La névrose ou la poule ? | ||
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par Nathalie Zajde mâitre de conférences de Psychologie clinique et pathologique à l'Université de Paris 8 * Texte paru dans Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, N¡ 31, 1996, 35-52 ; enrichi ici de sept photographies originales de l'auteur |
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"Di zolst me shoïn zein a shaïne, raïne guépoure!" [1] |
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Ferenczi a publié en 1913 "Un petit homme-coq", article célèbre dans lequel il relatait le cas d'un tout jeune garçon ayantsubi un étrange traumatisme sans doute l'occasion d'exposer une histoire clinique hors du commun, comme il les aimait ; mais aussi de déployer, et sur un cas concret, deux étiologies issues du champ psychanalytique: le traumatisme et le complexe de castration. Cependant, comme dans tout article rédigé par un vrai clinicien, l'interprétation est loin d'épuiser la compréhension du récit. Je me propose de discuter ici certains aspects ethnopsychanalytiques négligés par Ferenczi.
À la suite de vacances passées à la campagne, le petit Arpad, âgé de cinq ans, gamin intelligent et vif, a inopinément présenté un comportement inquiétant. Il ne parlait pratiquement plus et ne faisait qu'imiter le caquètement des poules et le cri du coq. "Il caquète et pousse des cocoricos de façon
magistrale. À l'aube, il réveille toute la famille
un véritable Chanteclair au son d'un vigoureux cocorico
[2].
La volaille était désormais devenue son unique centre d'intérêt. Lorsqu'il daignait tout de même parler, ce n'était alors que pour évoquer les animaux du poulailler. Il entonnait des chansons à la gloire des poules et des poussins, imitait dans ses jeux l'abattage des bêtes, fabriquait des poules et des coqs en papier et à l'aide d'une brosse qui dans son jeu représentait un couteau, jouait à égorger les bêtes non sans plaisir, d'ailleurs. La mise à mort des gallinacés était dévenue chez lui une véritable obsession qui tout à la fois l'enchantait et l'attristait, lui provoquait en tous cas un état d'excitation extrême. Il se mettait par exemple à chanter et à danser de manière frénétique. De plus, il rêvait de leur crever les yeux et de les plumer. Il prétendait aussi couper la tête de sa mère et la manger tout comme il l'aurait fait pour une poule. Il ajoutait qu'il l'aurait volontiers dégustée confite. En outre, il imitait à merveille l'agonie du poulet puis s'émouvait de la douleur de l'animal qu'il venait ainsi de faire passer dans l'au-delà. Il manifestait une très vive agitation lors de la vente des poulets dans la cour de la maison ; insistant, trépignant pour que sa mère en achète. L'esprit manifestement envahi de scènes de poulailler, il passait la totalité de son temps à observer les animaux. Il était devenu évident que la famille entière appartenait à l'espèce des gallinacés d'ailleurs, il se prétendait poussin, destiné à grandir, coq un jour prochain, sans doute, comme son père. Il envisageait enfin d'épouser plusieurs femmes, dont sa mère et d'installer ainsi son règne sur la haute basse-cour. |
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Sandor Ferenczi |
Ferenczi qui
n'a vu le petit Arpad qu'une seule fois ; qui n'a d'ailleurs entrepris
aucun travail psychothérapique avec lui l'enfant, s'intéressant
exclusivement aux poulets, avait refusé de se prêter au jeu
entreprit d'interroger une proche sur les origines de la maladie
du petit patient. D'après ces renseignements, Arpad, qui vivait
avec sa famille à Budapest, avait développé cette
étrange affection à son retour de villégiature, après
les vacances de ses deux ans et demi passées à la campagne.
Peu de temps après, l'entourage avait appris que, l'année
précédente, il s'était fait mordre le pénis
par un coq (peut-être avait-il seulement failli être mordu).
La bonne lui avait alors confectionné un pansement. |
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Ferenczi 1) Ferenczi note d'abord la période de latence (un an) entre l'événement traumatique et le déclenchement de la pathologie. 2) Il attribue à l'enfant, durant cette période, une activité onanique qui lui aurait valu des menaces de castration de la part de ses éducateurs. 3) Après confirmation de ses suppositions par la bonne (masturabation et menace de castration afin qu'il cesse ses mauvaises habitudes) il établit un lien logique entre la morsure par le coq, la menace de castration et le développement de la maladie psychique. Ferenczi propose alors une interprétation que l'on pourrait résumer ainsi : En vérité, Arpad n'est pas obsédé par les poules; il est terrorisé par l'angoisse de castration [3] Seule reste encore à Ferenczi l'incertitude sur la chronologie véritable de la séquence: Première hypothèse : l'agression du coq d'abord ; ensuite l'activité masturbatoire et la menace qui n'accomplit son office que lorsqu'il revoit le cadre de son accident, en revenant en vacances, un an plus tard ; Seconde hypothèse : l'activité masturbatoire et la menace de castration d'abord, l'agression par le coq ensuite, venant réactiver la menace de castration. D'après Ferenczi, Arpad, en proie à son complexe d'dipe, est littéralement obsédé par la menace de castration qui lui a été explicitement adressée et qu'il renvoie maintenant, sous forme de menace de mort aux gallinacés. Pour expliquer les mécanismes de défense, Ferenczi évoque l'ambivalence des sentiments et le déplacement de la représentation du père sur le coq. Ce ne serait pas au coq et aux poules mais à son père qu'Arpad promettrait la mort, furieux de s'être vu interdire ses désirs sexuels dipiens. Et comme, pour couronner le tout, on mange coqs et poules, la construction interprétative vient confirmer la thèse freudienne de la cannibalisation du père originaire. Arpad serait à la fois fixé au conflit dipien et au "stade phylogénétique" de la horde primitive (sans rire). Ferenczi explique aussi, en passant, l'intense intérêt d'Arpad pour le poulailler par le fait qu'il peut à loisir y contempler l'activité sexuelle des gallinacés. Il voit donc aussi dans cet intérêt le déplacement de la curiosité sexuelle condamnée par les adultes. Freud Freud est renseigné sur l'existence de ce cas par Ferenczi avant même la publication de l'article [4] :
Nathan Tobie Nathan, dans son article "Angoisse ou frayeur" [7] , propose une nouvelle compréhension du cas du "petit homme-coq". Pour lui, le traumatisme doit être considéré comme un élément fondateur de l'identité, processus essentiel dans la fabrication de la mémoire et la constitution de l'appareil psychique. Ainsi, Nathan étudie-t-il le cas d'Arpad à la lueur des nouvelles données anthropologiques et cliniques. Il rappelle d'abord que Ferenczi, à l'inverse de Freud, n'a jamais cessé de considérer le traumatisme comme un élément primordial pour la compréhension des désordres psychiques. Mettant l'accent sur les effets métamorphosiques du trauma, il souligne la radicale transformation de l'identité d'Arpad après son attaque par le coq. A partir de sa frayeur, Arpad a tout oublié de son identité d'humain, se consacrant à s'en construire une nouvelle. Tout comme un initié africain ou un chaman d'Amérique du Sud, Arpad a changé de parents, d'intérêt et même de langue. En effet, Nathan souligne que le petit garçon abandonne le langage humain pour celui des poulets et qu'il se construit une nouvelle affiliation: il devient fils de coq. Il a donc même changé d'espèce biologique. Ces éléments: la fixation au temps de la frayeur et la métamorphose de l'identité constituent des données fondamentales pour saisir l'importance du traumatisme et de ses mécanismes. Nathan propose donc de ne plus considérer le traumatisme comme un processus déstructurant en soi et rappelle qu'il peut même se révéler bénéfique pour la maturation de l'enfant, du moins dans certaines sociétés "traditionnelles". Là, le traumatisme ouvre la personne, le groupe d'initiation l'accueille, poursuit sa modification et la restitue à la société globale sous une nouvelle identité. L'étude et la compréhension des processus en jeu dans les rituels d'initiation des sociétés traditionnelles constitue un apport de première importance pour la discussion du problème psychopathologique posé par le traumatisme. D'après Nathan, ce qui est pathologique, ce n'est pas le traumatisme mais l'absence de groupe d'initiation pour accueillir la personne ouverte par l'impact. Une telle théorisation nous permet de comprendre les dysfonctionnements psychiques des enfants de migrants issus de cultures à initiation, souffrant cruellement de l'absence de groupes de pairs inscrits dans une ambiance culturelle cohérente. Ceux là recherchent sans cesse les traumatismes initiatiques à travers les accidents, la drogue, l'activité délinquante et ne parviennent à rencontrer que des faux groupes bandes de délinquants, de dealers L'absence de traumatisme culturellement organisé accule donc ces enfants à poursuivre indéfiniment leur recherche de groupes d'initiation et cela parfois jusqu'à la mort. En mettant l'accent sur les effets métamorphosiques du traumatisme, en incitant les chercheurs à approfondir la compréhension des techniques traumatiques des rituels d'initiation, enfin, en révélant l'importance de la névrose traumatique chez les migrants et les enfants de migrants, Nathan remet en cause l'idée freudienne d'une inscription traumatique première, définitive et immuable. De plus, en changeant la valence du trauma, il réintroduit l'importance du tiers, de l'autre, de l'intentionnalité externe au sujet, dans le destin individuel.
Ferenczi achève son texte en le complétant par quelques informations sur Arpad qui ont apparemment peu de lien avec l'élaboration psychanalytique qui précède. Là, il relate qu'Arpad est préocupé par des pensées métaphysiques. Il pose des questions sur la mort. Les réponses qui lui sont données ("les gens meurent parce qu'ils sont vieux") ne le satisfont en aucune manière et même l'offusquent. Il réplique: "Alors ma grand-mère était vieille? Non! Elle n'était pas vieille et elle est morte quand même!" Ses interrogations sur l'existence de Dieu, sur celle des anges reçoivent des réponses ("Dieu n'existe pas, les anges ne sont que des contes") qu'il ne peut accepter: "Non! Ce n'est pas vrai! J'en ai vu un [ange] qui portait des enfants au ciel!") Arpad est épouvanté à l'idée de la mort des enfants et demande "Pourquoi les enfants meurent-ils?" Et les tentatives psychanalytiques de dissoudre par la raison sa peur de la mort, celle de lui expliquer que sa masturbation ne le mettra pas en danger puisque tous les enfants la pratiquent, tout comme lui, sont toutes vouées à l'échec. Arpad est têtu, réfractaire à toute forme de raison idéologique le groupe que lui propose Ferenczi, ses parents modernes et éclairés, ce groupe il n'en veut en aucune manière. Il est même choqué qu'on puisse attribuer une telle activité sexuelle à son père, qui a lui même aussi été un enfant! Enfin, dans l'avant denier paragraphe, Ferenczi nous livre des éléments qui m'ont longtemps parus énigmatiques jusqu'à ce qu'ils m'apparaissent comme la véritable pierre angulaire de ce récit. " Comme pour compléter le tableau, il commence ces derniers temps à être très préoccupé par des pensées religieuses. Les vieux juifs barbus lui inspirent un grand respect mêlé de peur. Il demande à sa mère de faire entrer ces mendiants dans la maison. Mais si l'un d'entre eux vient, il se cache et l'observe à distance respectueuse; quand celui-ci s'est éloigné, Arpad baisse la tête en disant: "Me voilà un coq-mendiant". Les vieux juifs l'intéressent, dit-il, parce qu'ils viennent de "chez Dieu" (du temple).[9]" Première information: la référence aux Juifs barbus (certainement des Hassidim [10] ), leur fréquentation de la maison familiale, nous indique que le petit Arpad est un garçon juif de la bourgeoisie de Budapest. De plus, son véritable nom, Bandi, révélé dans la correspondance de Freud et de Ferenczi [11] m'encourage dans ce sens. Bandi (prononcé Bendji) est le diminutif d'Andreas, prénom qui fut très à la mode dans la communauté juive de l'époque. Les parents de Bandi, d'après les réponses qu'ils lui apportent, ont complètement rompu avec la tradition et la pensée religieuse juives. Ils ont probablement rejeté toute conception surnaturelle et fondent leur position en prétendant que ce ne sont là que des croyances rétrogrades et infantiles. Aux interrogations de leur fils, ils n'ont que des pensées causales et simplistes à lui offrir [12] .
Un rituel ancestral
"Rosh Hachana, premier jour de l'année juive,
anniversaire de la création de l'homme, est aussi le jour du jugement
de tout être. Ce jour-là, les hommes défilent devant
Dieu, comme un troupeau de moutons pour être jugés". [14]
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François Fejto, Hongrois et Juifs |
Cette période est vécue comme la plus intense de l'année. Il s'agit, pour les Juifs de se questionner, de se repentir, de se regrouper enfin, de s'informer de la volonté divine celle-ci pouvant être terrible pour ceux que Dieu a jugés indignes de passer le cap de la nouvelle année. Si Dieu prononce son jugement le jour du nouvel an (Rosh Hashana), il ne l'applique définitivement que dix jours plus tard, le jour du Grand Pardon (Yom Kippur). Les Juifs peuvent, pendant ces dix jours, intercéder auprès de Dieu par des actes de repentir (Téchouva, retour aux sources), de prière (Tefilah , rétablissement du dialogue avec le créateur), et enfin d'offrandes et de dons (Tsedakah , reconnaître ses obligations vis à vis d'autrui). On dit également que cette date singulière est le moment où toutes les décisions fondamentales pour l'année doivent être prises. Enfin, s'il s'agit d'une période de repentir de bilan, pourrait-on dire ce moment est surtout un des temps fondamentaux de scansion de la vie juive. Tout comme le septième jour (Shabbat) cette période introduit un avant et un après, un temps de rupture qui permet aux Juifs d'opérer le double mécanisme logique fondamental: a) discriminer, classer et identifier les réalités du monde sensible; b) rester identiques à eux-mêmes, conserver leur nature profonde, préserver une continuité existentielle grâce à la discontinuité culturellement instituée. |
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Le rituel proprement dit
"Que ceci
constitue l'expiation de mes fautes, le rachat de mon âme. Cette
poule mourra et nous vivrons" [15]. L'interprétation populaire courante du rituel [16] veut que le poulet soit un représentant de l'enfant et que les péchés commis par l'humain passent sur l'animal par l'entremise du rite. Puisque durant cette période singulière, Dieu ôte de ses propres mains la vie aux humains, peut-être acceptera-t-il la substitution, peut-être consentira-t-il à se laisser leurrer une année encore Le croyant traverse durant la cérémonie des émotions à la fois terribles et sacrées. Quant à celui qui meurt entre Rosh Hachana et Yom Kippur , on le considère comme un tsadik , un juste, lui qui a été abattu de la propre main de Dieu. |
sacrifice des poulets de Kappara de nos jours dans la région parisienne (photographie N. Zajde) |
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Fig.
1 Situation normale : |
Fig. 2 le juste : malgré le sacrifice du poulet, Dieu tue lenfant de ses propres mains
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Fig. 3 Arpad : du fait de la disparition de Dieu, Arpad craint tant pour sa vie que pour celle des poulets [19] |
Je dois tout de même rappeler qu'on ne peut pas à proprement parler de sacrifice, puisque pour les Juifs, tout sacrifice est interdit depuis la deuxième destruction du temple (70 ap. JC). L'interprétation habituelle du clergé juif (Shoulhan ´Aroukh[17] ) qui ne fait au mieux que tolérer une coutume très appréciée du peuple, est qu'il s'agit d'une pénitence, une obligation à penser la douleur infligée à l'animal, une occasion de retour sur soi et sur ses péchés. Pour éviter la référence au sacrifice, le Shoulhan ´Aroukh recommande de ne pas choisir délibérément un animal blanc animal de prédilection des sacrifices rituels des temps révolus. Quoiqu'il en soit, ce rituel de Kippour impose au sacrifiant de se relier selon des procédés spécifiques aux deux champs fondamentaux de l'existence: 1) l'espace sacré, par l'intermédiaire du sacrifice animal; 2) l'espace profane par l'obligation d'offrande (aumône, don de nourriture).
Analyse du cas de Bandi à la lueur des informations culturelles
Ses jeux sans cesse répétés
et exclusivement centrés sur la mise à mort des poulets
sont, de l'avis de son entourage, une conséquence de son attaque
par le coq au cours de laquelle il a pensé mourir. Est-ce que
les anges emportent les enfants morts, ou bien est-ce Dieu lui-même
? Les questions angoissées de Bandi font directement référence
à la signification explicite du rituel du poulet du Kippur
. Si Bandi est un poulet, il mourra à la place d'un enfant et s'il
n'est pas mort, il n'est en tous cas plus un humain ; devenu poussin,
coq, chapon
animaux qui, dans la tradition juive contemporaine,
sont les seuls "sacrifiables" au temps du repentir. Bandi tremble, trépigne,
quelque fois jubile de l'excitation de devenir animal de sacrifice. Inversion
complète de la mise en scène du Kippour : car si
dans la première, l'enfant qu'on suppose victime de Dieu
est remplacé par le poulet qui subit la sentence de mort
à sa place, par les mains, non pas de Dieu, mais de l'un de ses
représentants (probablement "un vieux Juif barbu"), ici, c'est
Bandi lui-même qui doit mourir, non pas par la main du sacrificateur,
mais par le bec d'un coq. En d'autre termes, l'animal de sacrifice est
devenu le sacrificateur, le sacrifiant la victime tout cela du
fait de l'absence du prêtre, du "vieux juif barbu" et surtout de
la disparition de Dieu. L'interdiction du sacrifice animal
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De nos jours, dans la région parisienne. Le sacrificateur passe |
l'animal au dessus de la tête du sacrifiant, puis il tranche (photographies N. Zajde) |
la carotide du poulet, d'un geste précis : un aller et un demi-retour |
De même ont-ils su préserver les techniques de protection (amulettes, bénédictions, luttes contre la sorcellerie ou contre les esprits), les procédés de fertilisation de la terre, bref : de multiples modalités pour réinsuffler la vie là où s'infiltrait la négativité. Tandis qu'une même voix officielle, celle de la hiérarchie religieuse ne cesse d'imposer le renoncement aux rites, le peuple, même honteux, conserve, encore aujourd'hui [22] , des pratiques qu'il ressent trop indispensables pour les abandonner à l'intellectualité symbolisante du clergé. |
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une fois qu'il a "coupé l'animal, le sacrificateur la fait saigner |
dans une sorte d'entonnoir qui guide le sang vers la terre (photographies N. Zajde)
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quelquefois, dans un sursaut, un animal saute et s'en va mourir sur le sol |
Histoires ashkénazes
Bandi (déjà représentant du peuple?) n'est pas d'accord avec ces choix! Il réclame des explications, exige par sa maladie le rétablissement des logiques ancestrales de l'être juif et cela, sans doute, pour sauver sa propre existence.
Pourquoi Bandi devait-il mourir? Hypothèse: Si Bandi subit une telle menace de mort, ce ne peut être que parce qu'il constitue par sa propre existence une faute, un manquement irrecevable aux yeux du dieu des Juifs. Car ses parents, Juifs modernes, ne partageant plus les croyances ancestrales, eux qui vivent sans Dieu, sans signification particulière de la vie et de la mort, ont certainement dû (comme bon nombre d'Ashkenaze de même niveau social et de même époque) renoncer au rituel juif primordial, celui qui introduit le mâle dans l'alliance et dans la lignée ; qui l'inscrit dans son peuple. Couper le prépuce, puis l'enterrer, c'est octroyer la vie à l'enfant ; ne pas le faire, c'est la lui retirer. Dieu viendra lui-même donner la mort reprenant la vie de l'enfant et celle de son père, décidé à tuer tant l'incirconscis que celui qui n'a pas permis à son fils de contracter l'alliance millénaire. "Il advint que, durant le voyage,
dans une hôtellerie, Iahvé l'aborda [Moïse] et chercha
à le faire mourir. Alors Séphora prit un caillou, trancha
le prépuce de son fils et en toucha ses pieds, puis elle dit: "Tu
es pour moi un époux de sang!" Alors il le laissa. Elle avait
dit "époux de sang", à cause de la circoncision."
Exode IV, 24-26.
Moïse avait omis de circoncire son fils ; malgré l'amour qu'il lui portait, Dieu n'a pas hésité à se jeter sur le prophète et ce n'est que l'acte de Séphora qui se précipite pour circoncire l'enfant qui peut alors sauver son époux. L'attaque du pénis par le coq
est une inversion de la circoncision: si lors du rituel de naissance,
la coupure du prépuce donne la vie; l'attaque du coq peut donner
la mort. Ici, la frayeur de Bandi devrait être comprise comme une
sorte d'interprétation de l'enfant, comme s'il disait : "en ne
me circoncisant pas, mes parents m'ont livré au risque d'une circoncision
sauvage, une circoncision sans Dieu dont la conséquence est soit
la mort, soit la métamorphose animale." Quelques questions de méthode Quand Abraham et Reik [26] dans leurs textes sur les rites du Kippur prétendent "interpréter" les pratiques traditionnelles juives, ils commettent une double erreur méthodologique. Car cette démarche est non-productive : 1) elle n'enrichit en aucune manière la pensée psychanalytique, n'y ajoutant aucun concept spécifique, n'y introduisant aucune nouvelle méthode d'analyse des données ; 2) elle n'a pour seul but que de disqualifier la pensée traditionnelle juive, la réduisant à des mécanismes simples et naïfs, "magiques". De même, Freud, en s'intéressant au petit Arpad, souhaite seulement que le petit patient vienne confirmer sa construction mythique sur l'origine du totémisme. Notons que toutes ces remarques ne viennent en rien infirmer les multiples observations selon lesquelles les enfants seraient préoccupés par la la masturbation et la menace de castration ; elles remettent seulement en cause la matrice théorique à partir de laquelle interpréter ces faits. La psychanalyse les ramène à une théorie de l'intériorité, vidant les pensées traditionnelles de tout contenu. Décrivant le traumatisme d'Arpad, Ferenczi, en revanche, souligne qu'une existence, une destinée, une identité même, peuvent être définitivement infléchies par un traumatisme aléatoire : la morsure du pénis par un coq et la frayeur qui en a résulté. Quant à Arpad lui-même, il semble dire à ses parents que l'interprétation traditionnelle vient rappeler aux Juifs qu'ils sont définis par leur Dieu ; du coup la guérison d'une frayeur devient quasiment un acte rituel. Guérir un malade en se référant aux pensées de son peuple, c'est à la fois renforcer la cohésion du peuple et permettre la perpétuelle fabrication du sens à partir du traumatisme [27]. Guérir un malade à partir d'une théorie universelle, c'est le contraindre à disqualifier les pensées de son peuple et donc à s'en dissocier. La nouvelle lecture que je propose du cas d'Arpad-Bandi n'est pas une une simple interprétation à rajouter aux autres, elle contient en elle même sa propre action puisqu'elle conduit à envisager des modalités techniques spécifiques de prise en charge du garçon. Plutôt que le questionner ou lui proposer de jouer, ce que Ferenczi a tenté sans succès, il aurait parfaitement été possible d'attendre le kippur suivant pour le mener auprès d'un shoheït afin de sacrifier un poulet au dessus de sa tête. Il y a fort à parier que le jeune garçon aurait immédiatement abandonné son intérêt pour le gallinacés pour le remplacer par des questions philosophiques sur les fondements de la judéïté. Plus même, ce dispositif l'aurait amené à prendre conscience que c'était au dieu juif que ses parents ne croyaient pas et que, de ce fait, il ne relevait pas de l'arbitraire de leur seule loi domestique mais de la loi commune de son peuple. En fait, la question ne se pose même pas puisque si Bandi présente une telle pathologie, c'est précisément parce que ses parents pensent ne plus relever de la loi de leur peuple. Car si la maladie de leur enfant les avait incités à se questionner sur la signification du rituel du kippur , elle les aurait nécessairement mis en présence d'un référent du judaïsme : shoheït , pour le poulet, éventuellement mohel pour la circoncision, les délogeant de ce fait même de leur position d'énonciateurs d'une loi dont ils ne relèveraient pas. Par la contrainte qu'il impose à sa famille en rupture, Bandi m'est apparu étrangement moderne, rappelant tous ces enfants de migrants, maghrébins et africains, que nous rencontrons tous les jours dans les consultations d'ethnopsychiatrie [28], dont les pathologies conduisent inexorablement leurs parents à se réinterroger sur leurs origines. |
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Bibliographie Abraham K.:
Ertel R.:
Ferenczi S.:
Freud S.:
Freud S., Ferenczi S.:
Mauss M.:
Nathan T.:
Reik T.:
Zajde N.:
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Notes
[1].
Malédiction yiddish : "Que tu sois toi même le beau et
pur poulet de Kappara!" le mot Guépoure renvoie directement
au poulet de sacrifice de Kippour . J'en profite pour remercier
E. Rozenberg pour ses précieuses informations sur les traditions
et les expressions yiddish.
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Texte paru dans Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, N¡ 31, 1996, 35-52 ; enrichi ici de sept photographies originales de l'auteur | ||
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