La névrose ou la poule ?


Note ethnopsychanalytique sur le "petit homme-coq" (Ferenczi) , les poulets de Kappara et la circoncision.*

par Nathalie Zajde

mâitre de conférences de Psychologie clinique et pathologique à l'Université de Paris 8

* Texte paru dans Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, N¡ 31, 1996, 35-52 ; enrichi ici de sept photographies originales de l'auteur

 
 

"Di zolst me shoïn zein a shaïne, raïne guépoure!"
[1]

Ferenczi a publié en 1913 "Un petit homme-coq", article célèbre dans lequel il relatait le cas d'un tout jeune garçon ayantsubi un étrange traumatisme – sans doute l'occasion d'exposer une histoire clinique hors du commun, comme il les aimait ; mais aussi de déployer, et sur un cas concret, deux étiologies issues du champ psychanalytique: le traumatisme et le complexe de castration. Cependant, comme dans tout article rédigé par un vrai clinicien, l'interprétation est loin d'épuiser la compréhension du récit. Je me propose de discuter ici certains aspects ethnopsychanalytiques négligés par Ferenczi.


Le cas

À la suite de vacances passées à la campagne, le petit Arpad, âgé de cinq ans, gamin intelligent et vif, a inopinément présenté un comportement inquiétant. Il ne parlait pratiquement plus et ne faisait qu'imiter le caquètement des poules et le cri du coq.

"Il caquète et pousse des cocoricos de façon magistrale. À l'aube, il réveille toute la famille – un véritable Chanteclair – au son d'un vigoureux cocorico [2].

La volaille était désormais devenue son unique centre d'intérêt. Lorsqu'il daignait tout de même parler, ce n'était alors que pour évoquer les animaux du poulailler. Il entonnait des chansons à la gloire des poules et des poussins, imitait dans ses jeux l'abattage des bêtes, fabriquait des poules et des coqs en papier et à l'aide d'une brosse qui dans son jeu représentait un couteau, jouait à égorger les bêtes – non sans plaisir, d'ailleurs. La mise à mort des gallinacés était dévenue chez lui une véritable obsession qui tout à la fois l'enchantait et l'attristait, lui provoquait en tous cas un état d'excitation extrême. Il se mettait par exemple à chanter et à danser de manière frénétique. De plus, il rêvait de leur crever les yeux et de les plumer. Il prétendait aussi couper la tête de sa mère et la manger – tout comme il l'aurait fait pour une poule. Il ajoutait qu'il l'aurait volontiers dégustée confite. En outre, il imitait à merveille l'agonie du poulet puis s'émouvait de la douleur de l'animal qu'il venait ainsi de faire passer dans l'au-delà. Il manifestait une très vive agitation lors de la vente des poulets dans la cour de la maison ; insistant, trépignant pour que sa mère en achète. L'esprit manifestement envahi de scènes de poulailler, il passait la totalité de son temps à observer les animaux. Il était devenu évident que la famille entière appartenait à l'espèce des gallinacés – d'ailleurs, il se prétendait poussin, destiné à grandir, coq un jour prochain, sans doute, comme son père. Il envisageait enfin d'épouser plusieurs femmes, dont sa mère et d'installer ainsi son règne sur la haute basse-cour.


Sandor Ferenczi
Ferenczi – qui n'a vu le petit Arpad qu'une seule fois ; qui n'a d'ailleurs entrepris aucun travail psychothérapique avec lui – l'enfant, s'intéressant exclusivement aux poulets, avait refusé de se prêter au jeu – entreprit d'interroger une proche sur les origines de la maladie du petit patient. D'après ces renseignements, Arpad, qui vivait avec sa famille à Budapest, avait développé cette étrange affection à son retour de villégiature, après les vacances de ses deux ans et demi passées à la campagne. Peu de temps après, l'entourage avait appris que, l'année précédente, il s'était fait mordre le pénis par un coq (peut-être avait-il seulement failli être mordu). La bonne lui avait alors confectionné un pansement.


Les interprétations

Ferenczi

1) Ferenczi note d'abord la période de latence (un an) entre l'événement traumatique et le déclenchement de la pathologie.

2) Il attribue à l'enfant, durant cette période, une activité onanique qui lui aurait valu des menaces de castration de la part de ses éducateurs.

3) Après confirmation de ses suppositions par la bonne (masturabation et menace de castration afin qu'il cesse ses mauvaises habitudes) il établit un lien logique entre la morsure par le coq, la menace de castration et le développement de la maladie psychique. Ferenczi propose alors une interprétation que l'on pourrait résumer ainsi :

En vérité, Arpad n'est pas obsédé par les poules; il est terrorisé par l'angoisse de castration [3]

Seule reste encore à Ferenczi l'incertitude sur la chronologie véritable de la séquence:

Première hypothèse : l'agression du coq d'abord ; ensuite l'activité masturbatoire et la menace qui n'accomplit son office que lorsqu'il revoit le cadre de son accident, en revenant en vacances, un an plus tard ;

Seconde hypothèse : l'activité masturbatoire et la menace de castration d'abord, l'agression par le coq ensuite, venant réactiver la menace de castration.

D'après Ferenczi, Arpad, en proie à son complexe d'œdipe, est littéralement obsédé par la menace de castration qui lui a été explicitement adressée et qu'il renvoie maintenant, sous forme de menace de mort aux gallinacés. Pour expliquer les mécanismes de défense, Ferenczi évoque l'ambivalence des sentiments et le déplacement de la représentation du père sur le coq. Ce ne serait pas au coq et aux poules mais à son père qu'Arpad promettrait la mort, furieux de s'être vu interdire ses désirs sexuels œdipiens. Et comme, pour couronner le tout, on mange coqs et poules, la construction interprétative vient confirmer la thèse freudienne de la cannibalisation du père originaire. Arpad serait à la fois fixé au conflit œdipien et au "stade phylogénétique" de la horde primitive (sans rire).

Ferenczi explique aussi, en passant, l'intense intérêt d'Arpad pour le poulailler par le fait qu'il peut à loisir y contempler l'activité sexuelle des gallinacés. Il voit donc aussi dans cet intérêt le déplacement de la curiosité sexuelle condamnée par les adultes.

Freud

Freud est renseigné sur l'existence de ce cas par Ferenczi avant même la publication de l'article [4] :

"...J'ai en ce moment un cas sensationnel, un frère du "petit Hans" par son importance. Un garçon, Bandi, âgé maintenant de 5 ans, reçut un coup de bec d'un coq, sur la verge, alors qu'il urinait dans un poulailler, à l'âge de 2 ans 1/2. ..."

Freud, enthousiasmé par la lecture, ne peut s'empêcher de donner des conseils à son élève :

"...Commençons par votre "Petit Homme-Coq". C'est tout simplement un régal, et il aura un grand avenir. J'espère que vous n'allez pas croire que je veux tout simplement le confisquer pour moi; ce serait une bassesse de ma part. Mais il ne faudrait pas le publier avant que j'ai pu sortir le retour infantile du totémisme, afin que je m'y réfère alors. J'espère que vous comblerez encore cette lacune: la menace de castration a-t-elle eu lieu avant ou après l'aventure?"[5]

Fidèle à sa proposition, Freud aborde le cas dans la quatrième partie de Totem et Tabou pour illustrer sa théorie sur les mécanismes universels qui, d'après lui, fondent l'homme social – une sorte de contrat sexuel [6] . Il propose les séquences suivantes : le meurtre du père initial puis le remords, la crainte et l'adoration du patriarche abattu par les fils. Habités par l'insoutenable désir de prendre sa place, après l'avoir dévoré, ils ont ensuite déplacé sa représentation sur celle d'un animal dont ils ont fait leur totem. C'est ainsi que Freud interprète la fonction de l'animal totémique dans les "sociétés primitives". Dans une perspective Haeckelienne, il tente une démonstration, assez cohérente si l'on admet les prémisses, de l'intrication nécessaire de l'ontogénèse et de la phylogénèse. D'après lui, l'enfant, tout comme le primitif, ferait l'expérience des origines de l'humanité. Ce que le primitif a autrefois agi en acte (meurtre et cannibalisme), l'enfant le joue avec sérieux – d'où l'intérêt crucial du petit Arpad et de ses poules. Et c'est à ces mêmes mécanismes que le névrosé se trouve fixé dans ses fantasmes. Quant à l'homme civilisé, le blanc, pasteurisé et psychanalysé, il a réussi à dépasser ses complexes archaïques à l'aide de déplacements logiques:

– le cannibalisme s'est transformé en identification : plutôt que de dévorer le père, on se contenterait aujourd'hui d'incorporer certaines de ses qualités;

– le meurtre est devenu challenge : il s'agit de faire mieux que le père, d'accéder à un savoir plus complet, voire à plus de puissance;

– Et au désir incestueux s'est substitué le choix d'objet mature : renoncer à voler la femme du père en épousant une autre qui, peut-être lui ressemble, mais plus jeune, plus belle.

Bien que Freud note des restes de ces procédés "primitifs" dans notre société (traces de cannibalisme dans certains rituels religieux, notamment celui de la communion, traces du meurtre du patriarche dans certains mythes monothéistes), il considère que l'homme civilisé est "sauvé" par la sublimation, forme la plus achevée du déplacement.

En persécutant, en craignant, en adorant le coq, en voulant à la fois le tuer et le dévorer, Arpad ne fait qu'exprimer son complexe d'œdipe mais de manière si semblable à celle des "primitifs" qu'il semble pour Freud constituer une sorte de chaînon manquant – à la fois si près du totémisme, mais si moderne aussi par son contact avec la psychanalyse.

Nathan

Tobie Nathan, dans son article "Angoisse ou frayeur" [7] , propose une nouvelle compréhension du cas du "petit homme-coq". Pour lui, le traumatisme doit être considéré comme un élément fondateur de l'identité, processus essentiel dans la fabrication de la mémoire et la constitution de l'appareil psychique. Ainsi, Nathan étudie-t-il le cas d'Arpad à la lueur des nouvelles données anthropologiques et cliniques. Il rappelle d'abord que Ferenczi, à l'inverse de Freud, n'a jamais cessé de considérer le traumatisme comme un élément primordial pour la compréhension des désordres psychiques. Mettant l'accent sur les effets métamorphosiques du trauma, il souligne la radicale transformation de l'identité d'Arpad après son attaque par le coq. A partir de sa frayeur, Arpad a tout oublié de son identité d'humain, se consacrant à s'en construire une nouvelle. Tout comme un initié africain ou un chaman d'Amérique du Sud, Arpad a changé de parents, d'intérêt et même de langue. En effet, Nathan souligne que le petit garçon abandonne le langage humain pour celui des poulets et qu'il se construit une nouvelle affiliation: il devient fils de coq. Il a donc même changé d'espèce biologique. Ces éléments: la fixation au temps de la frayeur et la métamorphose de l'identité constituent des données fondamentales pour saisir l'importance du traumatisme et de ses mécanismes.

Nathan propose donc de ne plus considérer le traumatisme comme un processus déstructurant en soi et rappelle qu'il peut même se révéler bénéfique pour la maturation de l'enfant, du moins dans certaines sociétés "traditionnelles". Là, le traumatisme ouvre la personne, le groupe d'initiation l'accueille, poursuit sa modification et la restitue à la société globale sous une nouvelle identité. L'étude et la compréhension des processus en jeu dans les rituels d'initiation des sociétés traditionnelles constitue un apport de première importance pour la discussion du problème psychopathologique posé par le traumatisme. D'après Nathan, ce qui est pathologique, ce n'est pas le traumatisme mais l'absence de groupe d'initiation pour accueillir la personne ouverte par l'impact. Une telle théorisation nous permet de comprendre les dysfonctionnements psychiques des enfants de migrants issus de cultures à initiation, souffrant cruellement de l'absence de groupes de pairs inscrits dans une ambiance culturelle cohérente. Ceux là recherchent sans cesse les traumatismes initiatiques à travers les accidents, la drogue, l'activité délinquante et ne parviennent à rencontrer que des faux groupes – bandes de délinquants, de dealers… L'absence de traumatisme culturellement organisé accule donc ces enfants à poursuivre indéfiniment leur recherche de groupes d'initiation – et cela parfois jusqu'à la mort. En mettant l'accent sur les effets métamorphosiques du traumatisme, en incitant les chercheurs à approfondir la compréhension des techniques traumatiques des rituels d'initiation, enfin, en révélant l'importance de la névrose traumatique chez les migrants et les enfants de migrants, Nathan remet en cause l'idée freudienne d'une inscription traumatique première, définitive et immuable. De plus, en changeant la valence du trauma, il réintroduit l'importance du tiers, de l'autre, de l'intentionnalité externe au sujet, dans le destin individuel.


Arpad, l'enfant juif


Mais qu'en est-il de la dernière page[8] de l'article de Ferenczi sur le petit homme-coq? Nul ne la mentionne! Il est vrai qu'elle surprend par son étrangeté.

Ferenczi achève son texte en le complétant par quelques informations sur Arpad qui ont apparemment peu de lien avec l'élaboration psychanalytique qui précède. Là, il relate qu'Arpad est préocupé par des pensées métaphysiques. Il pose des questions sur la mort. Les réponses qui lui sont données ("les gens meurent parce qu'ils sont vieux") ne le satisfont en aucune manière et même l'offusquent. Il réplique: "Alors ma grand-mère était vieille? Non! Elle n'était pas vieille et elle est morte quand même!" Ses interrogations sur l'existence de Dieu, sur celle des anges reçoivent des réponses ("Dieu n'existe pas, les anges ne sont que des contes") qu'il ne peut accepter: "Non! Ce n'est pas vrai! J'en ai vu un [ange] qui portait des enfants au ciel!") Arpad est épouvanté à l'idée de la mort des enfants et demande "Pourquoi les enfants meurent-ils?"

Et les tentatives psychanalytiques de dissoudre par la raison sa peur de la mort, celle de lui expliquer que sa masturbation ne le mettra pas en danger puisque tous les enfants la pratiquent, tout comme lui, sont toutes vouées à l'échec. Arpad est têtu, réfractaire à toute forme de raison idéologique – le groupe que lui propose Ferenczi, ses parents modernes et éclairés, ce groupe il n'en veut en aucune manière. Il est même choqué qu'on puisse attribuer une telle activité sexuelle à son père, qui a lui même aussi été un enfant!

Enfin, dans l'avant denier paragraphe, Ferenczi nous livre des éléments qui m'ont longtemps parus énigmatiques jusqu'à ce qu'ils m'apparaissent comme la véritable pierre angulaire de ce récit.

" Comme pour compléter le tableau, il commence ces derniers temps à être très préoccupé par des pensées religieuses.

• Les vieux juifs barbus lui inspirent un grand respect mêlé de peur.

• Il demande à sa mère de faire entrer ces mendiants dans la maison.

Mais si l'un d'entre eux vient, il se cache et l'observe à distance respectueuse;

quand celui-ci s'est éloigné, Arpad baisse la tête en disant: "Me voilà un coq-mendiant".

Les vieux juifs l'intéressent, dit-il, parce qu'ils viennent de "chez Dieu" (du temple).[9]"

Première information: la référence aux Juifs barbus (certainement des Hassidim [10] ), leur fréquentation de la maison familiale, nous indique que le petit Arpad est un garçon juif de la bourgeoisie de Budapest. De plus, son véritable nom, Bandi, révélé dans la correspondance de Freud et de Ferenczi [11] m'encourage dans ce sens. Bandi (prononcé Bendji) est le diminutif d'Andreas, prénom qui fut très à la mode dans la communauté juive de l'époque.

Les parents de Bandi, d'après les réponses qu'ils lui apportent, ont complètement rompu avec la tradition et la pensée religieuse juives. Ils ont probablement rejeté toute conception surnaturelle et fondent leur position en prétendant que ce ne sont là que des croyances rétrogrades et infantiles. Aux interrogations de leur fils, ils n'ont que des pensées causales et simplistes à lui offrir [12] .

 

Un rituel ancestral


Entre le nouvel an juif (Rosh Hashana) et le Grand pardon (Yom Kippour) les Juifs pratiquent un sacrifice rituel concernant surtout les enfants (mais pas exclusivement) et qui a pour but essentiel de les protéger pour l'année à venir. On raconte que, pendant les dix jours qui séparent ces deux dates importantes de l'année juive [13], Dieu inscrit sur un livre ceux qui doivent mourir, ceux qui doivent vivre et ceux qui restent en suspens jusqu'à Yom Kippur.

"Rosh Hachana, premier jour de l'année juive, anniversaire de la création de l'homme, est aussi le jour du jugement de tout être. Ce jour-là, les hommes défilent devant Dieu, comme un troupeau de moutons pour être jugés". [14]

 


François Fejto, Hongrois et Juifs

Cette période est vécue comme la plus intense de l'année. Il s'agit, pour les Juifs de se questionner, de se repentir, de se regrouper enfin, de s'informer de la volonté divine – celle-ci pouvant être terrible pour ceux que Dieu a jugés indignes de passer le cap de la nouvelle année. Si Dieu prononce son jugement le jour du nouvel an (Rosh Hashana), il ne l'applique définitivement que dix jours plus tard, le jour du Grand Pardon (Yom Kippur). Les Juifs peuvent, pendant ces dix jours, intercéder auprès de Dieu par des actes de repentir (Téchouva, retour aux sources), de prière (Tefilah , rétablissement du dialogue avec le créateur), et enfin d'offrandes et de dons (Tsedakah , reconnaître ses obligations vis à vis d'autrui). On dit également que cette date singulière est le moment où toutes les décisions fondamentales pour l'année doivent être prises. Enfin, s'il s'agit d'une période de repentir – de bilan, pourrait-on dire – ce moment est surtout un des temps fondamentaux de scansion de la vie juive. Tout comme le septième jour (Shabbat) cette période introduit un avant et un après, un temps de rupture qui permet aux Juifs d'opérer le double mécanisme logique fondamental:

a) discriminer, classer et identifier les réalités du monde sensible;

b) rester identiques à eux-mêmes, conserver leur nature profonde, préserver une continuité existentielle grâce à la discontinuité culturellement instituée.

 

Le rituel proprement dit


La veille de Yom Kippur la mère amène l'enfant au sacrificateur (shoheit). Elle achète une poule ou un chapon qu'elle donne au shoheit. Celui-ci prononce le prénom de l'enfant ainsi que le prénom de sa mère (par exemple:"Benjamin fils de Sarah") et murmure des paroles sacrées en hébreu tout en faisant tournoyer le poulet encore vivant trois fois au-dessus de la tête de l'enfant. La formule énoncée signifie :

"Que ceci constitue l'expiation de mes fautes, le rachat de mon âme. Cette poule mourra et nous vivrons" [15].

L'interprétation populaire courante du rituel [16] veut que le poulet soit un représentant de l'enfant et que les péchés commis par l'humain passent sur l'animal par l'entremise du rite. Puisque durant cette période singulière, Dieu ôte de ses propres mains la vie aux humains, peut-être acceptera-t-il la substitution, peut-être consentira-t-il à se laisser leurrer une année encore… Le croyant traverse durant la cérémonie des émotions à la fois terribles et sacrées. Quant à celui qui meurt entre Rosh Hachana et Yom Kippur
 , on le considère comme un tsadik , un juste, lui qui a été abattu de la propre main de Dieu.


sacrifice des poulets de Kappara de nos jours dans la région parisienne

(photographie N. Zajde)

Fig. 1 Situation normale :
le sacrificateur tue le poulet
afin que Dieu épargne l’enfant

Fig. 2 le juste : malgré le sacrifice du poulet, Dieu tue l’enfant de ses propres mains

 

Fig. 3 Arpad : du fait de la disparition de Dieu, Arpad craint tant pour sa vie que pour celle des poulets [19]

Je dois tout de même rappeler qu'on ne peut pas à proprement parler de sacrifice, puisque pour les Juifs, tout sacrifice est interdit depuis la deuxième destruction du temple (70 ap. JC). L'interprétation habituelle du clergé juif (Shoulhan ´Aroukh[17] ) qui ne fait au mieux que tolérer une coutume très appréciée du peuple, est qu'il s'agit d'une pénitence, une obligation à penser la douleur infligée à l'animal, une occasion de retour sur soi et sur ses péchés. Pour éviter la référence au sacrifice, le Shoulhan ´Aroukh recommande de ne pas choisir délibérément un animal blanc – animal de prédilection des sacrifices rituels des temps révolus.

Quoiqu'il en soit, ce rituel de Kippour impose au sacrifiant de se relier selon des procédés spécifiques aux deux champs fondamentaux de l'existence:

1) l'espace sacré, par l'intermédiaire du sacrifice animal;

2) l'espace profane par l'obligation d'offrande (aumône, don de nourriture).

 

Analyse du cas de Bandi à la lueur des informations culturelles


Bandi est profondément préoccupé par la mort et tout particulièrement par la mort des enfants. La frayeur qu'il a vécue, comme dans tout traumatisme, l'a nécessairement contraint à la pensée de sa propre mort. [18]

Ses jeux sans cesse répétés et exclusivement centrés sur la mise à mort des poulets sont, de l'avis de son entourage, une conséquence de son attaque par le coq au cours de laquelle il a pensé mourir. Est-ce que les anges emportent les enfants morts, ou bien est-ce Dieu lui-même ? Les questions angoissées de Bandi font directement référence à la signification explicite du rituel du poulet du Kippur . Si Bandi est un poulet, il mourra à la place d'un enfant et s'il n'est pas mort, il n'est en tous cas plus un humain ; devenu poussin, coq, chapon… animaux qui, dans la tradition juive contemporaine, sont les seuls "sacrifiables" au temps du repentir. Bandi tremble, trépigne, quelque fois jubile de l'excitation de devenir animal de sacrifice. Inversion complète de la mise en scène du Kippour : car si dans la première, l'enfant – qu'on suppose victime de Dieu – est remplacé par le poulet qui subit la sentence de mort à sa place, par les mains, non pas de Dieu, mais de l'un de ses représentants (probablement "un vieux Juif barbu"), ici, c'est Bandi lui-même qui doit mourir, non pas par la main du sacrificateur, mais par le bec d'un coq. En d'autre termes, l'animal de sacrifice est devenu le sacrificateur, le sacrifiant la victime – tout cela du fait de l'absence du prêtre, du "vieux juif barbu" et surtout de la disparition de Dieu.

L'interdiction du sacrifice animal


Tant que le temple existait, les Juifs pratiquaient toutes sortes de sacrifices, tant animaux que végétaux.[20] Certaines descriptions relatent qu'au moment de Pessa´h (Pâques) ou de Kippour, un véritable fleuve de sang s'échappait du temple, dans la ville envahie de milliers d'animaux amenés là des alentours afin d'y être immolés sur l'autel. Fragilité d'un peuple qui ne dispose que d'un seul autel pour ses sacrifices, le rendant vulnérable à toute atteinte de son temple. Malgré l'interdiction des prêtres, datant de la seconde destruction du temple, les Juifs ont continué à honorer leur Dieu de manière traditionnelle, maintenant certaines formes de sacrifice tant par crainte que par respect.

 

De nos jours, dans la région parisienne. Le sacrificateur passe

l'animal au dessus de la tête du sacrifiant, puis il tranche

(photographies N. Zajde)

la carotide du poulet, d'un geste précis : un aller et un demi-retour


De même ont-ils su préserver les techniques de protection (amulettes, bénédictions, luttes contre la sorcellerie ou contre les esprits), les procédés de fertilisation de la terre, bref : de multiples modalités pour réinsuffler la vie là où s'infiltrait la négativité. Tandis qu'une même voix officielle, celle de la hiérarchie religieuse ne cesse d'imposer le renoncement aux rites, le peuple, même honteux, conserve, encore aujourd'hui [22] , des pratiques qu'il ressent trop indispensables pour les abandonner à l'intellectualité symbolisante du clergé.

une fois qu'il a "coupé l'animal, le sacrificateur la fait saigner

dans une sorte d'entonnoir qui guide le sang vers la terre

(photographies N. Zajde)

quelquefois, dans un sursaut, un animal saute et s'en va mourir sur le sol

Histoires ashkénazes


Avant la seconde guerre mondiale, vivaient en Europe neuf millions de Juifs, pour la plupart pauvres, dans de petits villages autonômes : les Shtetl [22]. Dès la fin du dix-neuvième siècle, quelques commerçants enrichis, quelques intellectuels avaient commencé à habiter les grandes villes, y constituant une bourgeoisie juive, fortement attirée par l'assimilation, voire même la conversion quand cela se révélait nécessaire à la progression de la carrière [23]. Pour ces Juifs modernes, s'est progressivement imposée une nouvelle loi, non plus édictée par l'autorité religieuse, mais par l'élite "socio-culturelle" : Il faut penser un monde sans Dieu ; la religion n'est pas affaire de cohésion du peuple mais de croyance, de foi personnelle . Cette fois, le peuple a suivi l'élite, au moins pour une bonne part, abandonnant la divinité ancestrale pour des croyances profanes : Marx et le communisme, la psychanalyse, la modernité, la morale universelle…

Bandi (déjà représentant du peuple?) n'est pas d'accord avec ces choix! Il réclame des explications, exige par sa maladie le rétablissement des logiques ancestrales de l'être juif – et cela, sans doute, pour sauver sa propre existence.

 

Pourquoi Bandi devait-il mourir?

Hypothèse:

Si Bandi subit une telle menace de mort, ce ne peut être que parce qu'il constitue par sa propre existence une faute, un manquement irrecevable aux yeux du dieu des Juifs.

"L'incirconcis, le mâle qui n'aura pas été circoncis quant à la chair de son prépuce, cette personne-là sera retranchée [24] d'entre ses parents, elle a rompu mon alliance" Genèse XVII, 14.[25] 

Car ses parents, Juifs modernes, ne partageant plus les croyances ancestrales, eux qui vivent sans Dieu, sans signification particulière de la vie et de la mort, ont certainement dû (comme bon nombre d'Ashkenaze de même niveau social et de même époque) renoncer au rituel juif primordial, celui qui introduit le mâle dans l'alliance et dans la lignée ; qui l'inscrit dans son peuple. Couper le prépuce, puis l'enterrer, c'est octroyer la vie à l'enfant ; ne pas le faire, c'est la lui retirer. Dieu viendra lui-même donner la mort – reprenant la vie de l'enfant et celle de son père, décidé à tuer tant l'incirconscis que celui qui n'a pas permis à son fils de contracter l'alliance millénaire.

"Il advint que, durant le voyage, dans une hôtellerie, Iahvé l'aborda [Moïse] et chercha à le faire mourir. Alors Séphora prit un caillou, trancha le prépuce de son fils et en toucha ses pieds, puis elle dit: "Tu es pour moi un époux de sang!" Alors il le laissa. Elle avait dit "époux de sang", à cause de la circoncision." Exode IV, 24-26.

Moïse avait omis de circoncire son fils ; malgré l'amour qu'il lui portait, Dieu n'a pas hésité à se jeter sur le prophète et ce n'est que l'acte de Séphora qui se précipite pour circoncire l'enfant qui peut alors sauver son époux.

L'attaque du pénis par le coq est une inversion de la circoncision: si lors du rituel de naissance, la coupure du prépuce donne la vie; l'attaque du coq peut donner la mort. Ici, la frayeur de Bandi devrait être comprise comme une sorte d'interprétation de l'enfant, comme s'il disait : "en ne me circoncisant pas, mes parents m'ont livré au risque d'une circoncision sauvage, une circoncision sans Dieu dont la conséquence est soit la mort, soit la métamorphose animale."

Quelques questions de méthode

Quand Abraham et Reik [26] dans leurs textes sur les rites du Kippur prétendent "interpréter" les pratiques traditionnelles juives, ils commettent une double erreur méthodologique. Car cette démarche est non-productive : 1) elle n'enrichit en aucune manière la pensée psychanalytique, n'y ajoutant aucun concept spécifique, n'y introduisant aucune nouvelle méthode d'analyse des données ; 2) elle n'a pour seul but que de disqualifier la pensée traditionnelle juive, la réduisant à des mécanismes simples et naïfs, "magiques". De même, Freud, en s'intéressant au petit Arpad, souhaite seulement que le petit patient vienne confirmer sa construction mythique sur l'origine du totémisme.

Notons que toutes ces remarques ne viennent en rien infirmer les multiples observations selon lesquelles les enfants seraient préoccupés par la la masturbation et la menace de castration ; elles remettent seulement en cause la matrice théorique à partir de laquelle interpréter ces faits. La psychanalyse les ramène à une théorie de l'intériorité, vidant les pensées traditionnelles de tout contenu. Décrivant le traumatisme d'Arpad, Ferenczi, en revanche, souligne qu'une existence, une destinée, une identité même, peuvent être définitivement infléchies par un traumatisme aléatoire : la morsure du pénis par un coq et la frayeur qui en a résulté. Quant à Arpad lui-même, il semble dire à ses parents que l'interprétation traditionnelle vient rappeler aux Juifs qu'ils sont définis par leur Dieu ; du coup la guérison d'une frayeur devient quasiment un acte rituel.

Guérir un malade en se référant aux pensées de son peuple, c'est à la fois renforcer la cohésion du peuple et permettre la perpétuelle fabrication du sens à partir du traumatisme [27]. Guérir un malade à partir d'une théorie universelle, c'est le contraindre à disqualifier les pensées de son peuple et donc à s'en dissocier.

La nouvelle lecture que je propose du cas d'Arpad-Bandi n'est pas une une simple interprétation à rajouter aux autres, elle contient en elle même sa propre action puisqu'elle conduit à envisager des modalités techniques spécifiques de prise en charge du garçon. Plutôt que le questionner ou lui proposer de jouer, ce que Ferenczi a tenté sans succès, il aurait parfaitement été possible d'attendre le kippur suivant pour le mener auprès d'un shoheït afin de sacrifier un poulet au dessus de sa tête. Il y a fort à parier que le jeune garçon aurait immédiatement abandonné son intérêt pour le gallinacés pour le remplacer par des questions philosophiques sur les fondements de la judéïté. Plus même, ce dispositif l'aurait amené à prendre conscience que c'était au dieu juif que ses parents ne croyaient pas et que, de ce fait, il ne relevait pas de l'arbitraire de leur seule loi domestique mais de la loi commune de son peuple. En fait, la question ne se pose même pas puisque si Bandi présente une telle pathologie, c'est précisément parce que ses parents pensent ne plus relever de la loi de leur peuple. Car si la maladie de leur enfant les avait incités à se questionner sur la signification du rituel du kippur , elle les aurait nécessairement mis en présence d'un référent du judaïsme : shoheït , pour le poulet, éventuellement mohel pour la circoncision, les délogeant de ce fait même de leur position d'énonciateurs d'une loi dont ils ne relèveraient pas.

Par la contrainte qu'il impose à sa famille en rupture, Bandi m'est apparu étrangement moderne, rappelant tous ces enfants de migrants, maghrébins et africains, que nous rencontrons tous les jours dans les consultations d'ethnopsychiatrie [28], dont les pathologies conduisent inexorablement leurs parents à se réinterroger sur leurs origines.

 

Bibliographie

Abraham K.:

1920, "Le jour du grand pardon. Remarque sur l'ouvrage de Reik: "Problèmes de psychologie religieuse" " in Développement de la libido, œuvres complètes -2. Paris, Payot, 1977.

Ertel R.:

1982, Le Shtetl. La bourgade juive de Pologne, Paris, Payot.

Ferenczi S.:

1913 "Un petit-homme coq". œuves complètes, T. 2, Paris Payot, 1990.

Freud S.:

1912, Totem et tabou, Paris, Payot, 1977.

Freud S., Ferenczi S.:

1992, Correspondance, 1908-1914. Tome I, Paris, Calmann-Lévy.

Mauss M.:

1899. "Le sacrifice" in œuvres. 1. Les fonctions sociales du sacré. Paris, Editions de Minuit, 1985.

Nathan T.:

1990, "Angoisse ou frayeur. Un problème épistémologique de la psychanalyse". Nouvelle revue d'ethnopsychiatrie, N°15, 21-38. Grenoble, Editiones La Pensée sauvage.

1994, L'influence qui guérit, Paris, éditions O. Jacob.

Reik T.:

1928, Le rituel, Psychanalyse des rites religieux, Paris, Denoël, 1974.

Roch Hachana- Yom Kippour. Edition Peylim- "Yad-Laa'him". Belgique, 1986.

Shoulhan ´Aroukh , abrégé, Rabbi Chlomo Ganzfried, Paris, Editions Colbo, 1993.

Zajde N.:

1993, Enfants de survivants, réédition : Paris, O. Jacob, 1995.

 
Notes

[1]. Malédiction yiddish : "Que tu sois toi même le beau et pur poulet de Kappara!" le mot Guépoure renvoie directement au poulet de sacrifice de Kippour . J'en profite pour remercier E. Rozenberg pour ses précieuses informations sur les traditions et les expressions yiddish.

[2]. Ferenczi, 1913, page 74

[3]. Notons que cette interprétation respecte bien les modalités des interprétations psychanalytiques. Elle présuppose une ignorance du sujet, même seulement âgé de deux ans et demi, de la véritable nature de ses angoisses.

[4]. Lettre de Ferenczi à Freud datée du 18 janvier 1912 (268 Fer dans la Correspondance)

[5]. Lettre de Freud à Ferenczi datée du 1er Février 1912, (275 F dans la Correspondance).

[6]. Il s'agit d'une assez longue évocation sur 4 pages: "Nous devons cependant à M. Ferenczi la rare et belle observation d'un cas qu'on peut considérer comme une manifestation du totémisme positif chez un enfant. Chez le petit Arpad, dont M. Ferenczi nous conte l'histoire, les tendances totémistes s'éveillent, non en rapport directe avec le compexe d'Oedipe, mais indirectement, en rapport avec l'élément narcissique de ce complexe, avec la phobie de la castration... En d'autres termes, nous devons réussir à rendre vraisemblable, le fait que le système totémique est né des conditions du complexe d'Oedipe, tout comme la zoophobie du "petit Hans" et la perversion du "petit Arpad"." De la page 150 à 154 dans l'édition Payot 1977.

[7]. Tobie Nathan: "Angoisse ou frayeur. Un problème épistémologique de la psychanalyse". Nouvelle revue d'ethnopsychiatrie, N°15, 1990, 21-38.

[8]. Page 78 de l'édition française de 1990.

[9]. Le découpage des propositions est naturellement de moi.

[10]. Mouvement juif ashkénaze de tendance mystique qui avait de très nombreux adeptes en Pologne et en Hongrie.

[11]. Freud, Ferenczi, Correspondance, 1908-1914.

[12]. Pour l'analyse de l'opposition entre "cause" et "sens", Cf Nathan L'influence qui guérit, 1994.

[13]. Cette période se situe en général au mois de septembre du calandrier chrétien. Il arrive très souvent qu'elle ait lieu très peu de temps après le retour des grandes vacances d'été.

[14]. Roch Hachana- Yom Kippour. p. 6, Edition Peylim- "Yad-Laa'him". Belgique, 1986.

[15]. En hébreu: "Zé 'halifati, zé kaparati, zé temourati ...", traduction de J. Salavize: Ca me remplace, c'est le pardon, l'expiation, ça me remplace (au sens où il est possible de faire transférer la sanctification d'un être sur un autre) in Roch Hachana- Yom Kippour. p. 30, Edition Peylim- "Yad-Laa'him". Belgique, 1986.

[16]. Je remercie Renée Nathan pour son goût à partager, de manière si généreuse, ses connaissances des coutumes et des pensées traditionnelles juives.

[17]. Shoulhan ´Aroukh , littéralement "la table dressée", est un manuel de vie et de conduite juives. "On a l'habitude d'offrir des kapparoth (animaux offerts à titre d'expiation) la vieille de Yom Kippou (Jour du pardon), tôt le matin, car alors la miséricorde est très grande. On prend pour un homme un coq non châtré, et, pour une femme, une poule; pour une femme enceinte, on prendra un coq et une poule, un coq, car l'enfant sera peut-être un garçon, et si c'est une fille, il suffira d'une poule pour la mère et la fille; même dautres gens pourront prendre une kapparah pour deux personnes. On choisira des animaux blancs car il est dit "Si vos péchés sont comme l'écarlate, ils blanchiront comme la neige ..." (Isaïe, I,18). Mais on ne cherchera pas explicitement, au moment de l'achat, des animaux blancs, pour les acheter plus chers, car ce serait un usage des Amoréens (à proscrire); mais si, entre autres, il se présente un blanc à acheter, on le choisira. Chacun prendra sa kappara avec la main droite, dira les versets: "Les hommes etc..." (Psaumes CVII, et Job XXXIII, 23), et fera tournoyer l'animal autour de sa tête en disant: "Ceci est à ma place etc...", à trois reprises. Si on le fait pour d'autres, on dira "Ceci est à ta place...". On fera tournoyer l'animal d'abord pour soi, ensuite pour autrui. Il est bon que la che'hitah (abattage rituel) ait lieu également le matin, tôt, aussi tôt que l'on a fait tournoyer l'animal. L'on ne doit pas penser que c'est une véritable expiation, mais l'on pensera qu'il aurait du nous arriver tout ce qui arrive à ce poulet, à cause de nos fautes, et l'on se plaindra de ces fautes, et, dans Sa Miséricorde, le Saint, béni soit-Il, acceptera notre repentir. On a l'habitude de jeter les intestints, le foie et les reins des kapparoth sur les toits ou dans un jardin, là où la volaille pourra les manger, car il faut avoir pitié des créatures, ce jour-là, pour qu'on ait pitié de nous, du haut du ciel; également parce que ces animaux ont mangé des mets volés, afin que l'homme pense à se détourner du vol. Si on ne peut pas trouver de poulets, on pourra prendre une oie, ou tout autre animal vivant que l'on ne pouvait pas offrir (au Temple); certains parlent même de poissons, mais pas de tourterelles ou de jeunes colombes, que l'on pouvait offrir, et cela semblerait offrir des sacrifices saints, à l'extérieur (du Temple). Certains ont l'habitude de donner les kapparoth aux pauvres, mais il vaut mieux les racheter avec de l'argent, et donner cet argent aux pauvres.

[18]. Cf Freud, Ferenczi, Nathan, pour une fois d'accord." in Shoulhan ´Aroukh, chapitre CXXXI, Règles relatives à la veille de Yome Kippour (Jour du Pardon).

[19]. Pour une analyse des mécanismes du sacrifice, voir Mauss, 1899.

[20]. Cf, par exemple, Lévitique, I, II, III, etc.

[21]. Il suffit d'aller se promener de nos jours rue des Rosiers à Paris pour voir hommes et femmes, revêtus de beaux habits, descendre d'automobiles modernes pour s'en aller sacrifier poules, coqs, poussins et chapons.

[22]. Ertel, 1982.

[23]. G. Mahler, pour ne citer qu'un exemple célèbre, qui, pour obtenir son poste de chef d'orchestre à l'opéra de Vienne, résolut de se convertir au christianisme. Freud, quant à lui, bien qu'assimilé, ne vivait qu'entouré de Juifs – certes tout autant assimilés que lui.

[24]. "Retranchée": 1) tuée parce que 2) elle se situe hors lignée.

[25]. Traduction E. Dhorme, Bibliothèque de la Pléiade, Ed. Gallimard.

[26]. Abraham 1920, et Reik 1928.

[27]. Cette manière de penser la vie et ses aléas, d'offrir une matrice de significations possibles aux ruptures, aux accidents de l'histoire et de l'existence se rapproche directement de la pensée traditionnelle juive, qui reste la seule à proposer un sens au traumatisme de masse que connurent les Juifs lors de leur extermination par les Nazis (voir un essai d'application de ce principe dans Zajde, 1993).

[28]. Cf le récit du cas d'un jeune enfant algérien in Tobie Nathan, 1994, op. cit.

 

Texte paru dans Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, N¡ 31, 1996, 35-52 ; enrichi ici de sept photographies originales de l'auteur
Droits de diffusion et de reproduction réservés © 2000-2011, Centre Georges Devereux