie ? Encore moins ! "Quelque
chose" en Juliette (au travers de Juliette) cause lamour
de Romeo. Les Grecs anciens pourraient dire "cest Aphrodite
qui rend Romeo amoureux de Juliette". Dans ce cas, Aphrodite, le
désir amoureux, est une chose. Adonis, le parfum, tel que lenvisageaient
les Grecs anciens est aussi une chose [27].
Encore plus démonstratif : la langue est une chose
typiquement ce qui " cause " ; et ce dernier
exemple nous apprend une caractéristique des choses : elles
sont le produit dune fabrication, toujours uvre dun
collectif. Les plantes hallucinogènes telles quelles ont
été découvertes/construites par les Amérindiens
sont une chose. Et là, nous pouvons sourire : " les
choses ont une âme " ou du moins une intentionnalité.
La chose cause et les humains produisent des objets pour incarner et
se saisir de la chose [28].
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L'inconscient freudien est-il une "chose"
? |
Mais alors linconscient
freudien est-il une chose ? Dune certaine manière,
il lest puisquil cause les troubles, puisque ses manifestations
sont symptômes ; puisque ses particularités prescrivent
le comportement des thérapeutes. Cependant plusieurs de ses caractéristiques
devraient nous inciter à lécarter de notre définition
de la chose.
1) Il nest pas doué
dintention. Linconscient freudien ne veut rien ;
il est !
2) Aucune procédure
ne peut le contraindre à se manifester. Dans le dispositif
psychanalytique, impossible de produire par quelquartefact un
rêve fabriqué par le thérapeute [29].
En dautres mots, peu susceptible de participer à un "commerce",
il nest pas négociable [30].
Ceux parmi les pionniers qui ont tenté de le tirer vers la
chose se sont proprement vus remettre à leur place : Jung
et sa perception dun inconscient-mémoire des peuples,
André Breton et son inconscient-démon, Salvador Dali
et son inconscient créatif [31].
Ceux là ont essayé de ramener linconscient freudien
à leur connaissance et leur fréquentation des choses.
3) Linconscient freudien
ne produit pas de guérison. En psychanalyse, la guérison
nest au fond que la prise de conscience que lon ne peut
agir ni avec ni contre lui.
4) Linconscient freudien
na pas produit dobjets techniques comme le fluide de Mesmer
a produit le baquet, comme le magnétisme a produit le pendule.
Le divan lui même est un simple héritage de lhypnose.
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Comparé aux autres thérapeutiques
disponibles aujourdhui de par le monde : chimiothérapie,
chirurgie, possession par les esprits, lutte contre la sorcellerie,
groupes de prière, thérapies islamiques, thérapies
juives, etc
, quelle sorte de pharmakon est donc la psychanalyse ?
C'est très certainement
une philosophie au sens où elle rechigne devant le concret, la
matière, les objets. Sans doute, la psychanalyse aimera-t-elle
à sinterroger sur la structure de lécriture,
comme le Socrate de Platon dans le Phèdre, sans doute
aussi ne verra-t-elle aucun intérêt aux "écritures"
je parle bien sûr autant des écritures sacrées
que de celles que lon trouve enfermées dans les amulettes.
De même accordera-t-elle tout son intérêt au fait
de parler, à la mise en mots des affects ou des conflits des
personnes, jusquà penser, quelquefois, que le seul fait
de parler peut parvenir à guérir ; alors quelle
ne verra aucun bénéfice à examiner des mots particuliers,
comme par exemple le nom de Dieu ou celui des démons qui lui
sembleront superstitions, fantasmes ou extensions d'une "pensée
magique". Alors, si la psychanalyse est active, cest seulement
en négatif recherche sur les " choses "
du fait quelle nie leur existence, manipulatrice dobjets
du fait quelle condamne leur usage, théologie du fait quelle
fait religion de supprimer les dieux.
Revenons maintenant au récit
de la découverte du fluide par Puysegur. Il met en lumière
deux événements dont je dirai quils sont paradigmatiques
du fonctionnement thérapeutique.
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Proposition 9 |
Le changement ne peut sopérer
que long de la ligne de fuite dun devenir, pour reprendre les
formulations de Deleuze, un devenir, ici de lhumain, vers de
lhétérogène, la plupart du temps vers du
non-humain.
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Proposition 10 |
Cette ligne de fuite se dessine
grâce à lapparition dune chose (dans lexemple
précédent : le fluide). Le travail sur lhumain
le travail thérapeutique, autrement dit consistera
à approfondir la connaissance de la chose.
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Reprenons maintenant les exemples
de thérapie que nous connaissons et considérons les à
la lumière des dernières propositions :
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chapelet du Fa d'un devin |
- Je viens consulter le marquis de Puysegur
et cest le fluide qui se manifeste. Le fluide est la chose,
larbre, la corde sont les objets.
- Je viens consulter le babalawo yoruba
est cest Fa qui répond [32]
. Fa est la chose, le chapelet
de noix lobjet.
- Je viens consulter le nganga congolais,
et cest le fétiche qui se met à parler.
- Je viens consulter le Kharamoko malien
et cest le sable qui annonce mon destin [33]
.
- Je viens consulter le cheikh musulman
et cest Dieu lui même qui sexprime à travers
le verset du Coran sur lequel pointe au hasard le doigt du thérapeute.
- Je viens consulter le gadédzaffè
guadeloupéen et cest sa dormeuse qui se met à
parler [34]
.
Une première remarque :
les quatre exemples africains mettent spectaculairement en avant des
objets techniques :
1) le chapelet de noix du Fa
, pour lexemple yoruba, ce chapelet que lon jette
dune certaine manière sur le sol afin dexaminer
la configuration formée par la disposition des huit demi coquilles
de noix ;
2) le sable dans lexemple
malien, ce sable qui provient dun endroit déterminé
et que le devin parcourt de ses doigts selon une technique déterminée ;
3) le fétiche, dans lexemple
congolais ;
4) et le coran dans lexemple
marocain.
Les
objets techniques
On notera que lexistence
de ces objets techniques a pour conséquence évidente de
rendre la relation thérapeute-patient opératoire, presque
mécanique, den évacuer compassion et sympathie
bref de transformer la banalité du lien intersubjectif en espace
technique susceptible d'agir sur le monde. On peut affirmer quun
devin travaillant avec de tels objets ne "comprend pas intuitivement",
comme une lecture naïvement psychologique aurait tendance à
le laisser penser. Il médiatise linvisible ; il commerce
avec les esprits, il négocie dautres issues aux écritures
du destin cest ce quil prétend, et cest
aussi ce quil met en uvre. Les objets techniques lont
toujours mis en relation avec une chose que les humains ordinaires ne
voient pas. Mais avant tout, ces objets techniques ont versé
son activité au domaine dune théorie saisissante,
dune spéculation proposant une solution aux grandes énigmes
de lexistence.
les
devenirs
Lexemple congolais propose
par exemple une hypothèse prodigieuse. À la question :
"comment se fait-il que lon peut agir sur les hommes",
le dispositif congolais construit autour du fétiche répond :
"cest que les hommes sont objets". Plus que cela :
"les hommes sont des objets manufacturés".
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Le fétiche
Fétiche à clous (Congo) |
Ce que lon nomme fétiche
[35],
au Congo, comme dans de très nombreux pays africains est assez
variable et peut aller dune simple barre de métal fichée
dans le sol à de véritables uvres dart, par
exemple en forme de statuettes. Mais il se trouve que tous les fétiches
ont ceci de commun quils sont constitués dun agglomérat.
Le meilleur exemple pourrait en être ce monticule de terre dans
lequel ont été introduits au fil des ans le sang des animaux
sacrifiés, le gin, le vin de palme, la bière et les limonades
des offrandes, diverses substances provenant dhumains, des plantes,
mais aussi des paroles, prononcées chaque jour. On compare souvent
ce type de fétiche aux termitières et lorsque lon
sait comment travaillent les termites, mâchonnant sans cesse le
bois pour en faire une sorte de pâte et bâtissant inlassablement
des édifices toujours plus grands, véritables machineries
à transformer du multiple en homogène, on ne peut quêtre
saisi par la similitude. Le fétiche est une termitière ;
le travail de lhomme pour le construire, mâchonnement de
termites.
Laboutissement de la consultation,
cest-à-dire le fait que l'on amené le fétiche
à se prononcer sur un problème humain est évoqué
par les Congolais dans lénoncé suivant : " Nous
savons que vous autres ne croyez pas à ce genre de choses, mais
le fétiche a parlé ! " Et il arrive souvent
quils insistent : " il a parlé comme vous
et nous, comme nous parlons ! "
Ninterprétons pas ;
essayons seulement de pénétrer le monde dessiné
par cette technique. Ainsi donc, un agglomérat de matières
hétéroclites dont seuls les initiés détiennent
la formule, se comporte comme un être vivant, réagit aux
demandes et aux mises en demeure plus que cela, il réagit
comme un être humain : il parle ! Mais allons plus loin
dans le raisonnement : si un objet manufacturé, composé
dun assemblage de matières hétéroclites parvient
à parler intelligemment, cest que les êtres dont
la principale caractéristique est de parler, les humains, sont
également des conglomérats composites. Ainsi, la spéculation
entretenue par le dispositif congolais pourrait-elle se résumer
dans cette seule formule : les humains sont des objets manufacturés
(puisque si lon fabrique correctement ces objets que sont les
fétiches, ils se comportent à leur tour comme des humains
et se mettent à parler).
Lon pourrait appeler devenir-objet
manufacturé la théorie que proposent de tels dipositifs,
adossés comme ils le sont aux fétiches. Devenir-objet
manufacturé des humains et devenir humain des fétiches.
Il ne sagit pas de traiter les humains comme sils étaient
des objets, c'est presque le contraire puisqu'il faut avant tout
traiter certains objets manufacturés comme sils étaient
humains ! Mais en agissant une telle pensée, notamment au
travers de leurs techniques divinatoire et thérapeutique, les
Congolais dessinent un être-chose complexe, un être-fétiche,
technique. Hissant lobjet technique au sommet du dispositif, ils
construisent du fait même du déroulement du processus un
point métamorphosique lointain, une ligne (Deleuze dirait :
"une ligne de fuite") conduisant de lhomme à
cet être étrange et composite. Et il faut dire que lon
constate quelquefois cette métamorphose puisque certains humains
particulièrement valeureux pourront être un jour eux mêmes
transformés en fétiches, troquant une vie spontanée
mais limitée pour une vie éternelle léternité
durant aussi longtemps que leurs descendants continueront à les
honorer quotidiennement de leurs offrandes.
Notons que le nom commun que lon
donne à ce type de thérapeutes dans les pays francophones
est "féticheur " et constatons quil est
au fond bien choisi pour ce personnage qui est à la fois fabricant
de fétiche et représentant dune pensée théorique
selon laquelle le meilleur devenir pour lhumain et de réussir
sa transformation en objet manufacturé.
Les avantages de cette spéculation
mise techniquement en acte sont facilement compréhensibles. Si
les hommes peuvent être des objets manufacturés ; et si,
dautre part, des professionnels compétents parviennent
à fabriquer des objets comparables et qui parlent !
alors je pourrais, avec leur aide, agir sur tel humain, infléchir
sa volonté, lui glisser dans lesprit des intentions qui
me seront bénéfiques, le "réparer", le
soigner le tuer, tout autant ! Reste à trouver le
professionnel compétent, celui qui détient, dans son propre
devenir-objet, dans sa propre fabrication, devrait-on dire, les éléments
permettant de démonter la fabrication que je lui présente.
Au fond, il sagira alors de jouer un objet technique contre un
autre.
On le devine, dans de tels systèmes
thérapeutiques, le thérapeute, lui-même conglomérat
dobjets anti-objets est toujours soupçonné dêtre
aussi on espère à dautres moments quà
ceux quil me consacre un sorcier, un fabricant dobjets
de destruction [36].
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Proposition 11 |
Dans les dispositifs thérapeutiques,
lobjet a pour principale fonction de permettre à la théorie
spéculative de se développer, de se démontrer,
et, in fine, de se répandre par contagion.
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Le Livre
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Dans ce premier exemple du fétiche
congolais, aux contours nets, on voit à luvre une
pensée qui refuse les compromis et saventure dans des spéculations
audacieuses : et si les hommes nétaient que des fabrications,
des objets manufacturés ; et si ce que les hommes pouvaient
rechercher de plus précieux était précisément
de devenir des objets manufacturés
Que nous donne maintenant
lexemple du cheikh musulman interrogeant le Coran ?
Au premier abord, le Coran semble un texte, mais à observer le
comportement des Musulmans, il sagit bien dune chose, au
sens dun être qui cause, qui agit. Le seul fait dapprocher
le texte peut capturer humain et non-humain. Ainsi en est-il des djinns
qui auraient entendu le prophète réciter le Coran
et se seraient spontanément convertis à lIslam.
Entendre le texte, le lire, capture et emporte la personne vers une
nouvelle vie ; prier lexpulse du monde profane pour le projeter
dans un univers orienté, polarisé. Répéter
inlassablement certaines formules coranniques, comme le font les Soufis
dans les exercices de dhikr peut même les conduire
à partager la substance divine. Mais le Coran est une chose avant
tout parce quil produit des objets techniques, des amulettes qui
agissent sur les événements, sur les humains et les non-humains,
des talismans qui protègent, qui guérissent. Car ici,
la matière première des objets techniques est toujours
le texte coranique.
En arabe, ´Hijab ,
de ´hajab, "cacher", désigne "lhymen"
de la jeune fille, mais aussi "le voile" dont la femme se
couvre la tête, parfois le visage. Et ´Hijab désigne
avant tout "lamulette", celle que fabrique le cheikh.
La langue indique donc que le ´hijab est cet objet qui
permet de se protéger de la pénétration dautrui :
la jeune fille de la pénétration sexuelle, la femme de
celle des yeux jaloux, envieux ou concupiscents et tout un chacun de
la pénétration du sorcier de les protéger
en les cachant. Talsama, qui a donné le français
"talisman" signifie "fabrication ", "composition"
puisque lobjet est, tout comme dans lexemple congolais un
assemblage. Autre étymologie : le mot "talisman" proviendrait
du grec telesma ("bénédiction") et amulette
du verbe latin amoliri, "se défendre". Poursuivons
néanmoins sur l'étymologie arabe : nous devons distinguer
deux niveaux dassemblage : celui qui combine les macro-éléments
à luvre tels que le contenu du texte, notamment les
noms des démons ou des anges invoqués, les paroles prononcées
durant la fabrication, le jour et lheure de la fabrication, la
puissance du fabricant, notamment du fait de son alliance avec ses djinns.
Mais aussi lassemblage de ce que nous pourrions appeler les micro-éléments :
les lettres, les contiguités de certaines lettres, les compositions
de ces lettres (jedwel, "carrés magiques"),
lencre, la texture du papier ou lanimal dont on a tiré
le parchemin. Kitab, "écriture" (au sens d'amulette),
"livre" (en hébreu : ketav ;
ktivi en araméen), "lécrit" désigne
tout aussi bien le même objet, tant il est évident quune
écriture est par nature cet objet qui agit [37].
À considérer la langue, nous voyons apparaître une
première série de significations autour de la fonction
de lobjet : il cache, il protège, mais il peut aussi
envelopper, envoûter. Une seconde série de significations
aborde la nature de lobjet : il sagit dun assemblage
impossible à défaire déléments hétéroclites
lensemble constituant une sorte dêtre vivant
qui agit avec une certaine intelligence. Les "écritures",
une fois fermées, il est quasiment impossible de les "défaire".
Les fermer, cest parvenir à les penser totales, à
réussir si bien leur composition, que les lettres deviennent
cellules dun corps vivant, impossibles à dissocier. On
aide cette fermeture pour ainsi dire "conceptuelle" par une
ligature, en cousant lécriture dans un tissu ou dans une
peau. La ligature physique vient souligner de manière redondante
la fermeture obtenue par la cohérence condensée du sens.
Un autre mot désignant les amulettes insiste justement sur la
ligature : en arabe khatem (khotam en hébreu),
la bague, mais aussi le sceau, ce qui clôt, qui scelle, par exemple
un courrier. Le mot hébreu kaméa, qui a donné
le français "camée", regroupe les notions de
petit objet, dobjet concentré et aussi de "ligature".
Il sagit cette fois de préciser la façon dont on
fabrique lobjet, lintentionnalité qui anime cette
fabrication, aussi ! On lie la personne en clôturant lobjet ;
on clôture la personne, on la protège, en ligaturant lobjet.
Cette série de désignations nest pas exhaustive,
mais nous ne pouvons oublier deux mots en hébreu qui nous éclairent
sur la logique générale : shemot , "les
noms", sans doute du fait que la plupart du temps amulettes et
talismans sont truffés de noms de dieu, danges ou de démons ;
et aussi davar qui désigne à la fois "la
parole" et "la chose" mot que lon retrouve
presque intact au Mali, en soninké comme en bambara avec une
signification très voisine : dabari
lobjet maléfique, lobjet fabriqué pour nuire.
Comment mieux dire que lobjet actif, lobjet doué
dintention est là assemblage spécifique décrits ?
Comment ne pas en déduire que lhumain, lui aussi vivant,
lui aussi riche dintentions est au fond lui aussi un écrit ?
Comment alors ne pas être tenté den modifier la formule,
pour le soigner ou pour lui nuire ?
La formule des thérapeutes
musulmans est donc une invitation à un devenir-texte
proposée à lhumain. Malheureusement lorsque la matière
est texte, du fait de la proximité du sens, on nest pas
loin daller y chercher des métaphores : il sagirait
alors de ne voir dans les amulettes "quune parole qui protège,
qui enveloppe" ou bien, sur le mode de linterprétation
ethnocentrique, on peut trouver des formules qui dénaturent l'action
et injurient ses usagers comme "boire des paroles" ou "boire
du signifiant". Il faut dire que les Musulmans eux mêmes,
lorsquil sagit de minimiser aux yeux dun étranger
ou dun enfant, bref dun profane, limportance quils
attachent aux kitab , usent eux mêmes de telles formules
métaphorisantes. Lon peut comprendre ces formules comme
des sortes de conjurations. Allons nous les suivre dans cette voie de
la simplification faite pour tenir le profane à distance ?
Bien mal nous en prendrait car dans ce genre de fabrication, on ne traite
pas avec les idées contenues dans les noms et dans les mots,
ni même avec les sons, mais avec la matérialité
du texte, la concrétude de lécriture. Le premier
degré de lintervention du cheikh est souvent la
fabrication dune solution de lettres solution au sens chimique
du mot , dun liquide où lon a dilué
lécrit. Pour une protection, lordonnance contient
alors trois prescriptions : se laver avec, la boire (par exemple
une fois par semaine, tous les jeudi durant sept semaines) mais aussi
en porter une autre, dont le texte est identique à celui de la
dilution, contre son cur, dans son porte-feuille ou, pour une
femme, épinglée au soutien-gorge dedans, autour
et au centre, comme un cur. Lon peut voir les thérapeutes
écrire la sourate , le verset, sur une planchette de bois,
à laide dun roseau conçu à cet effet,
le calame , avec une encre végétale fabriquée
tout exprès selon des recettes précises, la laver à
leau, recueillir leau quils introduiront ensuite dans
un récipient, quils remettront finalement au patient. Peut-on
encore prétendre que le patient boit du symbole ? En règle
générale il ignore le contenu du texte. Naturellement
quil le sait contenir des paroles sacrées. Va-t-on choisir
de le penser niais, crédule, influençable, suggestionnable ?
Je préfère quant à moi faire le pari de son intelligence,
miser sur sa compréhension profonde de la théorie que
lui propose le thérapeute, le penser intéressé
à jouer ce jeu là, celui de saventurer, le temps
de la thérapeutique dans un devenir-texte , influencé
par des mots, conglémarat de mots lui-même lui qui,
au fond, nest quun nom. Les Sémites, de la racine
S(H) M, "le nom" (en hébreu shem ; ism
en arabe), ceux qui sont faits du nom, eux qui ont inventé lécriture
alphabétique, continuent à mettre en uvre, à
travers leurs exercices thérapeutiques, la théorie selon
laquelle ils seraient constitués de lettres [38].
Voici donc lenjeu théorique
de la compréhension de la fonction des objets dans les dispositifs
thérapeutiques : sans objets, nous sommes condamnés
à penser un patient-girouette, soumis à ses erreurs
qui va "voir son père dans son thérapeute",
comme sil ne percevait pas la différence et qui finit par
guérir du moins dans ce type de dispositifs "pour
de mauvaises raisons"[39],
du fait de "lefficacité symbolique" du texte.
Mais si le patient savait que ce texte était symbolique, prêtons
lui lintelligence de préférer alors la chose symbolisée
au symbole ! La cause serait ridicule comparée à
leffet : dun côté un leurre, une croyance
naïve, et de lautre, une métamorphose. Un tel raisonnement
blesse la logique. Plus grave, il corrompt qui le tient, lui créant
un précédent, lautorisant à quitter par la
suite la terre ferme de la rationalité, notamment durant la prise
en charge de ses patients.
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Proposition 12 |
Lobjet présente
une double garantie : il oblige le thérapeute à
faire le pari de lintelligence du patient ; il permet au
patient de situer avec précision la théorie de son thérapeute.
Si lon considère
maintenant lensemble du dispositif, on voit comment il actualise
une tradition de pensée que partagent Juifs et Musulmans, daprès
laquelle la source de toute vie, est "le nom". Baroukh
hachem , disent sans cesse les Juifs, "béni soit le
nom", pour remercier tout comme pour conjurer leur peur ;
bismillah , disent les Musulmans, "avec laide du nom
de Dieu", certifiant que chaque action quils réalisent,
chaque événement auquel ils assistent ne peuvent être
produits qu'avec l'aide du nom de Dieu. Le nom de Dieu que nul ne connaît
pourtant, ni les Juifs avec les quatre consonnes [40],
ni les Musulmans avec les 99 attributs.
.
de
quelques subtilités techniques du traitement de lobjet
Nous voici donc parvenus à
quelques idées fortes que lon pourrait résumer ainsi :
dans les dispositifs thérapeutiques, il ny a pas de dupe,
et cest bien ainsi. Le thérapeute est au service dune
chose, une chose telle que je lai définie plus haut ,
et la chose offre un destin métamorphosique à lhumain,
ce que Deleuze appelle un devenir. Le patient apprend à
connaître la chose, découvre laventure quon
lui propose et consent à sy engager pour deux raisons :
parce quil en attend une amélioration de son état,
sans doute, mais surtout parce quil veut tenter la transformation.
Ou plus exactement parce quil comprend quaucun changement
ne peut advenir sil ne joue pas le jeu de la métamorphose.
Le sujet de la psychothérapie, naguère actif et agi à
son insu, devient dès lors un parieur s'engageant dans des aventures
intellectuelles impossibles. Voila le véritable "contrat" thérapeutique
(il ne s'agit pas vraiment d'un contrat mais d'un commerce plus proche
du pari et du jeu) et toutes les techniques y souscrivent. Mais à
lintérieur de cet espace ainsi défini par le contrat
initial, espace que lon pourrait également définir
comme une sorte de champ de forces, les objets techniques vont venir
affirmer le bien-fondé de la proposition initiale, confirmer
le développement de la métamorphose.
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Le nom |
Pour les guérisseurs juifs,
une chose, une chose unique produit la vie : le nom de Dieu. Le
nom de Dieu est la chose des Juifs. Qui détient le nom de
Dieu est maître de la vie et de la mort. Or, pour les Juifs,
personne ne connaît le nom de Dieu. Cela pourrait sembler paradoxal
au premier lecteur venu de la Bible, tant ce nom y est inscrit un nombre
incalculable de fois. Mais il semble bien que le nom figurant dans le
texte soit un faux, ou une interjection, peut-être même
un acronyme ou simplement un leurre. Cest pourquoi les Juifs,
plutôt que de se tromper dans la désignation de leur Dieu
ne lisent pas le mot écrit, le tétragramme (YHVH) et le
remplacent par adonay, "mon maître, mon seigneur".
Voici donc la situation : la chose, celle qui cause les malheurs
du peuple, celle qui pourrait aussi le sauver, comme elle y est quelquefois
parvenue dans lhistoire, cette chose est un mystère. Le
nom de Dieu est bien cette chose car Dieu lui même est soumis
à la force de son nom. Lon peut en effet modifier le destin
quil a tracé en manipulant son nom. Lêtre de
Dieu est dans son nom, tout comme lêtre de chaque juif est
aussi dans son nom. Les juifs sont des s(h)émites, faits
du "nom", leur dieu l'est aussi ! Dans leur recherche du nom de Dieu,
les Juifs possèdent quelques indices : le véritable
nom de Dieu est bien inscrit dans la Bible le problème
étant de savoir où et comment ? Cest pour cette
raison que les Juifs depuis lantiquité parcourent en tous
sens leur texte sacré ; obsédés par la seule
recherche qui vaille leur peine, ils ont compris que toute interprétation
était provisoire, que toute lecture était circonstancielle.
Autre indice : le nom de Dieu est une combinaison particulière
de lettres, une sorte de super amulette. Cest pourquoi la Kabbale
essaie de trouver des règles de combinaison que lon pourra,
une fois définitivement établies, appliquer au texte pour
découvrir le nom de Dieu. Certains récits relatant la
vie de rabbins-guérisseurs célèbres, comme le Baal
Chem Tov (dont le nom signifie " le maître du bon nom ")
affirment quils ont détenu le nom de Dieu mais ne lont
pas transmis, redoutant les ravages que cette connaissance aurait pu
produire entre des mains profanes. Dautres récits romanesques
relatent lhistoire de rabbins imaginaires et des prodiges quils
ont pu accomplir en détenant le nom de Dieu, telle lhistoire
du Golem où le rabbin inscrit sur le front dune statuette
de terre le nom de Dieu et fabrique un monstre, prototype de celui de
Frankenstein. Conséquence dune théorie de lunivers
où tout ce qui est animé de vie, tout ce qui est création,
nest animé que par une force unique : lhistoire
est orientée. Au fond, lhistoire des Juifs pourrait se
résumer aux progrès de la recherche du véritable
nom de Dieu et sa fin prévisible au moment de sa découverte.
Autre conséquence : une relation égalitaire entre
le peuple et son dieu car si le peuple découvrait réellement
le nom de son Dieu, aucune supériorité ne subsisterait
finalement à la divinité, tout au contraire ! Lon
pourrait même imaginer laction dun rabbin fou faisant
disparaître Dieu par la force de son propre nom.
Mais comment une telle force
peut-elle être contenue dans mot, un unique mot ? Dans un
mot, certes, mais on imagine aisément quil ne sagit
pas du simple "mot-son", on la sait enfouie dans un corps
composite, un amalgame déléments hétérogènes
faits du texte (quel texte ?), du support (quel support ?),
de lencre ou de son équivalent, des paroles à prononcer
durant lopération, de la purification préalable
que doit simposer le scribe. Voici donc quelques éléments
dune trame de cette théorie prodigieuse à laquelle
invite le guérisseur juif un devenir-nom. Le patient
y consent à la première demande du professionnel :
"dis moi ton nom et le nom de ta mère" [41],
signifiant par là quil se situe à lintérieur
de la théorie du nom. Le guérisseur pourra également
demander la ketouba du patient, le contrat de mariage qui la
lié à son épouse ou, s'il n'est pas marié,
celle de ses parents, ou encore les mézouzot , les parchemins
de fragments du texte sacré fixés au linteau de ses portes.
Dans chaque cas, il parcourera le texte, à la recherche des erreurs,
de leffacement des lettres. Il analysera les erreurs, les distorsions,
en fera un diagnostic, corrigera le texte. La plupart du temps, il finira
par confectionner une amulette sur du papier, du parchemin ou du métal.
Il a fait son diagnostic à partir de lanalyse des lettres,
de leur état, il a fabriqué lamulette en tenant
compte de cette analyse, surtout à partir des principes de fabrication
quil a appris auprès de ses maîtres, mais toujours
à partir des lettres. Finalement, cette amulette sera sa propre
interprétation du nom de Dieu. Lamulette se révèlera
toujors un nom incomplet, et la puissance dun guérisseur
pourra se mesurer à sa capacité à en avoir saisi
au moins un fragment.
Ainsi, chaque fois que le guérisseur
juif doit agir sur de la substance figée, inerte comme la glèbe,
comme par exemple sur un malade, c'est-à-dire toujours un être
humain ayant perdu sa vitalité, il tentera une nouvelle fabrication
du nom de Dieu. Le nom de Dieu, cette force dune puissance inouie,
le guérisseur va entreprendre den détourner une
parcelle pour ses propres desseins en principe seulement thérapeutiques.
Chaque fois quil accomplit cet acte spécifique, la confection
dune amulette, le guérisseur juif tente une nouvelle fois
dêtre Dieu fabriquant Adam. Toute la théorie juive
de la chose est donc contenue dans une seule de ses consultations. Et
cest ainsi que le perçoit le patient. On comprend qu'il
entre dans la proposition avec enthousiasme, avec passion et
non pas du fait de quelque crédulité "transférentielle".
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Proposition 13 |
À chaque mise en uvre dune
procédure thérapeutique, le thérapeute déploie
la totalité du devenir métamorphosique quelle
propose.
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La dormeuse |
Une fois exposé le fonctionnement
des objets, nous voilà, il me semble, suffisamment outillés
en propositions générales pour tenter de comprendre comment
fonctionnent les dispositifs thérapeutiques qui excluent les
objets. Considérons un instant un cas intermédiaire, lexemple
antillais. Un guérisseur, la plupart du temps, il sagit
dun homme, travaille en équipe avec une femme, sa "dormeuse".
Lorsque le problème lui est présenté, la femme
entre en état second : elle peut être agitée
de mouvements convulsifs, manifester une sorte de transe, ou bien simplement
fermer les yeux. Elle se mettra alors à parler ou à écrire
les yeux fermés, dune "écriture automatique".
La plupart du temps, ce quelle dit, ce quelle écrit,
est a priori incompréhensible. Ce sera précisément
le rôle de son partenaire que de linterpréter. Il
sagira de deviner, certes, mais aussi de déclarer, dexpliquer.
Souvent, elle dénoncera des actes de sorcellerie commis contre
le patient ; elle pourra aussi lui rappeler quil na
pas respecté certaines obligations envers des morts ; quil
a négligé des manifestations desprits
Puis,
elle lui proposera des solutions techniques : des bains, des thés,
des prières, des neuvaines
[42]
. Quoiqu'il soit devenu difficile
de rencontrer des dispositifs fonctionnant totalement selon ce modèle,
sa logique reste inscrite dans ses dérivés actuels. On
ne peut dabord quêtre frappé par la ressemblance
entre ce dispositif et celui du marquis de Puysegur : un thérapeute
et une sibylle, tous deux parties indissociables du même mécanisme.
Il est dailleurs probable que cette ressemblance n'est pas fortuite
puisque le magnétisme qui a joui durant le 19ème
siècle dune notoriété considérable
[43]
a certainement émigré
aux colonies. Ici, donc, à première vue, pas dobjet.
Non pas que le guérisseur antillais nen utilise pas, mais
pas durant cette période préliminaire de divination, que
lon pourrait dire de "diagnostic". La sibylle en transe
doit être considérée comme lobjet du séancier
et vice versa. Comment alors identifier la chose au service de
laquelle ils sont placés ? Notre rapide description de lexpérience
de Puysegur nous a tout de même fourni une hypothèse. Je
ferai donc la proposition suivante : derrière les apparences
du monde, il existerait un arrière-monde, éthéré,
aux contours imprécis, mais dans lequel tous les humains seraient
reliés par un fluide. On peut même facilement en imaginer
la mécanique : je partage mon eau, la même eau avec
tous les êtres vivants de la planète. Leau contenue
dans mon corps en sort sous diverses formes : pleurs, sueurs, urine,
défécation, puis elle sen va rejoindre une autre
eau, un égout, un ruisseau, une rivière qui, finalement,
sen finira à la mer. Puis, lévaporation reprendra
une part de cette eau, la fera pleuvoir en un autre endroit, doù
elle ira constituer des nappes phréatiques dont cet autre que
je ne connais pas tirera leau quil boira. Mon eau, qui a
transité par mon corps, ira donc irriguer le corps de lautre
la même eau ! Qui sait en effet si leau des
larmes versées par Juliette nont pas été
un jour, sous une autre forme dans le corps de Romeo. Lénoncé
implicite du dispositif thérapeutique devient dès lors
perceptible. Puisque cest la même eau que partagent tous
les vivants, peut-être partageaons nous également dautres
fluides, à la nature moins précise, des ondes, du magnétisme
Si cette proposition était vraie, on peut imaginer que
certaines personnes, peut-être rendues particulièrement
fragiles par la maladie [44]
, seraient capables de pénétrer
dans cet espace général commun et fluidique et den
rapporter des informations. Lon pourrait dire que la théorie
spéculative proposée par le dispositif antillais est celle
dune sorte de devenir-eau. Signalons en passant quil
nest pas étonnant quen France, pays aux milliers
de sources et de fontaines, le magnétisme ait eu un tel succès
et continue à hanter les méthodes de la majorité
des guérisseurs [45]
qui, souvent, se prétendent
aussi magnétiseurs ou radiesthésistes La France
où la langue confond volontiers sorcier et sourcier.
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La cure : une aventure intellectuelle |
Lhumain en tant quobjet
manufacturé, texte, nom ou eau, voilà donc quelques devenirs
proposés par des thérapies assez bien connues et dont
on peut facilement rencontrer des représentants en Europe. Lidée
que jai empruntée à Deleuze, celle du devenir,
permet de dépasser une indécision sur laquelle butent
les pensées sur la psychothérapie qui oscillent entre
les deux questions : Doit-on définitivement allouer au patient
un rôle de dupe, denfant à éduquer, dêtre
immature à protéger et voir dans le processus mis en uvre
un théâtre dillusions ? Ou peut-on faire le
pari du contrat librement engagé ? Il me semble que lon
peut voir ici se dessiner une hypothèse tout autre, ni affaire
de dupes ni contrat de type capitaliste libéral, une hypothèse
qui permettrait de remettre au patient, à son entourage, à
déventuels groupes de représentants une part de
lexpertise mise en jeu dans les cures qui, pour lheure,
ne revient quaux professionnels. Nous touchons là, bien
sûr, une question politique urgente [46],
mais aussi une question technique. Je suis en effet persuadé
que lon gagnera à la fois en compréhension des mécanismes
et en capacités dinnovation en trouvant le moyen dattribuer
au patient un autre rôle que celui du dupe, de lenfant ou
du manager de multinationale. Si lon ma suivi jusqualors,
on a sans doute compris quun dispositif thérapeutique était
une invitation en cela, il est vrai, il comporte une part de
séduction. "Si tu tengages avec moi dans laventure
du devenir-eau, le secret des fluides te sera révélé
"
Ce type dénoncé, pourtant à mon sens le plus
honnête pour décrire les dispositifs thérapeutiques,
comporte une part dincroyable, de spéculation métaphysique,
pourrait-on dire, mais je crois que cette part est inhérente
à la psychothérapie. Cest en cela que la psychothérapie
peut se révéler subversive et non pas du fait des contenus
théoriques quelle véhicule, toujours "récupérables",
absorbables par les pouvoirs politiques en place. Mais le revers de
la médaille est que le dispostif thérapeutique produit
spontanément des adeptes. Cest aussi en raison de sa capacité
à séduire, à enrôler, à constituer
des groupes, à construire des hiérarchies parallèles
que les autorités se méfient des dispositifs thérapeutiques[47]
et tentent de les contrôler [48].
Cest par la reconnaissance
du caractère à la fois risqué et spéculatif
de lentreprise thérapeutique que lon pourra réintroduire
lexpertise des patients, de leurs familles, de leurs représentants,
autant dacteurs qui seraient alors invités à témoigner
que le pari dun devenir-eau ou dun devenir-lettre
pourrait constituer une bonne affaire.
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Proposition 14 |
Il sagira de rien de moins
que dinstituer réellement ce que Bruno Latour a fort
bien nommé un "parlement des choses" , auquel jadjoindrai
pour ma part une seconde chambre, abritant un "parlement des
dieux".
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Application
de la théorie des choses et des objets aux formes savantes de
la thérapie
Nous avons donc établi
que, pour le patient, la thérapie constituait une aventure intellectuelle,
un pari ; pour le thérapeute un engagement à mobiliser
la chose au profit du patient. Les conséquences du consentement
du patient peuvent se rapporter à trois lignes de tension :
1) vers la réussite dune
métamorphose impossible, avec lespoir dun surplus
de savoir et d'imagination et, en général, une amélioration
de son état ;
2) vers la compréhension
et la maîtrise dune pratique, le maniement expert dobjets
techniques et de méthodes ;
3) vers son agrégation
à lunivers du thérapeute selon des degrés :
apprentissage, initiation, conversion.
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La conversion |
En labsence dobjets
techniques, la conversion peut apparaître comme la seule issue
des dispositifs thérapeutiques ; une conversion qui est
bien un devenir mais qui ne se règle pas sur de lhétérogène.
Nous aurions pu nous douter que nous allions parvenir à ce résultat
à considérer comment dans de très nombreux pays
africains, par exemple au Congo, au Bénin, au Nigéria,
au Cameroun
, le refus des fétiches trouve son expression
la plus courante dans ladhésion aux églises charismatiques
qui proclament que la conversion au christianisme est la meilleure façon
de lutter contre la sorcellerie.
Dailleurs, la plupart des
systèmes thérapeutiques se revendiquant chrétiens
prétendent que la conversion est à la fois la cause et
laboutissement de la guérison. position bien connue,
apparaissant telle quelle dans les Écritures .
32 Or
il arriva que Pierre, qui se déplaçait continuellement,
descendit aussi chez les saints qui habitaient Lydda. 33 Il trouva là
un homme du nom dEnée, allongé sur un grabat depuis
huit ans ; il était paralysé. 34 Pierre lui dit :
" Enée, Jésus Christ te guérit. Lève-toi
et fais toi-même ton lit ! " Et il se leva aussitôt.
35 Layant vu, toute la population de Lydda et de la plaine de
Saron se tourna vers le Seigneur.
Énée guérit
en devenant chrétien, mais la guérison dÉnée
convertit la population de Lydda. Le même mécanisme, décrit
dans lexemple suivant :
36
Il y avait à Joppé une femme qui était disciple,
elle sappelait Tabitha, ce qui se traduit par Dorcas. Elle était
riche des bonnes oeuvres et des aumônes quelle faisait 37
Or, en ces jours-là, elle tomba malade et mourut. Après
avoir fait sa toilette, on la déposa dans la chambre haute. 38
Comme Lydda est proche de Joppé, les disciples avaient appris
que Pierre était là et ils lui envoyèrent deux
hommes chargés de cette invitation : " Rejoins-nous
sans tarder. " 39 Pierre partit aussitôt avec eux. Quand
il fut arrivé, on le fit monter dans la chambre haute, et toutes
les veuves se tenaient devant lui en pleurs, lui montrant les tuniques
et les manteaux que faisait Dorcas quand elle était en leur compagnie.
40 Pierre fit sortir tout le monde et, se mettant à genoux, il
pria ; puis, se tournant vers le corps, il dit : " Tabitha
lève-toi. " Elle ouvrit les yeux, et, à la vue de
Pierre, elle se redressa et sassit. 41 Il 1ui donna la main, la
fit lever et, rappelant les saints et les veuves, il la leur présenta
vivante. 42 Tout Joppé fut au courant, et beaucoup crurent
au Seigneur.
Actes
des apôtres, 9, 32-42 (souligné
par moi)
Le modèle est ici dune
simplicité limpide. La conversion guérit (Jésus
te guérit) et la guérison convertit (Tout Joppé
fut au courant, et beaucoup crurent au Seigneur). Non seulement
cest la croyance qui déclenche la guérison, mais
la guérison devient véhicule de croyance. La guérison
dun seul pouvant, du moins dans le texte, convertir une communauté
tout entière.
Pas de devenir chose sans
objet technique ! Les psychothérapies que jappelle
"savantes", par leur refus de tout objet technique, se condamnent
de ce fait à produire massivement des phénomènes
de conversion, n'engageant pas les personnes dans des devenir-chose.
Les problèmes actuels posés par lexistence des sectes
qui recrutent très souvent leurs adeptes à laide
dune promesse dinitiation, tout en étant incapables
de proposer un devenir-chose se manifestent également
par de véritables épidémies de conversions. Voilà
donc le problème essentiel des psychothérapies. On peut
imaginer que le Freud des débuts, enthousiasmé devant
ses premières découvertes, aurait pu sorienter résolument
vers la fabrication dune chose. Linconscient des débuts
en portait certains caractères. Mais il lui aurait fallu une
audace supplémentaire pour imaginer les techniques susceptibles
de convoquer, de modifier, de tromper linconscient. Si l'inconscient
avait été conçu comme susceptible d'entretenir
commerce avec les humains, si Freud l'avait imaginé riche d'intentions,
doué d'une écologie spécifique en d'autres
termes, s'il l'avait pensé "être" plutôt qu'organe,
la proposition thérapeutique de la psychanalyse aurait pris une
tout autre dimension. Lerreur de Freud nétait pas
"scientiste", comme on a parfois tendance à le laisser
croire, plutôt pas assez, au contraire pas assez scientiste
pour atribuer une vie réelle et autonôme à son inconscient.
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La chimie |
Nous devrions maintenant être
à même de comprendre des systèmes thérapeutiques
plus proches de nous, dapparence moins exotique. La chimiothérapie
moderne est en train de construire une chose incroyable, un être
fait de molécules élémentaires dont découle
sa qualité de vivant. La chimiothérapie propose un devenir
qui tient à la fois du devenir-plante des
Amérindiens et du devenir-lettres des guérisseurs
juifs. Sa passion de la combinatoire la conduit en effet à des
recherches qui nont rien à envier aux tentatives les plus
fantaisistes des rabbins de la renaissance. De plus, elle dispose dobjets
en grand nombre, les molécules, lui permettant de médiatiser
le rapport à sa chose. Cest pourquoi je pense quen
psychiatrie, la chimiothérapie réalise le véritable
aboutissement de la proposition psychothérapique. Dailleurs,
elle parvient à mobiliser les intelligences et la créativité
dans ses laboratoires de recherche, à reconstruire des professions
entières qui se redéfinissent à partir des médicaments.
Plus même, ce qui constituait jusqualors le noyau de la
psychiatrie, ce quelle avait mis cent ans à bâtir
pierre après pierre, sa nosographie, est en train de voler en
éclats, dêtre totalement restructurée par
lirruption de ses objets techniques. Dans un même mouvement,
elle redéfinit le poison, la drogue et distribue des certificats
de licitité aux substances à lalcool, au
tabac, au hachich mais aussi au khat, au thé, aux noix
de cola, au LSD, etc. Pour reprendre les formulations précédentes,
elle expédie lhumain dans un devenir-chimie, un
peu comme le
peut-être même à la suite
du
chamanisme qui lexpédiait hors de son monde
jusquà le faire frôler un devenir-plante[49].
Elle lui fournit ce sentiment excitant de vertige qui pousse le sujet
à la chose, à son noyau-même. Dans cette perspective,
les usagers des drogues ne devraient pas être considérés
comme des toxicomanes mais comme des chercheurs qui auraient trop adhéré
aux propositions de la chimiothérapie, qui lauraient réellement
prise au sérieux. Il est prévisible que la chimiothérapie
viendra désormais recruter parmi les humains en bonne santé,
leur proposant de jouer de leur humeur (prozac ) de leur sexualité
(viagra ), bientôt de leur métabolisme, de leur
longévité
Mais pour parler de ce devenir, il y en
a de bien plus compétents que moi
[50]
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Notes
[*]
Article paru dans Ethnopsy/Les Mondes Contemporains de la Guérison,
N° 4 et entièrement revu par l'auteur.
[1].
Lon comprend quici je soutiens lidée de la
possibilité de mener concurremment, dans le même temps
et dans le même espace, psychothérapie et recherche sur
la psychothérapie et cela tant pour lanalyse du
dispositif que de celle du processus mis en uvre. Je demande donc
au lecteur davoir la patience de lire ce que je crois être
une démonstration jusquau bout.
[2].
Tobie Nathan, Linfluence
qui guérit, Paris, Odile Jacob, 1994 pour ma discussion
de " linfluençologie " et " éléments
de psychothérapie " in T. Nathan, A. Blanchet, S. Ionescu,
N. Zajde, Psychothérapies , Paris, Odile Jacob, 1998,
pour le développement et lapprofondissement de cette idée.
[3].
Didier Fassin, " L'ethnopsychiatrie et ses réseaux.
L'influence qui grandit ", Genèses, n°
35, 1999. Voir aussi ma réponse : texte
intégral en ligne.
[4].
Chertok L., Stengers I. Le cur et la raison. L'hypnose
en question de Lavoisier à Lacan. Paris, Payot, 1988.
[5].
À la question "comment transformer un être humain en sujet
récalcitrant et non en zombie au service de la théorie
de son thérapeute ?", la réponse est évidente :
"en l'incluant dans un collectif dont il peut, à tout moment,
se déclarer le représentant". Certaines expérimentations
auxquelles ont procédé les psychologues sociaux relevaient
de la recherche de ce type de scientificité ; par exemple celles
de Stanley Milgram (Obedience to Authority. An experimental View. Harper
Torch Books, New York, 1974). Pour la "récalcitrance de
l'électron", Cf l'essai de Bruno Latour, 1996 : Du culte
moderne des dieux faitiches , Édition Les empêcheurs
de penser en rond , Paris.
[6].
Comme le démontrent les travaux récents de Mikel Borch
Jacobsen, par exemple 1995 : Souvenirs d'Anna O. Une mystification
centenaire. Paris, Aubier ; mais surtout un texte à paraître,
prononcé lors d'une conférence à l'Université
de Paris 8 en 2000 : Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani, "Une
visite aux archives Freud". Voir aussi : Patrick Mahony,
Dora s'en va. Violence dans la psychanalyse. Paris, Les empêcheurs
de penser en rond, 2001
[7].
Baba lawo, littéralement "père du secret" ;
désigne en général le thérapeute traditionnel
yoruba. Voir Maupoil B. La géomancie à l'ancienne
côte des esclaves. Paris, Institut d'Ethnologie, réédition,
1988 ; Nathan T., Hounkpatin L., 1996: La parole de la forêt
initiale. Paris, Odile Jacob. Nouvelle édition :
La guérison yoruba . Paris, Odile Jacob, Opus, 1998.
[8].
Ethnie du Sud du Bénin et du Nigeria.
[9].
Guérisseur populaire musulman.
[10].Ainsi,
pour prendre un exemple outré, la façon dont Geza Róheim
interprète lextraction par le chaman yuma du cristal de
quartz comme une projection des mauvaises fèces intériorisées.
Cf Geza Róheim, 1943, Origines et fonction de la culture.
Paris, Gallimard, 1967.
[11].
Jai distingué ailleurs les thérapies "savantes",
qui prétendent découler d'observations scientifiques de
la "nature", celles auxquelles on pense donc spontanément lorsqu'on
évoque le mot "psychothérapie" des thérapeutiques
que l'on nomme souvent "traditionnelles" qui, elles prétendent
découler dune application de connaissances issues dune
tradition culturelle ou religieuse. Cf Tobie Nathan, "Éléments
de psychothérapie", in T. Nathan, A. Blanchet, S. Ionescu,
N. Zajde, Psychothérapies, Paris, Odile Jacob, 1998.
[12].
Cf T. Nathan, 2000, L'héritage du rebelle. La place de Georges
Devereux dans la naissance de la clinique ethnopsychiatrique. Ethnopsy
, N° 1, Les empêcheurs de penser à rond, Paris,
197-226. Vous pouvez lire le résumé
ou le Texte intégral en ligne.
[13].
Sil est possible de soigner par la parole ; si, de plus,
la théorie qui permet de soigner par la parole explique toutes
les autres façons de soigner, pourquoi donc sescrimer à
toutes ces simagrées avec les fétiches ? Dès
lors que lon adopte une position interprétative, et même
si lon éprouve de lintérêt pour ces
techniques, le simple fait de les interpréter fait disparaître
leur caractère nécessaire : comment précisément
fabriquer les fétiches, comment leur parler, les interroger,
comment les entretenir, les " nourrir, etc. Cest dans
les manières de faire que se révèle le caractère
nécessaire dune technique.
[14].
Selon le mot de Stefan Zweig, La guérison par l'esprit : Mesmer,
Mary Baker-Eddy, Freud. Paris, Stock, 1978.
[15].
Il semble même que c'est dans la prise en charge de ce type de
patients que les psychothérapies de type psychanalytique obtiennent
le plus de succès Cf. HERMAN P. 1986: "L'évaluation
des effets des psychothérapies". Confrontations psychiatriques,
N° 26, 247-290.
[16].
Les psychotropes sont un très gros problème, pour lexistence
des psychothérapies dont ils grignotent le domaine chaque jour
davantage, mais aussi dun point de vue théorique. Exemple :
" L'introduction du paramètre psychopharmacologique
en psychothérapie contraint nécessairement à faire
évoluer à la fois la technique analytique et certains
de ses présupposés théoriques. On peut dire
comme le fait D. Widlocher que les psychotropes sont un opérateur
de connaissance cognitive du psychique. " Mareike Wolf, 1995,
Théorie de l'action psychothérapique. Paris, P.U.F., p.
10. Voir aussi D. Widlocher, 1990, Les psychotropes, une manière
de penser le psychisme ? Paris, Laboratoires Delagrange ;
et Neurobiologie et psychanalyse, Revue Internationale de Psychopathologie,
1990, 2.
[17].
T. Nathan, Éléments de psychothérapie, in Nathan
T., Blanchet A., Ionescu S. Zajde N., 1998, Psychothérapies .
Paris, Odile Jacob.
[18].
Car les choses changent vite à la vitesse de lambition
des nouvelles classes dirigeantes, parties se former en Occident et
revenant dans leur pays dorigine avec des projets de nouvelles
captures qui se révèleront sans doute bientôt comme
de nouvelles entre-captures.
[19].
Philippe Pignarre, 1999, Puissance des psychotropes, pouvoir des
patients. Paris, PUF.
[20].
Auquel aspirent encore un grand nombre de patients.
[21].
Isabelle Stengers, 2001, "Qu'est ce que l'hypnose nous oblige à
penser ?" Ethnopsy,
les mondes contemporains de la guérison, N°3.
[22].
Ce sont surtout les auteurs grecs et latins depuis : Antoninus
Liberalis, Les métamorphoses ; Apollodore, Bibliothèque,
Aristote, De la génération des animaux . Texte
établi et traduit par P. Louis. Paris, Les belles lettres ;
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique ; Hesiode,
La théogonie ; Le bouclier . Textes établis
et traduits par P. Mazon. Paris, Les belles lettres ; Homere, Hymne
à Aphrodite ; Hymne à Déméter ;
Klossowski P, 1956, Le bain de Diane . Paris, Gallimard, 1980 ;
Olender M., 1985, "Aspects de Baubô. Textes et contextes antiques".
Revue de l'histoire des religions , CCII, 1, 3-55 ; Ovide,
Les métamorphoses ; Voir aussi G. Devereux, 1967,
"La renonciation à l'identité : défense contre
l'anéantissement". Revue française de psychanalyse
, XXXI, 101-142 ; 1982, Femme et mythe, Paris, Flammarion ;
1983, Baubô, la vulve mythique . Paris, J. C. Godefroy.
[23].
Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris,
Minuit, 1980, 291-292.
[24].
Bertrand Meheust, 1999, Somnambulisme et mediumnité. Le défi
du magnétisme. Paris, Synthelabo, Les empêcheurs de penser
en rond, p. 15. Je développe ici une analyse amorcée dans
T. Nathan, "Lethnopsychiatrie entre thérapie et psychothérapie",
Psychothérapies, Vol.19, 1999, n°4, 199-209.
[25].
Ibid., p. 15 (souligné par moi).
[26].
Ibid., p. 16.
[27].
Tel du moins que la si bien décrit Marcel Détienne
dans Les Jardins dAdonis. Paris, Gallimard, 1972. Cest
dans ce sens que lentendent sans doute bien des populations africaines
qui disent de ceux qui savent : " ils ont touché
aux choses ".
[28].
Exemples de rêves produits par une procédure technique :
les résolutions dénigmes. Jacques Montangero : Rêves
et résolution de problèmes. Torino, Tirrenia Stampatori,
1996.
[29].
.
[30].
Cf Isabelle Stengers, 2001, "Qu'est ce que l'hypnose nous oblige
à penser ?" à paraître dans le numéro
3 d'Ethnopsy.
[31].
Dont on peut par exemple voir certaines manifestations lointaines dans
le comportement décrivains particulièrement créatifs :
ainsi, Van Vogt, Slans, Le monde des non-A, etc
Voir aussi
T. Nathan, "A. E Van Vogt : l'identité en péril" dans
Marcel Thaon et Col. : Psychanalyse et Science fiction , 180-193,
Paris, Dunod, 1986.
[32].
Fa : à la fois le destin et les modalités
de questionnement du destin : noix, système de signes et
mythes et récits attachés aux combinaisons.
[33].
Voir une description et une analyse de ce type de consultation dans
T. Nathan, Linfluence qui guérit, op. cit. et dans
(En collaboration avec Pierre Pichot) : Quel avenir pour la psychiatrie
et pour la psychothérapie ? Paris, Synthelabo, les empêcheurs
de penser en rond, 1998.
[34].
Cf Revert E., Magie antillaise, Paris, Annuaire international
des français d'outre-mer, 1977.
[35].
Et, contrairement à beaucoup, je trouve la dénomination
fort bien choisie : ce qui semble factice (fétiche)
et qui pourtant agit sur le noyau des choses. Voir la discussion fort
intéressante quoiquun peu rapide de Bruno Latour dans :
B. Latour, 1996, Du culte moderne des dieux faitiches , Édition
Les empêcheurs de penser en rond , Paris.
[36].
Voir mon analyse détaillée du fonctionnement des sorts
et des objets de destruction dans Tobie Nathan, Linfluence qui
guérit. Paris, Odile Jacob, 1994 et, pour lAfrique centrale,
un développement particulier dans : T. Nathan et C. Lewertowski
: Soigner
le virus et le fétiche. Paris, Odile Jacob,
1998.
[37].
Noublions pas que tous ces peuples qui usent de lécriture
pour ensorceler ou pour soigner sont précisément ceux
qui ont inventé lécriture alphabétique, cest-à-dire
les peuples sémites. Voir un certain développement de
cette idée dans T. Nathan, "La psychanalyse, nouvel avatar de
l'hérésie chrétienne". PARDES. Revue européenne
d'études et de culture juives, 2000, n°27, 41-54.
[38].
Voir un certain développement de cette idée dans T. Nathan,
"La psychanalyse, nouvel avatar de l'hérésie chrétienne".
PARDES. Revue européenne d'études et de culture juives,
2000, n°27, 41-54.
[39].
Selon lheureuse formule dIsabelle Stengers dans Tobie Nathan,
Isabelle Stengers, Médecins et sorciers, Paris, Les empêcheurs
de penser en rond, 1995.
[40].
Quelquefois les 72 lettres, comme disaient certains cabalistes tel qu'Abraham
Aboulafia. Cf Moshe Idel, L'expérience mystique d'Abraham
Aboulafia. Paris, Cerf, 1989.
[41].
On pourra trouver une description de la pratique dun guérisseur
juif dans : H. Wexler, P. David,
T. Nathan, Wexler Henny et David Peter: "Tohu wa bohu...." Réflexions
sur la technique d'un guérisseur yéménite en Israël,
dans Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, N° 31, 1996, 13-34.
[42].
Pour une bonne description des pratiques actuelles aux Antilles, Cf
C. Bougerol, Une ethnographie des conflits aux Antilles. Jalousie,
commérages, sorcellerie. Paris, PUF, 1997 et pour une compréhension
clinique, V. Rolle, Psychothérapie dantillaises ensorcelées.
Thèse pour le doctorat de Psychologie. Université
de Paris 8, 1999.
[43].
Voir à ce sujet la très belle et très complète
étude de Bertrand Meheust, op.cit.
[44].
Sur le passé psychiatrique de nombreux guérisseurs en
milieu créole, voir V. Rolle, op.cit. et T. Nathan, Éléments
de psychothérapie, op.cit.
[45]. Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie,
N°33 la France qui guérit, Grenoble, La Pensée Sauvage,
1997.
[46].
Voir les débats actuels sur le titre de psychothérapeute
que la mise en uvre de lEurope a quelque peu accéléré
ces derniers temps. On pourra également consulter un texte où
jaborde en partie ces problèmes : T. Nathan, "Psychothérapie
et politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques
de l'ethnopsychiatrie" à paraître dans Genèses,
N°38, 2000 et aussi, T. Nathan, " Les psychologues doivent
se saisir du problème des psychothérapies". Psychologie
française , N°45-2, 2000, 99-101.
[47].
Les systèmes autoritaires et répressifs interdisent souvent
certaines pratiques thérapeutiques. Ainsi, au Bénin, durant
la période de la dictature marxiste-léniniste, on a cherché
à contrôler les babalawos , vecteurs de ce qui était
soudain devenu une sorte "dopium du peuple". Poursuivis
par le pouvoir, nombre dentre eux sont partis se réfugier
dans les petits villages, à lintérieur du pays.
[48].
Ces contrôles sont quelquefois bien inutiles. Voir les tentatives
de juguler les confréries soufies en Egypte par les pouvoirs
successifs et léchec de toutes ces tentatives in Rachida
Chih, Le soufisme au quotidien, Paris, Sinbad, Actes Sud, 2000.
[49].
Claude Lévi-Strauss a fait remarquer quil nexistait
pas de chamanisme sans théorie de la métamorphose de lhumain
à partir de la plante. Levi-Strauss, 1958, Anthropologie structurale
. Paris, Plon.
[50].
Voir notamment les travaux de Philippe Pignarre. On peyt consulter,
en ligne, "L'effet-placebo
n'existe pas".
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C'est tellement mieux de lire dans le livre
un bel objet, qui peuple la maison, et un compagnon de tous les instants,
parfois muet, parfois bavard. Le texte que vous venez de lire est l'un
des chapitres de Tobie Nathan : Nous ne sommes pas seuls au monde.
Paris, Les empêcheurs de penser en rond - Le seuil, 2001.
Dans toutes les bonnes librairies !
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Ils ont parlé
du livre : |
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Une
présentation du livre sur RFI
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Arnaud
Spire a lu Nous ne sommes pas seuls au monde dans l'Humanité
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Un
compte rendu en italien de non siamo soli al mondo
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un autre dans La
Stampa par Gianfranco Marrone
>
Une
recension détaillée par Jean-François de la
Sablonnière dans le Canadian Journal of Psychiatry, Vol 48, No
1, February 2003
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